Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADApar Ganiyou BOUSSARI Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022 |
B- La particulière amélioration de la situation de certaines catégories de créanciersCertaines catégories de créanciers que sont les créanciers postérieurs et les revendiquants (créanciers propriétaires de biens meubles)bénéficient de protections spéciales qui n'ont pas échappé à l'attention du législateur OHADA dans la révision de l'AUPC. En effet, les créanciers postérieurs sont ceux dont les droits sont nés régulièrement après la décision d'ouverture, de lacontinuation de l'activité et de toute activité régulière du débiteur ou du syndic. Ils bénéficient du privilège d'être payés en premier lieu car leurs prestations sont présuméesavoir profité à la masse ou au débiteur en désarroi. L'existence de ces créanciers n'a rien d'étonnantà partir du moment où la masse est dotée de la personnalité morale et possède un patrimoine,il est tout à fait normal qu'apparaissent des créanciers qui auront pour gage l'actif de cepatrimoine174(*). Le privilège accordé aux créanciers postérieurs est un privilège de l'argent frais connu sous le vocable de « new money ».Ce privilège était méconnu du droit des procédures collectives OHADA jusqu'en 1998. C'est avec la révision de l'AUPC de 2015 qu'il fit son entrée en droit OHADA qui s'est inspiré du droit français175(*). On le retrouve aussi bien dans les procédures préventives que dans les procédures curatives. Ainsi, le privilège de new money est prévu dans le cadre de la procédure de conciliation176(*), du règlement préventif177(*), du redressement judiciaire et de la liquidation des biens par conversion178(*). Le privilège de new money est un privilège accordé aux créanciers postérieurs, qui consentent un nouvel apport en trésorerie ou fournissent un bien ou un service en vue d'assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise débitrice et sa pérennité. Il consiste pour le créancier bénéficiaire de ce privilège de passer en premier rang lors du paiement des créanciers179(*), notamment en cas de liquidation des biens. Il apparait en effet que le privilège de l'argent frais concourt à la réalisation de l'objectif de sauvetage des entreprises en situation économique ou financière difficile, en passant par une incitation des créanciers à investir dans une entreprise qui connait des difficultés.Il en irait autrement en l'absence de l'intervention du législateur puisqu'il est difficilepour un bailleur de fonds ou un fournisseur d'accepter de mettre son argent ou son bien à la disposition d'un débiteur potentiellement insolvable. Cette idée est d'autant plus logique en ce sens qu'un investisseur ne vise qu'à réaliser des profits les plus élevés possibles. Il n'agit que lorsqu'il obtient des garanties de paiements ou de remboursement de ses mises. Le privilège de new money est donc une contrepartie du risque que prennent des créanciers pour aider le débiteur en difficulté à revenir à meilleure fortune180(*). Un auteur affirme en ce sens que « Ce mécanisme est celui de la continuation du paiementdes créances postérieures, lesquelles sont présumées souscrites dans l'intérêt del'entreprise. »181(*). Toutefois, pour être pris en compte dans l'homologation des accords qui interviennent en matière des procédures prévues par l'AUPC révisé, le privilège de l'argent frais ne doit pas porter atteintes aux intérêts des créanciers parties à un accord amiable ou concordataire182(*). C'est là une limite au privilège accordé aux créanciers postérieurs qui en remplissent les conditions. S'agissant du revendiquant, il est le propriétaire qui a vendu à crédit son bien meuble au débiteur, qui a fait ensuite l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens. Les biens pouvant être revendiqués ont fait l'objet d'une délimitation par la loi. Il faut d'entrée relever que les immeubles sont exclus du champ du droit à revendication reconnu au propriétaire. La revendication concerne les effets de commerce ou autres titres non payés qui ont été remis par le propriétaire pour être spécialement affectés à des paiements déterminés183(*). Ainsi, pour être susceptibles de revendication, ces effets de commerce ou titres doivent exister en nature dans le portefeuille du débiteur, ils ne doivent pas faire l'objet d'un paiement et doivent avoir été remis pour être spécialement affectés à des paiements déterminés. Il faut préciser pour la dernière condition que les effets de commerce ne doivent pas avoir fait l'objet d'un endossement translatif. Peuvent aussi être revendiqués, des marchandises et objets mobiliers remis au débiteur soit pour être revendus pour le compte du propriétaire, soit à titre de dépôt, de mandat, de prêt ou de location ou tout autre contrat à charge de restitution. Ici, encore les biens visés doivent exister en nature dans le patrimoine du débiteur à la date de l'ouverture de la procédure collective184(*). Quant à la procédure de revendication, il existe également des conditions à respecter par le revendiquant. En effet, la revendication des meubles ne peut être exercée que dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours suivant la deuxième insertion de la décision d'ouverture de la procédure collective (redressement judiciaire ou liquidation des biens), dans un journal d'annonces légales de l'Etat partie concerné185(*). La demande en revendication d'un bien visé par la loi, est faite dans ce délai, au syndic par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen laissant trace écrite186(*). Le syndic a la possibilité d'acquiescer à la demande amiable qui lui est faite. Cela traduit la volonté du législateur OHADA de simplifier la procédure de revendication. Cependant, le revendiquant est dispensé de l'observation de ce délai si le contrat ayant pour objet le bien revendiqué a été publié. Cette dispense est systématique dans le cadre d'une vente assortie de réserve de propriété car celle-ci doit nécessairement être publiée pour être opposable aux tiers187(*). En pareille hypothèse, même en l'absence d'une demande préalable en restitution faite au syndic, le juge-commissaire peut être saisi à cette même fin par le syndic. S'il arrivait que le syndic refuse ou s'il ne répond pas à la demande en restitution amiable dans un délai de trente (30) jours à compter de la réception de ladite demande, le revendiquant a la possibilité de saisir le juge-commissaire d'une action en revendication dans un délai de trente (30) jours qui court à « compter de l'expiration du premier délai ou de ce refus »188(*). Si le syndic refuse avant l'expiration du délai de trente (30) jours qui lui est normalement imparti pour répondre, le délai court à compter de ce refus. Cette fixation du point de départ du délai de saisine du juge-commissaire, à la date du refus opposé par le syndic au propriétaire, est soucieuse d'une certaine rapidité dans la procédure collective. Le fait que la demande en revendication ne se limite pas au syndic et peut être effectuée jusqu'à devant le juge compétent traduit la volonté du législateur OHADA à réserver un traitement spécial aux créanciers propriétaires et leur importance dans la survie des entreprises. Ces derniers jouissent ainsi des avantages que les créanciers non-propriétaires ne peuvent bénéficier. Une fois que le juge-commissaire est saisi, il statue par voie d'ordonnance dans un délai de huit (08) jours qui part de sa saisine et son ordonnance est déposée au greffe qui la communique au syndic et la notifie aux parties. Le juge-commissaire doit également faire communiquer sans délai son ordonnance au ministère public189(*). Cette ordonnance du juge-commissaire est susceptible de faire l'objet d'un recours, dans un délai de huit (08) jours à compter de sa notification ou sa communication, devant le tribunal compétent qui doit statuer à la première audience utile, les intéressés et le syndic avisés. La protection des vendeurs à crédit de meubles a été amplifiée par la réforme de l'AUPC originel.En effet, l'article 78 alinéa 1erAUPC révisé impose aux créanciers dont les créances sont nées antérieurement à la décision d'ouverture d'une procédure collective, exception faite des créances d'aliments, de produire leurs créances. Cet article dispose en effet qu'à partir de la décision d'ouverture du redressement judiciaire ou de liquidation des biens et jusqu'à l'expiration d'un délai de soixante (60) jours suivant la deuxième insertion dans un journal d'annonces légales de l'Etat parti concerné tel que défini à l'article 1-3 ci-dessus, tous les créanciers composant la masse, à l'exception des créanciers d'aliments, doivent, sous peine de forclusion, produire leurs créances auprès du syndic. En effet, l'ancien article 101 alinéa disposait que « les actions en revendication ne peuvent être reprises ou exercées que si le revendiquant a produit et respecté les formes et délais prévus par les articles 78 à 88 ci-dessus. ». Mais avec la révision de 2015, cette disposition a été abrogée. Désormais, l'obligation de produire les créances ne s'applique pas au revendiquant. Il n'y a aucune raison de lier ces deux formalités que sont la production de créance et la revendication car elles ont des objets différents. En effet, la revendication a pour objet de faire reconnaître le droit de propriété de la créance tandis que la production vise à rendre la créance opposable à la procédure190(*). En pratique, il est probable que le propriétaire ne se limite pas à revendiquer son bien, mais procédera à la production de sa créance pour le cas où la revendication échouerait191(*). Cette pratique n'est pas nouvelle parce qu'elle existait et était reconnue par la doctrine sous l'empire de l'AUPC du 10 avril 1998. Le propriétaire étant avant tout un créancier du prix du bien vendu, il devait intégrer la masse des créanciers et avait de ce fait, l'obligation de produire sa créance. En cela, un auteur avait relevé que l'obligation de production pèse sur tout créancier dont le droit est antérieur au jugement de la procédure collective. Créancier du prix, le propriétaire devait produire et indiquer s'il entend exercer une action en revendication192(*). Depuis la réforme de l'AUPC, il n'est plus question d'une obligation de production de créance, mais une faculté reconnue au propriétaire d'un bien qui se trouve en possession du débiteur qui fait l'objet d'une procédure collective. La recevabilité de la demande en revendication est subordonnée au respect du délai prévu à l'article 101 de l'AUPC révisé. Cet article dispose que « Nonobstant les dispositions du présent acte uniforme, la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de quatre-vingt-dix (90) jours suivant la deuxième insertion de la décision d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens dans un journal d'annonces légales de l'Etat partie ». Le législateur impose ce délai afin de permettre aux organes de la procédure d'avoir une connaissance rapide de l'actif du débiteur et des biens susceptibles d'être revendiqués. En résumé, la situation des créanciers postérieurs et des vendeurs de meubles a été améliorée à travers l'introduction des nouveautés et différentes modifications des dispositions de l'AUPC originel. Toutes ces tentatives pour revaloriser les conditions des créanciers en général, à travers la révision de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif, n'ont pas réussi à faire disparaitre des entorses graves aux droits des créanciers. Ainsi, la situation des créanciers reste perfectible dans unsouci d'assurer le sauvetage des entreprises dans l'espace communautaire OHADA. * 174 BATHILY (D.), préc., n° 36, p. 18. * 175 AKONO ADAM (R.), « Les clairs-obscurs du régime de faveur des créances postérieures en droit OHADA des procédures collectives », n° 4, Penant 890, Janvier Mars 2015, p. 76. * 176 Art. 5-11 AUPC révisé. * 177 Art. 11-1 et 15 AUPC révisé. * 178 Art. 33-1 AUPC révisé. * 179 V. art. 166 AUPC révisé pour la répartition des prix provenant de la réalisation des biens immobiliers et l'article 167 du même texte pour la réalisation des biens meubles du débiteur. * 180 V. obs. sous AUPC révisé, art. 166. * 181 SALEY SIDIBE (H.), Le sort des créances postérieures en droit français et en droit de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Thèse, Université de Nice Sophia Antipolis, 2013, n° 21, p. 17. * 182 5-11 alinéa 5 AUPC révisé. * 183 Art. 102 AUPC révisé. * 184 Art. 103 AUPC révisé. * 185 Art. 101 AUPC révisé. * 186 Art. 101-1 alinéa 1er AUPC révisé. * 187 Art. 74 AUS. * 188 Art. 101-1 alinéa 3 AUPC révisé. * 189 Art. 101-1 alinéa 4 AUPC révisé. * 190 V. obs. sous AUPC révisé, art. 101. * 191 Ibid. * 192 NGOM (M.), « La situation du propriétaire dans le droit OHADA des procédures collectives d'apurement du passif », Revue Sénégalaise de Droit des Affaires, éd. 2011, p. 34 et ss. ; V. www.ohada.com, Ohadata D-12-54. |
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