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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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V- Plan 19

Plan

Version 1

Version 2

Version 3

19

M. Neuville est pris de soubresauts

M. Neuville prend de la main gauche le cadre de la photo et la regarde. Sa main droite tient toujours son verre.

M. Neuville regarde la photo et la repose sur le meuble. Il continue à boire son verre. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait entendre. M. Neuville jette un coup d'oeil surpris vers la porte (hors champ)

Sens perçu

Les effets sont contradictoires selon l'idée générale que se fait du film chacun des spectateurs.

Les tenants du film policier continuent à croire en un crime, par empoisonnement ou en une simulation de malaise. Mais, la plupart des spectateurs adhèrent à la fin « romantique », même si certains trouvent la fin banale.

Apparemment sans effet particulier sur les

spectateurs. Ne fait que renforcer l'interprétation de la séquence de fin.

La plongée n'a pas non plus d'effet spécifique.

Le début du plan ne semble pas modifier l'image plutôt négative du mari.

La surprise sonore n'a pas été verbalisée ; les mimiques de surprise de l'acteur n'ont pas été citées par les spectateurs

Chaque version a un plan différent. L'épilogue est proche.

Dans la version 1, le but recherché était, en montrant furtivement les gestes du personnage principal à la vue de la photo, de laisser planer un doute sur les raisons de ces soubresauts : sanglots, etc.

Le doute est, en effet, installé mais les conclusions sont différentes selon la personnalité des spectateurs, leur préférence en matière de genre cinématographique, leur goût pour les  happy ends.

Dans la version 2, le réalisateur souhaitait resituer l'action dans le contexte de la disparition de la femme que les plans 15 B à 18 auraient pu faire oublier. Or, ce plan n'a pas eu les effets escomptés. Pourtant, l'angle de prise de vues avait été choisi en respectant le code des changements d'angles. L'angle de prises de vues, selon ce code, a un rôle expressif : « les fortes incidences angulaires doivent être justifiées par une nécessité quelconque de caractère dramatique ou psychologique » (Mitry , 2001, p.95). Nous avions donc opté pour la plongée pour mettre en valeur la victime (la femme même si c'est une garce) en contraste avec le mari (« dégueulasse » si ce n'est criminel). La plongée donne un sens symbolique de faiblesse, d'infériorité, d'écrasement psychologique, de peur, etc. Le sujet filmé est dominé, amenuisé, écrasé. Grâce à la plongée, nous voulions donc faire changer l'opinion plutôt négative que les spectateurs avaient de la femme blonde. Ce fut, reconnaissons-le, un échec : elle fut jugée jusqu'au bout assez détestable, bien que victime de son mari.

Comment l'expliquez autrement que par la mauvaise réalisation dont nous sommes le responsable ou par la méconnaissance de ce code stéréotypé de la plongée écrasante ou encore par le fait que la plongée est parfois utilisée «à contre-emploi, tant il est vrai que, là comme ailleurs, les règles sont floues et toujours réinterprétables » (Joly, 1994, p.120).

Dans la version 3, nous souhaitions évoquer le fait que le personnage principal tente de s'accrocher à sa femme, aux moments importants de leur vie. Evoquer aussi, dans le même plan, par un bruit hors champ de porte, la surprise du mari. Rien de tout cela n'est réellement apparu dans le discours des spectateurs.

W- Plan 20

Le plan 20 est le dernier plan dans la version 2.

Plan

Version 1

Version 2

Version 3

20

M. Neuville pose sur le meuble son verre, puis le cadre violemment. Bruits de verre et du cadre qui sont posés sur le meuble. Puis, M. Neuville tombe en arrière

M. Neuville regarde la photo avec attention puis la repose sur le meuble. Il tape le cadre avec son verre comme pour trinquer.

M. Neuville trinque de nouveau devant la photo en esquissant un sourire narquois. Il boit son verre.

La porte s'ouvre.

Sens perçu

Cette rapidité est notée par certains spectateurs, mais plutôt comme un reproche : « c'est trop rapide.

il y a trop de questions sans réponse ».

La contribution de ce plan au sens de la séquence de fin et du film tout entier est très forte. Il dévoile les motivations du personnage principal, il montre sa satisfaction d'avoir eu le dernier mot. Le crime commandité et exécuté par un mafieux est admis par tous les spectateurs.

Ces images ne sont pas citées mais contribuent certainement au sentiment de suspense, d'ambiance étrange voire malsaine que la plupart des spectateurs ont éprouvé.

Dans la version 1, il s'agissait pour le réalisateur de montrer la rapidité et la brutalité avec lesquelles les événements allaient suivre. On ne peut pas dire que les spectateurs ne les aient pas ressenties mais certains les jugèrent négativement en matière esthétique et narrative.

Dans la version 2, ce plan long devait révéler la véritable personnalité et les motivations du personnage principal mais aussi évoquer son plaisir de se venger avec l'aide d'un tueur à gages.

Ce plan a parfaitement joué son rôle dans la construction du sens par le spectateur. Le personnage est bien perçu comme il est. Ce plan de fin est donc la preuve de son crime prémédité. Les spectateurs ne plaignent pas la victime, ils accusent le mari criminel. La compréhension du sens par les spectateurs fut générée en grande partie par le jeu de l'acteur (son geste de trinquer, son sourire sarcastique, etc.), et par ses manipulations de normes sociales : il a, en effet, un comportement considéré comme injustifiable dans notre société. La bonne compréhension de ce plan vient aussi, sans doute, de sa durée. Il est long par rapport aux autres (excepté le plan 8 de la première partie). Or, selon l'un des codes spécifiques de la bande image, un plan long laisse à penser que le réalisateur veut souligner, mettre en valeur son contenu narratif et/ou non-narratif. Il peut vouloir forcer le spectateur à voir et à réfléchir à quelque chose d'important à ses yeux (Bazin, Metz, Bordwell et Thompson, etc.)

C'est donc probablement la combinaison synergique de plusieurs éléments (jeu d'acteur, gestes, mimiques, longueur du plan, etc.) qui a contribué à la construction du sens chez le spectateur

Dans la version 3, le plan 20 devait laisser planer le doute sur la personne qui ouvrait la porte.

Il pouvait évoquer l'opposition possible entre la personne qui pénètre dans le bureau, en poussant la porte, avec un besoin d'ouverture vers l'autre, et le personnage principal surpris qu'on force sa porte alors qu'il est, sans doute, en phase de réflexion. A moins que le plan sur la porte soit utilisé comme une métaphore pour suggérer l'acte sexuel (Cieutat, 1991).

Des évocations très fréquentes dans le cinéma américain d'avant l'abrogation du Code Hays, en 1966, qui sont souvent aujourd'hui considérées comme de grossiers clichés.

Rien de tout cela n'apparaît réellement dans les propos des spectateurs.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci