Du caractère insaisissable du salaire face aux prescrits de l'article 245 de la loi dite foncière en République Démocratique du Congopar Kévin BIAYA Université de Likasi - Licence en Droit Privé et Judiciaire 2021 |
Section II : LA POSSIBILITE D'EXECUTION PROVISIONNELLE D'UN TITREEXECUTOIRE Maintenant on sait depuis l'arrêt Hornsby qu'on peut désormais rattacher le droit à l'exécution d'un jugement au procès équitable. C'est dire que le droit à un procès équitable peut permettre de justifier la mise en oeuvre des mesures d'exécution forcée que nous venons d'analyser. Normalement, ces procédures ne devraient être exercées que lorsque le titre exécutoire constatant la créance certaine, liquide et exigible, servant de fondement aux poursuites, une décision de justice, est devenue définitif. Le titre définitif est celui qui n'est plus susceptible de recours c'est-à-dire que les voies de recours à effet suspensif en l'occurrence l'opposition ou l'appel ont été exercées ou que leurs délais d'exercice sont dépassés. On dit aussi que la décision est passée en force de chose jugée. Exceptionnellement cependant, la loi permet au gagnant d'exécuter la décision par anticipation en dépit de l'effet suspensif du délai de ces voies de recours ou de leur exercice. On parle dans ce cas de l'exécution provisoire. On dit aussi que le jugement est exécutoire par provision. Le législateur OHADA n'a pas fait exception à la règle. Dans certaines dispositions de l'AUVE, il procure expressément au créancier la possibilité d'exécuter un titre exécutoire par provision (§1). Toutefois, compte tenu des dangers qu'une telle exécution peut susciter pour le débiteur dont il ne faut pas perdre de vue les intérêts, notamment si le titre est ultérieurement modifié, il s'est posé avec l'OHADA la délicate question de la remise en cause de cette institution devant le juge (§2), pratique qui a cours dans le droit commun en la matière. 94 §1. La consécration de l'exécution provisoire en Ohada Originellement conçue pour être ordonnée si elle est demandée et seulement pour les cas d'urgence ou de péril en la demeure205, l'exécution provisoire a été généralisée en OHADA. Particulièrement dans le cadre des voies d'exécution, le ton en est ainsi donné à l'article 32 de l'Acte uniforme aux termes duquel : « A l'exception de l'adjudication des immeubles, l'exécution forcée peut être poursuivre jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire par provision ». Plus loin en matière immobilière, l'alinéa 2 de l'article 247 du même texte allant dans le même sens prévoit qu'un titre exécutoire par provision peut également servir à engager une saisie immobilière206. Par ces dispositions, le législateur consacre l'exécution provisoire de façon laconique. C'est qu'en effet, il s'est bien gardé d'en fixer le régime, renvoyant de ce fait implicitement au droit commun national. En droit positif camerounais, l'institution était réglementée par la loi n°92/008 du 14 août 1992 portant exécution provisoire des décisions en matière non répressive et ses textes modificatifs subséquents. Et contrairement à ce qu'avait déjà défendu un auteur207, ce texte n'a pas été abrogé. Dès lors, il en ressort d'une lecture attentive que l'exécution provisoire peut résulter de la loi ou de la volonté du juge agissant d'office ou à la demande des parties. C'est dire qu'elle est soit facultative (I), soit de droit (II). I. L'exécution provisoire facultativeL'exécution provisoire est dite facultative et judiciaire lorsqu'elle résulte du juge, d'office ou à la demande des parties. C'est, si on peut le dire ainsi, le régime de droit commun en la matière208. L'article 3 de la loi n° 92/008 précitée énumère les hypothèses dans lesquelles le tribunal saisi peut, en cas de décision contradictoire ou réputée 205 CPCC, art. 54. 206 Toutefois, la vente ne peut être effectuée qu'en vertu d'un titre définitif. 207 A. ANABA MBO, « Exécution définitive et exécution provisoire dans l'espace OHADA », (2000) 5 RCDA, p. 20 et 31. 208 H. TCHANTCHOU et A. NDZUENKEU « L'exécution provisoire à l'ère de l'OHADA », en ligne : < www.ohada.com/ohadataD-04-23> 209 Cette somme est de 600.000 francs. Cf. Décret n°93/754/PM du 15 décembre 1993 fixant la somme maximale en matière d'exécution d'un jugement par provision avec dispense de caution, article 1er. 95 contradictoire, ordonner l'exécution provisoire nonobstant appel. Selon ce texte, le tribunal peut prononcer l'exécution provisoire en cas de créance alimentaire, de créance contractuelle exigible et d'expulsion fondée sur un titre foncier conférant des droits non contestés ou sur un bail écrit assorti d'une clause résolutoire dont les conditions sont réunies. L'exécution provisoire peut aussi être assortie à des décisions rendues en matière de réparation des dommages résultant des atteintes à l'intégrité physique d'une personne, pour les frais et dépenses justifiés, nécessités par les soins d'urgence et limités exclusivement aux frais de transport ou de transfert, aux frais pharmaceutiques, médicaux et d'hospitalisation. Enfin, l'exécution provisoire peut être ordonnée en matière de salaires non contestés. Et à ce propos, une controverse est née de ce que l'article 146 du code de travail prévoit que : « Le jugement peut ordonner l'exécution immédiate nonobstant opposition ou appel, et par provision avec dispense de caution jusqu'à une somme qui est fixée par voie réglementaire209. Pour le surplus, l'exécution provisoire peut être ordonnée à la charge de fournir caution ; elle pourra cependant jouer sans limite nonobstant toute voie de recours et sans versement de caution lorsqu'il s'agira de salaires et des accessoires du salaire non contestés et reconnus comme dus ». La question s'est posée de savoir si le code de travail abroge la loi civile sur ce point. La jurisprudence pose que la loi 92/008 institue un régime général auquel le texte particulier du code de travail déroge sur des points spécifiques. D'un autre côté, et comme il fallait s'y attendre, la question s'est évidemment posée de savoir si cette énumération était limitative. Autrement, le juge garde-t-il la possibilité d'ordonner l'exécution provisoire en dehors des matières énumérées à l'article 3 de la loi de 1992 ? A cette question, la Cour suprême répond 96 par l'affirmative. « Il n'est pas interdit, a-t-elle décidé, d'ordonner l'exécution provisoire en dehors des cas prévus »210. Cela dit, l'exécution provisoire peut aussi être de droit. II L'exécution provisoire de droit L'exécution provisoire de droit est celle qui résulte de la loi. Elle est encore dite exécution provisoire légale ou exécution provisoire de plein droit. Les hypothèses visées sont celles des ordonnances sur référé et des ordonnances sur requête. Selon l'article 185 du code de procédure civile et commerciale en effet, les ordonnances sur référé seront « exécutoires par provision, sans caution, si le juge n'a pas ordonné qu'il en serait fourni une ». L'idée justificative avancée est l'urgence ou le péril en la demeure. A ces hypothèses, on y ajoute les cas prévus par des textes spéciaux. On peut citer le cas de l'article 76 al. 4 de l'ordonnance du 29 juin 1981 sur l'état civil qui prévoit que le jugement octroyant une pension alimentaire pour l'épouse abandonnée et les enfants à sa charge est exécutoire par provision nonobstant opposition ou appel. On peut encore citer le cas de l'article 238 al. 4 en ce qui concerne les mesures provisoires conservatoires ordonnées par le juge conciliateur. A côté de ces cas, le législateur africain lui-même en a consacré un autre s'agissant des décisions rendues par le juge chargé de l'exécution. En effet, après avoir posé à l'alinéa 2 de l'article 49 de l'AUPSRVE que : « Sa décision est susceptible d'appel dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé », il ajoute à l'alinéa 3 que « le délai d'appel comme l'exercice de cette voie de recours n'ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du président de la juridiction compétente ». Ce faisant, il consacre ainsi l'exécution provisoire de plein droit des décisions du juge de l'exécution. Cependant, il convient de préciser que ne sont pas concernées par cette exécution provisoire de plein droit les décisions rendues par le juge de l'exécution en matière de saisie- attribution pour lesquelles le délai d'appel 210 C.S, arrêt n°190/P du 18 août 1994, Procureur Général C.S c/ Nkonchekou Rigobert, Fambeu Nicole et autres, Lex Lata n°006, 30 septembre 1994, p.4, obs. AKAM AKAM cité par S.S. KUATE TAMEGHE, op. cit., n°36, p.49 ; Contra H. TCHANTCHOU, « Sursis ou défenses à exécution... ? L'exécution provisoire revient... ! », p.88. 97 ainsi que la déclaration d'appel sont suspensifs d'exécution sauf décision contraire spécialement motivée211. Comme on peut le constater, il s'est agi par cette faveur ainsi accordée par le législateur de permettre au vainqueur du procès, c'est-à-dire au créancier, de parer au plus pressé et surtout d'éviter que le débiteur n'entrave l'exécution future de la décision en exerçant les voies de recours dans un but dilatoire ou en se rendant insolvable. Toutefois, ayant anticipé sur les désagréments et abus qui pourraient résulter d'une telle mesure qualifiée de grave et dangereuse212, le législateur national avait prévu que l'exécution provisoire ordonnée pouvait être remise en cause. Nous dirons en somme que l'exécution provisoire de droit est celle qui se réalise automatiquement sans formalité préalable. Comme le dit l'énoncé, elle s'exécute sans la force ou l'effort de l'homme mais c'est juste le droit qui le permet. 211 Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement de créance et voies d'exécution., art.172. 212 C. DOGUE, « Une nouveauté déplorable : la prohibition des défenses à exécution provisoire », en ligne : < www.ohada.com/ohadataD-02-03>. 213 Joseph YAV KATSHUNG, Voies d'exécution, Cours, syllabus, Deuxième Licence en Droit, Département de Droit privé et judiciaire, Lubumbashi, Université de Lubumbashi, 2014, p.28. 98 Section III : SAISIE DES REMUNERATIONS COMME MOYENS PAR EXCELLENCE DE RECOUVREMENT Celle-ci est celle qui inspire le plus notre démarche dans le cadre de la rédaction du présent travail vu l'ossature de notre sujet. C'est le moyen par excellence dont peut user un employeur qui souffre de l'insolvabilité de son travailleur. Cela étant, ce paragraphe nous donne un aperçu sur ce moyen en vue de faciliter son appréhension.
Il faut d'abord une demande de conciliation. Celle-ci est présentée sous de forme de requête adressée à la juridiction compétente et contenant les énonciations prévues par l'article 179 de l AURVE. C'est seulement en cas de non conciliation que les opérations de saisies peuvent être effectuées. C'est le greffier qui notifie l'acte de saisie à l'employeur dans les huit jours de l'audience de non conciliation ou dans les huit jours suivant l'expiration d'un délai de recours si une décision a été rendue en application de l'article 181, dernier alinéa. Dans le 15 jours, l'employeur déclare au greffe la situation de son droit existant entre lui et le débiteur et les éventuelles cessions ou saisies en cours. Il informe également le greffe et le saisissant dans le délai de 8 jours de modification de ses relations avec le saisi si elle est de nature à influer sur la procédure. Pour l'article 173 de l'acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement de créance et voies d'exécution dispose : « Tout 99 créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie des rémunérations dues par un employeur à son débiteur ». Partant de cette disposition, il sied pour nous d'effectuer une analyse de certains éléments. Le créancier qui veut recourir à la procédure d'injonction de payer doit être titulaire d'une créance certaine, liquide et exigible214. La créance certaine est celle dont l'existence n'est pas contestée ; la créance liquide est une créance dont le montant est déterminé ou du moins déterminable en argent ; enfin la créance est exigible lorsqu'elle est arrivée à l'échéance. En somme, par ceci on constate que malgré les immunités salariales dont jouit le salaire, l'acte uniforme a prévu la saisie de rémunération en vue de pallier aux abus des travailleurs quoique légalement protégés. 214 AUPSRVE, article 1. 100 CONCLUSION PARTIELLE Il ne suffit pas d'avoir gain de cause en justice mais la question de l'exécution des décisions judiciaires pose problème en ce sens que le choix de voies d'exécution s'avère sensible et ce faisant, certaines personnes changent de tournure et s'égarent de ce que prévoit la loi par ignorance. Cela étant, il sied pour nous de rappeler que la munition ou le fait d'être muni d'un titre exécutoire n'est pas le terme ou la fin du processus judiciaire. Il est une procédure finale que l'on nomme la phase d'exécution qui est d'essence assez technique. Dans cette section nous avons analysé les différentes formes d'exécution provisoire l'une après l'autre pour enfin chuter sur la saisie de rémunération, une innovation du droit communautaire africain. 101 CONCLUSION GENERALE Nous voici enfin aboutir à la fin de notre travail qui se résume par la présente conclusion qui consiste pour nous de dire un mot final sur la question que nous avons traitée. Se sentant nécessaire de le dire, il sied de rappeler que notre travail était constitué de trois chapitres tel que constaté dans l'introduction générale. Le premier a porté sur les considérations générales. Deux sections ont été prévues pour développer ce chapitre ; la première a eu à définir les concepts usuels de notre sujet et la seconde a donné un aperçu historique sur le droit du travail Le deuxième chapitre a tablé sur les instruments internationaux en matière du travail auxquels la République démocratique du Congo a adhéré en vue d'améliorer la situation des travailleurs sur l'ensemble de son territoire national. Comme pour le premier, ce chapitre a été réparti en deux sections ; la première a porté sur les conventions fondamentales dont celles relatives à l'administration du travail et celles relatives à la politique sociale. Enfin, le troisième chapitre a eu à traiter des mécanismes mis à la disposition de l'employeur, créancier de son travailleur, dans le but de recouvrer sa créance des mains du travailleur malgré le caractère insaisissable dont jouit le salaire en tant que prérogative fondamentale du travailleur. Dans ce chapitre, il a été question d'entrer en revue ou de faire un inventaire mis à la disposition des employeurs créanciers de leurs en vue de recouvrer leurs créances. La première section a porté sur la diversité des voies d'exécution et la seconde a à son tour traité de la possibilité d'exécution provisionnelle d'un titre exécutoire. Il est vrai que les dispositions légales tant internationales que nationales prévoient l'insaisissabilité du salaire vu le caractère alimentaire qu'il revêt au profit son titulaire qu'est le travailleur. Mais cet aspect ne peut pas être le voile pudique des travailleurs malhonnêtes. Ainsi, pour pallier à cette nature que nous pouvons qualifier d'imparfaite de l'homme, le législateur du code du travail congolais prévoit au moins une quotité saisissable du salaire ; chose qui nous pousse à dire que cette insaisissabilité n'est pas 102 absolue, elle est relative en ce sens qu'on ne peut procéder à une saisie que sur une partie bien déterminée par la loi en la matière qu'est le code du travail. Cela étant, l'on a un mécanisme qui est la saisie des rémunérations qui est un mécanisme prévu par l'Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement des créances et voies d'exécution en son article 173 et suivants qui astreint le créancier au respect de certaines conditions tel que ci-haut souligné. De cela, nous pouvons finir en disant que la loi consacre le caractère insaisissable du salaire ; ce qui pousse certains chercheurs à dire que le salaire jouit d'immunités d'exécution mais ces immunités sont relatives vu que la loi prévoit la quotité salariale pouvant faire l'objet de saisie dans le cas où le travailleur fait preuve d'insolvabilité à l'égard de son employeur. Au terme de cette démarche scientifique, il nous parait impérieux de démontrer notre contribution quant à l'appréhension de cette étude. Notre contribution quant au sujet consiste par le fait de la pertinence et de l'efficacité que reflètent les moyens mis à la disposition des employeurs afin de recouvrer leur créance d'entre les mains des travailleurs. On se dirait, comme sous l'ancien régime, immunisé du fait du caractère alimentaire du salaire. Mais une attention soutenue devra être apportée à cette disposition légale en ce sens que malgré qu'elle consacre le caractère insaisissable du salaire, elle prévoit aussi la quotité saisissable du salaire. Tout travailleur, congolais ou étranger qu'il soit, est informé quant au sort qui lui est réservé en cas d'abus de son chef à la personne de son employeur. Ces moyens quoique tant élogiés par nous doivent encore être renforcés par le législateur car cela n'est pas du tout suffisant. 103 BIBLIOGRAPHIE |
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