Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Chapitre 5 : Les éléments et les codes de la bande image
L'importance des images dans un film est reconnu depuis l'origine du cinéma, y compris du public pour lequel un film est, avant tout et un peu abusivement, une suite d'images qui défilent rapidement pour former une histoire. Le mot film lui-même, d'origine anglaise, signifie « pellicule » et désigne, en premier lieu, la pellicule photographique, en second lieu, la bande régulièrement perforée recouverte d'émulsion photographique qui permet d'enregistrer et de conserver des images. Plus largement, le cinéma est souvent défini comme un langage d'art utilisant l'image comme moyen d'expression. Ainsi, Jean Mitry (2001, p30-31) a défini le cinéma « comme étant une forme esthétique (tout comme la littérature), utilisant l'image qui est (en elle-même et par elle-même) un moyen d`expression dont la suite (c'est-à-dire l'organisation logique et dialectique) est un langage. (...) Les images filmiques n'étant pas employées, dans leur finalité expressive, comme une simple reproduction photographique mais comme un moyen de transmettre des idées, il s'agit bien d'un langage. Un langage dans lequel l'image joue le rôle à la fois du verbe et du mot par sa symbolique, sa logique et ses qualités de signe éventuel. »179(*) Bien que souvent présenté comme la juxtaposition de deux bandes, la bande image180(*) et la bande son, le film est avant tout « le véhicule de l'image (Wyn, 1972). Historiquement, le film a existé avant même l'invention des frères Warner, en 1928, qui permit d'inscrire sur le film-pellicule d'Edison la piste sonore181(*) plus communément appelée bande son. Comparé à la photographie avec laquelle le lien de parenté est incontesté, le film cinématographique est donc un support d'images dont la particularité est d'être animées. I- Image photographique et image cinématographiqueIl est important de distinguer l'image fixe de l'image animée qu'est l'image filmique. L'image animée, d'une durée minimale d'une seconde, est induite par un défilement de 24 images fixes appelées photogrammes. C'est à la persistance rétinienne que l'on doit d'assembler par un souvenir visuel l'ensemble des gestes et mouvements décomposés en photogrammes182(*) puis à l'effet Phi183(*), phénomène psycho-physiologique, de les recomposer et de susciter l'illusion du mouvement (Bessière, 2000, p.41). Pour être précise, la comparaison entre l'image photographique et l'image cinématographique doit être faite à deux niveaux au moins : - le premier est celui de l'image photographique présentée isolément par rapport à une image cinématographique (composée en réalité de plusieurs images fixes), - le deuxième est celui d'une image photographique (en réalité plusieurs images fixes identiques) insérée dans une série d'images animées. Au premier de ces deux niveaux, la ligne de partage entre cinéma et photographie a été tracée par Roland Barthes184(*) : « D'un côté le mouvement, le présent, la présence. De l'autre l'immobilité, le passé, une certaine absence. D'un côté le consentement à l'illusion, de l'autre une quête d'hallucination. D'un côté une image qui fuit, mais nous prend dans sa fuite ; de l'autre une image qui se donne toute, mais dont le tout me dépossède. D'un côté un temps qui double la vie, de l'autre un retournement du temps qui finit par buter sur la mort. » (Bellour, Le spectateur pensif, 1984 in Bellour, 2002, p.75). Au deuxième niveau de comparaison, la question qui se pose est de savoir ce qu'il arrive lorsque le spectateur de cinéma rencontre la photographie au sein même d'un film qui associe des images photographiques fixes et des images animées. Situation dans laquelle nous allons placer les participants à nos interviews de groupe (voir notre étude dans la deuxième partie). Selon Bellour (2002, p.75-76), la photographie devient d'abord « un objet parmi d'autres ; comme tout ce qui participe au film, la photo est prise dans son défilement. Pourtant, la présence de la photo sur un écran produit un trouble très particulier. Sans cesser de se poursuivre à son rythme, le film paraît se figer, se suspendre, créant chez le spectateur un recul qui va de pair avec un accroissement de fascination. (...) Cet effet montre que le pouvoir de la photographie, immense, se maintient dans une situation où elle n'est pas vraiment elle-même... ».185(*) La présence de la photographie a comme effet de décoller le spectateur de l'image, en partie par le supplément de fascination qu'elle exerce. Aussi Bellour conclut-il que « la photo a un privilège sur tous les effets grâce auxquels le spectateur de cinéma, ce spectateur pressé, devient aussi un spectateur pensif. » (Bellour, 2002, p.80). * 179 Mitry (2003) p.31 : « Il est évident que le cinéma ne saurait être un langage si l'on s'en tient à la définition classique qui veut que le langage n'utilise que des signes abstraits de forme fixe et de signification constante. » (...) p.331 « Il est temps que la définition linguistique, trop exclusive le cède à une définition logique plus générale (...) On peut dire, de la sorte, qu'un langage est un moyen d'expression dont le caractère dynamique suppose le développement temporel d'un système quelconque de signes, d'images ou de sons (de gestes au besoin, tel le langage des sourds-muets), l'organisation dialectique de ce système ayant pour objet d'exprimer ou de signifier des idées, des émotions ou des sentiments. » * 180 La bande image est la partie du support pelliculaire sur laquelle sont enregistrées les images. * 181 La piste sonore de 3 mm de large environ est alors située entre les perforations de la pellicule et la bande image. * 182 Les photogrammes sont les unités minimales non significatives du cinéma. Il s'agit en fait de photographies. * 183 « Les psychologues de l'école gestaltique ont identifié cet effet de perception d'un mouvement apparent (qu'ils nommèrent effet phi) comme résultant des stimuli visuels produits par les déplacements des images qui permettent aux cellules du cortex visuel d'interpréter ces différences comme mouvement » (Journot, 2004, p.42) * 184 Roland Barthes, La Chambre claire, p.89-90 cité par Bellour (2002, p.75) * 185 Bellour (2002, p.75-76) cite l'exemple suivant : « Prenons Letter from an Unknown Woman (Max Ophüls, 1948, avec Louis Jourdan et Joan Fontaine). Le pouvoir du cinéma y est à son comble : bâti sur un flash-back (le prétexte est une lettre que le héros reçoit dès la séquence d'ouverture), le film nous rend ainsi présents des moments du passé. Le flash-back est constamment relancé : on voit à plusieurs reprises le héros lire la lettre de la femme inconnue (en réalité oubliée). (...) Au milieu du film à peu près, le héros apprend que cette femme qu'il a délaissée après une nuit d'amour a accouché d'un enfant dont il est le père : il regarde, en plan rapproché, à la loupe, des photos jointes à la lettre : trois photos, que l'image tend au spectateur. D'abord, dans un ovale, un enfant d'environ un an, de face, les yeux grands ouverts. Puis, l'enfant, plus grand, avec sa mère dans une nacelle. Enfin, l'enfant seul à nouveau, maintenant presque adolescent. A quoi servent ces photos ? A l'histoire, bien sûr....Les photos font office de charnière entre les deux grandes parties du récit : elles expriment le passage du temps...Elles ouvrent en fait un autre temps : un passé du passé. Un temps second et différent. Ainsi elles fixent un instant le temps du film : nous arrachant à son déroulement, elles nous situent par rapport à lui. Il y a, à cela, trois raisons. La fixité soudaine de l'image d'abord. ...Cette fixité est contraire au mouvement du film, qui veut que les figures bougent. Ensuite, ces images nous regardent (la première surtout) du fond du temps perdu de l'enfance (le temps de la photo par excellence), avec ce regard-caméra qu'on ne voyait alors (presque) jamais au cinéma. Enfin..., ce que ces photos attestent le bouleversent (le héros) ; il est, à la pensée de ce qu'elles éveillent, pétrifié. Moi qui m'identifie à lui, je suis comme lui pétrifié. » |
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