III. 4. LE
TRANSGÉNÉRIQUE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE
Évoquer une écriture
transgénérique, c'est repenser le texte comme étant le
résultat du mélange de plusieurs genres, de plusieurs cultures.
Cela s'appelle également une hybridatité générique
ou encore cumul des genres. Kourouma fait preuve de cette pratique scripturaire
à travers les parenthèses. On le voit à travers cette
séquence :
« Faforo (bangala du père) ! Nous
étions maintenant, nous étions à présent bien loin
de Zorzor, loin de la forteresse du colonel Papa le bon. Le soleil avait bondi
comme une sauterelle et commençait à monter doni-doni.(Doni-doni
signifie petit à petit d'après Inventaire des
particularités lexicales du français en Afrique noire.) Nous
devions faire attention. » (pp.83-84)
Avec cet extrait, on remarque que la narrateur provoque un
écueil de lecture à travers le mélange des langues
à savoir le malinké dans « faforo »,
« bangala » et « doni-doni » auxquels
sont jointes les unités linguistiques du français. Cette
hybridité linguistique ou encore hétérolinguisme est l'une
des traces de l'esthétique postmoderne dite
transgénérique. La langue en tant que vecteur de la culture, fait
de cet hétérolinguisme la fondation de la diversité
culturelle, que la parenthèse « Doni-doni
signifie... » vient légitimer pour diluer les effets
nés de ce cumul de langues. À travers ce mélange de
langues dans ce texte de Kourouma, le narrateur montre que le français
ne suffit pas, à lui seul, pour cerner l'univers des personnages, et en
même temps celui des consommateurs de sa narration. Il recourt ainsi aux
autres langues, qu'il explique à travers ses dictionnaires,
eux-mêmes traces de la diversité culturelle. En tant qu'indice de
l'esthétique postmoderne, la parenthèse devient alors une
stratégie d'écriture transgressive. Car le narrateur y
décide d''abandonner le fil narratif pour justifier ses choix lexicaux,
syntaxiques, etc. en empruntant les outils de l'univers normatif que sont les
dictionnaires, textes appartenant à un genre autre que le narratif.
Avec cet aspect, l'écriture de Allah n'est pas
obligé se place au centre d'un vaste champ linguistique complexe.
Elle ne se fait pas en « une langue », ni ne
véhicule « une culture » mais en « des
langues » et est un espace culturel diversifié que le
narrateur mobilise pour s'adresser à son narrataire à travers les
parenthèses. Ici, l'écriture se présente comme consciente
de sa réception. C'est ce qui ressort encore de cet extrait :
« Ça portait sur la sorcellerie, les
méfaits de la sorcellerie. Ça portait sur la trahison, sur les
fautes des autres chefs de guerre : Johnson, Koroma, Robert Sikié,
Samuel Doe. Ça portait sur le martyre que subissait le peuple
libérien chez ULIMO (United Liberian Movement of Liberia), Mouvement uni
de libération pour le Liberia, chez le LPC (Le Liberian Peace Concul) et
chez NPFL-Koroma. » (p.72)
Cet extrait fait transparaître deux configurations
linguistiques différentes à savoir l'anglais et le
français. Il fait aussi penser à la culture langagière
abréviative qui est synonyme d'une diversité culturelle de
l'usage de l'outil linguistique. Pareille configuration laisse entendre que la
parenthèse est un vecteur des variantes intentionnelles du narrateur
soucieux de s'adresser à un monde de narrataires diversifiés. En
corrélation avec l'écriture, l'on peut donc dire que le scripteur
veut diversifier son lectorat, ce qui fait de la parenthèse une
stratégie d'écriture consciente de sa réception.
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