II.10. LA PARENTHÈSE
COMME RÉPÉTITION
La répétition fait penser aux différents
procédés qui consistent en une reprise totale ou partielle des
fragments d'énoncés. En stylistique, ce sont des figures de style
qui participent de la construction des énoncés. La
parenthèse rencontre ces figures de répétition telle
l'anaphore car, pour en sortir, l'énonciateur ne saurait se passer de la
reprise dont l'anaphore est une indiscutable représentante. En
effet :
« La cohésion du texte repose en partie
sur la répétition. Divers éléments linguistiques y
contribuent ; les groupes nominaux en particulier, assurent, par leur
articulation et leurs relations au fil du texte, la reprise et la
continuité de l'information. La notion d'anaphore permet de
décrire cet aspect de l'organisation du texte. L'anaphore se
définit traditionnellement comme toute reprise d'un
élément antérieur dans un texte. » (Martin
RIEGEL et al., Op.cit :1029)
L'anaphore suppose une interprétation
référentielle d'une expression qui dépend
nécessairement d'une autre expression qui figure dans le contexte
antérieur. Ceci se rapproche de la relation qui s'établit entre
la parenthèse et son déclencheur. Car l'aspect
répétitif est par ailleurs la caractéristique principale
d'une insertion de la parenthèse. Étant donné que
l'anaphore renvoie toujours à un élément antérieur
du texte, la parenthèse peut être considérée comme
une diversité anaphorique : elle aussi n'a de
référent que son déclencheur toujours antérieur
à elle. Ceci peut être explicité en lisant l'extrait du
roman ci-dessous :
Le foyer fumait ou tisonnait. (Tisonner, c'est remuer les
tisons d'un feu pour l'attiser.) Autour du foyer, des canaris. (Canaris
signifie, d'après Inventaire des particularités lexicales, vase
en terre cuite de fabrication artisanale.) Encore des canaris, toujours des
canaris pleins de décoctions. (Décoctions, c'est la solution
obtenue par l'action de l'eau bouillante sur des plantes.)Des décoctions
pour laver l'ulcère de maman. » (p.15)
La répétition a l'air de dominer l'aspect
stylistique de cet extrait. Elle se lit dans l'anaphore (car les reprises
présentes entre parenthèse notamment «Tisonner, c'est remuer
les tisons d'un feu pour l'attiser. », « Canaris signifie,
d'après Inventaire des particularités lexicales, vase en terre
cuite de fabrication artisanale. » et « Décoctions,
c'est la solution obtenue par l'action de l'eau bouillante sur des
plantes »), sont fondées sur la reprise d'un
élément du discours du locuteur précédemment
présenté. C'est notamment les lexèmes `'tisonnait'',
`'canaris'', `'décoctions'' qui sont pères des insertions des
parenthèses présentes dans l'extrait.
Leur reprise dans et par les parenthèses constitue, non
seulement une rupture du cours normal du déploiement énonciatif,
mais aussi une distanciation du locuteur qui le met de côté en
faveur des métadiscours explicatifs. Aussi s'agit-il d'une instanciation
de l'allocutaire qui, étant le destinataire de ces
énoncés, est interpellé, prié de saisir ces
lexèmes dans la seule dimension sémantique que leur attribue le
locuteur. En tant que procédé de répétition, la
parenthèse génère donc des effets d'insistance et fonde
ainsi une écriture d'interpellation de l'instance réceptrice
contrainte de s'enregistrer dans la voie et le mode de réception de
l'oeuvre voulus par son producteur. Ces manifestations de la parenthèse
comme répétition se relisent dans cet extrait :
« La vieille, devant l'accumulation des preuves,
a fait makou, bouche bée. Et puis elle a reconnu, elle fut confondue.
Elle avoua. (Avouer se trouve dans mon Larousse. Il signifie dire de sa propre
bouche que les faits incriminés sont vrais). La vieille qui avoua
s'appelait Jeanne. Elle et trois de ses adjointes furent conduites sous bonne
escorte en prison. Là, le colonel Papa le bon allait les
désensorceler. (Désensorceler, c'est délivrer de
l'ensorcellement.) Walahé ! (au nom d'Allah) !
Faforo ! » (p.66)
Ce passage abrite, lui aussi, deux insertions des
parenthèses énonciatives qui font explicitement figure de la
répétition. En effet, les
énoncés « avouer se trouve dans mon
Larousse » et « Désensorceler, c'est délivrer
de l'ensorcèlement » constituent d'abord des gloses en ce sens
qu'ils reformulent des explications sur les lexèmes déclencheurs
des parenthèses qui sont « avouer » et
« désensorceler ». L'énoncé assertif
« elle avoua » et la parenthèse qu'elle
génère se trouvent liés par la reprise du segment que le
locuteur considère comme étant le noyau de sa
discursivité. Ainsi comprise, la répétition qui, dans la
plupart des cas, s'observe dans le processus d'ouverture-fermeture des
parenthèses dans tout ce texte de Kourouma, fonctionne à double
tranchant. D'une part, elle est une rupture de la
linéarité », au départ née de l'ouverture
d'une parenthèse en cherchant ainsi à retordre le fil textuel
linéairement. D'autre part, elle fait du texte une ondulation, une
mosaïque de va-et-vient à travers le caractère
insérant, dans les parenthèses, de leurs déclencheurs, et
le caractère répétitif de mêmes segments dès
que l'insertion parenthétique est close. Loin d'être un
phénomène énonciatif des redites, la
répétition participe de l'étrangeté du discours
littéraire Allah n'est pas obligé. Normalement :
« Ce dépassement des constructions des
énoncés littéraires confère non seulement à
l'oeuvre [...] une sorte de rupture d'avec le commun des mortels, avec
``monsieur-Tout-le -Monde'', mais aussi de facettes esthétiques dont la
manifestation formelle reste sans pareil. » Laurent MUSABIMANA
NGAYABAREZI, 2015b : 221-222).
De ce fait, la parenthèse comme
répétition est une forte mise en relief du caractère
linguistique dont le texte se veut vecteur : l'insécurité
langagière du narrateur qui veut oser son génie en
malinkéisant le français. La répétition engendre
aussi l'interpellation de l'instance lectrice dont le narrateur sollicite une
lecture retardée et attentive par ce va-et-vient intronisé par la
parenthèse.
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