4. Quelles perspectives en termes de méthodes de
production ?
La production de cerises est aujourd'hui menacée par de
multiples facteurs. Que ce soient les conditions climatiques moins favorables
aux cycles des arbres fruitiers ou l'émergence de nouveaux
bioagresseurs, les conséquences sont de plus en plus
problématiques et le devenir de certains producteurs de cerises restent
incertain. La politique de réduction des produits phytosanitaires
survenant récemment est aussi au centre des préoccupations
puisqu'elle n'a pas les mêmes conséquences en fonction du type de
production, dans le cas de la cerise des autres moyens de luttes coûteux
sont devenus indispensables. D'autant plus que la main-d'oeuvre est à
moindre coût dans certains pays importateurs.
Voici quelques indications concernant les
caractéristiques du verger Français. En 2015, environ 60% des
superficies possédaient un enherbement sur l'inter-rang de nature
permanente mais aussi possiblement semé, 25% des superficies
étaient totalement enherbées contre 20% qui ne possédaient
aucun enherbement. On note également le passage de 3 tontes par an en
2015. Pour ce qui est de l'irrigation, 59% des terres étaient
irriguées en 2015 avec le goutte-à-goutte comme technique
majoritaire, suivie de l'aspersion et du micro-jet. Ensuite les traitements
phytosanitaires réalisés en 2015 étaient de l'ordre de 9,4
sur l'année, dominés par les traitements fongicides et
bactéricides. Les apports en azote, potasse et en phosphore doivent se
faire comme suit (Tableau 3) entre l'installation du verger et la production de
fruits.
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Tableau 3 : Les apport en vergers de cerisiers ( source :
Institut technique de l'arboriculture fruitière et de la vigne)
En prenant en compte les disparités régionales,
les Pays-de Loire/ Centre présentent le plus fort taux de traitements
annuels en 2015 avec 14,6 applications sur l'année suivie de
Midi-Pyrénées et d'Auvergne Rhône Alpes (ANNEXE H). Ces 3
régions présentent également un taux de traitements
fongicides-bactéricides supérieurs à la moyenne nationale
car elles sont plus fortement impactées par l'humidité, ce qui
augmente le risque de développement de maladies (Serrurier,2019).
Pour la mise en place des traitements, les producteurs de
basent sur plusieurs facteurs tels que l'observation directe au niveau de leurs
cultures, la prise en compte des conseils reçus par les fournisseurs,
les techniciens de conseils ainsi que le bulletin de surveillance émis
par le SRAL (Service Régional à l'Alimentation) mais
également avec les prévisions météorologiques et
les pratiques historiques.
Outre les traitements phytosanitaires, d'autres types de
luttes étaient utilisés par 70% des arboriculteurs
français en 2015. En termes de luttes contre les maladies fongiques et
les bactérioses, on peut citer le choix des porte-greffes pour leur
résistance vis-à-vis de certaines maladies ainsi que la taille en
vert permettant d'aérer les vergers. De manière plus marginale,
certains arboriculteurs procèdent à l'enlèvement des
parties et des pousses infectées. En ce qui concernait les luttes
alternatives telles que le piégeage massif ou les filets
anti-insectes,
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celles-ci-étaient encore très marginales en
2015. Cela s'explique par le coût important et la difficulté
d'obtenir une rentabilité à court ou moyen terme. Cependant on
notait qu'environ 7O% des arboriculteurs pratiquaient le suivi des pressions
des ravageurs pour la mouche de la cerise Rhagoletis Cerasi, Drosophila
Suzukii et les pucerons. D'autre part, pour environ 1/4 des exploitations,
un travail d'aménagement d'habitats ou d'apport en nourriture pour les
auxiliaires de cultures a été mis en place en 2015
(Serrurier,2019).
A l'avenir, la filière Française de la cerise va
devoir se mobiliser en se transformant à plusieurs échelles. Face
aux ravageurs émergents, il apparait aujourd'hui comme un consensus que
l'utilisation de produits phytosanitaires ne sera pas appropriée pour
garantir l'avenir de cette filière (Chauveau,2016). D'autant plus, que
depuis le bannissement du diméthoate, l'une des molécules les
plus efficaces contre la Drosophile Suzuki certains producteurs sont inquiets
puisque seulement 7 produits sont autorisés pour le traitement de la
cerise dont un seul en agriculture biologique. Il s'agit donc d'agir à
d'autres niveaux. Une des solutions mise en avant est d'augmenter la distance
entre les arbres pour diminuer l'humidité présente dans le
verger. Certains producteurs se tournent également vers une utilisation
d'argile permettant de recouvrir les fruits pour les protéger des
piqûres, bien que l'efficacité de cette solution soit largement
contestée. D'autant plus qu'un rinçage est nécessaire car
le fruit est recouvert d'une pellicule blanche qui n'attire pas le
consommateur, ce qui implique un coût supplémentaire. (Figure
16)
Figure 16 : Argile destinée à la lutte contre
la mouche de la cerise et de l'olive (source : greenweez)
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Il semble aussi que l'augmentation du piégeage massif
soit une piste envisageable. De récentes études ont
démontré que contrairement à d'autres insectes comme les
papillons la Drosophila Suzukii ne se prêtait pas à la
confusion sexuelle. Elle utilise en revanche son odorat pour reconnaitre les
kairomones présentes dans l'odeur dégagée par les fruits.
L'utilisation de pièges dégageant des kairomones
synthétiques semblables est donc un défi actuel. Des travaux de
l'INRAE portent également sur la mise en place d'agro-systèmes
moins propices aux développements de certains ravageurs et sur leur
position majoritaire dans le verger, ce qui pourrait accroitre
l'efficacité du piégeage massif. La lutte contre les nouveaux
ravageurs émergents doit se faire avec une multitude de techniques,
c'est en les combinant que nous pouvons nous attendre à des
résultats efficaces et concluants.
La protection physique est aujourd'hui la méthode de
protection la plus efficace contre la Drozophila suzukii. Il s'agit de
filets insect-proof (anti-insectes) qui recouvrent chaque rang du verger
(Figure 17). Pour être efficaces, la maille doit être
<=1mm2 pour éviter le passage des insectes. Ils
représentent des coûts très élevés aussi bien
à l'achat que pour leur mise en place. Les producteurs qui investissent
dans cette technique, couplent souvent le filet à des bâches de
protection anti-pluies limitant l'éclatement des cerises. En effet, il
faut compter 100 000 euros/ha pour avoir un verger protégé contre
les ravageurs et tous les aléas climatiques confondus (Rabut,2022). On
se dirige donc vers une production de cerises qui tend à être plus
coûteuse avec la mise en place de protections physiques, mais
également plus spécialisée. Le nombre de producteurs va
peut-être diminuer dans les années à venir pour laisser
place à ceux qui seront le plus en capacité d'investir.
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Figure 17 Verger de cerisiers entièrement
protégé par bâches anti-pluie et filets
anti-insectes-BÂCHES PLASTIQUES FILPACK ANISOLAR ET FILET DIATEX ( source
: photothèque CTIFL)
Enfin, d'une manière plus générale
à l'échelle mondiale, la production de cerises va
également être bouleversée. En ce qui concerne l'aspect
géographique des zones de cultures, la production sera plus importante
à des altitudes et des latitudes plus importantes. Ces nouvelles aires
de cultures ne seront peut-être pas optimales en termes de
caractéristiques physico-chimiques du sol. Pour pallier aux limites du
sol et à l'irrégularité des précipitations, une
irrigation contrôlée devra être mise en place. Ensuite, des
suivis de l'évapotranspiration, et de l'humidité du sol devront
être réalisés pour permettre une meilleure utilisation de
l'eau (Quero-García et al.,2017). Des améliorations des
porte-greffes sont également un pilier pour permettre la
pérennité de la production de cerises dans le futur. La mise en
place de porte-greffes nanisants dans les vergers va permettre de densifier la
production, ainsi que de généraliser des modes de conduites
adaptés aux filets insect-proof. Cela permettra de garantir une
qualité maximale des fruits, mais il faudra également favoriser
des portes-greffes plus résistants à la sécheresse
vis-à-vis du changement climatique. Pour cela un travail de
sélection variétal important est à réaliser, un
retour à l'utilisation de variétés anciennes
adaptées aux terroirs est souhaitable, tout comme une diversification de
l'offre variétale qui passe par l'étude de nombreuses accessions
existantes. Enfin, le coût global des amendements
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minéraux va augmenter, notamment avec la
possibilité de raréfaction de ces engrais phosphorés ou
azotés. Il est donc nécessaire de se pencher sur
l'efficacité d'amendements organiques et d'accroître leur
utilisation.
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