Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Sans doute parce qu'il est très utilisé par les vidéastes amateurs, le zoom est mal considéré, méprisé et donc relativement peu utilisé par les cinéastes, quoique les avis divergent de plus en plus à son sujet et que l'on sent chez les réalisateurs une évolution favorable au zoom.Dans une interview qu'il a accordée à Laurent Tirard (2004, p. 105-106), Win Wenders reconnaît : « Longtemps, j'ai refusé de tourner quoi que ce soit avec un zoom. C'était défendu. Le zoom était l'ennemi. J'avais une théorie selon laquelle la caméra devait fonctionner comme l'oeil humain, et donc, comme l'oeil ne peut pas zoomer et que pour voir plus près, il faut se rapprocher, je préférais le travelling au zoom. Et à ma grande horreur, Antonioni a presque tout filmé au zoom (dans lequel j'étais assistant-réalisateur). Et j'ai parfois été impressionné par le résultat. » Bernardo Bertolucci215(*) a connu également un parcours « initiatique » similaire : « Aujourd'hui, je recommence à avoir des rapports plus tranquilles avec le zoom. Et je m'en sers de façon très simple, presque fonctionnelle. Mais pendant longtemps je l'ai considéré comme un objet diabolique (rires) ». La grammaire et ses interdits ont, sans conteste, évolué en matière d'utilisation du zoom. Toutefois, certains réalisateurs continuent de le considérer comme une méthode de genre ou comme un outil dont il est préférable de cacher l'emploi et dont il faut éviter l'usage excessif, sans véritable justification. « Je n'ai rien contre le zoom, si ce n'est que trop de réalisateurs ont tendance à l'utiliser à outrance, et juste pour créer un effet. Mario Bava a inventé et perfectionné cette méthode dans les années 60, mais c'était dans un genre particulier - le film d'horreur gore - Et tous ceux qui l'imitent depuis le font, je trouve, sans vraie justification. Autre problème du zoom, il a une lentille mobile, ce qui rend l'image moins nette qu'avec un objectif à focale fixe. Il m'arrive d'utiliser le zoom (...) mais je m'arrange toujours pour le camoufler en l'associant à un mouvement de caméra. » (Scorsese, in Tirard, 2004, p.23). D'un point de vue technique, il faut distinguer le fait de zoomer ou celui de dézoomer. « On parle de zoom in (en français zoomer) lorsque la distance focale s'allonge, et de zoom out (dézoomer) lorsqu'elle raccourcit. (...) Le geste de zoomer connote plus simplement l' amateurisme, puisque tous les caméscopes du monde sont équipés d'un zoom. Cela dit, la quantité de fictions télévisées et aussi de films qui utilisent systématiquement le zoom est devenue telle que le geste perd peu à peu cette image peu flatteuse. » (Jullier, 2002, p.74) Il n'en reste pas moins vrai que le geste technique génère des effets de différentes natures sur le spectateur. Certains auteurs considèrent qu'il introduit une gêne physiologique due au fait que l'oeil ne change pas de distance focale216(*) ; le zoom n'est donc pas, en quelque sorte, naturel. Toutefois, comme pour les autres éléments codiques spécifiques au cinéma, un réalisateur peut parfaitement utiliser cette gêne pour donner de la force à son discours filmique. C'est le cas, selon Opritescu (1997, p.45) lorsqu'il utilise : « - le zoom « coup de poing », majorant par son rapprochement extrêmement brutal (souligné parfois par un accent musical) l'effet dramatique d'une situation (la reconnaissance soudaine d'une personne qu'on croyait disparue, etc.). - Le zoom imperceptible par sa lenteur extrême pendant un long monologue d'un personnage, majorant l'effet dramatique des paroles par le rapprochement insensible et constant d'un visage. - Les zooms brouillés et rendus imperceptibles par de violents mouvements à l'intérieur du cadre (exemple : le zoom se serre sur un bateau d'époque se rapprochant pendant que les rameurs lèvent en l'air les énormes rames). » Le zoom imperceptible est utilisé pour créer une sensation de malaise. Aucune étude n'a jamais démontré son efficacité, comme le reconnaît implicitement Sydney Pollack (in Tirard, 2004, p.43) : « Dans La Firme (1993), je m'étais mis d'accord avec le directeur de la photo pour qu'aucun cadre ne soit fixe. Et à chaque fois que l'on tournait un plan, l'opérateur avait la main sur le zoom et avançait ou reculait très très lentement le cadre. La plupart du temps, c'est quasiment imperceptible à l'oeil. Il faut bien regarder les coins de l'image pour s'apercevoir que le plan bouge. Mais je pense que ça contribue pas mal à créer la sensation de malaise et d'instabilité qui était nécessaire à cette histoire ». Par ailleurs, certains auteurs voient dans le zoom un moyen de connotation. « Zoomer peut connoter l'inaccessibilité, le héros se contentant de voir ce qu'il ne peut avoir » (Jullier, 2002, p.74). Un moyen proche qui peut être comparé, en plus du travelling, à la distance focale. « Le geste de zoomer connote parfois le même genre de choses que les distances focales longues : voyeurisme, espionnage, paparazzi ...».217(*) L'usage (ou non) du zoom, le choix de la distance focale, le plus ou moins grand nombre de mouvements de caméra sont des décisions qui, leurs effets se conjuguant, créeront un certain style. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises règles. Certains comme David Cronenberg se refuse d'utiliser le zoom, qu'il considère comme « un gadget optique », mais en revanche aime bouger la caméra, car le changement de perspective projette le spectateur physiquement dans l'espace du film. Il utilise peu d'objectifs. Son film Exitenz (1999) a été tourné, presque entièrement, avec un objectif à courte focale de 27 mm. Des choix qui sont siens et qui font son style. « J'ai envie d'être simple et direct, à la manière d'un Bresson et, en revanche, à l'opposé complet d'un Brian De Palma, qui va constamment rechercher une plus grande manipulation de l'image et une plus grande complexité de visuelle » (Cronenberg, in Tirard, 2004, p.175). Et de conclure sainement : « Je ne critique pas ce qu'il fait, je le comprends très bien intellectuellement, mais c'est une autre approche ». VIII- Les autres codes spécifiques de la bande-imageLes mouvements de caméra, la distance focale comme la plupart des choix que nous venons de décrire agissent principalement sur les qualités spatiales de l'image. Mais, au cinéma, la dimension temporelle est tout aussi importante. Le cinéma est une technique d'enregistrement des phénomènes spatiaux mais aussi du temps (Bazin, 1985). Les mouvements de caméra en donnent quelques aperçus mais la durée du plan sera, avec le montage et les raccords, un indicateur de temps plus sûr. André Bazin n'a-t-il pas écrit que le cinéma enregistre du temps réel ? Poussée à l'extrême, cette conception signifie qu'un plan durera le temps nécessaire à l'action filmée, qu'aucune coupure, qu'aucune ellipse, qu'aucun accéléré ne sont envisageables, ce qui est, bien entendu, déraisonnable lorsque le récit couvre une période dépassant la durée normale d'un film de fiction. En réalité, il n'y a aucune nécessité d'égalité entre la durée du plan et celle des événements relatés. Les plans ont donc une durée plus ou moins longue. * 215 Bernardo Bertolucci (in Tirard, 2004, p.135) : «Je n'utilise presque jamais le zoom. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve qu'il y a quelque chose de faux dans son mouvement. Je me souviens d'un jour, sur le tournage du Stratagème de l'araignée (1970), où j'ai eu envie de mettre le zoom, pour changer. J'ai passé une heure à jouer avec, et puis ça m'a rendu malade. Je l'ai enlevé et j'ai dit que je ne voulais plus jamais voir cet objectif ». * 216 La distance focale est l'écart, exprimé en millimètres, entre le plan de la pellicule et le centre optique (virtuel car un objectif généralement est composé de plusieurs lentilles). On distingue habituellement les distances focales moyennes (les objectifs standards), courtes (les grands-angles) et longues (les téléobjectifs). * 217 Bien qu'il ne faille « ici aussi, se garder de faire des associations automatiques entre le contenu et la distance focale (...), hors contexte fictionnel, les distances focales longues connotent les paparazzi traqueurs de princesses, les reporters en mal d'images-chocs, le safari-photo, les images de sportifs en compétition - toutes formes, au mieux de capture d'images en milieux inhospitaliers (guerre) ou interdits (plages privées, stades), au pire, de voyeurisme distal. Quant aux distances focales courtes, elles connotent à l'inverse une forme de rapport proximal à l'objet visé, sinon à l'immersion (reporter plongé dans une foule de manifestants) - mais elles sont aussi l'apanage des caméras de surveillance (voyeurisme proximal). » (Jullier, 2002, p.73) |
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