Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Chapitre 1 : Les apports théoriques successifs à la connaissancedu cinéma Chapitre 2 : Une approche historique et théorique des effets surles spectateurs Chapitre 3 : Le langage cinématographique et sa grammaireChapitre 4 : L'approche narratologiqueChapitre 5 : Les éléments et les codes de la bande imageChapitre 6 : Les codes de la bande sonChapitre 7 : Les genres cinématographiquesDeuxième partie : L'étude qualitative des mécanismes de construction de sens Chapitre 1 : Réflexion et choix méthodologiqueChapitre 2 : La réalisation d'un film en plusieurs versionsChapitre 3- L'organisation de chaque interview et le guided'entretien Chapitre 4 : L'analyse longitudinale des cinq versionsChapitre 5 : L'analyse transversale des cinq versionsPremière partie : le cadre conceptuel et théorique des mécanismes de construction de sens Définir ce qu'est le cinéma peut sembler de prime abord trivial et inutile ; pourtant ce terme, abréviation de cinématographe, présente plusieurs sens. Du grec kinêma, kinêmitos « mouvement » et -graphe, le cinématographe désigne l'appareil capable de reproduire le mouvement par une suite de photographies. Depuis plus d'un siècle, sous l'effet conjugué des évolutions techniques, artistiques, commerciales et industrielles, la définition du cinéma ne peut plus se réduire à une projection visuelle et sonore en mouvement. Comme l'écrit Journot (2004) : « le terme très polysémique désigne à la fois le procédé technique, la réalisation de films (faire du cinéma), leur projection (séance de cinéma), la salle elle-même (aller au cinéma)), l'ensemble des activités de ce domaine (l'histoire du cinéma) et l'ensemble des oeuvres filmées classées par secteurs : le cinéma américain, le cinéma muet, le cinéma de fiction, le cinéma commercial...» A cela, certains auteurs ajoutent que le cinéma est un art. Ainsi, l'expression Septième art fut utilisée, dès 1912, par Ricciotto Canudo5(*) pour désigner l'art cinématographique. Nous verrons que le cinéma est également défini comme un langage, voire comme un langage d'art. Chapitre 1 : Les apports théoriques successifs à la connaissance du cinéma Le cinéma n'est pas une langue contrairement à ce que certains ont prétendu, notamment plusieurs théoriciens de l'époque du muet et du cinéma soviétique, dont les deux plus cités et interprétés, avec plus ou moins de bonheur, sont Dziga Vertov6(*) qui définit, en 1921, son principe du Kinoglaz (ou ciné-oeil) et Koulechov qui donna son nom à l'effet qui est souvent utilisé pour démontrer l'existence d'une ciné-langue. Claire Ropars-Wuilleumier (1970, p.14) montre que les recherches, expériences et écrits de ces deux auteurs ont été mal compris : « Les recherches de Dziga Vertov (...) ont été utilisées pour faire de chaque plan l'équivalent d'un mot, de chaque séquence celui d'une phrase : alors que ses théories impliquent en réalité la reconnaissance du cinéma comme langage autonome, fondé sur l'organisation rythmique des matériaux visuels et sonores. (...) Elles ont souvent été réduites aux formules les plus spectaculaires sur la ciné-langue, l'esperanto visuel, les ciné-phrases et les mots-thèmes ; et c'est en méconnaissant la fonction proprement créatrice qu'y tient le montage ». Quant à la fameuse expérience de Koulechov, elle peut, selon Mitry (2001), Metz (1971) et bien d'autres, « se retourner contre cela même qu'on prétendait lui faire faire prouver (...) Si un plan est susceptible de recevoir des significations opposées, c'est que ce plan n'a pas, par lui-même, de signification propre déterminée par sa morphologie » (Ropars-Wuilleumier (1970, pp.15-16). Il est maintenant admis que le plan n'est pas l'équivalent d'un mot et la séquence n'est pas celui d'une phrase. Metz (2003, p.118) fut l'un des premiers à critiquer cette analogie. Il mit en évidence les différences principales entre le plan filmique et le mot linguistique (voir tableau ci-dessous) et affirma que le plan ressemblait davantage à un énoncé qu'à un mot. Un avis partagé par un certain nombre de théoriciens et cinéastes : « Des sémiologues comme Umberto Eco se sont abondamment penchés sur la nature du signe cinématographique pour savoir s'il était comparable aux mots liés en phrase et obéissant à une grammaire (...). On est contraint de conclure après un cheminement plus ou moins pénible que le cinéma n'est pas une langue et que son signe « minimal », le plan d'une seconde, n'est pas aussi arbitraire que le mot (...) Le cinéma se trouve susceptible d'avoir des sens symboliques nombreux». (Bessière, 2000, p.3) Les cinq différences principales entre le plan filmique et le mot linguistique Selon Christian Metz (2003, p.118)
I- Le cinéma : un langage d'artLe cinéma n'est plus considéré, par qui que ce soit, comme une langue mais, pour la plupart des auteurs, il est devenu un langage qui dispose de moyens expressifs de plus en plus nombreux et complexes. Alexandre Astruc a développé, dès 1948, une théorie de l'écriture cinématographique, dite de la caméra-stylo, dans laquelle il considère le cinéma comme un langage qui a les mêmes possibilités expressives que l'écriture littéraire : «Le cinéma devient peu à peu un langage. Un langage, c'est-à-dire une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd'hui de l'essai ou du roman. C'est pourquoi j'appelle ce nouvel âge celui de la caméra-stylo »7(*). Astruc considère également que le réalisateur est un artiste qui se sert de sa caméra pour s'exprimer comme le fait l'écrivain avec des mots. Sa valorisation du cinéaste lui doit d'être considérée par certains comme étant à l'origine de la notion d'auteur. Langage sans langue8(*), le cinéma se caractérise pour de nombreux auteurs par la combinaison de plusieurs langages et arts. Selon Metz, « le cinéma (...) marie durablement des arts et des langages consentants en une union où les pouvoirs de chacun tendent à devenir interchangeables » et de cette union résulte l'ambivalence du cinéma : le cinéma est capable de donner une impression de réalité mais aussi de créer « le merveilleux », parfois dans un esprit manipulateur pour faire passer un message. Pour étudier ce langage d'art (Metz, 2003, p.70), certains chercheurs ont choisi une approche linguistique et sémiotique. La raison généralement avancée est que les films sont des combinaisons, selon des formules infiniment variées, d'un très grand nombre d'éléments signifiants : des images (fixes ou mouvantes, en noir et blanc ou en couleurs, etc.), des mots (parlés de différentes manières ou écrits de différentes façons), des sons (musique ou bruits), etc. Le sens d'un film fait « intervenir plusieurs matières signifiantes correspondant, du point de vue sémiotique, à des modes de signification très différents, et du point de vue psychologique, à des attitudes et à des processus cognitifs également très différents, sinon franchement opposés. Et ces modes de signification, ces attitudes, ces processus ne s'additionnent pas simplement : ils se composent et interagissent. Du côté relationnel, la complexité est tout aussi évidente. » (Meunier et Peraya, 1993, p.25) Aussi, pour appréhender cette complexité, l'une des toutes premières approches employées fut celle de la sémiologie structurale. « Lorsque les choses apparaissent comme compliquées, la tentation est grande de recourir d'emblée à un modèle relativement simple qui puisse projeter sur elles une certaine clarté, quitte quelquefois à en déformer certains aspects. La sémiologie structurale a succombé à cette tentation. Elle a projeté sur les signes complexes et leurs différents composants - on pense surtout, ici, à l'image - les notions simples et claires de la linguistique saussurienne : signe, code, syntagme, paradigme. Mais le résultat de cette projection, on le sait aujourd'hui, est discutable. » (Meunier et Peraya, 1993, p.13) Ainsi, la sémiologie structurale a délaissé les phénomènes projectifs et affectifs liés à l'image, sa « polysémie », sa capacité à faire rêver, etc. L'une des premières tâches de la sémiologie est de décrire son objet et d'élaborer une taxonomie. C'est un objectif que se fixe la sémiologie quel que soit l'objet de son étude, qu'il s'agisse de cinéma ou d'un autre domaine. Nous invitons le lecteur intéressé par un rappel des apports de la sémiologie et de la sémiotique à consulter l'annexe II. * 5 Ricciotto Canudo, intellectuel italien, installé en France et ami d' Apollinaire, fut l'un des premiers critiques de cinéma. Dans son premier livre intitulé « La naissance du sixième art » (1911), il défendit l'idée selon laquelle le cinéma réalisait la synthèse des « arts de l'espace » (architecture, peinture et sculpture) et des « arts du temps » (musique et danse). Puis, il ajouta la poésie comme art fondateur et écrivit Le manifeste des 7 arts qui a consacré l'expression « 7e art » pour le cinéma. En 1922, il fonda la Gazette des sept arts qui fut l'une des premières revues de cinéma. Certains auteurs considèrent que Canudo s'est inspiré de la classification des arts du philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel ( 1770 - 1831) qui, dans son Esthétique, classe les arts selon une double échelle de matérialité décroissante et d'expressivité croissante : 1- architecture, 2- sculpture, 3- peinture, 4- musique, 5 danse, 6, poésie. * 6 Dans son manifeste de 1921, Dziga Vertov décrit « le Cinéma-oeil - Cinéma - je vois (je vois à travers l'appareil) - le Cinéma-j'écris (j'écris sur la pellicule) - le Cinéma-j'organise (je monte un film)...Ciné-oeil - peinture de faits - mouvement pour le film sans jeu dramatique » (Ropars-Wuilleumier, 1970, p.14). Selon lui, le cinéma est un instrument d'analyse du monde. Mais pour montrer il faut avoir vu réellement, ce qui le conduit à affirmer que l'opérateur de cinéma, le kinok, est une sorte de super-oeil. * 7 Alexandre Astruc, « Naissance d'une nouvelle avant-garde ; la caméra-stylo », L'Ecran français, N°144, 30 mars 1948. * 8 Parce qu' « il n'existe pas de stocks de mots et de formes syntaxiques. Il n'existe pas de lexique ni de grammaire, pas de réservoir d'images et de formes qui permettent de constituer le film » (Journot, 2004, p.72) |
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