Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
ANNEXESAnnexe I: L'analyse filmiqueAnnexe II : Les apports de la sémiologie et de la sémiotiqueAnnexe III : Une analyse historique des utilisations du cinémadans un esprit manipulateur Annexe IV : Le genre des films policiersAnnexe V : La retranscription des quinze interviews de groupeAnnexe I : L'analyse filmique De nombreux auteurs opposent le spectateur normal au spectateur-analyste. Ils avancent que le premier cherche avant tout à se faire plaisir tandis que le second a pour but de comprendre le film ou l'extrait d'un film afin de produire un document d'analyse. « Analyste et spectateur normal ne recevraient pas le film de la même manière puisque le premier cherche précisément à se distinguer du second, à ne plus se laisser dominer comme lui par le film » (Vanoye et Goliot-Lété, 2001, p.12-13)
(Vanoye et Goliot-Lété, op cit, p.13) Alors que le spectateur normal se laissera prendre par le film, le spectateur-analyste devra faire un effort sur lui-même. Comme l'écrit Raymond Bellour (1989, p.26-27), « l'analyse du film est une opération coûteuse. Il y a d'abord ce coût psychique de l'arrêt sur image qui a longtemps marqué un seuil et constitue la condition préliminaire de toute analyse (...) Il faut accepter d'interrompre le défilement, le fantasme si fort qui s'y attache, accepter de ne se situer ni du côté de la mouvance ni côté de la fixité, mais entre les deux ». 1- Le film en tant qu'objet d'analyse Nous ne nous intéresserons pas à tous les films mais seulement aux films de fiction. Cette limitation de notre champ de recherche était nécessaire tant les autres catégories de films - les films industriels, les films pédagogiques, les films expérimentaux, les films pornographiques et les films de famille - ont leurs propres spécificités. Elle se justifie aussi par le fait que pour la plupart des spectateurs « le seul cinéma qui compte, le cinéma tout court , c'est le film de fiction » (Odin, 1995, p.5-6). Film de fiction dont la formule de base fut donnée par Christian Metz : « une grande unité qui nous conte une histoire ». Dans une perspective d'analyse, le film peut être considéré « comme une oeuvre artistique autonome, susceptible d'engendrer un texte (analyse textuelle) fondant ses significations sur des structures narratives (analyse narratologique), sur des données visuelles et sonores (analyse iconique) produisant un effet particulier sur le spectateur (analyse psychanalytique). » (Aumont et Marie, 2000, p.8)
(D'après Aumont et Marie, 2000) Ce découpage des éléments constitutifs d'un film et leur analyse respective omettent une réalité. Certains auteurs considèrent, en effet, qu'un film est, avant tout, le résultat d'une combinaison d'éléments (narratifs ou non, esthétiques, techniques, etc.) et que de leur interaction résulte une construction formelle qu'ils appellent le système stylistique413(*). D'autres ajoutent une dimension poétique, voire métaphysique comme Agel (1994). Aussi propose-t-il une approche méthodologique rigoureuse qui rende compte de l'élément poétique : « l'essence du cinéma est poético-mythique ; c'est le repère que je donne, comme point de vue synthétique. Après, il y a le point de vue analytique : plan par plan. Voilà deux garde-fous : une idée-mère : fonction poétique et mythique du cinéma ; et, en même temps : vérification par l'écriture, la stylistique » (Agel, 1994, p.39). Plus récemment, cette dernière a donné naissance à un autre type d'analyse : l'analyse stylistique (Bordwell et Thompson, 2000, p.431-364). Le style étant un système qui coordonne les techniques cinématographiques et qui se caractérise par un emploi répété et remarquable de certaines d'entre elles, dans un film ou dans toute l'oeuvre d'un cinéaste (ou d'un groupe de cinéastes), son analyse nécessite de nombreuses connaissances. En conséquence, un spectateur « normal» sera dans l'impossibilité de procéder à une analyse stylistique par manque de connaissances méthodologiques et techniques dans, toute ou partie, des différents types d'analyses, sans parler de son état d'esprit fondé davantage sur le plaisir que sur le travail. Autrement dit, il en aura ni le savoir-faire ni la volonté. On retrouve, dans ce constat, l'opposition que font de nombreux auteurs entre le spectateur normal et le spectateur-analyste, le premier cherchant avant tout à se faire plaisir. (Vanoye et Goliot-Lété, op. cit., p.12-13). Les quatre étapes de l'analyse stylistique proposées par Bordwell et Thompson sont : 1- Déterminez la nature de l'organisation structurelle du film et de son système formel (narratif ou non-narratif) 2- Identifiez les procédés techniques remarquables 3- Décrivez les modes d'organisation de ces procédés remarquables 4- Proposez des fonctions pour les procédés techniques remarquables et les ensembles structurés qu'ils constituent. Dans la première étape, il s'agit de comprendre de quelle façon le film forme un tout. Est-ce par la narration ou non ? Si c'est un film narratif, la narration fournira aux spectateurs un récit, c'est-à-dire des événements avec leurs relations causales, leur ordre chronologique, leur durée, leur fréquence et leurs situations spatiales. A partir de ce récit, qui peut être structuré de façon plus ou moins explicite - avec des ellipses, des parallèles, des omissions, etc. - le spectateur imaginera, reconstituera par déduction une histoire, c'est-à-dire l'ensemble des événements qui sont supposés avoir eu lieu. Dans l'hypothèse assez rare où il ne s'agirait pas d'un film narratif, par exemple dans le cas d'un film expérimental non-narratif, son organisation structurelle devra être cherchée, par exemple par thèmes et sous-thèmes traités, par motifs visuels, par émotions ou idées évoquées, etc. Dans la deuxième étape, en s'appuyant sur ses connaissances cinématographiques et, notamment, des codes spécifiques, le spectateur, tout au long du visionnage du film, fera attention aux techniques utilisées, les identifiera, les nommera, distinguera celles qui correspondent à la grammaire de base, de celles qui transgressent les règles codiques, estimera leur importance et la fréquence de leur utilisation. «Il vous faut être capable d'observer précisément les couleurs, l'éclairage, le cadrage, le montage et le son, autant d'éléments que la plupart des spectateurs ne remarquent pas consciemment. Une fois que vous saurez les remarquer, vous pourrez les identifier comme techniques - repérer et nommer, par exemple, une musique extra-diégétique ou une contre-plongée » (Bordwell et Thompson, p.434-435). Il est surtout important dans une analyse stylistique de repérer les écarts, les inattendus, les transgressions, les non-conformités aux règles stylistiques classiques, les innovations, autrement dit tout ce qui fait que le film se distingue des autres par un style particulier, son originalité. Autrement dit, l'approche stylistique doit développer, chez le spectateur, une sensibilité aux procédés techniques. Dans une troisième étape, l'analyse du style consiste à chercher comment les procédés techniques identifiés constituent des ensembles structurés. Sont-ils utilisés tout au long du film ou seulement dans une seule de ses parties ? Sont-ils associés à d'autres procédés techniques ? D'une manière classique ou d'une manière imprévue ? Par exemple, la rapidité du tempo musical est-elle liée ou non à l'accélération du montage ? Les flashbacks sont-ils précédés par un fondu enchaîné et leurs couleurs sont-elles modifiées (éventuellement le noir et blanc est-il adopté à la place) ? De plus, comme l'écrivent Bordwell et Thompson (2000, p. 436) : « Vous pouvez chercher à découvrir les façons dont le style vient renforcer des schémas narratifs ou non-narratifs. Dans n'importe quel film, la « ponctuation » entre les parties nécessite l'utilisation d'éléments stylistiques particuliers (des fondus, des raccords, des fondus enchaînés, des changements de couleurs, des ponts sonores, etc.). Dans un film narratif, les scènes sont généralement structurées, rencontre, conflit, résultat ; structuration que le style reflète souvent avec, par exemple, un montage de plus en plus marqué et des plans de plus en plus rapprochés ». La quatrième et dernière étape de l'analyse stylistique a pour but de découvrir le rôle des procédés techniques employés et les fonctions des ensembles structurés qu'ils constituent. Dans le film en cours d'analyse, les mouvements de caméra sont-ils utilisés pour leur fluidité ou pour créer un effet de suspense ? C'est à ce stade de l'analyse que l'on se rencontre que les procédés techniques sont parfois utilisés, en quelque sorte, à contre-emploi (par rapport à la grammaire de base). Une plongée ne signifie pas forcément l'infériorité et la contre-plongée la puissance. « Il n'y a pas de dictionnaire qui indiquerait la signification de tous les procédés stylistiques ; l'analyste doit observer minutieusement l'ensemble du film, la structuration de ses procédés techniques et les effets particuliers sur la forme. Le sens n'est qu'un type d'effet parmi d'autres, il n'y a aucune raison de s'attendre à ce que tout trait stylistique possède une signification thématique » (Bordwell et Thompson, 2000, p.437). Ils considèrent, en effet, qu'un procédé technique - ou une combinaison de plusieurs procédés - peut avoir pour fonction principale, voire unique, d'attirer l'attention du spectateur : « Une partie du travail du réalisateur consistant à diriger notre attention, le style peut avoir une simple fonction perceptive, celle de nous faire remarquer des choses, de faire valoir un élément par rapport à un autre, de nous égarer ou nous éclairer, intensifier ou complexifier notre appréhension de l'action » (p.437-438). Cette méthodologie de l'analyse stylistique nécessitant une assez bonne connaissance des techniques cinématographiques, elle ne nous semble pas être, contrairement à ce que prétendent ses auteurs, à la portée du spectateur normal, au sens de Vanoye et Goliot-Lété. Et aurait-il ces compétences techniques, en aurait-il le courage et le goût, le spectateur normal cherchant avant tout en regardant un film à se faire plaisir ? Combien de spécialistes du cinéma, universitaires et critiques, regrettent-ils, de ne plus pouvoir regarder un film « normalement, comme tout le monde », car trop habitués à appliquer une méthodologie ou grille d'analyse ? (Philippe, 1999). 2- L'analyse d'un film Le spectateur normal ne procède pas à une véritable analyse, quel qu'en soit le type. Dans le meilleur des cas, il peut échanger un avis avec d'autres spectateurs normaux. Cet échange de points de vue qui débouche, éventuellement, sur la formulation de critiques n'a que peu à voir avec une analyse filmique. D'où la boutade de Truffaut, chaque spectateur a deux métiers, le sien et celui de critique de cinéma. L'analyse filmique est généralement définie de deux façons différentes (Vanoye et Goliot-Lété, 2001, p.9) : - l'activité d'analyser un film ou un extrait, - et le résultat de cette analyse. a) L'activité d'analyse Raymond Bellour (1989) dans son ouvrage intitulé L'analyse du film414(*) justifie ce titre en écrivant : « ces mots que j'ai choisis pour titre, supposent l'existence d'une activité propre, qui consisterait à analyser des films. Comme on analyse des textes, ou des tableaux. » (p.9). L'analyse filmique est une activité principalement descriptive, « non modélisante, même là ou elle se fait parfois plus explicative » (Aumont, Marie, p.11), qui consiste à décomposer un film ou extrait en ses éléments constituants. Comme l'écrivent Vanoye et Goliot-Lété (p.9-10) : « c'est mettre en morceaux, découdre, désassembler, prélever, séparer, détacher et nommer des matériaux qu'on ne perçoit pas isolément à l'oeil nu car on est happé par la totalité ». Après cette phase de déconstruction qui équivaut à la description, l'analyste cherche à établir des liens entre les différents éléments isolés et à comprendre comment ces derniers s'associent pour « faire surgir un tout signifiant ». L'existence de ces deux phases, celle de déconstruction suivie de celle de reconstruction - que l'on appelle fréquemment l'interprétation - pourrait faire croire en l'existence d'une méthode universelle d'analyse de film. Il n'en est rien ; il n'existe pas plus de méthode universelle d'analyse filmique qu'il n'existe de théorie universelle du cinéma. « Il n'existe pas, malgré ce qui en a parfois été dit ici ou là, de méthode universelle d'analyse de films. Il existe des méthodes, relativement nombreuses, et de portée plus ou moins générale mais, du moins à ce jour, elles restent relativement indépendantes les unes des autres ». (Aumont et Marie, p.11). La diversité des éléments constituants font du corps de l'analyse un « corps fuyant : on ne peut vraiment ni le citer, ni l'étreindre. Il est polysémique aussi, de façon excessive, et sa matière, pétrie d'iconicité, d'analogie fait échec au langage » (Bellour, 2002, p.19). C'est sans doute l'une des raisons pour laquelle, certains voient dans l'analyse de film une sorte d' « art sans avenir », une « activité particulière », «un genre théorique à part », des références bibliographiques « utiles mais ambigus », « sans autre justification que la plénitude trompeuse liée à l'acte d'analyse même » (Bellour, 2002, p19)415(*).
b) Les buts et les résultats de l'analyse L'activité ou la pratique de l'analyse fait souvent suite à une commande notamment d'institutions scolaires et universitaires, dans le cadre d'examens (baccalauréat), de concours (Capes, Agrégation, etc.) ou de recherches. Roger Odin, par exemple, parle de « l'analyse filmique comme exercice pédagogique »416(*). Ainsi, l'épreuve écrite d'analyse filmique fait partie de la pré-admission du Concours National de la FEMIS (Fondation Européenne des Métiers de l'Image et du Son) et de l'écrit du concours d'admission, section cinéma, à l'Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière. L'épreuve d'analyse - d'une durée de trois heures, hors le temps de la projection - du concours d'entrée à la FEMIS « a pour visée d'évaluer chez les candidats l'acuité perceptive, le sens esthétique et l'intelligence des moyens de la mise en scène (...). Les candidats doivent montrer en quoi et comment les différents composants visuels et sonores de l'extrait proposé - qu'ils décriront avec la plus grande précision possible - concourent à donner à la scène sa forme, son sens et sa tonalité ».417(*) Le résultat de l'analyse d'un film ou d'un extrait peut prendre différentes formes (document écrit, document audiovisuel, document mixte) mais sa forme la plus courante est celle d'un texte. Sa longueur dépend du temps dont dispose l'analyste pour l'élaborer, surtout lors d'une épreuve d'examen ou de concours. En trois heures, comme c'est le cas pour les concours d'entrée à la FEMIS et à l'Ecole Louis Lumière, il est rare que le nombre de pages ne dépasse quatre pages et encore moins six.418(*) * 413 Bessières (2000, p.4) insiste sur le fait qu' « il faut bien distinguer les analyses de contenus (analyse du récit, bio/filmographie du réalisateur, genèse d'écriture et de fabrication, situation du film dans l'histoire du cinéma, dans les mouvements esthétiques connexes qui l'auraient influencé - littérature, musique, arts plastiques) de l'analyse stylistique de l'oeuvre elle-même (l'organisation de l'image y compris dans son rapport au son, le montage des articulations visuelles-sonores, la mise en scène et la direction d'acteurs, l'appartenance à un genre avec éventuellement des écarts de ton ». * 414 BELLOUR, Raymond, L'analyse du film, Paris, Editions Albatros, Collection CA Cinéma, 1989, 319 pages * 415 Bellour, Raymond, « L'analyse flambée », 1984, in Bellour, Raymond, L'Entre-images, Editions de la Différence, 2002 : « Cela ne tient pas seulement au défaut de génie des analystes, mais surtout à la résistance inusitée du matériel. Cette résistance a conduit trop souvent l'analyse de film à s'enfermer sur elle-même. Aux illusions, aux fatalités propres à l'accumulation et au ressassement du savoir, s'est ainsi ajoutée une fascination particulière pour le cercle dans lequel depuis ses débuts l'analyse de film n'a pas pu s'empêcher de tourner. Au point qu'il lui arrive encore de se prendre pour ce qu'elle n'est pas. A dire vrai, il n'y a plus, il ne devrait plus y avoir d'analyses de film ». * 416 Odin, Roger, « L'analyse filmique comme exercice pédagogique », CinéAction, n°47, Cerf-Corlet, 1988 * 417 ZAMMOUR, Françoise (dir.) , Les Annales du concours. Années 86/00, Ecole Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et du Son, La Femis, 2000, p. 29-31 * 418 « La limite des six pages est dans la pratique une contrainte bien moins pesante que la limite de temps. Avec le passage du temps, la vitesse de réflexion et d'écriture, même entraînée, suit une courbe descendante qui situe sa limite maximum approximative autour de six pages justement ». (Opritescu, p.20) |
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