C- Les effets de la censure sur la création
cinématographique aux Etats-Unis
Pour échapper à cette censure morale qui limitait
la création, les cinéastes eurent recours aux changements de
contextes : spatial, temporel, normatif, identitaire, etc.
Concrètement, les cinéastes placèrent tout
simplement l'histoire de leur film dans une période ancienne ou
dans une culture différente. « Le code Hays est alors
tolérant, l'éloignement dans le temps et l'espace est un gage de
liberté. Les orgies romaines, l'immoralité des villes bibliques
de l'Ancien Testament sont acceptées sans difficulté.
L'adultère est plus recevable hors du territoire américain,
surtout s'il est situé dans des régions
méditerranéennes où la passion semble plus indigène
(Intermezzo). De même, les seins nus des femmes exotiques sont
acceptables, comme pour les Polynésiennes de Mutiny on the Bounty (
Les Révoltés du Bounty) car il s'agit d'une tradition
ethnique à « valeur documentaire ». (Pecha, 2000,
p.45-46). Cela n'a pas empêché que Jane, interprétée
par Maureen O'Sullivan, assez dévêtue dans Tarzan et sa
compagne (Cedric Gibbons et Jack Conway, 1934), voit son pagne et sa
chemise se rallonger deux ans plus tard dans Tarzan s'évade
(Richard Thorpe, 1936).
Le Code eut également pour effet de stimuler
« l'imagination des cinéastes (comme celle du spectateur) en
rappelant qu'un euphémisme peut se transformer en litote, qu'il peut
être plus efficace de suggérer que de montrer
explicitement (...). C'est sans doute l'aspect le plus intéressant
du Code dans sa conséquence esthétique : le recours à
une rhétorique visuelle soit métonymique, soit
métaphorique permettant de suggérer ce qu'il était
interdit de montrer ou de dire, ce dont il fallait faire l'économie ou
l'ellipse » (Bourget, 2002, p.2002).
Rappelons que la rhétorique existe depuis environ 2500
ans. Le traité d'Aristote (384 avant J.C.) sur la rhétorique
comme art du discours et de la parole feinte fait toujours autorité.
Les figures classiques de rhétorique telles que l'ellipse,
la métaphore, l'hyperbole, la métonymie, etc. furent
adaptées au discours cinématographique.
Une rhétorique visuelle s'est alors codifiée
notamment pour évoquer les relations amoureuses et l'acte sexuel.
La banalisation des formules en a fait des
clichés : « étoffant et corsant la simple
ellipse temporelle, l'accent peut être mis, de manière
métonymique, sur l'environnement propice ou complice (plan romantique du
clair de lune), et notamment sur le prélude amoureux (étreinte ou
baiser passionné suivi d'un fondu au noir) ou, symétriquement sur
la phase succédant à l'accomplissement (iconographie du feu de
bois et de la peau d'ours devant la cheminée). » (Bourget,
2002, p.128). Autre cliché, la consommation de cigarettes ou d'alcool
pour dénoter soit l'avant soit l'après, « avec le
même effet de sens », selon Bourget (2002, p.128) mais aussi
celui du lit défait aux draps froissés.
Certains réalisateurs utilisèrent également
les métaphores pour suggérer l'acte sexuel proprement dit :
une vague qui déferle, une porte forcée ou une fenêtre
ouverte par l'orage, etc. Comme l'écrit Cieutat (1991, p.102) :
« La fenêtre peut être un substitut sexuel efficace comme
dans On the Beach ( Le Dernier rivage, Stanley Kramer, 1959)
où l'une d'entre elles sépare Gregory Peck et Ava Gardner :
elle s'ouvre d'un seul coup, le couple s'embrasse, la caméra les cadre
en panoramiquement autour d'eux. Stanley Kramer obéit de la sorte au
Code tout en étant très explicite : l'ouverture de la
fenêtre signifie le proche accouplement et le mouvement d'appareil
atténue la suggestion en fuyant leur tendre enlacement ».
Des évocations qui paraissent, souvent trop
évidentes à certains qui les traitent, avec mépris, de
clichés. Pourtant, les plus grands réalisateurs en firent usage.
Cieutat (1991, P.102) cite, par exemple, le film Lolita (1962) dans
lequel Stanley Kubrick « fait s'asseoir Sue Lyon sur le rebord d'une
fenêtre, un pied sur la table de James Mason où figure en bonne
place un autre symbole sexuel privilégié des
cinéastes : une assiette avec un oeuf sur le plat »
Alfred Hitchcock fut également un virtuose du genre. Dans
La mort aux trousses, il suggère l'acte prohibé par un
train qui entre dans un tunnel au moment où Cary Grant entraîne
Eva Marie Saint sur la couchette d'un wagon-lit.
Dans Les Enchaînés, il détourne la
règle absurde imposant une durée maximale d'un baiser en
demandant à Cary Grant et Ingrid Bergman de se toucher les lèvres
que pendant les 3 secondes autorisées mais de répéter ce
prude baiser plusieurs fois de suite, faisant de cette série l'un des
plus longs baisers de l'époque...
Preuve s'il en était qu'un code
cinématographique peut ne pas être respecté, voire
n'a pas à l'être.
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