Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Seger insiste sur l'importance des scènes d'exposition. « Ces scènes sont censées donner tous les renseignements cruciaux pour lancer l'histoire. Qui sont les personnages principaux, quel est le sujet traité ? Où se situe l'action ? S'agit-il d'une comédie ou d'un drame, d'une farce ou d'une tragédie ? » (...) « Les scènes d'exposition sont destinées à donner un indice sur la courbe dramatique (spine) ou la direction de l'histoire. Elles permettent de commencer à canaliser les situations vers une ligne narrative cohérente. »Ces scènes d'exposition sont également un moyen d'aider le spectateur à s'orienter. « Il peut alors apprécier le spectacle sans avoir à se poser des questions telles que : De quoi s'agit-il ? Que font-ils ? Pourquoi le font-ils ? » (p.42). Le schéma ci-dessus montre bien que le paradigme ternaire, en trois actes, est associé à une loi dite de progression continue selon laquelle la tension dramatique doit aller en croissant, jusqu'au climax, donc que « les événements les plus frappants et surtout les émotions les plus fortes soient prévus pour être donnés à la fin du film, au terme d'une montée » (Chion, 1985, p.139). Autrement dit, la progression dramatique doit monter jusqu'à un point culminant, en émotion, en drame, en intensité, quelle qu'en soit la nature (attendrissement, rire, peur, surprise) appelé climax. Ce dernier doit être distingué des autres temps forts ou peaks (pointes) qui sont des moments de forte émotion, également, mais dont l'intensité une fois amenée à un haut niveau, « plus haut qu'immédiatement avant ou immédiatement après » (Chion, 1985, p.141), redescend. Le schéma de Seger illustre bien le modèle le plus courant de la progression dramatique continue dans lequel le climax se situe vers la fin du film au terme d'une montée. Et la possibilité donnée aux scénaristes de placer après le climax des scènes de résolution et de détente, éventuellement pour que le spectateur retrouve ses esprits avant le retour à la réalité physique du monde. Il montre bien également qu'un récit a un commencement et une fin, contrairement au monde réel. Et cela même si à la fin d'un film, l'histoire peut être reprise et se poursuivre soit par la volonté des cinéastes eux-mêmes qui décident de réaliser une suite (généralement d'ailleurs pour des raisons commerciales), soit dans l'imagination du spectateur. « Que la fin soit suspensive ou cyclique ne change rien à la nature du récit en tant qu'objet : tout livre a une dernière page, tout film a un dernier plan, et ce n'est que dans l'imagination du spectateur que les héros peuvent continuer à vivre. » (Gaudreault, Jost, 2000, p.18) Les modèles de Field et de Seger reprennent en réalité des règles édictées par Aristote et, ensuite, par la plupart des théoriciens de l'art dramatique, notamment, comme nous venons de le voir, le paradigme ternaire mais aussi le critère d'unité (de sujet, de forme, d'action et de ton) qu'Aristote formula ainsi : « La tragédie étant l'imitation d'une action pleine et entière, il faut que les parties en soient assemblées de telle façon que si on transpose ou retranche l'une d'elles, le tout en soit ébranlé ou bouleversé ; car ce qui peut s'ajouter ou ne pas s'ajouter sans conséquence appréciable ne fait pas partie du tout ». Autrement dit, il est déconseillé aux auteurs de disperser l'unité du scénario dans trop d'intrigues secondaires (subplots) et dans trop de petits détails.. Cela ne doit pas occulter l'intérêt d'utiliser, dans certains cas, des techniques narratives telles l'ellipse, le plant, le hareng-saur et le Mac Guffin . - L'ellipse consiste à omettre volontairement des fragments de l'histoire, des personnages, des lieux, des espaces-temps, des détails, etc. Des omissions que l'esprit du spectateur pourra ou ne pourra pas compléter. Le scénariste a, en utilisant l'ellipse, généralement un des objectifs suivants : - accélérer le rythme, - ménager une surprise au spectateur, - éviter une répétition si le public sait déjà ce qu'il va se passer, - « enfin, il peut s'agir de paralipses parce que ce moment ou ce détail élidé est la pièce capitale du puzzle que représente la construction du film » (Chion, 1985, p.168). Mais encore faut-il, comme le prône Aristote, pour respecter le critère d'unité que ce que l'on retranche n'enlève rien à l'unité du scénario et à sa compréhension par le spectateur. - Le plant est l'introduction dans l'action, à un moment où cela semble sans intérêt, d'un personnage, d'un détail, d'un fait, etc. qui sera plus tard utile à l'intrigue : « un détail vestimentaire, la distance entre deux lieux, la présence d'un personnage dans une scène de groupe, le goût particulier d'un personnage pour tel type d'objet » (Chion, 1985, p.172)155(*). - Le hareng-saur ou hareng rouge (en anglais red herring) qui est un moyen de détourner l'attention du spectateur et surtout de le mettre sur une fausse piste, pour mieux le surprendre ensuite. « Par exemple, un personnage d'allure suspecte qu'on introduit pour capter l'attention et qui n'est finalement qu'un inoffensif passant, tandis qu'un autre individu, à peine remarqué, se dispose à intervenir » (Chion, 1985, p.176). - Enfin, le Mac Guffin, terme inventé par Alfred Hitchcock, qui est un moyen proche du hareng-saur mais davantage adapté aux films à suspens puisqu'il consiste à tendre des pièges narratifs grâce à des détails du récit afin d'aiguiller le spectateur sur une fausse solution de l'intrigue. Ces techniques de relance, de diversion, d'accélération du rythme sont également adaptées à la structure mythique utilisée par certains scénaristes. D- La structure mythique pour les scénaristesLa structure en trois actes n'est pas la seule recommandation de Linda Seger pour écrire un bon scénario. « La plupart des films qui ont eu le plus de succès sont fondés sur des histoires universelles 156(*). Elles traitent de notre voyage existentiel. Nous nous identifions aux héros parce qu'à une certaine époque nous avons été héroïque (descriptif) ou parce que nous aimerions pouvoir accomplir ce que le héros fait (prescriptif). » (Seger, p.163) Au-delà de la présence du mythe du héros, Christopher Vogler157(*) considère, pour sa part, que toutes les bonnes histoires contiennent « des éléments structurels universels présents dans les mythes, les contes de fées, les rêves et les films », qu'il a appelé le Voyage du héros. Il en est arrivé à cette conclusion en utilisant le travail de Joseph Campbell158(*), spécialiste de la mythologie, afin d'expliquer le succès de films tels que Star Wars (La Guerre des Etoiles, George Lucas, 1977) et Close Encounters (Rencontres du troisième type, Steven Spielberg, 1977). Il écrit dans son ouvrage : « Les gens retournaient voir ces films comme s'ils avaient recherché une sorte d'expérience religieuse. Il m'apparut que ces films provoquaient ce genre de réaction parce qu'ils reflétaient les modèles universels que Campbell avaient trouvés dans les mythes. Ils possédaient en eux quelque chose dont avait besoin le public ». (Vogler, 2002, p.14) A partir de ce constat, il fit du Voyage du héros, une technique d'écriture de scénario dans laquelle on retrouve la structure en trois actes, décomposés en « scènes » qui ne peuvent que rappeler les fonctions de Propp et de Greimas, et la description de sept types communs de personnages ou de fonctions psychologiques très proches également des «sphères d'action » de Propp mais également inspirés des archétypes de Carl G. Jung.159(*) Vogler propose une structure très proche de celle de Campbell mais, sans doute, mieux adaptée à l'écriture de scénario de film, écriture qui nécessite une grande liberté créative160(*). En outre, Vogler précise que le modèle mythique qu'il propose peut être adapté : « j'ai volontairement interprété le mythe du héros à ma façon : tout narrateur adapte le modèle mythique à ses fins et selon sa culture. C'est pourquoi le héros a mille visages» (p.23). Par ailleurs, il convient, selon lui, aussi bien aux histoires dramatiques, aux comédies, qu'aux histoires d'amour, aux récits d'aventure et d'actions contemporains. « Il suffit de remplacer les personnages symboliques initiaux par leurs équivalents modernes » (p.34). De plus, il considère qu'il ne s'agit que d'un canevas, laissant à l'auteur la possibilité d'y intégrer des détails, des péripéties de son choix. Que cette structure doit rester discrète : « l'ordre des étapes n'est qu'une indication, certaines étapes peuvent être supprimées, d'autres ajoutées » (p.33). Néanmoins, en dépit des nombreuses combinaisons possibles, l'histoire est toujours celle d'un voyage : le héros quitte son environnement familier et souvent confortable, pour s'aventurer dans un monde inconnu, étrange et plein de défis. « Dans tout bon récit, le héros grandit et évolue. Il passe continuellement du désarroi à l'espoir, de la faiblesse à la force et de la folie à la sagesse». Cette structure permet, selon lui, de placer les spectateurs dans de bonnes conditions de compréhension et d'influence émotionnelle : - les spectateurs sont habitués à trouver les étapes d'un tel voyage dans les livres d'aventures, les contes, etc. ; - les états d'âme du héros et leur évolution « portent en eux une charge émotionnelle assez forte pour accrocher l'auditoire et faire qu'une histoire vaut la peine d'être regardée. » (p.23) * 155 Michel Chion propose la traduction d'implant à ce terme sans équivalent français. * 156« la quête du compagnon parfait, le retour chez soi, la recherche d'un accomplissement, la poursuite d'un idéal, le fait de chercher à réaliser ses rêves ou de partir à la chasse au trésor » * 157 Christopher Vogler, en tant qu'analyste d'histoires, a évalué plus de 6000 scénarios pour les principaux studios du cinéma dont Walt Disney, Warner Bros, 20thCentury Fox, United Artists, Orion Pictures, the Ladd company, Touchstone Pictures et Hollywood Pictures. * 158 CAMPBELL, Joseph, The Hero With a Thousand Faces, Princeton University Press, 1968 * 159 VOGLER (2002, p.20) : « Campbell s'appuie sur les théories du psychologue suisse Carl G.Jung concernant les archétypes : des personnages et des énergies se répétant sans cesse, présents dans les rêves de chacun et les mythes de toutes les cultures. Jung suggéra que ces archétypes révélaient différentes facettes de l'esprit humain que notre personnalité peut adopter pour jouer la pièce de sa propre existence. Il remarqua une correspondance étroite entre les personnages rêvés par ses patients et les archétypes de la mythologie. Jung émit alors l'hypothèse que les rêves de ses patients et les archétypes de la mythologie provenaient d'une origine plus profonde : l'inconscient collectif de la race humaine. Les personnages bien connus de la mythologie mondiale, tels que le jeune héros, le sage vieillard, l'intrigant et l'antagoniste ténébreux sont identiques à ceux qui peuplent nos rêves et nos fantasmes. C'est pourquoi les mythes et la plupart des histoires bâties sur le modèle mythique ont la résonance de vérités psychologiques ». * 160 Rappelons, à ce propos, que les trois éléments nécessaires pour qu'un film soit un succès commercial sont, selon Linda Seger (2000, p.146) : la créativité, la structure du scénario et la possibilité de commercialisation. « Si un seul de ces éléments manque, il y a de grandes chances pour que ce scénario ne se vende pas et que même s'il se vend, il n'ait pas de succès ». |
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