Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
D'autres, comme Jean-Pierre Jeunet et Jean-Luc Godard sont beaucoup plus réticents. Selon Jean-Pierre Jeunet : « C'est un grand danger des écoles de cinéma : j'ai l'impression qu'on dit aux élèves « il faut faire comme ça », alors qu'on devrait leur dire « moi je fais comme ça (...) Il n'y a aucune règle générale. Toutes les approches sont bonnes, du moment que le film fonctionne. C'est à chacun de trouver sa propre formule » (Jeunet, in Tirard, 2004, p.49-50). Jean-Luc Godard est plus catégorique encore : « L'idée de donner un cours tel qu'il se pratique dans les écoles, c'est-à-dire de projeter un film et d'en parler ensuite, c'est une idée qui me déplaît, voire qui me choque. Le cinéma, il faut en discuter en le voyant, concrètement, avec l'image devant soi. Dans la plupart de ces cours, les élèves ne voient rien : ils voient ce qu'on leur dit qu'ils ont vu. » (Godard, in Tirard, 2004, p.211).Les réalisateurs ne sont pas les seuls à s'interroger sur l'utilité de l'analyse des films, à mettre en garde contre les interprétations abusives, la théorisation excessive, l'utilisation d'une terminologie d'exclusion plus que de démocratisation. L'analyse des films n'est pas une activité nouvelle. « On pourrait presque dire, en forçant un peu les choses, qu'elle est née en même temps que le cinéma » (Aumont et Marie, 2000). Toutefois, la théorisation de l'analyse des films n'a débuté que vers 1965-1970, au travers des travaux et recherches universitaires ou para-universitaires, et « en étroite liaison avec les débuts de la théorie moderne de cinéma, d'un genre d'analyse, plus poussée, plus systématique, ce qu'on a parfois un peu abusivement appelé l'analyse structurale ».(Aumont et Marie, 2000, p.4) Dès le milieu des années soixante dix, les termes d'analyse filmique sont entrés dans les moeurs en raison, selon certains, de « l'avantage d'une compréhension immédiate par l'analogie avec l'analyse littéraire bien connue et pratiquée par tous les bacheliers » (Opritescu, 1997, fascicule 1, p.17). De nombreux auteurs le regretteront. « Le si prometteur mariage entre sémiologie, psychanalyse et marxisme cèdera la place à un académisme formaliste, enfermé dans le ghetto universitaire. Cherchant à serrer toujours de plus près, dans un geste se réclamant d'un statut scientifique, « le fonctionnement du texte filmique », ces travaux constituent, trop souvent, un véritable slalom pour contourner le sens, pour esquiver l'analyse thématique honnie. » (Burch, 1993, p.15). Pire selon Burch : « Imitant le formalisme littéraire, il sombre dans une quête dérisoire, de structures universelles qui seraient la source de « notre plaisir », celui du public atemporel, sans classe, sans sexe, sans visage ». D'autres ont critiqué l'approche trop théorique. Louis Skorecki s'insurgea, dès la fin des années 70, contre l'approche structuraliste et les courants marxiste et psychanalytique et s'interrogea sur l'intérêt de décortiquer les films « avec dégoût hautain (sémiologiquement, avec Metzitude et ça-gesse419(*) ?) (Storecki, 2001, p.161). Henri Agel qui créa, en 1972, à Montpellier, le premier enseignement de cinéma dans une université française partage la même inquiétude quant à l'évolution de l'enseignement universitaire : « je pense aux fiefs de la sémiologie. En ce moment je me dis : tout de même, ce cinéma, il a mis bien du temps à s'imposer, mais il ne faudrait pas qu'il fût récupéré par des gens qui sont impitoyables, qui atomisent. Il n'y a pas d'exaltation. (...) Je ne crois pas que le structuralisme soit dilatant (...) Je pense que le cinéma est vibration, est bergsonien, dans la mesure où il n'est pas atomisant. » (Agel, 1994, p.37) Des critiques plus récentes viennent d'auteurs anglo-saxons et concernent principalement le style et la façon de s'exprimer de certains théoriciens et universitaires français. Jullier en cite quelques unes dans son ouvrage Qu'est-ce qu'un bon film ? : Gregory Currie parle de « beaucoup de jargon inexpliqué, utilisé d'une manière si peu systématique que le sens ne peut pas être inféré de l'usage » . Trevor Whittock regrette les efforts qu'il fit pour saisir ce que Christian Metz a voulu dire : « Tout cela n'aurait-il pas pu être dit sans jargon ». Ian Jarvie emploie le terme de frenchspeak comme synonyme de langage ésotérique et écrit « ne pas obliger le lecteur à avoir lu ce que j'ai lu et vu ce que j'ai vu pour comprendre ce que j'écris ». David Bordwell « en appelle à Nietzsche (Les lecteurs ont tendance à trouver profond ce dont ils ne voient pas le fond) et propose que « chaque phrase soit impossible à comprendre de travers »420(*) (Jullier, 2004, p. 222-223). Pédantisme, absence de vocabulaire commun, ces critiques sont fréquentes. Jullier enfonce le clou en concluant : « L'université, depuis qu'elle s'intéresse au cinéma, n'a pourtant pas réussi à banaliser hors de ses murs un seul terme spécialisé ; même le très utile « diégèse », lancé il y a cinquante ans par l'Ecole de filmologie, souffre encore de connotations péjoratives ». * 419 Skorecki s'attaque en réalité à la sémiologie du cinéma de Christian Metz et à la Revue ça-cinéma, de ligne structuraliste, marxiste et psychanalytique. * 420 Gregory Currie, Image and Min.Film, Philosophy and Cognitive Science, Cambridge University Press, New York, 1995, p. XVIII ; Trevor Whittock, Metaphor and Film, Cambridge University Press, New York, 1990, p. 93 ; Ian Jarvie, Philosophy of the film. Epistemology, Ontology, Aesthetics,Routledge, 1987, p. XII et XIII ; David Bordwell, «Preface», in Noël Carroll, Theorizing the Moving Image, Cambridge University Press, New York, 1996, p. XII. |
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