III.3. L'INTERTEXTUALITÉ
COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE
L'intertextualité concerne les relations qu'un texte
entretient avec un ou plusieurs autres textes par voie de citations, d'allusion
ou de référence. De ce fait, tout texte peut se lire comme
l'intégration et la transformation d'autres textes. Cela étant,
il importe de constater que la parenthèse est un vecteur de ces
relations intertextuelles dans Allah n'est pas obligé. Ceci se
confirme en lisant l'extrait suivant :
« Sekou avait été obligé de
quitter Abidjan et d'abandonner sa Mercedes et tous ses biens à cause
d'une sombre affaire de multiplication de billets comme Yacouba (sombre affaire
signifie déplorable, lamentable affaire, d'après le Petit
Robert). Dès que nous nous sommes assis dans la case, Sekou, par une
prestidigation de maître, a sorti de la manche de son boubou un poulet
blanc. Yacouba a crié son émerveillement. Moi j'ai
été pris par un effroi (effroi signifie frayeur
mêlée d'horreur qui saisit, d'après le Petit Robert). Sekou
nous a recommandé beaucoup de sacrifices, des durs sacrifices. Nous
avons tué deux moutons et deux poulets dans un cimetière. Le
poulet qu'il avait sorti de sa manche et un autre. » (p.48)
Dans cet extrait, nous constatons que le narrateur recourt
à la parenthèse pour fournir des explications sémantiques.
En effet, le « sombre affaire signifie déplorable, lamentable
affaire, d'après le Petit Robert» et le « effroi signifie
frayeur mêlée d'horreur qui saisit, d'après le Petit
Robert» sont des énoncés explicatifs des lexèmes
contenus dans les illocutions traduisant les parenthèses. Cette
explication s'appuie sur le « Petit Robert ». Ce qui montre
que le narrateur cite ou reprend des composantes linguistiques
préexistant à la mise en oeuvre du discours textuel qu'il
construit. La parenthèse est donc citative, car le connecteur
référentiel « d'après »,
utilisé dans la parenthèse, justifie la stratégie
autrement dit : «une telle reproduction est un interdiscours vu
que le texte intègre un autre. [...] Et ici l'instance
énonciative se dédouble. Citer est, en fait, synonyme de
culture. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b :246)
Dans ces conditions, le texte est une condensation d'autres
textes. Ce qui vient montrer que la parenthèse fait de Allah n'est
pas obligé un réservoir de segments textuels offerts
à la lecture. Encore ces insertions créent-elles la rupture car,
d'un côté, elles ne sont pas régies par le tiroir verbal du
récit qui les héberge, celui-ci étant au passé
alors que le cadre temporel des insertions est présent. D'un autre
côté, elles rompent, elles aussi, la linéarité de
l'énoncé en faveur de la référence, trace
intertextuelle qui impose un rythme de lecture à son lecteur. Car ce
lui-ci ne s'arrête pas au simple constat que le texte entre en relation
avec les autre textes, mais il pense cette parenthèse comme outil de
compréhension du texte qu'elle complète ou modifie. L'effet
d'interpellation résulte donc de cette pratique intertextuelle, à
côté de l'insistance naissant de la reprise du segment textuel
dans l'intertexte comme pour le « effroi signifie... »
où le narrateur reprend le mot «effroi » duquel
naît l'intertexte de la parenthèse.
L'autre impact de l'intertexte sur le texte est la
résonnance. Le fragment référentiel crée des
échos sur le texte au cours des activités de lecture. Car le
texte est construit de manière à se faire approfondir. D'abord,
par la première voix interprétative qu'est le narrataire, ensuite
par la voix du lecteur. Ces manifestations sont présentes dans cet
autre passage :
« Après, il annonça ce que
ça allait entreprendre. Walahé ! Rechercher le sorcier
mangeur d'âmes. Le mangeur d'âmes qui avait bouffé le
soldat-enfant, le capitaine Kid, djoko-djoko. (Djoko-djoko signifie de toute
manière d'après Inventaire des particularités.) Ça
allait le débusquer sous n'importe quelle forme ça se cachait.
Ça allait danser toute la nuit et, s'il le fallait, une journée
entière encore. Ça n'arrêtera tant qu'il ne l'aura pas
trouvé. Tant que ça n'aura pas été totalement
confondu. (Confondu signifie, d'après Larousse, que le sorcier
reconnaît par sa propre bouche son forfait). (p.64)
Cette séquence présente des marques
intertextuelles en passant par les parenthèses. En effet, les
assertions «Djoko-signifie de toute manière d'après
Inventaire des particularités » et « Confondu
signifie, d'après Larousse, que le sorcier reconnaît par sa
propre bouche son forfait », témoignent de la pratique
intertextuelle. Les titres d'ouvrages cités, bien que propres à
la fiction, engendrent l'illusion fictionnelle de la réalité. Car
l'intertexte fait penser au texte ayant préexisté à la
composition de l'oeuvre. L'intertextualité se lit ici comme une
injonction au lecteur car, même peu indispensable au texte, elle montre
que le narrateur canalise la lecture du texte, la restreint aux seules
précisions qu'il véhicule. Loin d'ennuyer le lecteur, pareille
stratégie pallie en quelque sorte le retardement narratif que les
limites de la parenthèse provoquent.
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