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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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F- Les apports de la narratologie modale

La narratologie modale se distingue de la narratologie thématique172(*) qui ne tient pas compte de la façon dont le cinéma raconte l'histoire, de l'importance des images, du fait que le film est différent d'un texte écrit dans la mesure où il montre les actions sans les dire (Gaudreault et Jost, 2000, p.39). C'est pourquoi, la narratologie modale est venue compléter la narratologie thématique à la suite des travaux de Gérard Genette173(*) 174(*)

La narratologie modale s'occupe des formes d'expression par lesquelles on raconte une histoire. Dans le domaine du cinéma, elle prend toute son ampleur pour constituer ce que certains appellent la narratologie du cinéma (Marie, 1990) et d'autres la sémiologie du film narratif (Metz).

Dans cette perspective, les questions fondamentales qui se posent sont, selon Gaudreault et Jost (2000, p.7-10) : « 

- Comment le cinéma raconte-t-il une histoire ?

- Comment s'opère le passage d'une narration orale ou écrite à une narration audiovisuelle ? Comment passe-t-on de l'acte de raconter verbalement à celui de raconter en montrant ? (...)

- Qui raconte le film ? Quel est le statut des images et des sons dans un film narratif  ?

- Qui voit les images du film ? » 

Viennent s'y adjoindre les problématiques de l'énonciation et de la focalisation (Genette175(*)) qui partent dans une large mesure d'un constat : « le film est bien différent du roman dans la mesure où il peut montrer les actions sans les dire » (Gaudreault et Jost, 2000, p.39).

L'énonciation correspond aux moyens utilisés pour dire un énoncé. Christian Metz fut l'un des premiers à transposer ce concept linguistique d'énonciation au discours filmique176(*). Selon lui, on a une tendance presque naturelle, consciemment ou non, « à placer en amont et en aval du film des instances auxquelles on attribue plus ou moins explicitement une nature humaine ; ces instances renvoient, d'une manière plus ou moins avouée, à l'auteur et au spectateur » (Vanoye et Goliot-Lété, 2001, p.33).

Il n'en reste pas moins vrai que l'énonciation, concept linguistique, a fait l'objet d'un débat théorique contradictoire, depuis quelques années, débat dans lequel nous n'entrerons pas - certains chercheurs refusant l'idée même que la notion d'énonciation puisse s'appliquer à autre chose qu'à la parole et l'écriture, donc a fortiori à la production d'images.

Bien que, dans le domaine du cinéma, il n'existe pas d'instance narrative identifiable simplement à un sujet (Aumont et Marie, 1999, p.106) et qu'il n'existe pas réellement, dans les films, de marques linguistiques d'énonciation telles que les pronoms personnels (je, tu, etc.), des pronoms et adjectifs possessifs, des adverbes de temps et de lieu (ici et maintenant, etc.), nous retiendrons de cette approche qu'un film est un discours fabriqué par quelqu'un pour quelqu'un et qu'il est généralement le résultat d'une collaboration (scénariste, réalisateur, monteur, etc.). C'est pourquoi, l'instance d'énonciation désigne l'ensemble des personnes qui ont participé à la fabrication du film. Elle correspond donc à toute l'équipe du film, c'est-à-dire à ce que nous avons appelé, par commodité, le cinéaste177(*).

Par ailleurs, la notion d'énonciation filmique - bien sûr différente de l'énonciation linguistique en raison de la matière même du film largement extralinguistique - permet de retenir plusieurs idées « pratiques », que nous avons pour certaines déjà relevées :

- la présence pour chaque film narratif d'une instance d'énonciation, composée de l'ensemble des participants à la création : scénariste, metteur en scène, producteur, et autres métiers du cinéma, etc.

- l'existence d'une cible ou visée d'énonciation : les spectateurs

- un film est composé d'éléments extralinguistiques contrairement à un roman, par exemple, entièrement verbal.

- Un film narratif est à la fois une histoire, ou plutôt un récit (narratologie thématique), et des formes d'expression (narratologie modale) qui font sa matérialité : images, mots parlés ou écrits, bruits, musiques, etc.

Nous pouvons, dès lors, compléter le schéma du processus de co-construction de l'histoire, dont nous avions commencé l'ébauche à partir de la distinction faite entre une histoire et un récit (Bordwell et Thompson) :

Construction narrative thématique par le scénariste

Une histoire Le récit du

scénariste

Construction narrative modale, oeuvre collective de l'ensemble des participants

à la création ou instance d'énonciation, utilisant de nombreuses formes d'expression majoritairement extralinguistiques

Un récit filmique L'histoire

thématique et modal construite par le

spectateur

Construction par le spectateur, visée d'énonciation

Dans la plupart des films, l'instance d'énonciation n'apparaît pas dans le film qu'elle a fabriqué. Il existe, toutefois, des procédés qui lui permettent de se montrer ou de faire sentir sa présence178(*). Les plus connus, les regards-caméra consistent à faire commenter le film par le réalisateur, au début, au cours ou à la fin du film, comme le fait souvent Alfred Hitchcock ou à demander à l'un des personnages d'interpeller les spectateurs comme Jean-Paul Belmondo le fait dans A bout de souffle (Godard, 1959) lorsqu'il leur demande ce qu'ils aiment dans le film...

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que l'organisation narrative d'un film ne suffit pas à conclure en la similitude entre un film et un roman ; et cela malgré la phrase célèbre de Griffith : « Dickens écrivait de la façon dont je procède actuellement ; cette histoire est en images, et c'est la seule différence ». Griffith s'inscrivait alors dans une tradition commune à tous les montreurs d'histoires mais le fait que l'histoire soit en images est une différence fondamentale (Ropars-Wuilleumier, 1970, pp.12-13). Par ailleurs, l'analyse narratologique ne concerne qu'une forme filmique, la forme narrative. Or, il existe d'autres formes de film, d'autres systèmes généraux de rapports entre les parties d'un film.

Les différentes formes filmiques

(d'après Bordwell et Thompson, 2000)

Forme narrative : type d'organisation filmique où les parties sont en rapport les unes avec les autres à travers une chaîne d'événements ayant des relations causales et se déroulant dans un certain espace à un certain moment.

Forme catégorielle : Type d'organisation filmique où les parties sont consacrées à des sous-ensembles distincts d'un même sujet principal. Par exemple, un film présentant successivement chaque université française.

Forme rhétorique : Type d'organisation filmique où les parties produisent et appuient une argumentation dans le but de convaincre le spectateur. Elle comprend généralement une présentation de la situation, un exposé des principaux problèmes et de leurs causes, une présentation de différentes solutions, la démonstration de l'efficacité de la solution choisie, enfin une conclusion synthétisant l'ensemble ou un exposé des résultats de la solution mise en oeuvre.

Forme abstraite : Type d'organisation filmique où les parties sont en rapport les unes avec les autres par répétition et variation de qualités visuelles comme la forme, la couleur, le rythme et la direction des mouvements.

Forme associative : Type d'organisation filmique où les parties sont juxtaposées pour suggérer des ressemblances, des oppositions, des idées, des émotions ou des qualités expressives

Pour les formes autres que narratives, ou pour des films qui combinent plusieurs formes filmiques - par exemple, narrative et catégorielle, catégorielle et rhétorique, ou abstraite et associative, d'ailleurs pas forcément tout au long de leur durée - d'autres types d'approche existent, notamment l'approche sémiologique du cinéma.

Dans cette optique, dans la suite de ce travail, nous étudierons successivement chacun des codes cinématographiques (autres que celui de la narrativité, que nous venons d'étudier dans le cadre de l'approche narratologique) en commençant par ceux de la bande image. Nous avons, en effet, décidé de commencer notre étude par la bande image, et cela pour trois raisons essentielles :

- la bande image est la plus spécifique du langage cinématographique puisque le langage radiophonique utilise également la bande son,

- la bande image est considérée, par de nombreux auteurs, comme celle qui produit le plus de sens, bien que comme nous le verrons dans le chapitre consacré à la bande son, ce ne soit pas toujours le cas.

- Probablement en raison de l'influence qu'on lui prête, la bande image est également celle qui a fait l'objet du plus grand nombre d'études et de recherches.

En plus de la distinction bande image / bande son, nous suivrons, pour chacune de ces deux bandes, et dans la mesure du possible l'ordre du classement codes spécifiques cinématographiques / codes non spécifiques. Nous tenterons, cependant, de montrer leur interdépendance en matière de production de sens. En ce qui concerne le code du montage, nous avons conservé la place que lui avait donnée Christian Metz en dépit du fait que ce code ne soit pas vraiment spécifique au cinéma puisque présent dans d'autres langages visuels comme la bande dessinée, le roman-photo, etc.

En conséquence, les deux chapitres suivants, le premier consacré à la bande image et le deuxième à la bande son, présenteront d'une part les codes spécifiques, d'autre part les codes non spécifiques en suivant l'organisation suivante :

Ordre de traitement des codes filmiques 

 

Bande image

Chapitre 4

Bande son

Chapitre 5

a) Codes spécifiques, ou filmiques cinématographiques

- Le code de variation d'échelle de plans

- Le code de la profondeur de champ

- Le code de la distance focale

- Le code des changements d'angle de prise de vues

- Le code des mouvements de caméra

- Le code du montage,

- etc.

- Le code de la relation images-sons

- Le code du synchronisme

b) Codes non spécifiques, ou filmiques non cinématographiques

- Le code des couleurs

- Le code de la lumière et de l'éclairage

- Le code gestuel

- Le code des vêtements

- Le code des effets spéciaux

- Le code des voix et les paroles

- Le code des bruits

- Le code de la musique

* 172 La narratologie thématique s'intéresse, nous venons de le voir, à l'histoire racontée, aux actions, aux rôles des personnages, aux relations entre eux, etc. et utilise des modèles, des théories, des principes de l'écriture littéraire. Comme l'écrit Michel Marie, dans la préface de l'ouvrage de Gaudreault et Jost (1990, 2ème édition), les modèles qui s'appuient sur les hypothèses de Propp « envisagent la structure d'une histoire comme relativement indépendantes des techniques qui la prennent en charge, qu'il s'agisse d'un roman, d'un film ou d'une pièce de théâtre »

* 173 Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972

* 174 Gérard Genette, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983

* 175 Genette a utilisé ce terme d'optique pour désigner le foyer narratif du récit, autrement dit le point de vue cognitif qui le construit : le savoir. A ce point de vue cognitif, les narratologues du cinéma (Jost, Ropars-Wuilleumier, etc.) ont ajouté le point de vue physique : le voir ou ocularisation et l'écouter ou auricularisation.

* 176 METZ, Christian, L'énonciation filmique ou le site du film, Méridiens-Klinscksieck, 1991

* 177 Le terme cinéaste a été utilisé par Louis Delluc pour désigner toutes les personnes travaillant dans le cinéma. Toutefois, ce terme est également utilisé comme synonyme de réalisateur ou de metteur en scène.

* 178 Journot (2004, p.44-45) cite en plus du regard-caméra : - les cadrages inhabituels, les effets trop marqués et qui laissent percevoir le style du réalisateur, - les citations d'autres films qui signalent une relation particulière du film avec d'autre film, - le générique qui affiche la fabrication du film.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault