Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
A- La durée du planAu cours de l'histoire du cinéma, la durée du plan a fortement fluctué. « Les premiers films (1895-1905) étaient souvent constitués d'un seul plan relativement long. Avec l'émergence entre 1905 et 1916 de ce que l'on appellera plus loin le montage par continuité les plans devinrent plus courts. A la fin des années dix et au début des années 20, la durée moyenne du plan était de cinq secondes, qui montèrent à dix secondes après l'arrivée du parlant (...) Vers le milieu des années 30, il y eut dans différents pays une tendance à faire des plans plus longs, tendance qui se développa au cours des vingt années suivantes » (Bordwell et Thompson, 2000, p. 317). A la fin des années cinquante, Bazin contribua à attirer l'attention sur les qualités du plan long, à une époque où les théoriciens du cinéma en faisaient une technique théâtrale, anti-cinématographique. Un plan long laisse à penser que le réalisateur veut souligner, mettre en valeur son contenu narratif et/ou non-narratif. Il peut vouloir forcer le spectateur à voir et à réfléchir à quelque chose d'important à ses yeux. A contrario, un plan court est souvent utilisé pour le dynamisme, l'effet de surprise voire l'effet « subliminal » qu'il génère. Le plan long est parfois préféré, pour traiter une action, à une série de plans courts. On parle alors de plan autonome et de plan-séquence, si toute une scène est traitée en un seul plan long (Metz, 2003). Toutefois, en matière de durée de plan, comme pour la plupart des autres éléments filmiques, les avis sont partagés. Il s'agit donc plus de préférences personnelles que de règles ou de conventions. Des réalisateurs comme Jean Renoir, Orson Welles, Roberto Rossellini ou John Boorman préfèrent les plans longs, minimisant l'interruption de la continuité naturelle de la durée, chère à Bazin. Mais, « dans la plupart des films actuels, une scène comme celle du cambriolage, dans The General (Boorman, 1998), serait montée de façon nerveuse, avec une succession rapide de plans. Moi, je préfère tourner peu de plans et laisser l'action se dérouler. Le dynamisme vient de l'image elle-même, pas de la façon dont elle est associée à d'autres images » (Boorman, in Tirard, 2004, p. 64). Un plan long ne signifie pas un plan statique, voire fixe; il est souvent associé à des mouvements de caméra (voir le code des mouvements de caméra, plus haut) qui permettent alors de créer des effets comparables aux changements de plans produits par le montage, mais souvent avec plus de fluidité et de réalisme. Bordwell et Thompson citent Sirroco d'hiver (1969), Agnus Dei (1971), Psaume rouge (1972) et d'autres films du réalisateur hongrois Miklos Jancso qui ne sont composés que de plans séquences. « Chaque plan devient une sous-partie du film et les raccords peuvent acquérir une très grande force. Après un plan de six ou sept minutes, un raccord elliptique peut, par exemple, totalement désorienté le spectateur, comme on le voit dans les films de Jancso » (Bordwell et Thompson, 2000, p.318). En outre, certains réalisateurs emploient le plan long en alternance avec des plans courts pour créer des parallèles et des oppositions entre différentes scènes. André Bazin a noté que Orson Welles avait alterné des plans longs avec dialogues et des plans courts pour donner du rythme à son film Citizen Kane (Welles, 1941, oscar du meilleur scénario) qui, de plus, rompt avec les codes narratifs traditionnels en brisant la linéarité alors en usage au profit d'une structure éclatée et qui, esthétiquement, joue sur les contrastes violents entre le noir et le blanc, l'ombre et la lumière (Rapp et Lamy, 1999, p. 267). En conclusion, le choix de la longueur des plans est tout aussi important, en matière esthétique, narrative, stylistique, etc. que d'autres choix auxquels il est lié, notamment à ceux des mouvements de caméra, à celui de la taille du plan218(*) et à celui du mode de montage. Etant une affaire de style, toute règle relative à la durée d'un plan est donc sujette à caution comme toutes celles de la mise en scène, comme l'a dit Claude Sautet (in Tirard, p.113) : « Existe-t-il vraiment des règles en matière de mise en scène ? Je ne crois pas. Si on demandait à trente réalisateurs de filmer la même scène, on découvrirait probablement trente approches différentes. L'un d'entre eux ferait tout en plan unique, un autre découperait ça à l'extrême, un autre ne ferait que des gros plans, sur les visages, etc. Tout est affaire de point de vue. Il n'y a pas de loi, et il ne peut pas vraiment y en avoir ». Il n'en demeure pas moins vrai que la plupart des auteurs et des réalisateurs, dont Steven Spielberg (Bordwell et Thompson, 2000, p.319-326), considèrent que le plan long est un moyen de donner plus de liberté aux spectateurs tandis que le montage d'une succession de plans courts rapides, comme celui d'Eisenstein ou celui de nombreux réalisateurs de téléfilms et de programmes de télévision, a tendance à vouloir imposer un certain sens : « C'est un cinéma que j'ai surnommé néo-brutalité. (...) Leur grammaire visuelle est celle de MTV, où, en gros, tous les coups sont permis si l'on peut arriver à un résultat excitant » (Boorman, in Tirard, 2004, p.64). * 218 Les plans longs sont généralement filmés en plan moyen ou en plan d'ensemble. Le spectateur a ainsi le temps de découvrir de lui-même les éléments qui vont l'intéresser. |
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