Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
E- L'utilisation du cinéma à des fins idéologiques en FranceLa France, elle-même, n'a pas échappé à l'utilisation du cinéma à des fins idéologiques. Nous ne reviendrons pas ni sur les films d'après la première guerre mondiale, ni sur la période de l'occupation nazie, paradoxalement favorable au cinéma français442(*). Citons, seulement le parti pris d'un de nos plus célèbres réalisateurs, Abel Gance qui avait réalisé en 1927 son Napoléon. Un film qui fut dès sa sortie à l'origine d'une polémique, qualifié par certains de chef d'oeuvre visionnaire pour lequel Gance invente le triple écran, ancêtre du « Cinérama » (Rapp et Lamy, 1999), par d'autres de film fasciste443(*). Gance persiste dans ses convictions politiques. « Dès le 11 novembre 1940, date choisie symboliquement, Abel Gance avait donné à Nice (en zone libre) le premier tour de manivelle de Vénus aveugle, 444(*) ambitieuse allégorie de la France souffrante et régénérée, dédiée au maréchal Pétain. » (d'Hugues, 1999, p.42). Depuis les années cinquante, le cinéma est, en quelque sorte, plus revendicatif et contestataire, plus éloigné des pouvoirs, également plus éducatif que propagandiste. Certains auteurs expliquent ce phénomène par le manque d'enjeux ou par notre culture humaniste. Comme l'écrivent Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.34-35), « Dans des pays comme la France, où l'esprit de conquête appartenait au passé et où l'influence des Lumières et de la tradition laïque était grande, on a pensé que le cinéma aurait une fonction éducative sur les « masses ». Y compris prophylactique (antialcoolique..) ». Marc Ferro, dans la préface d'un ouvrage collectif consacré aux institutions de l'image (Bertin-Maghit et Fleury-Vilatte, dir., 2001), semble toutefois regretter que contrairement aux cinéastes américains qui chantent l'épopée de leur pays, soit par le Western, soit par des films de sécurité nationale445(*), « en France, pendant ces cinquante dernières années, rares sont les films qui ont porté sur ce qui a généré l'identité de la France : la défense des droits de l'homme et la Révolution française (à moins d'en stigmatiser les excès), les combats de la République (à moins d'en divulguer les scandales). Notre épopée cinématographique est la dénonciation, à juste titre souvent, des travers de toutes les institutions - l'armée, l'école, etc. (...) De sorte que le cinéma ne contribue guère au renforcement de la république, alors que ses cinéastes se veulent démocrates et libertaires, défenseurs de ses droits. » Un avis que partage largement l'historien Max Gallo qui regrette que les Français et les différentes pages de leur histoire soient toujours montrés sous leur mauvais jour, par leurs propres compatriotes. Ferro insiste également sur le fait que « la réception des images ou de ces récits change elle aussi avec le temps qui passe, et notre perception de l'histoire, car elle évolue avec notre expérience et nos sensibilités - ce que nous avions esquissé en comparant l'accueil fait à La Grande Illusion en 1938 et en 1946. » La variable temps est, en effet, essentielle dans la perception des images par les spectateurs. Les cinéastes le savent et les idéologues qui les poussent voire les manipulent et les financent également. Sylvie Lindeperg (2001) le montre très bien en analysant le processus de production d'un film à l'aide d'une méthode dite du cinéma en action, qui emprunte à la cybernétique l'image de la boîte noire : « Plutôt que de considérer le cinéma comme une boîte noire dont on étudierait que les entrées (l'histoire du temps présent) et les sorties (les « films faits), il s'agit d'y pénétrer à l'intérieur afin d'atteindre le coeur du processus de fabrication du film. Cette démarche suppose d'assembler les couches d'écriture de ce que j'appelle le film-palimpseste (les versions successives des scénarios et découpages ; les contrats et les budgets ; les dossiers de la commission de censure ; les correspondances croisées entre les réalisateurs, les producteurs et les éventuels commanditaires). Une telle démarche permet de lire, en amont, les enjeux cristallisés autour du film-en-train-de-se-faire et d'envisager l'oeuvre présentée au public comme l'aboutissement d'une série d'arbitrages de nature politique, financière, professionnelle, personnelle, etc. » (Lindeperg, 2001, p.11) Autrement dit, plutôt que de considérer le réalisateur (ou tout autre membre de la profession cinématographique) comme seul décideur et créateur de sens, Sylvie Lindeperg, grâce à cette approche analytique du processus de fabrication d'un film, met en exergue la multiplicité des intérêts et l'idée selon laquelle le film, et donc son sens, est une résultante de plusieurs vecteurs d'intérêts. Pour bien expliquer sa méthode et ses convictions, Sylvie Lindeperg les illustre par l'analyse du processus de fabrication du film de René Clément, La Bataille du Rail. Elle étudie, comme le veut sa méthode, les contrats et les budgets de La Bataille du Rail. * 442 D'Hugues (1999, p.46) : « En deux ans, redevenu maître chez lui, bien avant la Libération, le cinéma français avait quasiment chassé l'envahisseur (américain) de ses écrans. Avec deux cent quatre-vingts millions de spectateurs en 1942 et plus de trois cents millions en 1943, il pulvérisait les records de fréquentation d'avant-guerre. ...C'est dire l'attrait de cette production nationale pour son public, un public à qui le cinéma américain semblait en somme n'avoir pas trop manqué. » * 443 « Il n'y a pas dans le film un seul passage sans originalité technique » écrivait Léon Moussinac, en 1927, qui pourtant a également prétendu, avec d'autres, que le Napoléon était un film fasciste (Rapp et Lamy, 1999, p.841-842) * 444 Venus Aveugle, 1943 : un mélodrame avec Viviane Romance. * 445 Max Ferro, préface de Bertin-Maghit et Fleury-Vilatte (2001) : « Jean-Luc Godard notait naguère que la France a produit de grands cinéastes, mais pas de grand cinéma. Par là, il voulait dire qu'aux Etats-Unis au contraire, tout en produisant des films critiquant les travers de la démocratie et de la société, le film n'avait pas manqué de chanter l'épopée des Américains ». |
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