Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Les dix règles du Dogme 1995- Éclairage naturel seulement, ou le strict minimum requis (par exemple, un spot attaché à la caméra lorsque les conditions de tournage l'exigent) : tournage en extérieur - Caméra à l'épaule, vidéo légère, matériel portable (de type caméra Sony) ; transfert du film de la vidéo au 35mm - Obligation de recourir à la couleur - Rejet des filtres, des trucages, des effets spéciaux et visuels - Proscription absolue des films de genre (thriller, horreur, fantastique, s.-f., etc.) - Le scénario doit être un canevas à partir duquel on doit laisser libre cours à l'improvisation ; en outre, il doit être entièrement dépourvu d'actions superficielles (ex: meurtres, armes) - Seul accompagnement sonore autorisé : la musique et les bruits live, présents et enregistrés lors du tournage (aucun retravail sonore au montage n'est autorisé) - Aucun décor, costume ou accessoire : le film est tourné dans des "lieux réels"; rejet complet du studio - Le film ne doit porter en aucun endroit la signature du réalisateur (ce afin de briser la dictature de l'auteur bourgeois et afin de redonner la primauté au travail collectif et démocratique) - Le réalisateur doit enfin signer cette déclaration : « De plus, je jure comme réalisateur de m'abstenir de tout goût personnel! Je ne suis plus un artiste. Je jure de m'abstenir de créer une "oeuvre", car je considère l'instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est de forcer la vérité à sortir de mes personnages et du cadre de l'action. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de tout bon goût et de toutes considérations esthétiques. Ainsi je prononce mon VOEU DE CHASTETÉ... » (extrait de la déclaration officielle de Dogma 95). Lorsqu'un film répond à tous ces critères et qu'il est approuvé par le comité Dogma, il reçoit le sceau officiel du Dogme ainsi qu'un certificat de réussite (présenté au début du film).137(*) A propos du Dogme 1995, Lars Von Trier a déclaré (in Tirard, 2004, p.155) : « Je me disais qu'en m'imposant des règles, des choses nouvelles allaient sortir de mon travail, et c'est exactement ce qui s'est passé. Parce que le processus artistique est basé sur l'idée de la contrainte. Ce qui implique de se fixer un cadre de travail ». Il explique les réactions vives, favorables ou critiques, de certains à l'égard du Dogme, par le fait même qu'il fut rédigé et largement diffusé, ce que d'autres courants ou écoles de réalisateurs n'avaient pas fait jusqu'à présent pour formater leur style - par exemple, les réalisateurs de la Nouvelle Vague qui, avant le comité Dogma, ne voulaient pas être prisonniers d'un savoir-faire technique mais au contraire affirmer leur indépendance d'esprit en ne respectant pas certaines normes de qualité (Leveratto, 2000, p.281). « La différence avec le Dogme, c'est que nous avons décidé de coucher ces règles sur papier. Je crois que c'est ça qui a choqué tant de monde. Mais le fait des les écrire noir sur blanc créait une certaine forme d'honnêteté, je trouve. Et je pense que tout cinéaste, consciemment ou non, travaille avec ses propres règles. Disons que moi j'appelle ça des règles, et que d'autres appellent ça ...un style. Et contrairement à d'autres, j'éprouve le besoin de changer constamment ces règles et de les remettre en question, afin d'évoluer » (Lars Von Trier, in Tirard, 2004, p.155). Lars Von Trier a bien compris, comme de nombreux autres réalisateurs, ne partageant pas sa conception « dogmatique », que l'évolution des règles est une condition du progrès, sachant que la compétence technique des spectateurs progresse également et que l'originalité peut devenir banalité en cas d'imitation. Ainsi, Jullier (2002, p.88) estime que : « dans le contexte de sortie du film Dancer in the Dark (Lars Von Trier, 2000), ce style de filmage opère comme signe de vérité », mais il ajoute : « il n'en sera pas toujours ainsi, surtout si un grand nombre de réalisateurs se mettent à travailler de cette façon ». A la question existe-t-il une grammaire cinématographique, les réponses sont donc très variées allant des deux extrêmes (oui - non) en passant par des réponses plus nuancées. C'est pourquoi, certains auteurs préfèrent parler de conventions. Conventions qui semblent mieux acceptées que des règles, des lois, des codes, une grammaire, etc. dont certains ne supportent pas le poids. Ainsi, à partir des années 70-80, les réalisateurs américains eurent tendance à adapter, plus qu'à rejeter, les conventions classiques138(*). Un phénomène si important que Bordwell et Thompson (2000, p.582) termine leur ouvrage par : « Le vieil Hollywood fit donc son retour dans les années 70 et 80, à travers les films de jeunes réalisateurs talentueux qui adaptèrent les conventions classiques aux goûts des contemporains ». Et c'est sans doute là la raison du succès des Spielberg, Lucas, Scorsese, Zemeckis, Coen, De Palma, Coppola et bien d'autres : l'appropriation de conventions et leur adaptation continuelle aux goûts des spectateurs dont l'expérience et la culture cinématographique évoluent. Nous avons vu précédemment que considérant le cinéma comme un langage, c'est-à-dire une combinaison de codes, l'une des premières tâches de la sémiologie du cinéma, dans les années 60-70, fut de recenser et de classer les différents codes utilisés. Nous présenterons, dans les chapitres qui suivent, les principaux codes filmiques en adaptant légèrement la classification que l'on doit à Metz et à Odin (voir plus haut). Nous développerons, à part de la bande image, le code de la narrativité dans un chapitre consacré à la narratologie pour mettre en valeur l'importance des systèmes internes aux films et ne pas laisser croire qu'il existe un système général qui vaut pour tous les films (Journot, 2004). Nous considérons, par ailleurs, qu'il est arbitraire de placer le code de la narrativité dans les codes de la bande image dans la mesure où, comme nous le verrons, l'une des approches narratologiques, la narratologie dite modale, s'intéresse à toutes les formes d'expression utilisées par le narrateur pour raconter une histoire, qu'il s'agisse d'images ou de sons, et donc pas seulement aux éléments de la bande image. * 137 Les trois premiers films Dogma : Festen (Fête de famille), de Thomas Vinterberg (1998), prix spécial du jury ex æquo, Cannes 1998. - Les Idiots, de Lars Von Trier - Mifune, de Soren Kragh-Jakobsen * 138 Bordwell et Thompson (2000, p.580) : « Les jeunes réalisateurs les plus commerciaux perpétuèrent la tradition du cinéma hollywoodien classique. Le montage par continuité restait la norme, comme la manière de signaler clairement les changements temporels et les nouveaux développements du récit. » |
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