Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADApar Ganiyou BOUSSARI Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022 |
SECTION II : DES PISTES DE SOLUTIONS POUR UNE MEILLEURE AMELIORATION DE LA SITUATION DES CREANCIERSLa recherche de solutions à un problème passe par le diagnostic de celui-ci. C'est ce qui a été le cas pour tous les développements qui précèdent cette phase. Les insuffisances de la protection des intérêts des créanciers passés en revue dans le cadre de notre réflexion, les enjeux ne sont plus cachés. Le besoin de renforcement de la protection des créanciers dans le sauvetage des entreprises au sein de l'OHADA se fait sentir. La recherche de ce renforcement de protection des créanciers est justifiée (Paragraphe 1). Pour permettre l'atteinte des objectifs voulus par le législateur dans la quête du sauvetage des entreprises en difficulté, le renforcement souhaité de la prise en compte des intérêts des créanciers, eux aussi, opérateurs économiques ou entreprises sous plusieurs formes doit s'orienter dans un cadre (Paragraphe 2) général puis dans un cadre spécifique. PARAGRAPHE 1 : LA JUSTIFICATION DE LA RECHERCHE D'UN RENFORCEMENT DE PROTECTION DES CREANCIERSLa recherche d'un renforcement de la prise en compte des intérêts des créanciers rencontre un besoin qui s'observe à travers des données juridico-économiques (A) et des faits ayant marqué la crise sanitaire liée à la covid-19 (B). A- Un besoin de renforcement de protection des créanciers nécessité par des données juridico-économiquesPlusieurs données justifient la nécessité de booster la protection des intérêts des créanciers. Elles sont d'ordre juridique et statistique. En effet, sur le plan de la législation,le paragraphe 5 du préambule du traité OHADA dispose que « Conscients qu'il est essentiel que ce droit soit appliqué avec diligence, dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l'essor de celles-ci et d'encourager l'investissement ». Le droit communautaire se fixe ainsi comme objectifs, à travers cette disposition, de garantir la sécurité juridique des activités économiques et encourager l'investissement. La réalisation de ces objectifs ne pourrait être effective si les procédures collectives n'assurent pas une meilleure protection des créanciers. Par ailleurs,la nécessité de renforcementde la protection des créanciers trouve également son fondement dans l'AUPC révisé. Ainsi, l'article 1er, point 1 du ce texte regorge des éléments qui montrent l'idée de justice qui imprègne la philosophie du législateur OHADA. Cet article dispose que « Le présent Acte uniforme a pour objet : d'organiser les procédures préventives de conciliation et de règlement préventif ainsi que les procédures curatives de redressement judiciaire et de liquidation des biens afin de préserver les activités économiques et les niveaux d'emplois des entreprises débitrices, de redresser rapidement les entreprises viables et de liquider les entreprises non viables dans des conditions propres à maximiser la valeur des actifs des débiteurs pour augmenter les montants recouvrés par les créanciers et d'établir un ordre précis de paiement des créances garanties ou non garanties ». Il ressort de la disposition précitée que le législateur a voulu prendre en compte à la fois les intérêts des débiteurs et ceux des créanciers, même s'il apparait que les premiers sont privilégiés au détriment des seconds. En clair, la prise en compte effective des objectifs du législateur OHADA suppose que les règles régissant les procédures collectives dans cet espace communautaire doivent être centrées sur le souci de « préserver les activités économiques et les niveaux d'emplois des entreprises débitrices » dans les conditions propres à maximiser la valeur des actifs du débiteur pour « augmenter les montants recouvrés par les créanciers et d'établir un ordre précis de paiement des créances garanties ou non garanties ». Ainsi, le législateur met l'accent sur la nécessité de préserver les activités économiques en privilégiant des solutions tendant à sauvegarder les entreprises en difficulté qui ont encore des chances de survie. Il manifeste, en outre, son désir de tenir compte des intérêts des créanciers dans les procédures de sauvetage, mais tout en les rendant dépendant de la situation du débiteur. Cette disposition semble donc préjudiciable aux créanciers car elle se soucie plus du débiteur que du créancier. Une doctrine fait remarquer qu' « il était crucial de trouver un juste équilibre entre la liquidation des biens et le redressement des entreprises. Le choix de la sauvegarde de l'activité sera donc désormais encouragé au détriment de la liquidation des biens lorsque cette sauvegarde est à même de maximiser la valeur de l'entreprise pour la société en général (aspects économiques et sociaux) et les créanciers en particulier »238(*).Mais cet équilibre ne milite pas assez en faveur des créanciers qui sont renvoyés en dernière position. Les développements effectués plus haut en témoignent plus amplement. Le besoin de renforcer la protection des intérêts des créanciers s'illustre également par des fermetures des entreprises et des pertes d'emplois subséquentes. Aussi, une analyse des statistiques dans quelques Etats parties de l'OHADA démontre le besoin de rendre plus efficaces les dispositions de l'AUPC révisé. Il s'agit d'évoquer le nombre des entreprises qui ont fermées leurs portes et le nombre des emplois perdus d'une période à une autre dans les Etats parties dont le Sénégal et le Togo. En effet, au Sénégal, les déclarations de fermeture sont passées de 252 en 2014 à 273 en 2015,soit une détérioration de 8,3%239(*). En ce qui concerne les pertes d'emplois enregistrées par ces fermetures d'entreprises, une hausse a été également observée. En effet, en 2015 les fermetures ont entrainé 1396 pertes d'emplois soit une dégradation de 44.5% entre 2014 et 2015240(*). Il en découle « une perte moyenne de 5 emplois pour chaque établissement fermé en 2015 contre 3,8 emplois perdus par établissement fermé en 2014. Ce qui montre que les établissements fermés en 2015 étaient de taille relativement plus importante »241(*). Pour l'année 2016, le rapport annuel des statistiques du travail présente des résultats qui font état des données relatives aux établissements fermés.Ces résultats révèlent que 263 unités ont été fermées au cours de l'année 2016. Cet effectif est composé de 152 établissements ayant notifié une cessation d'activité (57,8%) et 111 établissements ayant déclaré une fermeture (42,2%)242(*). Ces déclarations de fermeture ne sont pas sans conséquence sur les emplois. En effet, de ces déclarations résultent 1099 pertes d'emplois. Il s'agit plus précisément de 556 emplois perdus, soit 50,6%, suite aux cessations d'activités et 543 emplois perdus, soit 49,4%, suite aux fermetures d'établissements243(*). Sous l'angle de la moyenne d'emplois perdus par établissement, on note 3,7 emplois perdus par établissements ayant déclaré une cessation d'activité et 4,9 emplois perdus par établissement fermé définitivement, ce qui fait une moyenne globale de 4,2 emplois perdus par établissement fermé244(*). Les résultats des statistiques en 2017 montrent la situation des emplois perdus en 2017 suite aux cessations d'activités et fermetures d'établissements qui ont été enregistrées. Il est à noter que dans la rubrique « établissements fermés », sontprises en compte les données relatives aux cessations d'activités et aux fermetures d'établissements. Pour ces entreprises qui sont au nombre de 275, les pertes d'emplois s'élèvent à 1764. Comparé à 2016, on note une augmentation des fermetures d'établissements de 4,5% ainsi que des pertes d'emplois de 60,5%. En effet, en 2016, 263 établissements ont été déclarés fermés, avec 1099 emplois perdus245(*). En ce qui concerne l'année 2018, les « établissementsfermés » et les pertes d'emplois notés sont respectivement 242 et 1 941 faisanten effet un ratio de 8 emplois perdus par établissement fermé. Par rapport à 2017, les« établissements fermés » ont diminué de 12,0% contrairement aux pertes d'emplois quiont connu une hausse de 10,0 %246(*). Les fermetures d'entreprises et les pertes d'emplois ont bondi respectivement à 280 et 1969 en 2019247(*), et ont connu une légère diminution en 2020 par rapport à l'année précédente, faisant état de 233 pour les premières et 1662 pour les secondes248(*). L'évolution des statistiques sur les fermetures des entreprises et les pertes d'emplois au Sénégal entre 2015, année de révision de l'AUPC et 2020, se présente en dent de scie faisant ainsi apparaitre une instabilité économique et sociale. Ces résultats démontrent que la disparition des entreprises dans l'espace OHADA peine à être maitrisée. Cette tendance étaitobservée de par le passé au Togo. Au Togo, un rapport sur la survie potentielle et réelle des entreprises pour la période de 2010 à 2015, laissait apparaitre que les entreprises ne manquaient pas de disparaitre provoquant une grande perte économique pour les Etats parties à l'OHADA. En effet, De 2010 à 2015, 70 % des entreprises créées étaient encore en activité. Sur les 40 831entreprises créées de 2010 à 2015 au Centre des Formalités des Entreprises (CFE), 30 %(12 249 entreprises) n'étaient plus en activité. C'est finalement près de 1/3 des promoteursd'entreprises qui avaient dû se résoudre à liquider leur entreprise ou à la céder à un autreexploitant249(*). Au regard de ces données économiques, il est à noter que l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives et d'apurement du passif n'a pas encore réussi à endiguer les disparitions des entreprises et par ricochet, les pertes d'emplois dans l'espace OHADA. Les entreprises des créanciers n'étant pas épargnées des risques de disparition du fait des sacrifices qui leurs sont presque systématiquement imposés par la loi, méritent de bénéficier beaucoup plus d'un regard attentif de telle sorte qu'en voulant sauvegarder un débiteur en difficulté, on ne finisse pas par créer de nouvelles victimes pouvant conduire à la disparition de grandes entreprises, qualifiées ainsi du fait de leur taille économique et du nombre d'emplois qu'elles ont créés. Par ailleurs, le besoin de renforcement de la protection des créanciers est accentué par les récentes expériences de la crise sanitaire liée à la covid-19, qui avait favorisé la liquidation de plusieurs entreprises250(*). * 238 SAWADOGO (F. M.), op. cit., p. 1111. * 239 Ministère du travail, du dialogue social, des organisations professionnelles et des relations avec les institutions du Sénégal, « Rapport annuel des statistiques du travail 2015 », p. 28, https://travail.sec.gouv.sn/sites/default/files/DSTE_rapport%20final_2015.pdf, consulté le 27 mars 2022 à 00H24. * 240 Ibid. * 241 Ibid. * 242 V. Rapport annuel des statistiques du travail 2016 du Sénégal, p. 32, http://www.statsenegal.sn/rapports-d-activites-de-la-dste/item/download/60_896c191371791c2109a65aac1b28e76e.html, consulté le 27 mars 2022 à 01H02 * 243 Ibid. * 244 Ibid. * 245 V. le rapport annuel des statistiques du travail en 2017 au Sénégal, p. 30, https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.dgtss.gouv.sn/sites/default/files/rrapport_annuel_statistiques_du_travail_2017__0.pdf&ved=2ahUKEwjj4uG5n873AhXv7rsIHQp6AwQQFnoECAgQAQ&usg=AOvVaw2HWdjghfHzB7Qv0NZivjW3, consulté le 27 mars 2022 à 01H 28. * 246 V. Rapport annuel des statistiques du travail 2018 au Sénégal, p. 38, https://www.dgtss.gouv.sn/fr/mediatheque/documents/rapports-statistiques, consulté le 15 juin 2022 à 23H02. * 247 V. Rapport annuel des statistiques du travail 2019 au Sénégal, https://www.dgtss.gouv.sn/fr/mediatheque/documents/rapports-statistiques, consulté le 15 juin 2022 à 23H05. * 248 V. Rapport annuel des statistiques du travail 2020 au Sénégal, V. lien précédent, consulté le 15 juin 2022 à 23H10. * 249 Centre de formalités des entreprises du Togo, « Etude sur la survie des entreprises eu Togo », p. 17, https://www.cfetogo.tg/etude/RAPPORT_CFE.pdf, consulté le 27 mars 2022 à 02H07. * 250 Togofirst, « Togo : la facture de la covid-19 sur les entreprises », publié le 14 septembre 2020, § 1er et 5, https://www.togofirst.com/fr/gouvernance-economique/1409-6236-togo-la-facture-de-la-covid-sur-les-entreprises consulté le 19 Juin 2022 à 20H10. |
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