Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADApar Ganiyou BOUSSARI Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022 |
B- L'avancée de la place des contrôleursLe contrôleur n'est pas expressément défini par l'AUPC révisé. Cependant, en tant qu'organe des procédures collectives, il peut être défini à travers le rôle qu'il joue. En effet, il faut d'entrée relever que le contrôleur est nécessairement un créancier150(*) du débiteur en procédure collective. Il est un créancier nommé par le juge-commissaire en vue d'assister celui-ci dans sa mission de surveillance du déroulement de la procédure collective et de veiller aux intérêts des créanciers151(*). A ce titre, la loi leur réserve une place principale dans leur rôle de surveillance et de contrôle de l'exécution du concordat de redressement. Entre les contrôleurs et le syndic, il n'y pas une relation de compétitivité, mais une complémentarité. Car le dispositif précise que lasurveillance de l'exécution du concordat est exercée par les contrôleurs, àdéfaut d'eux, par le syndic152(*). Il en découle donc que les contrôleurs constituentl'organe principal et le syndic l'organe subsidiaire. L'institution des créanciers contrôleurs trouve son origine dans la pratique en matière commerciale. Ce type de créanciers a été introduit pour la première fois en droit français par une loi du 4 mars 1889 sur la liquidation judiciaire, qui déclarait l'institution également applicable à la faillite. Les contrôleurs sonttraditionnellement des créanciers volontaires et bénévoles, chargés de certaines missions et investies de certaines prérogatives dans les procédures collectives153(*). La redécouverte de cette institution ancienne, qui subsistait dans les textes mais était tombée en désuétude, est due à la réforme française du 10 juin 1994 qui a vu un moyen de renforcer, assez peu, les droits des créanciers154(*). Le législateur OHADA s'est aussi aligné sur la voie de son homologue français en prévoyant dans la règlementation des procédures collectives curatives, une section relative aux créanciers contrôleurs. L'AUPC du 10 avril 1998 prévoyait leur mode de désignation, les conditions d'accès à la qualité de contrôleur, les incompatibilités avec la qualité de contrôleur et leur mission dans les procédures collectives. En effet, aux termes de l'article 48 alinéa 1erde l'AUPC, « A toute époque, le juge-commissaire peut nommer un ou plusieurs contrôleurs choisis parmi les créanciers, sans que leur nombre puisse excéder trois. Toutefois, la nomination de contrôleurs est obligatoire à la demande des créanciers représentant au moins, la moitié du total des créances même non vérifiées155(*). Dans ce cas, le juge-commissaire désigne trois contrôleurs choisis respectivement parmi les créanciers munis de sûretés réelles spéciales156(*)mobilières ou immobilières, les représentants du personnel et les créanciers chirographaires »157(*). Il résulte de ces dispositions que le nombre de contrôleurs ne peut dépasser trois personnes et que par principe la désignation de ceux-ci est facultative. La nomination de contrôleurs devient obligatoire lorsque la demande est faite par des créanciers représentant au minimum la moitié du total des créances. Dans cette dernière hypothèse, les trois contrôleurs sont désignés de telle sorte qu'il y ait un contrôleur par catégories de créanciers que sont des créanciers munis de sûretés réelles spéciales, celle des représentants des salariés et celle des créanciers chirographaires. Pour moraliser les procédures collectives et assurer la protection des intérêts des créanciers, il est prévu à l'article 48 alinéa 4 ancien de l'AUPC qu'aucun parent ou allié du débiteur ou des dirigeants de la personne morale, jusqu'au quatrième degré inclusivement, ne peut être nommé contrôleur ou représentant d'une personne morale désignée comme contrôleur. Avec la réforme de 2015 qui s'est inspirée de la loi française du 26 juillet 2005, il y a eu une revalorisation de la protection des créanciers à travers un renforcement des pouvoirs des contrôleurs. En premier lieu, le nombre des contrôleurs est monté à cinq158(*) au lieu de trois comme auparavant. Ces contrôleurs sont désignés parmi les créanciers non-salariés159(*). La nomination des contrôleurs n'est pas obligatoire à l'instar de l'ancienne disposition, mais elle devient obligatoire dans un délai d'un mois à compter de la décision d'ouverture et à la demande des créanciers représentant au moins un tiers du total des créances même non vérifiées. Cette dérogation au caractère facultatif de la désignation de contrôleurs regorge une nouveauté en ce sens qu'elle est limitée dans le temps, soit un mois suivant la date d'ouvertureet exige un nombre de demandeurs réduit à un tiers du total des créances. Ce qui rend plus facile la désignation des contrôleurs en vue de défendre les intérêts des créanciers. A l'expiration du délai d'un mois, tout créancier peut demander à être nommé contrôleur, mais toujours dans la limite de cinq contrôleurs. En cas de pluralité de demandes, la règle demeure la même que dans l'ancien article 48 AUPC. Ainsi, le juge-commissaire veille à ce qu'au moins un contrôleur soit nommé parmi les créanciers munis de sûretés et un autre parmi les créanciers chirographaires. Par ailleurs, il est également possible de désigner un contrôleur parmi les salariés et qui pourrait être assimilé à une sorte de représentant des salariés distinct des pouvoirs accordés au comité d'entreprise ou aux délégués du personnel. Il a été également procédé au renforcement des incompatibilités des contrôleurs. En plus des incompatibilités évoquées dans l'ancien article 48 AUPC, le législateur OHADA prévoit désormais que « ni aucune personne détenant directement ou indirectement tout ou partie du capital social ou des droits de vote de cette même personne ne peut être nommé contrôleur ou représentant d'une personne morale désignée comme contrôleur ». Dans un autre sens, l'alinéa 3 du nouvel article 48 prévoit son application aux personnes exerçant une profession libérale160(*) telle que la profession d'avocat, de dentiste, médecin, etc. Il a été jugé plus judicieux que l'ordre professionnel ou l'autorité compétente dont relèvent les personnes exerçant la profession libérale soit nommé contrôleur. Les créanciers contrôleurs ont toujours le droit de vérifier la comptabilité et l'état de la situation présentés par le débiteur, de demander compte de l'état de la procédure, des actes accomplis par le syndic ainsi que des recettes faites et des versements effectués. Ils sont obligatoirement consultés pour la continuation de l'entreprise au cours de la procédure de vérification des créances et à l'occasion de la réalisation des biens du débiteur en cas de liquidation des biens et ils peuvent saisir de toutes contestations le juge-commissaire161(*). Ainsi se trouve renforcé le rôle des créanciers dans les procédures collectives à travers l'accroissement de leur implication dans l'atteinte de l'objectif de sauvetage des entreprises en matière du redressement judicaire.De ce fait, un auteur relève qu'« On peut théoriquement, sur la base de l'article 49, soutenir que le contrôle des créanciers, sur le bon déroulement des procédures, est réel à l'observation du volume des missions »162(*). En tout état de cause, le contrôle de l'exécution du concordat de redressement d'uneentreprise en difficulté par un créancier, qu'il soit une personne physique ou personnemorale, peut toujours se révéler primordial dans la mesure où il faut réduire aumaximum l'opacité qui entoure les procédures concernant les entreprises163(*). Cette impression d'opacité serait renforcée par le fait que beaucoup decréanciers ne connaissent pas les étapes de la procédure, ce qui les conduirait àune attitude de soupçon généralisée164(*). En dehors de l'encadrement de l'intervention des mandataires judiciaires et de l'implication des contrôleurs dans les procédures de sauvetage, les intérêts des créanciers bénéficient d'une protection assurée par la révision de 2015 à travers des modifications d'autres dispositions de l'AUPC originel. * 150 GAMELEU KAMENI (C.) « Le contrôle de l'exécution du concordat de redressement d'une entreprise en difficulté en droit OHADA », Revue internationale de droit comparé, Vol. 63, 2011, n°13, p. 702, https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2011_num_63_3_20022, consulté le 11 mars 2022 à 22H03. * 151 Art. 49 ancien AUPC du 10 avril 1998. * 152 Art. 128 alinéa 1er AUPC révisé. * 153 PERONCHON (F.), BONHOMME (R.), préc., n° 210, p. 163. * 154 Ibid. * 155 Art. 48 alinéa 2 AUPC du 10 avril 1998. * 156 Les sûretés réelles peuvent être générales ou spéciales. Une sûreté est générale lorsqu'elle porte sur tout le patrimoine du débiteur. Elle est spéciale quand elle porte sur un ou plusieurs meubles particuliers. * 157 Art 48 alinéa 3 AUPC du 10 avril 1998. * 158 Art. 48 alinéa 1er AUPC révisé. * 159 Ibid. * 160 Art. 48 alinéa 3 AUPC révisé. * 161 Art. 49 alinéa 2, 3 et 4 AUPC révisé. * 162 TAKAFO-KENFACK (D.), « Rôle des créanciers dans le sauvetage des entreprises depuis la réforme Ohada », Bull. Joly Entreprises en difficultés, 2017, n°4, p.302 et ss. * 163 GAMELEU KAMENI (C.), préc., n° 14, p. 702. * 164 Ibid. |
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