V- Plan 19
Plan
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Version 1
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Version 2
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Version 3
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19
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M. Neuville est pris de soubresauts
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M. Neuville prend de la main gauche le cadre de la photo et la
regarde. Sa main droite tient toujours son verre.
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M. Neuville regarde la photo et la repose sur le meuble. Il
continue à boire son verre. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait
entendre. M. Neuville jette un coup d'oeil surpris vers la porte (hors
champ)
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Sens perçu
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Les effets sont contradictoires selon l'idée
générale que se fait du film chacun des spectateurs.
Les tenants du film policier continuent à croire en un
crime, par empoisonnement ou en une simulation de malaise. Mais, la
plupart des spectateurs adhèrent à la fin
« romantique », même si certains trouvent la fin
banale.
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Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs. Ne fait que renforcer l'interprétation de la
séquence de fin.
La plongée n'a pas non plus d'effet spécifique.
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Le début du plan ne semble pas modifier l'image
plutôt négative du mari.
La surprise sonore n'a pas été
verbalisée ; les mimiques de surprise de l'acteur n'ont pas
été citées par les spectateurs
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Chaque version a un plan différent. L'épilogue est
proche.
Dans la version 1, le but recherché était, en
montrant furtivement les gestes du personnage principal à la vue de la
photo, de laisser planer un doute sur les raisons de ces soubresauts :
sanglots, etc.
Le doute est, en effet, installé mais les conclusions sont
différentes selon la personnalité des spectateurs, leur
préférence en matière de genre cinématographique,
leur goût pour les happy ends.
Dans la version 2, le réalisateur souhaitait resituer
l'action dans le contexte de la disparition de la femme que les plans 15 B
à 18 auraient pu faire oublier. Or, ce plan n'a pas eu les effets
escomptés. Pourtant, l'angle de prise de vues avait été
choisi en respectant le code des changements d'angles. L'angle de prises de
vues, selon ce code, a un rôle expressif : « les fortes
incidences angulaires doivent être justifiées par une
nécessité quelconque de caractère dramatique ou
psychologique » (Mitry , 2001, p.95). Nous avions donc opté
pour la plongée pour mettre en valeur la victime (la femme même si
c'est une garce) en contraste avec le mari
(« dégueulasse » si ce n'est criminel). La
plongée donne un sens symbolique de faiblesse,
d'infériorité, d'écrasement psychologique, de peur, etc.
Le sujet filmé est dominé, amenuisé, écrasé.
Grâce à la plongée, nous voulions donc faire changer
l'opinion plutôt négative que les spectateurs avaient de la femme
blonde. Ce fut, reconnaissons-le, un échec : elle fut jugée
jusqu'au bout assez détestable, bien que victime de son mari.
Comment l'expliquez autrement que par la mauvaise
réalisation dont nous sommes le responsable ou par la
méconnaissance de ce code stéréotypé de la
plongée écrasante ou encore par le fait que la plongée est
parfois utilisée «à contre-emploi, tant il est vrai que,
là comme ailleurs, les règles sont floues et toujours
réinterprétables » (Joly, 1994, p.120).
Dans la version 3, nous souhaitions évoquer le fait que le
personnage principal tente de s'accrocher à sa femme, aux moments
importants de leur vie. Evoquer aussi, dans le même plan, par un bruit
hors champ de porte, la surprise du mari. Rien de tout cela n'est
réellement apparu dans le discours des spectateurs.
W- Plan 20
Le plan 20 est le dernier plan dans la version 2.
Plan
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Version 1
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Version 2
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Version 3
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20
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M. Neuville pose sur le meuble son verre, puis le cadre
violemment. Bruits de verre et du cadre qui sont posés sur le meuble.
Puis, M. Neuville tombe en arrière
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M. Neuville regarde la photo avec attention puis la repose sur
le meuble. Il tape le cadre avec son verre comme pour trinquer.
M. Neuville trinque de nouveau devant la photo en esquissant un
sourire narquois. Il boit son verre.
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La porte s'ouvre.
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Sens perçu
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Cette rapidité est notée par certains spectateurs,
mais plutôt comme un reproche : « c'est trop
rapide.
il y a trop de questions sans réponse ».
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La contribution de ce plan au sens de la séquence de fin
et du film tout entier est très forte. Il dévoile les motivations
du personnage principal, il montre sa satisfaction d'avoir eu le dernier mot.
Le crime commandité et exécuté par un mafieux est admis
par tous les spectateurs.
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Ces images ne sont pas citées mais contribuent
certainement au sentiment de suspense, d'ambiance étrange voire malsaine
que la plupart des spectateurs ont éprouvé.
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Dans la version 1, il s'agissait pour le réalisateur de
montrer la rapidité et la brutalité avec lesquelles les
événements allaient suivre. On ne peut pas dire que les
spectateurs ne les aient pas ressenties mais certains les jugèrent
négativement en matière esthétique et narrative.
Dans la version 2, ce plan long devait révéler la
véritable personnalité et les motivations du personnage principal
mais aussi évoquer son plaisir de se venger avec l'aide d'un tueur
à gages.
Ce plan a parfaitement joué son rôle dans la
construction du sens par le spectateur. Le personnage est bien perçu
comme il est. Ce plan de fin est donc la preuve de son crime
prémédité. Les spectateurs ne plaignent pas la victime,
ils accusent le mari criminel. La compréhension du sens par les
spectateurs fut générée en grande partie par le jeu de
l'acteur (son geste de trinquer, son sourire sarcastique, etc.), et par ses
manipulations de normes sociales : il a, en effet, un comportement
considéré comme injustifiable dans notre société.
La bonne compréhension de ce plan vient aussi, sans doute, de sa
durée. Il est long par rapport aux autres (excepté le plan 8 de
la première partie). Or, selon l'un des codes spécifiques de la
bande image, un plan long laisse à penser que le réalisateur veut
souligner, mettre en valeur son contenu narratif et/ou non-narratif. Il peut
vouloir forcer le spectateur à voir et à réfléchir
à quelque chose d'important à ses yeux (Bazin, Metz, Bordwell et
Thompson, etc.)
C'est donc probablement la combinaison synergique de plusieurs
éléments (jeu d'acteur, gestes, mimiques, longueur du plan, etc.)
qui a contribué à la construction du sens chez le spectateur
Dans la version 3, le plan 20 devait laisser planer le doute sur
la personne qui ouvrait la porte.
Il pouvait évoquer l'opposition possible entre la personne
qui pénètre dans le bureau, en poussant la porte, avec un besoin
d'ouverture vers l'autre, et le personnage principal surpris qu'on force sa
porte alors qu'il est, sans doute, en phase de réflexion. A moins que le
plan sur la porte soit utilisé comme une métaphore pour
suggérer l'acte sexuel (Cieutat, 1991).
Des évocations très fréquentes dans le
cinéma américain d'avant l'abrogation du Code Hays, en 1966, qui
sont souvent aujourd'hui considérées comme de grossiers
clichés.
Rien de tout cela n'apparaît réellement dans les
propos des spectateurs.
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