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La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou Kourouma


par Théogène Hakuzimana Bizimana
ISP/Goma  - Licence 2017
  

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CHAPITRE II : LES COMPOSANTES DE LA PARENTHÈSE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ

II.1. INTRODUCTION

Le premier chapitre de ce travail a présenté les contours théorique et méthodologique de son sujet ainsi que le corpus. Ce chapitre, quant à lui, va s'atteler sur les leurres et lueurs de la parenthèse dans Allah n'est pas obligé. Il est question, plus précisément, de présenter les manifestations matérielles de la parenthèse à travers la structure syntaxique, le cadre énonciatif du texte, etc.

II.2. LA PARENTHÈSE COMME COMMENTAIRE NARRATIF

Commenter, rappelons-le, c'est formuler une illocution sur une autre en vue d'en faciliter la compréhension. De ce fait, lors des activités énonciatives, le locuteur place un commentaire dans son illocution, selon ses intentions. Dans Allah n'est pas obligé, cela se constate dans l'extrait suivant :

« ...Et deux...Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai coupé cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce que, même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone. (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu'à cours élémentaire deux n'est pas forcément autonome et mirifique. » (pp. 9-10)

Il ressort de cet extrait que les énoncés mis entre parenthèses, à savoir les modalités assertives confinées dans « (C'est comme ça en on dit en nègre africain indigène quand une chose ne vaut plus rien. On dit que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) » et dans « (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption) » constituent des commentaires narratifs. Car le narrateur les formule en vue d'étendre la compréhension des composantes linguistiques « valoir le pet d'une vieille grand-mère » et « république bananière ». Ainsi considérés, ces énoncés constituent des freins de la voix narrative parce qu'en les proférant, le narrateur désigné par les déictiques personnels « mon » et « je » dans les« Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai coupé cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l'école ne vaut plus rien », abandonne la narration où il est homodiégétique en faveur d'une narration où il s'efface totalement. Le narrateur y véhicule l'explication des sociolectes « Valoir le pet d'une vieille grand-mère » et « république bananière » qui se dégagent de son illocution.

Dans ces conditions, la parenthèse constitue une rupture narrative et génère comme effet stylistique la déviation énonciative. En déviant le fil énonciatif, la parenthèse comme commentaire fait du locuteur « je » une entité (car il raconte sa propre histoire) dotée des capacités interprétatives. En d'autres mots, le commentaire inséré dans les parenthèses constitue une anticipation interprétative ordinairement tributaire des activités de lecture. C'est ce que l'on constate encore dans cet extrait :

« Yacouba blessé, hospitalisé, a été guéri par Allah parce qu'il courbait tous les jours ses cinq prières et égorgeait très souvent plein de sacrifices. (Chez les Africains noirs, c'est quand les sacrifices qu'on fait sont exaucés qu'on a beaucoup de chance.)

De son accident, de son hospitalisation, il tira deux choses. Primo il devint boiteux, on l'appela bandit boiteux. Secundo il tira la pensée que Allah dans sa bonté ne laisse jamais vide une bouche qu'il a créée. » (p.41)

Cette séquence renferme, elle aussi, un commentaire narratif inséré dans les parenthèses à savoir l'énoncé « Chez les Africains noirs, c'est quand les sacrifices qu'on fait sont exaucés qu'on a beaucoup de chance». Celui-ci rompt la linéarité énonciative de l'histoire portant sur les malheurs de Yacouba, en commentant sur les causes de la guérison de ce personnage. Cet énoncé encadré n'est pas indispensable du reste de l'histoire racontée, ce qui veut dire que le commentaire est facultatif. Toutefois, la précision des sources de l'illocution par le locuteur « Je » témoigne de la pratique intertextuelle à laquelle recourt le locuteur pour commenter ses propos. En effet, le  « Chez les Africains indigènes» fait penser au discours préexistant au texte que le locuteur intègre dans le sien en le puisant là. Cette technique ralentit les activités de lecture. À l'ouverture de la parenthèse, l'énonciation est retardée et reprend son fil dès que la parenthèse est refermée. Cet effet de ralentissement de la lecture fait du texte un fil tordu en dents de scie, truffé de pauses, de soupirs, qui, du coup, sont synonymes de la beauté textuelle car le texte impose un rythme à sa lecture.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery