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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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Emetteur Signes Récepteur

Signifiants

Code partagé

Signification Signification

pour l' pour le

Emetteur Récepteur

Signifiés

Compréhension mutuelle ?

Metz reconnaît, toutefois, que certains procédés de syntaxe utilisés par des cinéastes, interprétés a posteriori par les spectateurs, une fois qu'ils aient compris le film, étaient repris par d'autres cinéastes et sont « devenus en quelque mesure conventionnels ».

Aussi, comme dans ses autres objets d'étude, l'une des premières tâches de la sémiologie du cinéma fut de recenser et de classer les différents codes utilisés.

A partir des années 1960-1970, elle identifia et répertoria les différents codes cinématographiques en présence et tenta d'analyser leurs rapports et leur éventuelle hiérarchisation. Nous étudierons ces différents codes dans les chapitres suivants.

A- Les apports de la sémiologie de l'image

La sémiologie de l'image, notamment sous l'impulsion de Barthes, prit un temps le pas sur la sémiologie du cinéma, dont l'objet était plus vaste. Même la grande syntagmatique de Metz ne s'intéresse, en réalité, qu'à la bande-images (Odin, 1990, p.196). La sémiologie de l'image consiste à repérer les différents types de signes mis en jeu - l'image contient-elle des signes ? Si oui, quels sont-ils ? Et comment s'agencent-ils ? - et à en déduire, à partir de leur organisation propre, une interprétation globale acceptable par un groupe d'observateurs donné (Joly, 1994, p.91 et p.131).

La sémiologie de l'image s'applique donc en priorité à étudier les processus de production de sens, pour ensuite proposer des interprétations plausibles. Elle analyse les signes séparément (couleurs, éclairage, texture, forme, cadrage, pose du modèle, etc.) et part du principe saussurien d'un rapport signifiant/signifié. Le Groupe u, dans le Traité du signe visuel12(*), après avoir décrit les différents signes plastiques, tente de fournir une grammaire de signifiants et de montrer comment ses derniers s'associent à des signifiés. Mais au-delà de l'analyse de chacun des signes, la sémiologie de l'image s'intéresse à la combinatoire de tous ces différents signes.

« Pour ce faire, une méthode d'analyse possible consiste à passer en revue chaque catégorie de signes mise en oeuvre dans le message considéré, à en isoler les signes choisis, à les analyser au plan de l'expression et du contenu et à observer comment ils interagissent les uns avec les autres (+ rapports de congruence, d'opposition ou de prédominance) pour produire le message global » (Joly, 1994, p.132).

Cette méthode laisse penser à une certaine rationalité et pourrait cacher, si l'on n'y prend garde, le discours secret de l'image13(*) que Roland Barthes14(*) a tenté d'expliquer en distinguant deux niveaux de sens : le sens dénoté et le sens connoté.

Sur le premier niveau de signification, dénotatif ou descriptif ou référentiel, on trouve comme signifiants les photographies ou dessins des objets, signifiés dans la scène, autrement dit les objets dénotés.

Au deuxième niveau de signification, niveau de la connotation, les objets dénotés (signifiés du premier niveau) sont les signifiants (de deuxième niveau) et ont pour signifiés (de deuxième niveau) ce que ces objets suggèrent, ou ce à quoi ils sont associés.

Roland Barthes utilisera l'image publicitaire pour illustrer sa thèse : « parce qu'en publicité la signification est assurément intentionnelle » et que les signifiés doivent « être transmis aussi clairement que possible » à la cible visée. Par ailleurs, « l'image publicitaire est franche ou du moins empathique » pour qu'elle soit comprise vite, bien, au moindre coût et par le plus grand nombre. Le principe selon lequel un signe unit un signifiant à un signifié, signifiant signifié, sert à Barthes pour reconstruire, de l'aval à l'amont (donc en sens inverse de la production de sens), les liens entre les signifiés, c'est-à-dire les significations produites par le message, et les signifiants qui les ont générés.

Il utilisera sa méthode sur un message publicitaire en faveur des pâtes Panzani qu'il décrit lui-même ainsi : « paquets de pâtes, une boîte, un sachet, des tomates, des oignons, des poivrons, un champignon, le tout sortant d'un filet à demi-ouvert, dans des teintes jaunes et vertes sur fond rouge ». Le premier signifié qu'il met en évidence est celui d'italianité. Ce signifié serait la résultante de plusieurs éléments qui se renforceraient les uns les autres dans l'évocation du concept d'italianité : la consonance du nom « italien » de la marque Panzani ; l'annonce est aux couleurs de l'Italie, rouge, blanc, vert ; la présence de fruits et légumes méridionaux, tomates, poivrons, oignons ; le sachet de parmesan, fromage fabriqué aux environs de Parme (Italie), etc.

A la structure de connotation décrite par Roland Barthes15(*), signifiant signifié premier signifiant signifié second, il est possible d'ajouter d'autres structures de connotation possibles. Au cinéma, Roger Odin (1990) en voit au moins deux :

- lorsque le signifiant du signe de dénotation produit à lui seul une connotation. Par exemple, la sonorité d'une langue qui évoque un pays où on la parle,

- lorsque seul le signifié du signe dénotateur renvoie à une connotation. Par exemple, dans nos cultures, les connotations de malheur, de deuil sont liées au noir, celles de joie et de vitalité au jaune.

L'image publicitaire, bien qu'utilisant beaucoup la dimension connotative de l'image, n'est pas la seule à le faire. Tous les messages visuels sont connotatifs parce qu'ils mêlent plusieurs systèmes de signes, parce qu'ils sont composés de différents types de signifiants et donc de signes. Aussi, les messages audiovisuels, les films cinématographiques et les téléfilms sont plus connotatifs encore car ils multiplient les systèmes de signes, en plus des signes plastiques (éclairage, formes, cadrage, etc.) de l'image, ils sont composés de signes non plastiques (voix, musique, etc.), ce qui augmente considérablement les combinaisons de signes possibles.

L'image pouvant avoir de multiples significations, en plus d'avoir un potentiel connotatif, et pouvant se prêter à de nombreuses interprétations, en raison du grand nombre (poly) d'informations (sémies) qu'elle fournit, fut déclarée polysémique. Comme l'écrit Martine Joly (1994, p.81): « L'un des clichés les plus connus à propos de l'image a été de la déclarer polysémique. La polysémie de l'image a en effet été très vite considérée comme la spécificité de la communication par l'image, en particulier dans les domaines des sciences de l'éducation ou ceux de la publicité ».

A propos de Roland Barthes, et plus précisément de son étude sur Le Problème de la signification au cinéma, Jean Mitry (2001, p.70) n'hésite pas à écrire : « Quant à dire, comme il le fait, de la polysémie, c'est un truisme. Un signifiant peut exprimer non seulement, plusieurs mais une quantité de signifiés puisque l'image ne prend sa valeur de signe qu'à la faveur du contexte et des implications qu'il suppose ».  

Dire que l'image est polysémique est une chose, affirmer que la polysémie est une spécificité de l'image en est une autre. Selon Joly (1994, p.83), l'image est nécessairement polysémique dans la mesure où elle est un énoncé iconique complexe16(*) ; mais on ne peut pas faire de la polysémie sa spécificité dans la mesure où tout énoncé complexe (verbal ou non verbal) est polysémique.

Si l'interprétation d'une image est difficile, c'est que les éléments de l'image sont insuffisamment explicites, manquent de relief. De ce constat, Joly en conclut que ce que certains nomment polysémie est en réalité une absence de focalisation assertive ; la focalisation étant la mise en relief (en focus) d'un élément d'un énoncé par des moyens propres au code employé. Or, « les procédés qu'emploie l'image pour mettre en relief tel ou tel point d'un énoncé visuel sont souvent moins facilement perçus qu'une focalisation verbale, quoiqu'ils existent cependant (par l'intermédiaire de la couleur, de la composition, de l'éclairage, du choix des proportions, etc. » (Joly, 1994, p.83).

Ces raisons « techniques » et de production ne satisfont pas tous les auteurs. Certains voient plutôt des facteurs contextuels, d'autres encore, des raisons liées aux spectateurs eux-mêmes.

Mitry insiste d'une part sur le fait que la signification filmique ne dépend jamais - ou rarement - d'une image isolée mais d'une relation entre les images, d'autre part qu'elle varie selon le contexte. Une suite d'images représentant un cendrier dans lequel s'empilent des mégots peut suggérer le temps qui passe dans un certain contexte. « Dans un autre contexte, il pourrait signifier tout autre chose : l'énervement, l'attente, ou encore l'ennui... ». (Mitry, 2001, p.66).

En outre, un film n'est qu'exceptionnellement composé que d'une bande image. C'est une combinaison d'un très grand nombre d'éléments signifiants : des images (fixes ou mouvantes, en noir et blanc ou en couleurs, etc.), des mots (parlés et écrits), des sons (musiques et bruits), etc. La question de la cohabitation du verbal et de l'iconique qui a fait l'objet de recherches en publicité se pose donc dans le domaine filmique. Les images pouvant générer un malaise en raison de l'indécision du sens à donner parmi tous les sens possibles, les mots serviraient-ils de guide au spectateur, auraient-ils une fonction d'ancrage, autrement dit fixeraient-ils le sens ? Auraient-ils une deuxième fonction, celle de relais, en fournissant aux spectateurs des informations complémentaires que ne peut véhiculer la bande image ?

De nombreux auteurs, dont Barthes, considèrent que les mots éclairent ou complètent l'image, ce qui est vrai pour une légende de photographie de presse. Mais est-ce vrai pour les images filmiques et la bande son ? Laurence Bardin 17(*) s'est interrogée sur les fonctions d'ancrage et de relais dans les messages publicitaires et en a conclu qu'elles devaient être dédoublées : « Qu'est-ce qui prouve, dans le rapport texte/image que c'est toujours le texte qui joue le rôle de mode d'emploi ? ». Elle en arrive à considérer que le texte n'est pas moins polysémique que l'image : « les mots, eux aussi, ont eu dans l'histoire, et ont encore dans bien des cas, un statut sacré et un aspect affectif et émotionnel ».

Dans le domaine filmique, les fonctions d'ancrage et de relais peuvent être remplies, selon la volonté du réalisateur, indifféremment par la bande image ou par la bande son. Une suite d'images peut-être plus explicite qu'un dialogue confus ou mystérieux entre deux acteurs. Sans reprendre la classification des messages publicitaires, en quatre catégories, fondée sur la dénotation et la connotation du code iconique et du code linguistique proposée par Bardin18(*), nous devons admettre que le réalisateur d'un film travaille avec beaucoup de soin le rapport entre la bande image et la bande son, qu'il nuance pour chacune d'elles le degré du dénotatif (rationnel, fonctionnel, précis, monosémique) et du connotatif (symbolique, poétique, ambigu, polysémique) de manière à ce que de l'interrelation (mots-images) surgisse un sens.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que, selon Bardin, les sens connotés sont « des sens supplémentaires, plus marginaux, diffus, instables, qui se greffent sur le premier (dénoté), le complètent ou le déforment et qui retentissent de manière variable chez les individus selon leur expérience et leur culture (...) Chaque récepteur interprète, quantitativement et qualitativement, un message fortement connoté en fonction de son background individuel et social (histoire personnel, groupe culturel d'appartenance ou de référence, maîtrise des symboles et mythes susceptibles d'être rencontrés dans un message et nécessitant un apprentissage antérieur pour être identifiés »19(*). Elle se situe ainsi dans un courant de pensée qui est loin d'être minoritaire, notamment dans le domaine cinématographique.

De nombreux auteurs considèrent, en effet, que l'interprétation varie surtout en fonction du spectateur, d'où la formule de Christian Metz, « ce n'est pas l'image qui est polysémique, mais le spectateur ». Meunier et Peraya illustrent cette idée à l'aide d'une petite expérimentation. Une photographie de Paul Almasy montrant le dessous d'une table avec les jambes de deux personnes assises des deux côtés de la table. A la vue de cette photographie, les personnes interrogées l'interprètent différemment : pour les uns, il s'agit d'une « partie de cartes, pour d'autres « un ouvrier qui se fait molester par son patron », pour d'autres encore « un dessous de table » illicite, etc. En réalité, la même image est perçue et interprétée de façons différentes, selon la manière avec laquelle le spectateur entre en relation avec les personnages et les objets de la photographie20(*).

Cette expérience met en valeur que la polysémie de l'image est en réalité une variabilité du sens construit par le spectateur, en fonction de facteurs qui lui sont propres. On peut trouver un rapprochement à cette idée dans la phénoménologie et la philosophie de la perception de Merleau-Ponty (1942, 1977). Ce dernier écrit, en effet : « La couleur rouge de l'objet que je regarde est et restera toujours connue de moi seul. Je n'ai aucun moyen de savoir si l'impression colorée qu'il donne à d'autres est identique à la mienne (...) Je puis m'assurer qu'un autre spectateur emploie le même mot que moi pour désigner la couleur de cet objet (...) Il se pourrait que la gamme des couleurs qu'il perçoit fût en toute différente de la mienne (...) Il résulte de là que la perception, comme connaissances des choses existantes, est une conscience individuelle. » (Merleau-Ponty, 1977, p.228)

En plus de cette interprétation propre à chacun des spectateurs, Meunier et Peraya y voient une variabilité intra-individuelle, sans laquelle il n'y aurait pas vraiment de polysémie : « je peux en tant que spectateur, sentir la diversité des sens dont peut se remplir l'image. Si sur la photo d'Almasy, je perçois un patron, et que mon voisin perçoit un joueur de cartes, cela ne me surprend pas ; ce sens de l'image m'apparaît tout aussi plausible et du reste, je peux le faire surgir moi-même par une variation d'accommodation ».

Que les raisons soient techniques, culturelles ou autres, il n'en reste pas moins qu'une image et plus encore un plan et une séquence peuvent être interprétés de différentes façons par des spectateurs, voire par le même spectateur selon le moment et le lieu où il visionne un film. Celui-ci face à l'incertitude d'un signifiant à plusieurs signifiés ou, ce qui est fréquent dans un film, aux contradictions (de plusieurs signifiants à plusieurs signifiés), devra procéder à un arbitrage dans son interprétation globale, arbitrage qui se fera en fonction du contexte.

C'est pourquoi les recherches sur la communication et, plus précisément, celles sur les situations de communication, le cadrage et la contextualisation sont d'un grand intérêt.

* 12 Groupe u, Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l'image, Seuil, 1992

* 13 Joly (1994, p.134) : « L'image n'est pas un signe mais un texte, tissu mêlé de différents signes et qui peut nous parler « secrètement ».

* 14 Roland Barthes, Rhétorique de l'image, Communications N°4, Paris, Seuil, 1964, p.40-51

* 15 Meunier et Peraya (1993, p. 153) : « C'est au niveau de la connotation que la question du code devient véritablement pertinente. C'est du reste sur ce niveau que Barthes a centré son attention, cherchant à découvrir des signes dont la conventionnalité est d'une autre nature que celle qui préside à la transformation graphique, signes de connotation reposant sur un savoir. De tels signes s'enracinent dans notre histoire sociale et c'est pour cela que Barthes entrevoyait dans la sémiologie une sémioclastie. »

* 16 La polysémie n'est pas la spécificité de l'image, même comparée au mot (selon le contexte, un même mot peut avoir plusieurs significations). En réalité, ce qu'on appelle image (ou même signe iconique) est un texte visuel : « La preuve en est que son équivalent verbal n'est pas un simple mot mais au minimum une description (qui peut être infinie) ou un énoncé et parfois même tout un discours » Umberto Eco, La production des signes, Paris, Poche, 1992

* 17 Laurence Bardin, Le texte et l'image, in Communication et langages, n°26, Paris, Retz, 1975, article analysé par Lugrin et Pahud (2001)

* 18 Selon Bardin, la dénotation désigne la signification fixée, explicite et partagée par tous alors que la connotation correspond à l'auréole de sens, plus ou moins importante, qui flotte autour du sens immédiat et officiel.

* 19 Laurence Bardin va jusqu'à établir une classification des récepteurs en quatre catégories selon qu'ils sont plus sensibles au régime dénotatif ou au régime connotatif et qu'ils s'attachent plus au texte qu'à l'image.

Types de récepteur :

 

Propension à la dénotation

Propension à la connotation

Code préférentiel : Verbal

Dénotateur verbal

Connotateur verbal

Code préférentiel : Imagier

Dénotateur imagier

Connotateur imagier

* 20 « Une image sollicite de la part du spectateur une accommodation perceptive (qui enveloppe toute activité mimétique de projection/identification dépendant à la fois des éléments perçus et de l'expérience du sujet) et celle-ci fait surgir l'une ou l'autre configuration significative cohérente, enveloppant à la fois le visible et l'invisible » (Meunier et Peraya, 1993, p.177).

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery