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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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Annexe II : Les apports de la sémiologie et de la sémiotique

Le terme de sémiologie est utilisé depuis l'Antiquité dans le domaine médical. Du grec séméion (signe) et logos (discours), la sémiologie médicale consiste à interpréter les signes des maladies, les symptômes et syndromes, associations de symptômes parfois complexes à diagnostiquer.

En sciences humaines, le terme de sémiologie est utilisé à partir du début du XXième siècle pour nommer « une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale » (Saussure), une science générale des signes, de tous les signes avec lesquels nous communiquons.

Le développement de la sémiologie (non médicale) est souvent attribué à un linguiste, Ferdinand de Saussure421(*), et à un logicien et philosophe, Charles Sanders Peirce.

Saussure part de l'idée que nous ne communiquons pas seulement avec la langue mais aussi avec d'autres signes tels que ; « les rites symboliques, les formes de politesse, les signaux militaires, etc. » pour concevoir « une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale (...) qui nous apprendra en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent ». Cette science, Saussure la nomme la sémiologie. Il la considère comme une science générale des signes dont la linguistique - pourtant la spécialité de Saussure - ne serait qu'une branche.

Presque simultanément, Peirce a le même souhait, créer une science générale des signes, qu'il appelle Semiotics (Sémiotique).

Toutefois, la différence entre les deux approches, celle de Saussure et celle de Peirce, est plus importante qu'il n'y paraît, faisant dire à certains que « la sémiotique de Charles Sanders Peirce n'a quasiment rien à voir avec la sémiologie de Ferdinand de Saussure » (Odin, 1990, p.11). Et cette différence ira en augmentant avec leurs disciples respectifs, y compris dans les domaines de l'image et du cinéma (Gervereau, 2004).422(*) Les deux termes - sémiologie et sémiotique - ne sont donc pas synonymes. Leur histoire et leur usage sont différents.

La sémiotique, d'origine anglo-saxone, est « le terme canonique qui désigne la sémiotique comme philosophie du langage. (...). La sémiologie, d'origine européenne, a été longtemps comprise comme l'étude des langages particuliers non verbaux (images, gestuelle, théâtre, etc.), mais correspond plus à la première période « linguistico-structuraliste » de la réflexion (1960-1970), concentrée sur les notions de signe et de code qu'à la période suivante concentrée sur le problème de signifiance de l'image (1975-1990).» (Joly, in Mucchielli, dir., 1996, p.214423(*)).

Ferdinand de Saussure définit le signe comme une entité psychique à deux faces, avec

un signifiant et un signifié.

Ferdinand de Saussure424(*), pour les définir, prit l'exemple d'une pièce de monnaie qui possède un côté pile et un côté face, bien sûr, indissociables. Le signifiant ne peut être séparé de son autre face artificiellement isolée, le signifié, comme s'il s'agissait des deux versants d'une même réalité. L'ensemble du signifiant (forme du signe) et du signifié (contenu du signe) représente la signification que l'on peut saisir, qui est proposée à qui voudra bien comprendre (Dobiecki, 1996, p.39). La plupart des linguistes post-saussuriens considèrent toujours qu'un signe est constitué de deux éléments : une forme appelée le signifiant, qui est associée à un contenu, ou signifié.

Charles Sanders Peirce, quant à lui, s'est davantage intéressé à la façon dont les signes sont porteurs de sens et au rôle intermédiaire de la pensée. Selon lui, tout est signe dès lors que c'est saisi par la pensée. Aussi est-il souvent considéré comme celui qui a introduit le pragmatisme dans l'analyse des signes.

Contrairement aux saussuriens qui pensent que la signification est inhérente au signifiant, le pragmatisme s'intéresse aux rapports entre signe et individu, aux effets pratiques qu'il peut produire sur l'esprit de l'individu. Cette conception fut à l'origine de la sémiotique appliquée, notamment de la sémiotique de l'image.

Dans cette optique, Peirce considère que le signe est composé non pas de deux éléments (le signifiant et le signifié) mais de trois : le signifiant, l'objet ou référent, et le signifié. Le signifiant est la face perceptible du signe. L'objet ou référent est ce que le signifiant représente. Le signifié ou interprétant ce qu'il signifie.

Selon Martine Joly (in Mucchielli (dir.), 1996, p.209) : «Ce diagramme (ci-dessous) représente la dynamique minimale de tout processus sémiotique, dont la signification dépend aussi du contexte de son apparition, de l'attente de son récepteur, et ne se réduit jamais au seul référent. Celui-ci (ou dénoté) s'étoffe de toute une aura de signification (les connotations) liées au contexte, aux acteurs, et à la spécificité de chaque acte de communication ».

S

Signifié

Interprétant

St Objet

Signifiant Référent

Representamen

A la suite de Peirce, l'école percienne, américaine, se développe « grâce à Charles Morris dans trois directions principales : - la sémiotique pure qui concerne la linguistique et la philosophie du langage ; - la sémiotique descriptive, d'inspiration behaviouriste, qui étudie les comportements sociaux non verbaux (gestion socio-culturelle de l'espace, du temps, de la gestuelle), des langages non verbaux (image, vêtements...) ; - la sémiotique appliquée, intéressée par la pragmatique, les rapports entre signe et individu » (Joly, 1994, p.13).

L'école saussurienne, européenne, évolue, quant à elle, dans deux directions principales : la sémiologie de la communication et la sémiologie de la signification. Ainsi, il est fréquent que les post-saussuriens soient classés selon leur plus ou moins grande orthodoxie linguistique :

- « les plus orthodoxes425(*) n'étudient que la seule communication intentionnelle utilisant des codes composés d'un nombre fini d'éléments tels que les langues, le code morse, le code de la route, (...) et ainsi de suite. On parle d'une sémiologie de la communication».

- les plus souples contribuent à développer une sémiologie de la signification, « pour laquelle un code peut être un système ouvert, voire flou ; et peut toujours être considéré comme code ou champ d'observation structuré, dès lors qu'il produit des significations et qu'on le choisit comme objet d'étude426(*). (Joly, 1994, p.13)

Pour résumer, on peut donc dire que la sémiotique renvoie à la tradition peircienne et la sémiologie à la tradition saussurienne ; « l'opposition linguistique se double ici d'une opposition des pères fondateurs, mais aussi, plus fondamentalement, d'une opposition entre des modèles théoriques qui n'ont pas du tout le même corps de références : le pragmatisme américain dans le cas de Peirce, le structuralisme dans le cas de Saussure » (Odin, 1990, p.16).

Alors que Peirce, partant du principe que les signes n'avaient pas tous la même valeur, proposa une typologie des signes fondée sur le degré d'évocation (indice, icône, symbole), les post-saussuriens orthodoxes privilégièrent l'aspect intentionnel ou non du signe.

Dans cette optique, la sémiologie de la communication distingue les signes communicatifs des signes expressifs, selon que le signe est intentionnel ou non. « Même si un vêtement peut se faire le support ou le véhicule de significations socio-culturelles évidentes, il paraît peu probable (aux linguistes post-saussuriens « orthodoxes ») qu'il soit porteur d'un message intentionnel ; les tenues vestimentaires relèveraient donc d'une catégorie particulière de signes que Buyssens et Prieto nomme l'indice » (Meunier et Peraya, 1993, p.35). Un indice est : « un fait immédiatement perceptible qui nous fait connaître quelque chose à propos d'un autre fait qui ne l'est pas » (Prieto, 1966)427(*).

A ces indices, signes expressifs, ces auteurs distinguent les signes communicatifs, grâce auxquels se fait une véritable communication ; ils les appellent des signaux. Ces signaux sont des signes conventionnels produits volontairement par l'émetteur pour être reconnus par le destinataire (par exemple, le code de la route).

En conséquence, l'émetteur, ou destinateur, a un rôle essentiel puisqu'il donne au signe une valeur de signal par sa volonté, son intention de communication, « son intention et son degré de conscience » selon Umberto Eco428(*).

En matière cinématographique, cette distinction est toutefois sujette à caution. La tenue vestimentaire d'un acteur, considérée par ces post-saussuriens comme un indice, étant choisie parfois avec beaucoup de soins, de volonté, d'intention par le costumier, l'acteur, voire le réalisateur lui-même, serait plutôt un signal, selon leur propre définition.

Les post-saussuriens moins orthodoxes, plus souples au sens que leur a donné Joly (1994), ont développé une sémiologie de la signification. Roland Barthes en fut l'un des précurseurs. La sémiologie de la signification se refuse à réduire le champ de la sémiologie aux seules significations intentionnelles, autrement dit aux signaux. Cela d'une part parce que la distinction sur le critère d'intentionalité, très discriminant, n'est pas forcément adéquate, comme nous venons de le voir dans le domaine cinématographique, d'autre part parce que les significations sont loin d'être explicites.

Aussi, « sous la double poussée de la psychanalyse et du matérialisme historique, en pleine expansion tant théorique que méthodologique dans les années 70, la sémiologie de la signification se donne pour tâche d'analyser le système de signes en tant qu'ils sont produits par une classe sociale déterminée » (Meunier et Peraya, 1993, p.36). Autrement dit, l'objectif de la sémiologie de la signification est de découvrir la signification sous-jacente du système de signes. Elle part du principe que « chaque catégorie du texte (filmique, théâtrale, littéraire, etc.) possède son propre langage qui peut être déchiffré aux termes du contexte culturel dans lequel il est inséré » (Lazar, 1991, p.135).

Annexe III : Une analyse historique des utilisations du cinéma dans un esprit manipulateur

* 421 Les cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure sont publiés en 1916. Saussure voit la sémiologie (étude des signes) comme une science générale.

* 422 Gerverau (2004, p.23-24) : « Les considérations de logique de Peirce n'auraient pas eu grande conséquence sur l'étude de l'image si, après la Seconde Guerre Mondiale, Algirdas Julien Greimas et Roland Barthes, alors enseignants, ne s'étaient rencontrés à Alexandrie. Greimas fait lire en effet à Barthes Ferdinand de Saussure. (...) Cette rencontre capitale provoque - avec Claude Levi-Strauss et le structuralisme qui lie anthropologie et linguistique - une prise de conscience méthodologique. Par ailleurs, à la suite des travaux du Belge Eric Buyssens (Les langages et les discours, 1943), Luis-J. Prieto (Messages et signaux, 1966) développe une sémiologie du signal (enseigne, logotype, diagramme, code de la route, numérotation de chambre d'hôtel...). Ainsi, Prieto et Barthes, tous deux héritiers de Saussure, s'intéressent, l'un à des images codées vecteurs de communication, l'autre davantage à des phénomènes sociologiques ».

* 423 Joly, Martine, « Sémiologie de l'image », in Mucchielli A. (dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en, sciences humaines et sociales, 1996, pp. 208-214

* 424 de Saussure, Ferdinand., Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 3ème édition, 1969

* 425 Comme Buyssens, Mounin, Martinet, Prieto, etc.

* 426 Parmi les premiers représentants de ce courant, citons Roland Barthes et Christian Metz en ce qui concerne l'image et le cinéma ainsi que l'Ecole de Paris avec Greimas.

* 427 Prieto Luis.J., Messages et signaux, Paris, Presses Universitaires de France, 1969, p.30

* 428 Eco U., Le signe, Paris, Le Seuil, 1990, p.47 et sv., in Meunier et Peraya (1993, p.35)

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