CHAPITRE II : LES COMPOSANTES DE LA PARENTHÈSE
DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ
II.1. INTRODUCTION
Le premier chapitre de ce travail a présenté les
contours théorique et méthodologique de son sujet ainsi que le
corpus. Ce chapitre, quant à lui, va s'atteler sur les leurres et lueurs
de la parenthèse dans Allah n'est pas obligé. Il est
question, plus précisément, de présenter les
manifestations matérielles de la parenthèse à travers la
structure syntaxique, le cadre énonciatif du texte, etc.
II.2. LA PARENTHÈSE COMME COMMENTAIRE NARRATIF
Commenter, rappelons-le, c'est formuler une illocution sur une
autre en vue d'en faciliter la compréhension. De ce fait, lors des
activités énonciatives, le locuteur place un commentaire dans son
illocution, selon ses intentions. Dans Allah n'est pas obligé,
cela se constate dans l'extrait suivant :
« ...Et deux...Mon école n'est pas
arrivée très loin ; j'ai coupé cours
élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le
monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une
vieille grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre
africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça
vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la
grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas
très, très mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la
grand-mère parce que, même avec la licence de l'université,
on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des
républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone.
(République bananière signifie apparemment démocratique,
en fait régie par des intérêts privés, la
corruption.) Mais fréquenter jusqu'à cours
élémentaire deux n'est pas forcément autonome et
mirifique. » (pp. 9-10)
Il ressort de cet extrait que les énoncés mis
entre parenthèses, à savoir les modalités assertives
confinées dans « (C'est comme ça en on dit en
nègre africain indigène quand une chose ne vaut plus rien. On dit
que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet
de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas
très, très mauvais.) » et dans
« (République bananière signifie apparemment
démocratique, en fait régie par des intérêts
privés, la corruption) » constituent des commentaires
narratifs. Car le narrateur les formule en vue d'étendre la
compréhension des composantes linguistiques « valoir le pet
d'une vieille grand-mère » et « république
bananière ». Ainsi considérés, ces
énoncés constituent des freins de la voix narrative parce qu'en
les proférant, le narrateur désigné par les
déictiques personnels « mon » et
« je » dans les« Mon école n'est pas
arrivée très loin ; j'ai coupé cours
élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le
monde a dit que l'école ne vaut plus rien », abandonne la
narration où il est homodiégétique en faveur d'une
narration où il s'efface totalement. Le narrateur y véhicule
l'explication des sociolectes « Valoir le pet d'une vieille
grand-mère » et « république
bananière » qui se dégagent de son illocution.
Dans ces conditions, la parenthèse constitue une
rupture narrative et génère comme effet stylistique la
déviation énonciative. En déviant le fil
énonciatif, la parenthèse comme commentaire fait du locuteur
« je » une entité (car il raconte sa propre
histoire) dotée des capacités interprétatives. En d'autres
mots, le commentaire inséré dans les parenthèses constitue
une anticipation interprétative ordinairement tributaire des
activités de lecture. C'est ce que l'on constate encore dans cet
extrait :
« Yacouba blessé, hospitalisé, a
été guéri par Allah parce qu'il courbait tous les jours
ses cinq prières et égorgeait très souvent plein de
sacrifices. (Chez les Africains noirs, c'est quand les sacrifices qu'on fait
sont exaucés qu'on a beaucoup de chance.)
De son accident, de son hospitalisation, il tira deux
choses. Primo il devint boiteux, on l'appela bandit boiteux. Secundo il tira la
pensée que Allah dans sa bonté ne laisse jamais vide une bouche
qu'il a créée. » (p.41)
Cette séquence renferme, elle aussi, un commentaire
narratif inséré dans les parenthèses à savoir
l'énoncé « Chez les Africains noirs, c'est quand les
sacrifices qu'on fait sont exaucés qu'on a beaucoup de chance».
Celui-ci rompt la linéarité énonciative de l'histoire
portant sur les malheurs de Yacouba, en commentant sur les causes de la
guérison de ce personnage. Cet énoncé encadré n'est
pas indispensable du reste de l'histoire racontée, ce qui veut dire que
le commentaire est facultatif. Toutefois, la précision des sources de
l'illocution par le locuteur « Je » témoigne de la
pratique intertextuelle à laquelle recourt le locuteur pour commenter
ses propos. En effet, le « Chez les Africains
indigènes» fait penser au discours préexistant au texte que
le locuteur intègre dans le sien en le puisant là. Cette
technique ralentit les activités de lecture. À l'ouverture de la
parenthèse, l'énonciation est retardée et reprend son fil
dès que la parenthèse est refermée. Cet effet de
ralentissement de la lecture fait du texte un fil tordu en dents de scie,
truffé de pauses, de soupirs, qui, du coup, sont synonymes de la
beauté textuelle car le texte impose un rythme à sa lecture.
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