II.3. LA PARENTHÈSE
COMME GLOSE
Allah n'est pas obligé est un texte
saturé de gloses. Celles-ci concernent les annotations explicatives des
lexèmes par le narrateur au cours de ses activités de narration,
ou par le locuteur au cours de ses activités de lecture. En d'autres
mots, les gloses sont les illocutions que l'énonciateur formule au sujet
des unités lexicales contenues dans ses énoncés. En tant
que telles, les gloses jouent donc une fonction explicative ou additive. Ceci
se confirme en lisant le passage ci-dessous :
« Le général Baclay était
une femme. (On devrait dire générale au féminin. Mais
d'après mon Larousse, « générale » est
réservé à la femme d'un général et non au
général lui-même.) Donc ils nous ont
présentés à Onika Baclay Doe. » (p.106)
La lecture de ce passage révèle que
l'énonciateur justifie le choix de sa lexie pour l'intimer à
l'énonciataire. Cette justification rendue aisée par la
parenthèse constitue en quelque sorte une norme imposée au
lecteur, à savoir la considération des variations
génériques de la lexie
« général » dictée par le Larousse.
Cet énoncé inséré comporte le modalisateur de doute
« on devrait » qui indique que l'énonciateur formule
une glose susceptible de générer un débat, lequel est
aussi un niveau de décrochage énonciatif tant dans la structure
énonciative que pendant la lecture. En effet, à peine qu'il
commence à conter le récit du personnage Onika, le locuteur rompt
l'illocution pour formuler la remarque normative qui suspend ainsi
l'énonciation historique où la glose surgit. Celle-ci place le
lecteur dans une attente due à la curiosité de poursuivre le
récit du personnage. Ces éléments se rencontrent encore
dans l'extrait suivant :
« Il faut expliquer parce que mon blablabla est
à lire par toutes sortes de gens : des toubabs (toubab signifie
blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d'Afrique et des
francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). » (p.11)
Cet extrait témoigne de la rupture au sein de
l'unité syntaxique rendue par la glose. En effet, cette rupture
s'observe, d'une part, dans le syntagme nominal « toubabs
colons» où le nom « toubabs » et son
épithète « colons » sont distanciés.
D'autre part, il y a rupture syntaxique entre la phrase et sa marque finale,
qu'est le point. Ceci fonde l'idée que la glose crée une rupture
énonciative, outre le retardement des activités de lecture qui en
est tributaire. Toujours est-il perceptible que la reprise du sujet de la
glose qui est ici le lexème « toubab » pour le
premier cas et «gabarit » pour le second, cherche à
pallier ladite rupture. Une telle configuration peut être
interprétée comme étant une trace de
l'insécurité langagière de la part du locuteur. En effet,
l'instance énonciative interrompt son énoncé en faveur
d'une glose lorsqu'elle lui semble mieux pour se mettre en adéquation
avec ses interlocuteurs quant au choix lexical qu'il opère à
travers les énoncés insérés, « toubab
signifie blanc » et « gabarit signifie genre ».
L'énonciateur estime que ses mots sont encombrants de la part de
l'énonciataire, ignorés par ce dernier. Il se résout ainsi
à rompre, perturber la structure syntaxique en faveur de la glose qui y
apporte précision et explication. Au fait, la glose s'appréhende
comme une stratégie énonciative de raillerie qui consiste
à placer l'interlocuteur et le narrataire sur le terrain de la
naïveté interprétative.
Par ailleurs, on peut dire que la glose est une composante
facultative car, si elle était supprimée de
l'énoncé où elle est insérée, elle
pallierait le problème d'alinéarité et
accélèrerait la vitesse de la lecture. Cependant, loin
d'être considérée comme une activité secondaire, la
parenthèse comme glose rentoile le texte, l'étend, contribue
à son enregistrement dans le genre autre que celui dont on serait
tenté de lui reconnaître. La glose devient donc une base de
littérarité, surtout en ce sens qu'en véhiculant les
intertextes signalés par les fréquents « D'après
mon... », « Signifie.... », elle fait voir que le
texte ne se réfère qu'à lui-même. La glose touche
ainsi aux composantes du signifiant dont le jeu réside dans le
commentaire immobilisant la lecture progressive des investissements
linguistiques. Autrement dit :
« Le travail sur le signifiant constitue ici un
véritable jeu de mots. Il imprime ainsi une distorsion du
matériau linguistique qui permet deux instances. D'un côté,
un renouvellement poétique et la formulation d'une lecture attentive et
exigeante, de l'autre. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI,
2015b : 233)
La glose permet donc de lire cette oeuvre de Kourouma avec une
attention particulière car ses composantes linguistiques se
présentent comme expliquées au lecteur, au départ, par le
narrateur.
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