Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADApar Ganiyou BOUSSARI Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022 |
B- Un manque de clarté dans la prise en compte des intérêts des créanciersL'AUPC révisé, dans la recherche de sauvetage des entreprises, a majoritairement opté de sacrifier les droits des créanciers antérieurs. En ce sens, il a prévu un système dans lequel il reconnait au juge le pouvoir d'imposer le contenu des accords concordataires aux créanciers qui refusent de consentir tout délai de grâce ou toute remise au débiteur en difficulté. Par ailleurs, dans certains cas où le législateur a manifesté une volonté de considérer les intérêts des créanciers, il semble avoir manqué de clarté. En effet, il résulte de l'article 15 alinéa 1er, paragraphe 2 que lorsque la situation du débiteur le justifie, la juridiction compétente homologue le concordat préventif, en constatant les délais et remises consentis par les créanciers et en donnant acte au débiteur des mesures proposées pour le redressement de l'entreprise. Les délais et remises consentis par les créanciers peuvent être différents. Ainsi, par principe l'octroi des délais et des remises de dettes sont l'affaire des parties aux négociations en vue de la conclusion du concordat préventif. Cette disposition est conforme à la théorie contractuelle de l'autonomie de la volonté qui veut que l'on s'engage parce qu'il l'a voulu207(*). Le principe de l'autonomie de la volonté a pour conséquence la nullité de l'accord lorsque le contractant a commis une erreur excusable ou a donné son consentement sous l'effet d'une violence ou d'un dol qui consiste à utiliser des tromperies et des manoeuvres frauduleuses pour obtenir le consentement d'un cocontractant208(*). Il peut arriver que certains créanciers refusent de consentir des délais et remises au débiteur. Sur cette question, l'article 15 alinéa 4 prévoit qu'au cas où des créanciers auraientt refusé de consentir des délais ou remises au débiteur, le président de la juridiction compétente fait ses bons offices entre ces créanciers et le débiteur. Il entend ces derniers sur les motifs de leur refus et provoque une négociation entre les parties en vue de leur permettre de parvenir à un accord. Cette tentative du juge peut ne pas produire l'effet escompté et les nouvelles négociations peuvent ne pas aboutir à un accord entre ces créanciers qui ont refusé de consentir des délais ou remises et leur débiteur. La solution prévue par le législateurà cet échec est une manifestation de l'impérium du juge. En effet, si malgré les bons offices du président de la juridiction compétente, les parties ne parviennent pas toujours à un accord et dans le cas où le concordat préventif comporte seulement une demande de délai n'excédant pas deux (02) ans, la juridiction compétente peut rendre ce délai opposable aux créanciers qui ont refusé tout délai et toute remise sauf si ce délai met en péril l'entreprise de ces créanciers209(*). Cette disposition porte ainsi atteinte non seulement au principe de l'autonomie de la volonté, mais également au principe de l'effet relatif des contrats210(*). Par ailleurs, elle est aux contours flous dans la mesure où le texte qui consacre cette solution garde le silence sur le sort des créanciers qui ne peuvent pas se voir opposer des délais auxquels ils n'ont pas consentis du fait du risque de péril que leur acceptation pourrait avoir sur leurs propres entreprises. Toute analyse nous conduirait à n'émettre que des présomptions. Ainsi, l'on pourrait penser que les créanciers qui auront refusé tout délai ou toutes remises ont le droit d'exercer des actions en recouvrement de leurs créances puisque que le délai des deux (02) ansne leur sera pas opposable. Dans ce cas, le débiteur qui vient de bénéficier d'un concordat préventif peut se retrouver en cessation des paiements, voire en situation irrémédiablement compromise. D'où il est intéressant de remarquer que l'objectif de sauvetage des entreprises en difficulté recherché au mépris des droits des créanciers n'est pas facile à atteindre. On retrouve également le pouvoir du juge de rendre opposable les délais aux créanciers qui refusent de consentir tout délai ou remise dans d'autres dispositions de l'AUPC révisé, notamment dans le cadre du redressement judiciaire. En effet, l'article 134 alinéa 2 AUPC révisé dispose que toutefois, les créanciers bénéficiant de sûretés réelles spéciales ne sont obligés que par les délais et remises particuliers consentis par eux ; si le concordat de redressement judiciaire comporte des délais n'excédant pas deux (02) ans, ceux-ci peuvent leur être opposés si les délais par eux consentis sont inférieurs. Il découle de l'analyse de ces différentes dispositions que l'opposabilité ne concerne que les délais et non les remises. En ce sens, la CCJA a dans un arrêt retenu ce qui suit : « Attendu qu'il ressort des pièces du dossier que la BICICI s'est toujours opposée à la remise des dettes de 80·% proposée dans le concordat ; qu'elle a soutenu que c'est le délai de deux ans qui lui est opposable en cas de refus d'acceptation du concordat ; que conformément à l'article 15.2 de l'Acte uniforme sus indiqué, à l'exception du délai de deux ans qui lui est opposable, la BICICI n'est pas tenue d'accepter la remise proposée dans le concordat, celui-ci ne lui étant pas opposable ; qu'il convient donc d'infirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a rendu la remise opposable à la BICICI et dire que seule la durée de deux ans du concordat est opposable à la BICICI laquelle n'a pas accepté la remise proposée par le débiteur. »211(*) Mais la différence avec l'opposabilité des délais dans le règlement préventif est que dans le redressement judiciaire, cette opposabilité est systématique dans la mesure où elle n'est pas conditionnée par l'absence de péril pour les créanciers212(*). C'est dire que dans le redressement judiciaire, le juge pourrait imposer aux créanciers des délais de grâce demandés par le débiteur dans le projet de concordat et qui n'excèdent pas deux ans alors même que cette décision peut mettre en péril les entreprises des créanciers. Au-delà du déséquilibre de protection relevé et qui est au détriment des créanciers, la subordination des créanciers à une discipline collective semble incompatible avec les objectifs de sauvetage des entreprises en droit OHADA. * 207 Art. 42 COCC. * 208 Art. 61 à 64 COCC. * 209 Art. 15 alinéa 5 AUPC révisé. * 210 Art. 96 COCC. * 211 CCJA, arrêt n°026/2015 du 9 avril 2015, affaire BICICI C/ Société DELBAU, https://guilaw.com/cour-commune-de-justice-et-darbitrage-chambre-3-arret-n-026-2015-du-09-avril-2015, consulté le 5 janvier 2023 à 20H30. * 212 Art. 134 alinéa 2 AUPC révisé. |
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