La protection internationale des déplacés environnementauxpar Aimé OUEDRAOGO Université privée de Ouagadougou - Master 2 2022 |
Section 1 : L'insuffisance du droit international généralLe droit international général dans son état actuel, ne traite pas de la question de la protection des déplacés environnementaux. Un regard panoramique sur les instruments du droit international général permet de le dire. Cela se manifeste par l'insuffisance du droit international conventionnel général (Paragraphe 1) et celle du droit international non-conventionnel général (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : L'insuffisance du droit international conventionnel généralL'insuffisance du droit international général conventionnel s'observe, à travers l'insuffisance du contenu des instruments du droit international conventionnel général (A) et les facteurs limitant dans l'expression du droit conventionnel général comme la souveraineté des Etats (B). A- L'insuffisance du droit international conventionnel général, du point de vue de son contenu Le droit international conventionnel général94 actuellement, n'offre pas de protection aux déplacés environnementaux. On le constate, à travers l'inadaptation des textes fondamentaux tels que la charte des Nations unies et la charte mondiale de la nature. L'inexistence d'un statut international des déplacés environnementaux dans le droit 93 (C.) COURNIL, « Les réfugiés environnementaux : les déplacés en quête de protection », Regard sur le droit étranger. Actes du Colloque de l'ADOC, Presse de l'université de Toulouse LGDJ, 2010, p.153. Disponible sur le site www.openédition.org/6540. Consulté le 16 novembre 2020. 94 Voir pages 10 et Ss. 25 conventionnel général, comme il a été démontré un peu plus haut, permet de comprendre que la Charte des Nations unies et la charte mondiale de la nature sont inadaptées à la protection des déplacés environnementaux. Deux raisons expliquent cela. D'abord, ce sont des textes qui ont été élaborés à un moment où la question des déplacés environnementaux ne se posait pas. La Charte des Nations unies a été adoptée en 1945 avec la fin de la deuxième guerre mondiale et la charte mondiale de la nature en 1982 avant le rapport du PNUE en 1985 qui a marqué le point de départ des discussions, au niveau international, sur les déplacements des populations pour cause de rupture environnementale. Ces textes à caractère général ont été adoptés dans des contextes bien précis dont le but était de répondre à des questions qui existaient déjà. Ensuite, dans leurs objectifs, les deux textes ne prennent pas en compte la protection des déplacés environnementaux. C'est le cas avec les dispositions de la Charte des Nations unies qui font du maintien de la paix et sécurité internationales son objectif principal à travers son article 195. A cet effet, comme le disent Jean-Pierre COT et Alain PELLET dans leur commentaire de la Charte des Nations Unies, la « « paix » en cause est la « paix internationale », cette disposition concerne uniquement des relations mutuelles entre Etats [...] selon son sens originel »96. Et pour la notion de « sécurité », les commentateurs précisent qu'elle revêt un sens particulier. « Il est clair qu'il s'agit de la sécurité des Etats, « pères » fondateurs de l'ONU [...]97. Quant à la charte mondiale de la nature, elle traite de la question de la sauvegarde de la terre. Son article 2, en effet, dispose que : « La viabilité génétique de la Terre ne sera pas compromise, la population de chaque espèce sauvage ou domestique sera maintenue au moins à un niveau suffisant pour rassurer la survie [...] »98. En somme, il convient de dire que ces deux textes n'abordent pas la protection des déplacés environnementaux à cause de leur antériorité à la question et aussi, du sens particulier que renferment les notions contenues dans leurs dispositions. Cela démontre qu'en général, les textes à caractère général issus du droit international conventionnel n'offrent pas de protection aux déplacés environnementaux. Mais au-delà même de cette insuffisance de textes, il y a les facteurs limitant de l'évolution du droit international conventionnel. 95 Article 1, paragraphe 1. 96 (A.) PELLET et (J-P.) COT, La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article, Tome I, Paris, Economica, 2005, p. 328. 97 Ibid, 98 Voir article 2 de la Charte Mondiale de la Nature. 26 B- La souveraineté des Etats, facteur limitant de l'évolution du droit conventionnel général La souveraineté des Etats constitue une limite du droit international pour la protection des déplacés environnementaux. Elle se définit selon le professeur René Carré de MALMERG comme la souveraineté qui permet à l'Etat, par une norme conventionnelle, de déterminer les compétences qu'il attribue aux organisations internationales99. Cela rappelle le célèbre passage de l'affaire lotus selon lequel « les règles de droit liant les Etats procèdent de la volonté de ceux-ci »100. Le concept de souveraineté est un concept de base en droit international conventionnel101. Le droit international tire deux conséquences du principe de la souveraineté que sont le principe d'égalité et le principe de non-ingérence. Ces principes traduisent l'entière responsabilité de l'Etat dans les limites de son territoire national. Mais en même temps, ils font obstacle à la mise en oeuvre effective des mesures de protection des personnes par les Etats pour deux raisons. Premièrement, la souveraineté des Etats est opposée aux effets sans frontières des dégradations environnementales qui engendrent des déplacés environnementaux. Les Etats ayant le plein pouvoir de régulation de leur politique intérieure de migration et de l'accès à leur territoire, la protection des déplacés environnementaux est limitée dans des cas où cela implique plus d'un Etat et qu'il nécessite des efforts communs ou la solidarité internationale. Pourtant, selon C. COURNIL et B. MAYER, « les Etats sont encore loin de vouloir abandonner la compétence souveraine qui leur permet de choisir les étrangers qui entrent sur leur territoire102 ». Deuxièmement, la souveraineté des Etats fait obstacle à la protection de l'individu (les déplacés environnementaux) comme sujet du droit international103 . Elle ne permet pas au droit international d'offrir une protection directe aux déplacés environnementaux. Cependant, selon Christel COURNIL et Pierre MAZZEGA, « un droit international protégeant les victimes de catastrophes environnementales devrait pouvoir s'affranchir de certains principes 99 (R. C.) de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'Etat, Paris, Sirey, 2003, p. 70. 100 CPJI., affaire Lotus, (France c. Turquie), C.P.I.J, 1927, Séries A- N°10, 1927, p. 6 et Ss. 101 (M. P.) de BRICHAMBAUT, (J-F.) DOBELLE avec la contribution de (F.) COULEE, Leçon de droit international public, 2ème éd., Paris, Dalloz, 2011, p. 35. 102 (C.) COURNIL et B. MAYER, les migrations environnementales, enjeux et gouvernance, Revue Projet, Les presses de Sciences Po, 2014, p. 89. 103 (P.) DAILLIER et autres, Droit international public, 8ème édition, Paris, L.G.D.J, 2009, p. 37. 27 de ce droit interétatique, notamment celui du principe de non-ingérence et du principe d'intégrité territoriale afin de devenir un véritable droit humain »104. En fin de compte, le droit conventionnel général ne dispose pas d'instruments qui traitent de la protection des déplacés environnementaux. Qu'en est-il du droit international général non-conventionnel dans cette quête de protection des déplacés environnementaux ? Paragraphe 2 : L'insuffisance du droit non-conventionnel général dans la protection des déplacés environnementaux Le droit non-conventionnel général est composé de plusieurs instruments, comme il a été précisé plus haut, mais dans cette partie nous allons traiter du droit international coutumier. Dans la protection des personnes, les normes coutumières constituent une base solide105. Cependant, il faut dire que la coutume internationale n'est pas assez développée au point de prendre en compte la question de la protection des déplacés environnementaux. L'analyse de la mise en oeuvre des normes coutumières (A) et la jurisprudence internationale dans l'application des normes internationales (B) permet de démontrer cette insuffisance de la coutume internationale. A- L'insuffisance des normes coutumières dans la protection des déplacés environnementaux L'insuffisance des normes coutumières dans la protection des déplacés environnementaux s'observe dans leur mise en oeuvre et se traduit par la difficulté de la preuve et le manque d'intérêt des Etats. Premièrement, la mise en oeuvre de la coutume recommande la « preuve » de celle-ci. Lorsque l'existence d'une coutume est débattue devant la CIJ, celle-ci semble avoir imposé à la partie qui s'en prévaut l'obligation de la prouver106. Les parties sont libres de demander l'application d'une règle et le juge est en pareil cas, lié par leur demande. Mais, si preuve il doit y avoir, celle-ci doit porter sur l'élément objectif que sur l'élément subjectif. On remarque que généralement, les deux éléments sont aussitôt réunis. Comme le soutient Joe 104 (C.) COURNIL. Et P. MAZZEGA, « Réflexions prospectives pour une protection des réfugiés écologiques », Revue européenne des migrations internationales. Volume 23- n° 1/2007, p. 24. 105 Tous les Etats sont liés par cette interdiction, quand bien même ils n'ont pas signé la convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets, entrée en vigueur le 30 août 1975. 106 Voir l'affaire du droit d'asile, CIJ, 20 nov. 1950, p.276, disponible en ligne à travers le lien https://www.icj-cij.org/fr/liste-des-affaires, consulté le 23 mai 2022 à 21 h 59 mins. 28 VERHOEVEN, il paraît ressortir implicitement de la jurisprudence internationale que les éléments même qui établissent l'existence d'une pratique générale permettent aussi d'établir l'opinio juris. Cependant, force est de reconnaître que la jurisprudence internationale jusque-là, n'a pas encore fait appel à une norme coutumière dans une affaire qui concernerait les déplacements environnementaux. Cela s'explique par le fait que le problème des déplacés environnementaux est nouvellement apparu sur la sphère internationale et aussi, le fait qu'il ne fait pas l'unanimité ou du moins, qu'il ne préoccupe pas les Etats qui pourtant, jouent un rôle déterminant dans l'existence des normes coutumières. Deuxièmement, le manque d'intérêt des Etats pour les déplacés environnementaux ne favorise pas l'émergence d'une solution coutumière pour la protection des déplacés environnementaux. La naissance d'une norme coutumière est subordonnée à la pratique des Etats. Cependant, il convient de rappeler que dans l'état actuel des relations entre les Etas, il est difficile de parler de convergence de pratiques qui puisse aboutir à la naissance d'une norme coutumière de protection des déplacés environnementaux. En somme, il sied de reconnaître que le droit international coutumier ne comporte pas de normes qui traitent de la protection des déplacés environnementaux. Les difficultés de la mise en oeuvre des normes coutumières et le manque d'intérêt des Etats pour les déplacés environnementaux ont permis de démontrer cette insuffisance du droit international coutumier. B- L'insuffisance de la jurisprudence internationale dans la protection des déplacés environnementaux Dans cette partie, nous allons analyser la jurisprudence de la CIJ. Dans sa mission de régler, conformément au droit international107, les litiges que les Etats portent devant elle, la CIJ fait application des conventions internationales, de la coutume internationale, des principes généraux de droit108. Il faut dire que la jurisprudence de la CIJ est assez abondante en matière de litiges ou d'avis liés à l'application des instruments internationaux vus ci-dessus. En 2022, le nombre d'affaires109 inscrites au rôle de la cour était environ de 150 107 Voir article 92 de la charte des Nations Unies de 1945. 108 Voir article 38 du statut de la cour internationale de justice. 109 Voir https://www.icj-cij.org/fr/liste-des-affaires, consulté le 23 mai 2022 à 21 h 47 mins. 29 importantes affaires contentieuses et plus de 42 affaires consultatives. On peut citer l'exemple sur l'interprétation du principe de précaution avec l'arrêt « projet de Gabcikovo-Nagymaros110 ». Ce qui est préoccupant pour le présent travail est que la CIJ ne s'est pas encore prononcée dans une affaire relative aux déplacés environnementaux comme elle l'a fait à plus d'une fois concernant les déplacés internes, à cause de conflits armés dans l'affaire sur les activités armées sur le territoire au Congo111 et celle sur l'application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui avait opposé le Qatar aux Emirats Arabes Unis112. On peut citer également l'affaire du transfert de l'ambassade des Etats Unis à Jérusalem qui a opposé la Palestine aux Etats-Unis d'Amérique113. Toutes ces décisions de la CIJ montrent que la jurisprudence internationale est développée dans le cadre de la protection des personnes déplacées. Cependant, force est de reconnaître qu'aucune de ces décisions n'aborde la protection des déplacés environnementaux. Néanmoins, à titre d'exception et de perspective, il faut souligner qu'au niveau de la jurisprudence nationale, la question du statut de réfugié climatique s'est déjà posée devant la Haute cour néozélandaise avec l'affaire Ioane TETIOTA114 en 2013. Dans cette affaire, Ioane TETIOTA, citoyen de l'Etat des Kiribati (un Etat du Pacifique Sud quasi exclusivement composé d'atolls) en 2010, a introduit auprès du tribunal néozélandais, une requête aux fins de se voir accorder le statut de « réfugié climatique ». Sa demande était motivée par de sévères dégradations de l'environnement, associé aux changements climatiques dans son pays d'origine. Mais sans surprise, la cour a refusé de reconnaître le statut de réfugié climatique au demandeur en tirant la conclusion selon laquelle le changement climatique et les facteurs environnementaux ne font pas partie des motifs permettant l'octroi d'asile. En somme, la jurisprudence internationale n'offre pas une base juridique de protection aux déplacés environnementaux. 110 CIJ, Projet Gabcikovo-Nagymaros, (Hongrie c. Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil, 1997, p. 7. 111 CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo, (République Démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil, 2018, p. 168. 112 CIJ, Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, (Qatar c. Emirats arabes unis), arrêt, C.I.J. Recueil, 2011, p. 324. 113 CIJ, Transfert de l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, (Palestine c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil, 2018, p. 163. 114 Comité des droits de l'homme des Nations Unies, affaire TEITIOTA, (Ioane TEITIOTA c. Nouvelle-Zélande), avis consultatif, n°2728, 2016. 30 Tout cela nous amène à dire à la fin de cette section, que le droit international général, malgré les différents instruments juridiques conventionnels et non-conventionnels qui le composent, ne permet pas d'offrir une protection aux déplacés environnementaux. Cela s'explique par l'insuffisance du contenu des instruments du droit international général et également, par des facteurs limitant dans son évolution comme la souveraineté des Etats et dans sa mise en oeuvre. Mais, peut-on dire autant du droit international spécial ? |
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