I.3.2.2. La stylistique
Elle est issue de la rhétorique. Oswald DUCROT et
Tzvetan TODOROV (1972 : 101) estiment d'ailleurs
que « la stylistique est l'héritière la plus
directe de la rhétorique et ce n'est certainement pas un hasard si elle
s'est constituée à la fin du XIXème et au début du
XXème siècle. » Elle comprend plusieurs
orientations, car maints auteurs s'y sont intéressés. Parmi ces
diverses orientations, retenons d'abord « la stylistique de la langue
ou linguistique » de Bally. En effet :
« Ce qui intéresse en effet c'est
l'étude des `'faits d'expression du langage organisé au point de
vue de leur contenu affectif, c'est-à-dire l'expression des faits de la
sensibilité par le langage et l'action des faits de langage sur la
sensibilité''. » (Karl COGARD, 2001 :28)
Partant donc de l'idée que le langage exprime la
pensée et les sentiments, ce courant considère que
l'expression des sentiments constitue l'objet propre de la
stylistique. On l'appelle aussi « stylistique de
l'expression ». Charles BALLY, pris pour le premier théoricien
de la stylistique, en est le représentant. Il a focalisé son
attention sur les manifestions linguistiques et langagières dans leur
dimension du contenu affectif. En d'autres mots, la stylistique de la langue ou
de l'expression se limite à l'étude des faits de langue vus dans
leurs facettes intellectuelles et affectives.
La deuxième orientation de la stylistique est celle
dite « stylistique de la parole ». Par elle, il convient de
noter que « Marouzeau définit la langue comme `'la somme
des moyens d'expression dont nous disposons pour mettre en forme
l'énoncé, le style comme l'aspect et la qualité qui
résultent du choix entre ces moyens d'expression.'' »
(Karl COGARD, Op.cit :42) Eu égard à ce passage, la
stylistique de la parole s'intéresse à l'infinité des
moyens ou des possibilités d'usage de l'expression ou de la parole dont
les interlocuteurs usent à chaque prise de parole. Elle décrit
systématiquement tous les sons, les classes syntaxiques, les
constructions syntaxiques, le lexique, etc. en s'attachant chaque fois à
ce qui est extérieur au contenu notionnel.
Le troisième courant de la stylistique est celui de
Léo SPITZER. Il considère que « la personne de
l'écrivain est bien le principe de cohérence qui commande la mise
en forme de l'oeuvre » (DELCROIX, M. & HALLYN, F.,
1995 :87). Ce courant dit aussi stylistique de l'individu repose sur la
notion d'écart ou déviation qu'est l'écart entre la
langue commune et l'usage particulier qu'en font les écrivains.
En quatrième lieu, mentionnons la stylistique
structurale qu'est la théorie de Riffaterre qui se centre sur le
contexte défini comme étant « la notion clé,
qui permet, selon Riffaterre, de déterminer si un fait de la langue
incarne aussi un fait de style. (Karl COGARD, Op.cit :63) Ce
courant stylistique, quant à lui, s'attache donc à examiner la
structure et le contexte pour pallier les obstacles auxquels conduit
l'inattention à ces éléments. Ces obstacles sont dits
« effets » stylistiques.
La stylistique fonctionnelle, prônée par Roman
Jakobson, est la cinquième orientation qui aborde la stylistique d'un
point de vue fonctionnel. Ses études reposent donc sur le schéma
de la communication linguistique dont les composants sont :
l'émetteur, l'allocutaire (récepteur), le contexte, le message,
le canal de communication et le code. À ces six éléments
constitutifs du procès de communication correspondent six fonctions
linguistiques à savoirs les fonctions émotive, conative,
référentielle, poétique, phatique et
métalinguistique. Au total :
« Les six fonctions ainsi distinguées
interviennent rarement de façon isolée. Ainsi, les fonctions
phatique et métalinguistique sont souvent liées de façon
intime, au moins dans le langage quotidien : l'emploi d'un mot inconnu du
destinataire détermine nécessairement une interruption de la
communication. Elle est rétablie par un commentaire
métalinguistique qui se charge, par surcroît, de la fonction
phatique, susceptible d'ailleurs d'être manifestée
spécifiquement. » (Michel ARRIVÉ et al.,
1986 : 365)
La sémiostylistique, enfin, résulte bien entendu
de deux disciplines : la sémiotique et la stylistique. Georges
Molinié qui la prône considère que les autres écoles
de la stylistique sont dépassées :
« Cette théorie, en cours de
constitution, s'apparente à ce que j'ai appelé la
sémiotique de second degré, c'est-à-dire
l'étude de la représentativité culturelle des
systèmes de valeur anthropologique, étude qui s'insère
elle-même dans la sémiotique de culture [...] La théorie de
la sémiostylistique, déjà amplement
développée et exploitée, repose évidemment sur une
élaboration qui s'apparente à du bricolage
épistémologique : je revendique ce bricolage comme une
nécessité scientifique...» (Georges MOLINIÉ,
1998 :5)
La sémiostylistique, tout en mixant deux
domaines divers mais mêlés, analyse, comme les autres
écoles, les composantes formelles et matérielles de l'art
verbal : la littérature. Autrement dit, toute étude
stylistique s'attache aux investissements formels du discours. Ceci justifie
notre recours à l'approche stylistique pour nos analyses. En
effet :
«[...] en stylistique, le texte est
appréhendé comme un objet complexe dans lequel forme et sens sont
indissolublement liés. Le stylisticien a donc pour tâche de
repérer -c'est-à-dire de construire- et d'organiser les faits
stylistiques en fonction d'un principe interprétatif de
convergence : les divers niveaux de réalisation du texte peuvent
concourir à un même effet. Le texte stylistique d'un texte
implique donc une analyse grammaticale, linguistique, rhétorique et
éventuellement poétique, de celui-ci. » (Nicolas
LAURENT, 2005 :8)
On se rend compte que la stylistique est mise en
oeuvre pour déterminer les conditions matérielles et formelles de
l'art littéraire. En d'autres mots, elle permet de cadrer les
composantes textuelles qui fondent le style même de l'auteur. Cela passe
par l'analyse des composantes formelles avant de déterminer la
portée matérielle qu'elles engendrent et les effets qui en sont
tributaires tant sur la réception que sur la création
elle-même. Ici, la poétique est sollicitée.
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