II.9. LA PARENTHÈSE
COMME APPOSITION EXPLICATIVE
L'apposition, comme dit précédemment,
désigne un mot ou groupe de mots placés à
côté du nom ou du pronom avec lequel il noue un rapport
d'identité référentielle. Ainsi
considérées, certaines appositions dans cette oeuvre semblent
mises en parenthèses comme en témoignent celles qui
suivent :
« Tout ce que je parle et déconne
(déconner, c'est faire ou dire des bêtises) et que je
bafouillerai, c'est lui qui me l'a enseigné. Il faut toujours remercier
l'arbre à karité sous lequel on a ramassé beaucoup de bons
fruits pendant la bonne saison. Moi je ne serai jamais ingrat envers Balla.
Faforo(sexe de son père) !
Gnamokodé(bâtard) ! » (p.16)
Les énoncés mis entre parenthèses dans
cet extrait sont de deux ordres : d'abord le « déconner,
c'est faire ou dire des bêtises » qui relève de la
fonction explicative ; puis les jurons « sexe de son
père » et « bâtard » qui se
présentent comme traduisant le lexèmes
« faforo » et « gnamokodé ».
Ceux-ci jouent la fonction appositive en ce qu'ils sont directement joints
à ces lexèmes, sans verbe intermédiaire ou introductif.
Ces parenthèses que nous qualifions d'appositives apportent une
information référentielle identique à celle
véhiculée par les lexèmes qui les font naître. Pour
bien se la faire voir, il importe de supprimer les parenthèses et ne
rester qu'avec les énoncés du genre « Faforo, sexe
de son père !» ou encore « Gnamokodé,
bâtard ! ». Ces jurons jetés à la fin du
passage précédent corroborent également la
subjectivité énonciative. Car ils traduisent des modalités
exclamatives qui font preuve de l'indifférence dans laquelle se sent
plongé Birahima. Étant des illocutions dues à ce sentiment
d'indifférence que ressent le narrateur, ils créent de même
une rupture énonciative. Car ils font voguer le fil énonciatif
vers un deuxième niveau où l'intrusion de l'instance
énonciative est synonyme de ces subjectivèmes de
l'énonciateur. Encore trouve-t-on une parenthèse apposée
dans l'extrait ci-dessous :
« À Noël 1989 , dans la nuit,
ils attendirent que tous les gardes-frontières du poste de Boutoro
(ville frontalière) soient ivres morts, tous cuits, pour les
attaquer. » (p.104)
Il revient à considérer que le segment mis
entre parenthèses « ville frontalière » est
apposé au nom «Boutoro » car ils sont en relation
d'identité référentielle. Cette parenthèse,
contrairement à celles que nous avons dégagées des jurons
ci-dessus, véhicule les informations locatives sur le nom auquel elle
est apposée. Vu sa présence brusque dans l'unité
syntaxique, ou du moins l'énoncé, elle est à la base de la
rupture de la linéarité et traduit la subjectivité de
l'énonciateur soucieux d'apporter une information métadiscursive
sur son illocution.
Par ailleurs, bien que les structures linguistiques prennent
la dimension d'apposition à travers le fonctionnement énonciatif
de la parenthèse, rien ne peut rassurer à l'instance
réceptrice que « Faforo » désigne le
« sexe de son père », Gnamokodé
« bâtard », si elle n'est pas de la même
communauté linguistique que le lecteur. Il en est de même pour
« Boutoro » qui traduit dans l'univers de la fiction en
étude ici, cette « ville frontalière », si le
récepteur n'habite pas le même site que celui du narrateur. Tout
au plus, cette valeur de la parenthèse est-elle dictée par le
narrateur, et l'instance de réception y croit, car le narrateur reste le
principal organisateur de toutes les matières narratives.
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