Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
B- Les effets des échelles de plan sur les spectateursL'association de significations aux différentes échelles de plan dépend de nombreux facteurs tels que le style, le genre, le medium de diffusion (cinéma ou télévision), la mode, etc. Martine Joly (1994, p.109) s'interroge, à juste titre, sur l'adaptation de ces significations au médium utilisé. Un gros plan à la télévision a-t-il la même signification qu'un gros plan au cinéma ? Elle conclut rapidement que les significations varient d'un medium à l'autre, d'une époque à l'autre : un gros plan chez Eisenstein n'a pas la même valeur qu'un gros plan chez Hitchcock ou dans le grand cinéma hollywoodien. Joly en arrive à des constats de bon sens : « les plans moyens ou larges insistent sur les relations entre un individu et son environnement, tandis que plus on se rapproche des personnes, plus on insiste sur leur personnalité ou leur caractère, etc. » (Joly, 1994, p.109) Un peu dans cette optique de simplification - car considérant vraisemblablement que les échelles de plan sont trop nombreuses pour être connues du spectateur normal - Opritescu (1997, p.62) ramène la classification des plans en fonction de leur échelle à « trois valeurs de plans principales qui provoquent (selon lui) des perceptions différentes de la part des spectateurs : premier plan, plan moyen, plan éloigné »203(*). Il considère que cette hiérarchie n'est pas seulement « une amplification ou une minoration, elle modèle surtout le sens imprimé au regard ». Ainsi, selon lui : - quand l'objet apparaît très gros dans le plan, le plan, à la manière d'une loupe grossissante, a une fonction analytique ; - quand l'objet, ou plutôt les objets sont filmés en plan moyen, le plan met en valeur des liaisons et a, en conséquence, une fonction relationnelle ; - lorsque les objets sont aperçus au loin, le plan a plutôt une fonction descriptive. Il n'en demeure pas moins vrai qu'Opritescu, comme la plupart des auteurs contemporains, reste prudent dans ses assertions.204(*) Le plan n'est, en effet, qu'un élément parmi d'autres, pour donner du sens, « une composante non neutre et déterminante du message global » (Joly, 1994, p.115). C- Règles à respecter ou limites à franchir ?Face à cette prudence, plus ou moins avouée, l'attitude des réalisateurs est variable. Certains réalisateurs dérogent à ces « règles » pour affirmer leur style, pour induire en erreur le spectateur, pour assurer une certaine ambiguïté de la signification, pour des raisons esthétiques, etc. Comme l'écrit Jean Mitry (2001, p.71) : « il n'y a pas de codification symbolique au cinéma, faute de quoi le film perdrait de son authenticité vivante, sa puissance de réalité concrète ». Ces règles ne sont en fait que des limites, des garde-fous comme le suggère Roland Barthes : « La valeur esthétique d'un film est fonction de la distance que l'auteur sait introduire entre la forme du signe et son contenu, sans quitter les limites de l'intelligible ». Certains auteurs vont plus loin encore en considérant qu'un plan ne génère peu, voire aucun sens. Sur la (non-) signification des plans, Jean-Marie Roth n'hésite pas à écrire : « Contrairement à une légende qui, à l'heure actuelle, fait malheureusement encore les beaux jours de certaines écoles de cinéma, un plan ne veut rien dire. Pareillement, il faut savoir qu'aucun d'eux ne peut être considéré comme juste ou faux. Pourquoi au 128ème plan de tel ou tel film, tel ou tel réalisateur a-t-il choisi de montrer son personnage en PA (plan américain) ? Réponse : il fallait bien qu'il le filme, d'une façon ou d'une autre ! Même la plongée (voir ci-dessous les angles de prises de vues), par exemple, sensée prouver l'infériorité d'un personnage, peut être employée à contre sens » (Roth, 1999, p.145). Cela ne l'empêche pas de reconnaître que des erreurs soient possibles en matière esthétique, notamment dans le montage de plans successifs qui peut entraîner des sauts désagréables, par exemple, de « flash ». Il fait donc, sans le dire explicitement, référence à un autre code de la bande image, celui du montage. C'est la raison pour laquelle nous présenterons les incidences reconnues et « enseignées », à tort ou à raison, des autres codes spécifiques au cinéma. Nous avons vu que l'une des critiques les plus fréquentes du code de l'échelle de plans était qu'il est parfois difficile de définir un plan, notamment, lorsqu'il y a plusieurs personnages dans le cadre et que le personnage qui nous intéresse est le plus éloigné. Nous commencerons donc par l'étude de la profondeur de champ. * 203 Cette classification se rapproche, sans être parfaitement similaire selon Mitry (2001), de la classification anglosaxone : Close Up, Medium Shot, Long Shot. * 204 Opritescu (1997, p.62) : « il n'est pas rare que, dans la réalité, la fonction du plan change pendant le déroulement de celui-ci, ou qu'un plan endosse plusieurs fonctions en même temps. Exemple : un panoramique reliant deux gros plans fait glisser la fonction analytique en fonction relationnelle.» |
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