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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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III- La grammaire du cinéma vue par les réalisateurs

Une question revient régulièrement dans les travaux sur le langage cinématographique.

Existe-t-il une grammaire du cinéma ? Dans l'affirmative, viennent alors d'autres interrogations : est-elle utile ? Doit-elle être respectée ? Y en a-t-il une ou plusieurs ? Est-ce une grammaire que seuls les cinéastes doivent connaître ? Les spectateurs la connaissent-ils ? Est-ce important qu'ils la connaissent ?

Louis Lumière fut le premier à voir dans le cinéma un mode d'expression spécifique, différent de celui du théâtre, et de penser à un vocabulaire, à une grammaire, à une syntaxe par le découpage et le montage (Chardère, 1995, p.370). Georges Mélies123(*) qu'il considérait comme «le créateur du spectacle cinématographique » l'aidera à édicter les premiers principes de la mise en scène cinématographique et du code des trucages et effets spéciaux.

A l'instar de Louis Lumière, David Wark Griffith distingua également dans l'art du cinéma un mode d'expression différent de celui du théâtre (Rey, 1996) et affirma son autonomie grâce, notamment, à l'usage de procédés techniques qu'il transforma en éléments d'expression d'une grande valeur esthétique. La plupart des procédés qu'il mit au point ou améliora (échelle des plans, travelling, découpage analytique, montage alterné et parallèle) furent repris, telle une grammaire, par les plus grands réalisateurs classiques qu'ils soient soviétiques (Eisenstein), allemands (Murnau), américains (Von Stroheim) ou français (Gance). Griffith124(*) déclara, notamment : « Pourquoi vouloir absolument filmer l'acteur en entier alors qu'il suffirait d'avancer ou de reculer la caméra pour ne montrer que la partie qui exprime quelque chose ? Utilisons la caméra comme ponctuation ». 

A la fin des années quarante, des ouvrages se présentèrent comme de véritables grammaires du cinéma.

Selon Roger Odin (1990, p.23), Les plus connus sont la Grammaire cinématographique de Robert Bataille (A. Taffin Leffort, 1947) et l'Essai de grammaire cinématographique d'André Berthomieu (La Nouvelle édition, 1946).

Ces auteurs partaient des mêmes présupposés : « Puisqu'il s'agit d'un nouveau mode de langage, il doit y avoir des définitions et des règles à trouver et à mettre au point....Ainsi les futurs cinéastes finiront par avoir un guide pour étudier les bons auteurs » (R. Bataille).

Nous devons à Robert Bataille l'une des définitions les plus précises de la grammaire cinématographique : « La grammaire cinématographique étudie les règles qui président à l'art de transmettre correctement des idées par la succession d'images animées, formant un film ».

La grammaire est un outil de construction de film, son but avoué étant « de permettre l'acquisition d'un « bon style cinématographique », d'un « style harmonieux » par la connaissance des « lois fondamentales », des « règles immuables » qui régissent la construction d'un film. » (Odin, 1990, p.24)125(*)

Elle énonce des choses à faire et d'autres à ne pas faire (Dos and Don'ts), établit la liste des « incorrections à ne point commettre, des solécismes à éviter, des fautes graves qu'il convient de pourchasser » (Odin, 1990, p.24). Toutefois, le non-respect de cette grammaire peut être à l'origine non pas d'un film « mal fait » mais d'un film d'un nouveau style. Ainsi, Odin (1995, p.38) conclut une comparaison des films de fiction, des films de famille et des films expérimentaux par ce constat : « ceux qui aiment le film expérimental, l'aiment pour ses figures de rupture par rapport au système du cinéma dominant ; on peut dire, dans ce cas, que les figures du « mal fait » fondent le statut artistique du film expérimental ». Allard (1995, p.114)) montre que les cinéastes personnels126(*) « s'inspirent des films de famille au niveau des thèmes traités et du style de filmage caractéristique des cinéastes profanes ». Or, ces derniers ignorent tout, ou presque, des codes du montage, de variation d'échelle de plans, des mouvements de caméra, des changements d'angle de prise de vues, etc. D'où la formule d'Odin (1995, p.39) : « ce n'est qu'en étant mal fait que le film est bien fait », mais cela, bien sûr, à condition de prendre en compte l'institution dans laquelle il est appelé à fonctionner, c'est-à-dire le public visé qui constitue une communauté de communication et d'interprétation (Allard, 1995, p.121-122).

Les théoriciens ne sont pas les seuls à être partagés quant à savoir s'il existe une grammaire cinématographique ou non, s'il faut la respecter à la lettre, s'il en existe qu'une seule ou plusieurs (Ropars-Wuilleumier, 1970, «Une grammaire cinématographique ?, pp.13-20). Les cinéastes le sont également, les classiques comme le contemporains.

Michel Ciment (2003) l'a révélé en interrogeant cinquante réalisateurs de trente pays différents. Mais c'est à Laurent Tirard (2004) que l'on doit réellement d'avoir montré127(*) que la grammaire cinématographique est toujours un sujet d'actualité et de débat au travers les entretiens qu'il eut avec vingt réalisateurs parmi les plus connus et appréciés de nos jours.

Ces grands réalisateurs ne sont pas d'accord entre eux : les uns estiment que la grammaire n'existe pas, d'autres qu'il en existe plusieurs, voire une par réalisateur, d'autres que les règles édictées doivent être transgressées, etc.

Nous avons classé ces réalisateurs en quatre catégories après avoir analysé leurs réponses, une classification que nous aurions pu établir également pour les théoriciens et pour les cinéastes interrogés par Ciment qui abordèrent ce thème spontanément :

- première catégorie : les réalisateurs qui pensent qu'une grammaire existe et la respecte ;

- deuxième catégorie : les réalisateurs qui considèrent qu'une grammaire existe mais peut, voire doit, évoluer ;

- troisième catégorie : les réalisateurs qui ne croient pas en l'existence d'une grammaire cinématographique ;

- quatrième catégorie : les réalisateurs qui s'imposent des règles pour s'obliger à être plus créatif.

A- Les réalisateurs qui pensent qu'une grammaire existe et la respectent

John Boorman est de ceux-là : « Dans la plupart des cas, la grammaire de mise en scène que j'utilise est celle que j'ai découvert à travers le cinéma muet. Ce sont vraiment des règles de base, mais en même temps, quand on regarde les films de Griffith128(*), par exemple, et que l'on observe la façon dont il utilisait le gros plan pour illustrer les pensées des personnages, on se dit que ça reste tout de même beaucoup plus subtil et beaucoup plus moderne que ce qui est fait dans une grande majorité du cinéma dit moderne (...) » (Boorman, in Tirard, 2004, p.64).

Boorman critique le non-respect des règles dans le cinéma d'aujourd'hui : « Dans la plupart des films actuels, une scène de cambriolage, dans The General (1998), serait montée de façon nerveuse, avec une succession rapide de plans. Moi, je préfère tourner peu de plans et laisser l'action se dérouler dans le cadre. Le dynamisme vient de l'image elle-même, pas de la façon dont elle est associée à d'autres images »129(*). Une conception qui nous le verrons n'est pas partagée par tous ses confrères, notamment par Scorsese, qui pourtant n'est en rien hostile à une grammaire cinématographique.

* 123 Georges Méliès (1861-1938) tourna près de 500 films entre 1896 et 1913 et construisit les premiers studios de cinéma à Montreuil (Rey, 1996)

* 124 Mark Sennet, King of Comedy, 1954 in Chardère (1995, p.370) selon lequel cette phrase fut longtemps attribuée à tort à Louis Lumière...

* 125 Quelques exemples cités par Odin (1990) : « Quand on panoramique dans un sens, de gauche à droite par exemple, l'image qui enchaînera devra, elle aussi, comprendre le mouvement dans le même sens ». « On ne doit pas passer directement d'un ensemble à un gros plan »...

* 126 une catégorie de cinéastes expérimentaux ou d'avant-garde

* 127 vraisemblablement grâce à une grille d'interview (guide d'entretien) prévoyant d'aborder le thème de la grammaire cinématographique.

* 128 David Wark Griffith (né dans le Kentucky en 1875, mort à Hollywood, Californie, en 1948) est considéré comme le créateur le plus fécond du langage cinématographique aux Etats-Unis, avec Thomas Ince (inventeur du western). « Distinguant dans l'art du cinéma un mode d'expression différent de celui du théâtre, il en affirma l'autonomie par la nouveauté et la diversité des thèmes, une solide direction d'acteurs, et par un usage magistral de quelques procédés techniques transformés par lui en éléments d'expression d'une haute valeur esthétique : échelle des plans, découpage analytique, montage alterné et parallèle, travellings. Il ouvrait ainsi la voie aux plus grandes réalisations des cinéastes soviétiques (Eisenstein), allemands (Murnau), américains (von Stroheim) et français (Gance) qui devaient plus tard se reconnaître pour ses disciples » (Rey, dir., 1996, p.880)

* 129 Boorman (in Tirard, 2004, p. 64) : « Quand on regarde un film comme Armagedon, il est incroyable de voir à quel point plus aucune règle n'est appliquée. C'est un cinéma que j'ai surnommé « néo-brutalité » et qui fonctionne en fait sur une sorte de naïveté, parce qu'il est fait par des cinéastes qui, par défaut ou par choix, n'ont pas voulu apprendre les règles de base du langage cinématographique. Leur grammaire visuelle est celle de MTV, où, en gros, tous les coups sont permis si l'on peut arriver à un résultat excitant. »

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry