Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADApar Ganiyou BOUSSARI Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022 |
SECTION II : UNE TENTATIVE DE REVALORISATION DE LA PROTECTION DES CREANCIERS PAR REMODELAGE DES PROCEDURES EXISTANTES DANS L'AUPC DE 1998La tentative de revalorisation de la protection des créanciers dans le sauvetage des entreprises s'est manifestée, non seulement par la consécration de nouveaux types de procédures, mais aussi par diverses modifications apportées à l'AUPC originel adopté le 10 avril 1998. Ce remodelage qui a été au centre de la révision de 2015 concerne l'intervention de différents organesdans les procédures collectives (paragraphe 1) et autres dispositions de l'AUPC de 1998 (paragraphe 2). PARAGRAPHE 1: LE REMODELAGE RELATIF A L'INTERVENTION DES ORGANES DES PROCEDURES COLLECTIVESLes créanciers ont vu leur situation être positivement revalorisée à travers l'encadrement de l'intervention des mandataires judiciaires (A) et une amélioration de la place accordée particulièrement aux créanciers contrôleurs (B). A- L'encadrement de l'intervention des mandataires judiciairesJusqu'à sa révision en 2015, l'AUPC du 10 avril 1998 laissait apparaitre des failles qui étaient préjudiciables aux créanciers du débiteur bénéficiant de l'ouverture d'une procédure collective. En effet, par exemple, l'expert au règlement préventif jouissait, en pratique, d'une certaine liberté dans l'exercice de sa mission. Cette liberté octroyée à l'expert en règlement préventif était source de plusieurs abus contre les créanciers dont les créances sont nées antérieurement à l'ouverture du règlement préventif. Il s'agissait en effet du détournement de la procédure avec la complicité du débiteur à des fins frauduleuses, du dépôt tardif du rapport de l'expert129(*). Les défaillances ainsi évoquées découlaient des lacunes que regorgeait la règlementation de cette procédure préventive sous l'empire de l'AUPC de 1998. En effet, l'expert au règlement préventif avait l'obligation de déposer en double exemplaire, son rapport contenant le concordat préventif proposé par le débiteur ou conclu entre lui et ses créanciers, dans les deux (02) mois de sa saisine, au plus tard, sauf autorisation motivée du président de la juridiction compétente de proroger ce délai d'un (01) mois130(*). Mais dans la pratique, ce délai n'était pas respecté dans la majorité des cas. Cette disposition rendait maître le débiteur, qui avait la possibilité de faire échec aux poursuitesindividuelles de certains créanciers en demandant l'ouverture d'un règlement préventif, parfois même en étant déjà dans une situation irrémédiablement compromise. Le débiteur avait le pouvoir de désigner dans sa requête les créanciers envers lesquels il voudrait voir les suspensions des poursuites individuelles s'appliquer en organisant des scénarii. L'absence d'un statut des mandataires judiciaires avait montré des conséquences fâcheuses. Ces dernières consistaient en la violation de plusieurs dispositions de l'AUPC relatives au règlement préventif. On pouvait relever le non-respect du délai de dépôt du rapport de l'expert, qui était de deux (02) mois prorogeable d'un (01) mois au greffe de la juridiction compétente. Le retard dans le dépôt par l'expert de son rapport prolongeait de façon exagérée la durée des suspensions et interdictions des poursuites individuelles et des sacrifices des créanciers. Cet état de fait était de nature à conduire les créanciers dans des difficultés économiques car il fallait recouvrer leurs créances pour payer ensuite leurs propres dettes à l'égard de leurs fournisseurs ou partenaires d'affaires. Cette situation excessive que devraient subir les créanciers s'illustre bien dans deux décisions rendues par des juridictions nationales. En effet, la question de la suspension prolongée des poursuites individuelles s'est posée devant les juridictions ivoiriennes dans l'affaire Nordisk c/ Haidar Bois Exotique. Dans cette affaire, l'expert désigné dans le cadre d'un règlement préventif n'avait pas déposé son rapport pendant dix mois après sa désignation au lieu de trois mois131(*). En l'espèce, Nordisk, créancière, avait saisi le Tribunal pour obtenir annulation de l'ordonnance des suspensions des poursuites individuelles, demande qui lui a été refusée. Un appel a été interjeté contre le jugement du tribunal. La Cour d'appel estimait que les dispositions de l'article 8 et 13-2 anciens ne permettaient pas que le délai imparti à l'expert pour déposer son rapport, excède la durée légale de trois mois132(*). Ainsi, le recours de Nordisk aux fins d'annulation de cette ordonnance a pour conséquence de faire perdurer sa situation inconfortable due à cette décision. Le créancier se retrouverait, de ce fait, victime d'une insécurité juridique et financière pouvant le conduire à l'ouverture, contre lui, d'une procédure collective préventive ou même à sa disparition. L'inobservation du délai de dépôt du rapport s'était produite également dans un autre cas. Il s'agit de l'affaire STA Mali133(*). Pour remédier à ces abus, le législateur a inscrit, parmi ses solutions, l'encadrement de l'intervention des mandataires judiciaires en matière des procédures collectives. Le mandataire judiciaire est « un acteur spécifique » à une procédure collective. En France, jusqu'en 1985, les créanciers du débiteur dont le droit était antérieur à l'ouverture d'une procédure collective, étaient regroupés automatiquement par la loi en une masse, groupement doté d'un patrimoine et de la personnalité morale et représenté par le syndic, chargé de la défense de leur intérêt collectif134(*). Si la notion de masse a été supprimée en France, cette suppression n'a pas emporté celle du mandataire judiciaire qui reste un représentant des créanciers. En Afrique, le droit OHADA a, quant à lui, maintenu la notion de masse et celle de mandataire judiciaire. Ce dernier est un acteur important qu'il a été consacré, pour lui, tout un titre, le tout premier d'ailleurs, dans l'AUPC révisé135(*). Chaque Etat adopte, en tant que de besoin, les règles d'application des dispositions de ce titre. Il prévoit, selon les modalités appropriées, la régulation et la supervision des mandataires judiciairesagissant sur son territoire, au besoin en mettant en placeà cet effet une autorité nationale dont il fixe l'organisation, la composition et le fonctionnement136(*). Sont des mandataires judiciaires au sens de l'AUPC révisé, les experts en règlement préventif et les syndics de redressement judiciaire et de liquidation des biens137(*).Le législateur OHADA a déterminé dans l'AUPC révisé les conditions d'accès et d'exercice de la fonction de mandataire judiciaire, leurs obligations et responsabilité, ainsi que la question de la rémunération. Une lecture des dispositions consacrées aux mandataires judiciaires, permet de relever plusieurs éléments comme des solutions aux défaillances qui étaient constatées dans la conduite des procédures collectives et évoquées plus haut. En effet, il a été soulevé que parmi les causes des dérives des mandataires judiciaires, il y avait lieu de citer non seulement l'absence d'un statutrèglementant cette fonction, mais aussi précisément l'absence des sanctions en l'encontre du mandataire qui ne respecte pas ses obligations138(*), notamment le délai de dépôt de son rapport par l'expert au règlement préventif. Le législateur propose des solutions plus globales à l'égard de ces dérives. En effet, l'accès à la fonction de mandataire judiciaire est soumis à des exigences relatives à la qualité professionnelle du candidat, à sa moralité, celui-ci devant s'inscrire sur la liste nationale des mandataires judiciaires139(*). Dans ce sens, le candidat doit être un expert-comptable ou toute autre professionnel habilité par chaque Etat, avoir le plein exercice de ses droits civils et civiques, n'avoir subi aucune sanction disciplinaire autre que l'avertissement ou une condamnation à des peines privatives de liberté pour un crime de droit commun, ou à une peine d'emprisonnement d'au moins trois mois, non assortie de sursis, et en cas de délit contre des biens ou une infraction en matière économique ou financière qui est incompatible avec l'exercice de la fonction de mandataire judiciaire140(*). L'exigence de la présentation, par le candidat à la fonction de mandataire judiciaire, des garanties de son indépendance, impartialité et de neutralité141(*) justifie la volonté du législateur OHADA d'assurer une bonne exécution de la mission dévolue à cet auxiliaire de justice. Pour faciliter l'existence de ces garanties, il est prévu que « ne peuvent être mandataire judiciaire dans une procédure, les parents ou alliés du débiteur jusqu'au quatrième degré inclusivement, toute personne physique en relation d'affaires, de subordination ou même de conflit avec le débiteur ou les créanciers »142(*). La solution la plus énergique pour empêcher les abus des mandataires judiciaires est la consécration de dispositions édictant des bases juridiques de leur sanction. En effet, le mandataire qui pose des actes contraires à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse s'expose à des poursuites disciplinaires sur une période allant jusqu'à trois ans à compter de la découverte des faits143(*).Les sanctions disciplinaires peuvent aller de l'avertissement au blâme, à la suspension provisoire, à l'interdiction provisoire et la radiation de la liste des mandataires judicaires144(*). En dehors des sanctions disciplinaires, le mandataire judiciaire peut faire l'objet de poursuite en responsabilité civile145(*) devant la juridiction compétente statuant en matière de procédures collectives146(*) ou en responsabilité pénale147(*). En France, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait admis la responsabilité civile d'un mandataire judiciaire, en l'espèce, un liquidateur pour faute d'omission148(*). Il ressort du dispositif de cette décision une censure de l'arrêt d'appel « seulement en ce qu'il avait déclaré irrecevable la demande de la société Bati Lease en paiement de dommages-intérêts au titre de la perte de valeur vénale de l'immeuble fondée sur le défaut de restitution des lieux et la dégradation de l'immeuble après la décision du liquidateur de ne pas poursuivre le crédit-bail » et « en ce qu'il avait rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Bati Lease en réparation de la perte de valeur vénale de l'immeuble en raison de l'absence de réaction du liquidateur à la défaillance de la société Alfagomma et aux propositions alternatives de reprise du site ». Pour la Cour de cassation, les juges d'appel devaient rechercher si l'inaction du liquidateur n'était pas fautive, ce que ceux-ci n'avaient pas fait. L'action en responsabilité civile contre le mandataire judiciaire se prescrit par l'écoulement d'un délai de trois ans à compter de la clôture de la procédure ou de la fin de l'exécution du concordat149(*). Cette règlementation de l'intervention des mandataires permet d'éviter les abus connus sous le règne de l'AUPC de 1998, d'assurer le déroulement des procédures collectives dans des délais très courts prévus par le texte révisé et le respect de ces délais. Ce qui est avantageux pour les créanciers antérieurs. Ils sont plus ou moins protégés contre les risques de détournement des procédures. A côté de l'amélioration apportée aux conditions des créanciers par la mise en place d'un véritable statut des mandataires judiciaires, les créanciers contrôleurs bénéficient d'une place qui a connu une avancée dans la révision de l'AUPC. * 129DELABRIERE (A.), préc., p. 54. * 130 Art 13 alinéa 1er ancien AUPC. * 131 DELABRIERE (A.), « L'article 11 de l'Acte uniforme sur les procédures collectives : outil de sauvegarde ou de discrimination ? », Penant n° 870, p. 57. * 132Cour d'appel d'Abidjan, Chambre civile et commerciale, arrêt n°53, 1er Avril 2005, Penant 864, p.363, note Bakary Diallo. * 133 V. T. com. Bamako, jugement n° 113 du 2 mars 2005, V. obs. sous art. 13 AUPC révisé. * 134 PERONCHON (F.),
BONHOMME (R.), Entreprises en difficulté, Instruments de
crédit et de * 135 Le titre premier de l'AUPC révisé « Des mandataires judiciaires » compte en tout sept (07) chapitres. * 136 Art. 4 AUPC révisé. * 137 Art 4-1 AUPC révisé. * 138 V. obs. sous l'article 13 AUPC révisé, in Code Ohada Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope 2016, p. 1174. * 139 TCHOMTE (E.), préc. * 140 Art. 4-2 AUPC révisé. * 141 Art 4-4 alinéa 1er AUPC révisé. * 142 Art. 4-4 alinéa 2 et 3 AUPC révisé. * 143 WAMBO (J.), préc. * 144 Art. 4-9 alinéa 1er AUPC révisé. * 145 Art. 4-12 AUPC révisé. * 146 Art. 4-13 AUPC révisé. * 147 V. obs. Sous l'article 243 AUPC révisé, V. aussi introduction au chapitre V du titre I de l'AUPC révisé. * 148 Cass. com. Fr., 6 mars 2019, 17-20-545, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038238578, consulté le 11 mars 2022 à 21H30. * 149 Art. 4-13 in fine AUPC révisé. |
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