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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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Chapitre 4 : L'approche narratologique

Le rapprochement et/ou la confrontation de la littérature et du cinéma remonte aux origines du cinéma ou presque (Serceau, 1999). Les différences étant nombreuses139(*), le point commun réside, selon Ropars-Wuilleumier (1970, p.5) dans le fait que la littérature et le cinéma utilisent «une matière chargée de sens - mots ou images, certes, mais traitant des hommes et du monde ; et, de l'aventure humaine, ils peuvent modeler à leur gré les formes ou les rêves »140(*). Cette référence à l'expression littéraire se concrétisa notamment par l'adoption par les premiers cinéastes de la forme narrative comme modèle d'agencement des récits. Ce dernier leur permit de raconter des histoires au cinéma, sur le modèle des récits littéraires, et de connaître le succès commercial.

Ainsi, dans les années trente, le pouvoir du cinéma américain fut essentiellement lié à sa forme narrative, c'est-à-dire à un type d'organisation où les parties du film sont en rapport les unes avec les autres à travers une série d'événements ayant des relations causales et se déroulant dans un certain espace, en un certain temps (Bordwell et Thompson, 2000, p.585). Selon certains auteurs, ce lien ne serait pas innocent ; la narrativité servait une vision idéologique des idéaux sociaux de l'Amérique (Browne, 1993, p.78-86).

A l'heure actuelle, la plupart des films produits et diffusés dans le monde sont également des films narratifs. Aussi, n'est-il pas étonnant que l'analyse filmique ait repris des modèles élaborés pour étudier les oeuvres littéraires et plus précisément les romans.

Avant de développer les différents apports de la narratologie au cinéma, ce qu'il faut souligner c'est le triple intérêt de cette approche : - pour le cinéaste qui souhaite raconter une histoire, - pour le spectateur qui souhaite vivre une histoire grâce au cinéma, - pour l'analyste à la recherche d'une méthode d'analyse.

L'analyse du récit filmique fit l'objet d'un vif intérêt, dans le milieu des années soixante141(*), à la suite de l'étude de Vladimir Propp sur les contes populaires russes142(*) et des travaux de Claude Lévi-Strauss sur les mythes. Divers modèles d'analyse du récit furent alors proposés dont celui de Greimas (Metz, 2003, p.25). La vague structuraliste qui a fortement influencé l'analyse des récits fut suivie par la naissance de la narratologie. « C'est à Gérard Genette - qui a repris le mot narratologie à son collègue Tzvetan Todorov (1969) - et à son ouvrage spécial Figures III (plus précisément la partie intitulée Discours du récit) publié en 1972 que l'on fait remonter l'origine de la narratologie comme discipline » (Gaudreault et Jost, 2000, p.5).

Genette (1983) distingue la narratologie thématique et la narratologie modale.

La première s'occupe de l'histoire racontée, des actions, des rôles des personnages, des relations entre eux, les actants. Ce sont les outils que nous étudierons en premier lieu au travers notamment les travaux de Propp, le modèle de Greimas, etc. Nous tenterons d'éviter l'écueil d'une présentation trop théorique et chercherons à mettre en valeur les utilisations pratiques notamment dans le domaine de la rédaction d'un scénario.

La narratologie modale s'intéresse essentiellement à toutes les formes d'expression utilisées par le narrateur pour raconter une histoire, pour mettre en forme, puis livrer un récit à son lecteur. C'est-à-dire dans le cas d'un film par : les images, les sons, les mots, la temporalité du récit, le point de vue, etc. Nous étudierons ultérieurement les apports de la narratologie modale, ou narratologie de l'expression, en les rapprochant de ceux de la sémiologie du film narratif développés notamment par Christian Metz et de la sémio-pragmatique143(*) (Odin).

I- La distinction entre le récit et l'histoire

Pour bien comprendre l'analyse narratologique, il est important de revenir sur la distinction entre le récit et l'histoire, deux concepts que certains auteurs n'hésitent pas à confondre ou tout au moins à laisser dans un certain flou partant du principe qu'ils reposent tous deux sur l'importance de la causalité, du temps et de l'espace.

Nous devons à Bordwell et Thompson (2000) d'en avoir précisé les contours en reprenant la différence faite entre histoire et discours.

Selon eux, le récit est l'ensemble des événements présentés au spectateur, avec leurs relations causales, leur ordre chronologique, leur durée, leur fréquence et leurs situations spatiales par le film au moyen d'images et de sons.

Tandis que l'histoire est la somme de tous les faits présentés explicitement dans le film, au moyen d'images et de sons, auxquels s'ajoutent les événements que le spectateur déduit ou suppose avoir eu lieu.

Autrement dit, l'histoire est une reconstitution imaginaire par le spectateur de tous les événements qui sont supposés avoir eu lieu.

Bordwell et Thompson ont résumé les relations entre le récit et l'histoire par le schéma suivant (légèrement modifié) :

Evénements déduits par le spectateur

HISTOIRE

RECIT

Evénements représentés par le film

Eléments extradiégétiques (n'appartenant pas à l'histoire : sons et images rajoutés par le réalisateur)

Toutefois, selon que l'on se situe du point de vue du réalisateur ou de celui du spectateur, ce schéma est quelque peu modifié.

Pour le réalisateur d'un film, l'histoire est la somme des événements composant l'univers diégétique, plus simplement dit : tout ce qu'il sait de l'histoire qu'il veut raconter. Mais il peut ignorer volontairement certains événements ou vouloir en cacher au spectateur. Il peut, au contraire, souhaiter ajouter des éléments n'appartenant pas à l'histoire. Ainsi, il crée un récit à partir d'une histoire.

Construction par le réalisateur

Une Histoire Son Récit

Le spectateur, de son côté, en tant que sujet percevant, ne prend connaissance que du récit, des éléments présentés par le film, appartenant ou non à l'histoire, autrement dit de l'organisation narrative concrète du film. Mais, à partir de ces éléments filmiques, il va construire sa propre histoire, différente de celle du réalisateur et de celle que créeront les autres spectateurs à partir des mêmes informations fournies par le récit.

Construction par le spectateur

Un Récit Son Histoire

La distinction entre histoire et récit est donc doublement intéressante. Elle permet de mieux comprendre le processus de création de sens chez le spectateur mais également le processus de création cinématographique. Le scénariste, notamment, en partant d'une histoire (vraie ou d'une recomposition de faits réels et/ou imaginés) peut, en effet, écrire un scénario que d'autres professionnels du cinéma transformeront, à l'aide d'images et de sons, en un film narratif.

Construction par le scénariste

Une Histoire Son Récit (écrit)

Construction par les différents professionnels

du cinéma : réalisateur, cadreur, monteur, etc.

Construction par le spectateur

Un Récit Son Histoire

(filmique)

Il est, à ce stade, important de noter qu'autant un spectateur est seul à construire son histoire à partir des éléments filmiques qu'il perçoit lors du visionnage, autant la fabrication d'un film est une réalisation collective qui fait intervenir un grand nombre de métiers (cadreur, ingénieurs du son, musicien, comédiens, scénariste, etc.) que le réalisateur ne fait que coordonner, à l'instar d'un chef d'orchestre.

Cette réalité explique en grande partie l'utilité d'un langage commun que les professionnels du cinéma devront connaître et utiliser dans leurs échanges inter-corporations et de l'intérêt économique d'un scénario structuré et agencé, facilitant le découpage technique, pour organiser les prises de vues à moindre coût et dans les délais impartis par la production et tenant compte des emplois du temps de chacun des intervenants (techniciens, décorateurs, acteurs, etc.).

Il n'en demeure pas moins vrai que, pour la plupart des auteurs, le scénariste est le professionnel du cinéma qui peut retirer le plus d'avantages à utiliser l'analyse des récits.

II- L'analyse des récits et l'écriture d'un scénario

Certains auteurs voient dans l'analyse du récit filmique une activité « complémentaire » à l'écriture de scénario. « L'analyse aide à comprendre comment les films réussissent à nous raconter des histoires. Elle conduit à définir ces concepts de base, fort utiles ensuite pour l'écriture » (Roche et Taranger, 1999, p.3). Si elle aide à l'écriture de bons scénarios, autrement dit des scénarios de films qui marchent commercialement, c'est qu'elle correspond aussi à une attente du spectateur 144(*). Dans un domaine autre que cinématographique, Propp fut le premier à être arrivé à une conclusion similaire en étudiant les contes populaires russes.

A- Les fonctions de Propp

L'ethnologue russe, Vladimir Propp, en étudiant 350 contes de son pays, a trouvé dans ces récits des valeurs constantes dans les actions ou fonctions des personnages. Après les avoir dénombrées (trente et une), puis constaté en l'existence d'une succession rigoureuse des fonctions, et montré que sa transgression pouvait mener à une perte de sens de la structure, Propp en tire une conclusion : tous les contes merveilleux appartiennent au même type en ce qui concerne leur structure145(*).

Les personnages des contes, les « sphères d'action », selon Propp, appartiennent aux sept catégories suivantes :

- le héros ou le protagoniste

- le donateur

- l'auxiliaire

- le mandateur

- le faux-héros

- la qualité ou le personnage recherché

- l'agresseur ou le méchant.

« Pour résumer, le conte commence par la description d'une situation initiale. (...) L'action est déclenchée par une perturbation de l'ordre initial (...) Une mission réparatrice est confiée au héros. Il part et rencontre en chemin des obstacles et des auxiliaires qui peuvent être humains, animaux voire inanimés. Il finit par accomplir sa mission et revient à son point de départ pour annuler la dysphorie du début, rétablir l'euphorie et être récompensé. » (Roche et Taranger, 1999).

* 139 Ropars-Wuillermer, Marie-Claire (1970, p.3) : « Bien loin d'être, comme tous les arts, une manifestation spontanée et individuelle de l'activité humaine, il (le cinéma) ne doit son existence qu'à la convergence d'un certain nombre de techniques, rendues possibles par des découvertes scientifiques, et dont la complexité ne cesse de croître ».

* 140 De fait, elle reprend le langage sartrien, en affirmant que « si la peinture et la musique sont du côté des choses, et la littérature du côté des signes, il semble bien que le cinéma ait penché, dès sa naissance, vers les signes ».

* 141 GAUDREAULT, André, JOST, François, Le Récit cinématographique, Nathan, 2ème édition, 2000, p.13 : «C'est au cours des années soixante, dans la foulée du courant structuraliste impulsé par Claude Lévi-Strauss, que l'intérêt pour les questions du récit, pour les problèmes que pose ce que l'on appelle la narrativité, se cristallise, notamment avec deux importantes livraisons de la revue Communications (le numéro 4, Recherches sémiologiques,1964, et le numéro 8 L'Analyse structurale du récit, 1966) chez des chercheurs comme Genette, Todorov, Greimas, Metz, mais aussi Roland Barthes, Claude Bremond et Umberto Eco. C'est aussi l'époque de la découverte, en France, de l'important ouvrage du russe Vladimir Propp, Morphologie du conte et des travaux des formalistes russes Tynianov, Eikhenbaum, Chklovski et Tomachevski ».

* 142 Propp, Vladimir, Morphologie du conte, Paris, Le Seuil, 1970 : « Les éléments constants, permanents, du conte sont les fonctions des personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la manière dont ces fonctions sont remplies ».

* 143 Journot ( (2004, p.84) : « L'aspect modal de la narratologie concerne aussi la sphère de la réception, avec la sémio-pragmatique, qui étudie les relations entre le texte et son récepteur, les problèmes de croyance, la façon dont se noue le contrat de lecture ».

* 144 L'analyse, selon Roche et Taranger, permet en effet : « - en situation de spectateur, de percevoir de l'intérieur et donc de mieux comprendre les solutions retenues par tel ou tel film ; - en situation de scénariste, de connaître et de maîtriser davantage les ressources dont vous disposez ».

* 145 Certains auteurs dont Roland Barthes ont fait remonter l'origine de l'analyse structurale des récits aux travaux en langue russe de Vladimir Propp (1928). C'est, selon Aumont et Marie (1999, p.96), le prix d'un malentendu : « Publiée en 1958, la première traduction (en anglais) arrivait en même temps que les prémices de la vague structuraliste, et ce n'est pas un hasard si, dès 1960, Claude Lévi-Strauss faisait état de sa stupéfaction, en reconnaissant chez Propp des formules proposées dans les années 50 dans le contexte de l'analyse structurale de la littérature orale. (...) Le malentendu devint vite évident. Lévi-Strauss critiqua Propp pour être trop formaliste et se préoccuper trop peu des contenus. »

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire