A l'aide des verbatims, nous avons trié les
réponses des interviewés en fonction des thèmes. Nous
avons dans un premier temps réalisé des tableaux en reprenant de
nombreux verbatims correspondants aux thématiques puis nous les avons
regroupés dans des tableaux plus synthétisés. (Annexe
XII)
Nous avons choisi, à partir de l'analyse longitudinale de
chaque enseignant de réaliser une carte mentale pour chacun d'eux afin
de repérer les grands thèmes :
La construction identitaire
Ø Les forces de la SEGPA
Ø La SEGPA, une réponse à l'inclusion
Nous commencerons par les cartes mentales des PE
spécialisés : E1, E3, E4, E6, E7, E8, E9 et E10 puis les cartes
mentales des PLC : E2, E5, E11.
6.2.1 : Les FE
spécialisés
E1 est une professeur expérimentée qui a connu
à la fois le premier degré et le second degré. Elle
considère appartenir au premier degré et s'est retrouvée
en SEGPA suite à une recommandation de son inspecteur qui lui a dit
« Est- ce que vous avez pensé à la suite ? ».
Son objectif était de « ne pas s'enterrer dans un poste »
et ne plus passer son temps « à réconforter des
vieilles instits en fin de carrière aigries qui font mal leur boulot
alors qu'elles ont été excellentes ». Elle a
vécu l'expérience de la 6ème inclusive dans son
collège et en tire une conclusion globalement positive pour les
élèves au niveau de la stigmatisation, « l' inclusion a
favorisé les gamins qui ont fait une sixième inclusive, ils
connaissent tous les sixièmes donc ils connaissent toute leur cohorte en
fait ». En revanche, elle est convaincue du bien fondé de la
SEGPA « qui est une chance que tous les élèves devraient
avoir ». Elle met en avant la polyvalence, les petits effectifs, la
prise en compte de la difficulté scolaire. Elle se sent utile.
E3 est une jeune collègue qui n'a jamais exercé
en primaire, elle considère « avoir les compétences de
quelqu'un du premier degré » et être «
polyvalente ». Elle met en place des « projets »
et « n'est pas du tout une PLC ». Elle se sent «
à la marge ». E3 perçoit les PLC comme des experts
de leur discipline qui « crachent leurs savoirs » et «
balancent les cours sans se préoccuper des élèves
». Elle ressent une aversion contre les PLC, liée à son
expérience personnelle. Les qualités du PE spé sont
sociales et humaines avant tout avec « la bienveillance ». Travailler
en SEGPA est « motivant », elle veut faire «
progresser » les élèves et se «
démener pour eux ». Elle se sent utile. Elle ne «
pense pas que tous les élèves puissent être inclus
» car la SEGPA est un « cocon » et que le
bien-être de l'élève est prioritaire. Elle «
répare des élèves qui ont été
blessés ».
Figure 9: Carte mentale E3
E4 est un professeur expérimenté,
fatigué et usé par les injonctions mais toujours aussi
motivé par son travail auprès des élèves. C'est sa
« motivation ». Sa SEGPA est « ouverte » avec des mises en
barrettes et une sixième inclusive sauf en maths et en français
où « les élèves sont sortis ». Il se
définit comme un « vieux machin », (le mot
vieux est un terme récurent dans ses propos) qui se
« bat contre lui-même », qui a « peur de
perdre l'identité de la SEGPA », qu'on lui « vole
» son savoir-faire pour le donner aux PLC. E4 est en «
souffrance ». Il se demande avec l'inclusion ce
qu'il va devenir, « j'ai vraiment très peur,
qu'est-ce qu'on va devenir, qu'est ce que vont devenir nos élèves
? ». Il « se remet en question » en permanence, ce
qui crée chez lui « un mal-être » profond. Son
travail est centré sur l'élève dans sa
globalité : « l'élève arrive
avec sa valise de problèmes, il est encombré, il faut faire le
tri avant de pouvoir entrer dans les apprentissages ».
L'élève « doit avoir confiance ».
Ses réactions envers les PLC sont très claires
: « ce sont de très bons élèves, excellents dans
leur domaine mais qui ne savent pas faire passer leur savoir car ils le
maîtrisent trop ». En SEGPA l'enseignant a « un autre
regard » sur l'élève, il dispose d'une «
liberté de fonctionnement » et ne subit pas la «
pression des programmes » d'où une certaine liberté
: « faire du français ou parler de la pluie, du beau temps, il
peut le faire. Ou si il veut les emmener dehors, il peut le faire ».
L'inclusion lui fait peur, il trouve que l'expérience de la
sixième inclusive « est une perte de temps »
puisqu'ils reviennent ensuite en 5ème SEGPA. Il se demande si
derrière cette « belle idée » contre laquelle
« personne ne peut être en désaccord » ne se
cachent pas « des histoires d'argent et d'économie ».
Pour ne pas perdre son identité, « il tire les ficelles »
pour ne perdre la main, « je me bats contre moi-même pour
essayer encore trouver de me convaincre, de dire Allez, si je m'investis,
j'aurai encore le pouvoir ».
Figure 10: Carte mentale E4
E6 est une professeur expérimentée, timide, qui
à la base ne voulait pas répondre à mes questions. Son
directeur l'a motivée et l'entretien s'est très bien
passé. Elle n'a fait qu'une seule année en primaire et n'a jamais
quitté la SEGPA car elle « s'y sent utile ». Ses
élèves sont « ses doudous » et
sa famille c'est « l' équipe SEGPA
». La SEGPA est dans le bâtiment principal mais ils ont une
salle des professeurs SEGPA. Elle n'arrive pas à s'affirmer et prendre
confiance en elle, elle est « encore mal à l'aise par rapport
aux élèves » et « se sent parfois
démunie ». Ce qu'elle veut par-dessus tout c'est que ses
élèves « soient heureux dans sa classe » et
qu'elle-même y soit heureuse. Elle se définit comme « un
coeur de cible ». L'élève de SEGPA est «
atypique », « attachant, à qui il faut donner une
chance pour le faire progresser ». Elle rajoute « qu'il faut
changer le regard qu'ils portent sur eux ». C'est pourquoi, le PE
spé se définit comme « à l'écoute, je sens
les choses, j'ai une intuition, une empathie, j' aime les élèves
» et pour ce faire « je suis souple et patient ».
Son identité semble héritée. Elle a
toujours été une bonne élève avec un «
parcours très lisse » pour « faire plaisir
à maman ». La SEGPA selon elle « permet aux
élèves en difficultés de mettre en valeur des
compétences qu'ils ont déjà en eux, de leur redonner
confiance, ce qui, dans la vie, est complètement indispensable sinon tu
ne peux pas être heureux ». Sa perception du PLC est qu'il est
"expert dans sa discipline" , c'est " sa matière qui
prime", et que "leur degré d'exigence finalement est une forme
de maltraitance". L'inclusion, elle n'est pas contre,
mais elle doit "être réfléchie et
anticipée".
Figure 11: Carte mentale E6
E7 est une jeune professeur qui passe le CAPPEI et qui se
qualifie de « bébé de l'éducation nationale
». Elle n'a jamais enseigné dans le primaire et a un sentiment
d'appartenance à la SEGPA. Elle « ne connaît pas les
enseignants du premier degré ».
Elle était terrifiée lorsqu'elle a su qu'elle
allait enseigner à des adolescents, « mais qu'est-ce-que c'est
un adolescent ? Comment je travaille avec eux ? J'adapte comment ? ».
« L'envie de sourire et de pleurer » dit-elle.
Lorsqu'elle parle de son identité, elle utilise le mot
« challenge » et lorsqu'elle parle de ses
élèves, elle utilise le mot « défi ».
Elle est ouverte d'esprit et se questionne sur la pédagogie à
mettre en place pour « motiver ses élèves ».
Elle pense que « si je n'avais pas eu le parcours que j'ai eu , je ne
pourrais pas travailler avec des enfants qui sont en difficultés
scolaires ». Le PE spé est « bienveillant »
et elle rajoute que « la bienveillance, elle devrait être
partout ». Elle est « dans la compréhension »,
Elle a de « la patience », et une «
capacité à s'adapter en proposant différents supports
». Il est nécessaire d'avoir beaucoup de « motivation
». Oui à la co-intervention qu'elle trouve « hyper
enrichissante » qui est basée sur des projets. Elle aime
travailler avec les PLC car ils sont « experts dans leur discipline
» et de son côté, elle leur apporte « la
méthodologie et la pédagogie ». Elle apprécie
avant tout « le partage » plutôt que « la
discipline ».
Figure 12: Carte mentale E7
E8 est un enseignant expérimenté qui n'a connu
que l'enseignement spécialisé « avec un public
spécifique depuis vingt-deux ans ».
L'inclusion c'est « que l'on vive tous ensemble
» et surtout « que l'on tienne compte des
spécificités de chacun pour pouvoir y répondre au mieux et
pouvoir donner une chance à tous ». « C'est une belle
idée, mais derrière cette belle idée, y a des remaniements
et des suppressions de postes et des élèves se retrouvent
placés avec d'autres sans bénéficier d'adaptations
». L'inclusion passe selon lui par « la
différenciation des parcours » et non « l'uniformisation
». La SEGPA est une force dans les « liens » qu'elle
met en oeuvre et il souhaiterait qu'elle « soit plus ouverte aux
autres élèves ». Travailler en SEGPA est pour lui une
« fierté ».
Son identité s'est construite sur le modèle du
second degré, néanmoins il se sent très différent
de ses collègues PLC qu'il appelle « les profs de l'autre
côté ». Il n'envisage pas de « retourner en
primaire car le public et les méthodes de travail sont différents
». Si la SEGPA venait à évoluer dans un tout inclusif,
il « changerait de métier et deviendrait cuistot ! ».
Toutefois, ce serait pour lui « une trahison ». Cette
inclusion deviendrait pour lui synonyme « d'inégalitaire
».
Il établit un lien fort entre sa construction
biographique et professionnelle. L'expérience qu'il a vécu en
6ème l'a marqué profondément. Il a « fait partie
d'une classe expérimentale avec une inclusion inversée
mêlant des élèves de CPPN22 et des
élèves ordinaires ». Cette expérience a
été « une expérience marquante » car,
issu d'un milieu social classique (parents enseignants), il a découvert
d'autres types d'élèves qui « savaient faire plein de
choses avec leurs mains » et il a pris conscience qu'il n'y avait pas
« qu'une seule forme d'intelligence ».
Les qualités du PE spécialisé sont
l'amour des enfants et le fait de savoir qu'il y a plusieurs formes
d'intelligence. Son discours est paradoxal sur la crise identitaire car, d'un
côté, il est toujours aussi motivé par le travail qu'il met
en oeuvre avec ses élèves et souhaite qu'ils «
réussissent et progressent » et de l'autre, il a le
sentiment d'un « mépris et d'une non reconnaissance de
l'institution ».
22CPPN : Classe Pré Professionnelle de Niveau
Figure 13: Carte mentale E8
E9 est enseignante depuis quatorze ans. Elle est très
impliquée dans le processus inclusif et met en place de la
co-intervention avec les collègues PLC. Elle se qualifie de «
caméléon professionnel », elle change de posture
régulièrement pour contribuer à faire évoluer les
comportements et attitudes de ses collègues.
L'inclusion, selon elle, doit être «
ponctuelle ». « Ce n'est pas tout beau , tout propre, cela
demande beaucoup d'investissements, de temps et on n'a pas de retour sur les
expériences. Tout dépend du besoin des élèves
». Le collègue PLC « apporte le savoir » et
elle apporte « la pédagogie, le savoir-faire ».
Certains PLC freinent des quatre fers pour la co-intervnetion car ils ont
peur du « jugement ». Le PLC est « là pour
faire cours, pour suivre le programme et malheureusement , il n'a pas le temps
de s'occuper des élèves à BEP. Individualiser, il ne sait
pas faire ». En SEGPA, « on n'a pas cette pression des
programmes ». La perception de l'élève et le travail
sont différents : « on est en petits effectifs, on a le temps
de s'adresser à chacun des élèves durant la
journée, on a le temps de réparer ce qui a été
blessé ». La SEGPA c'est un « cocon ».
Elle ne subit pas de crise identitaire car elle se «
qualifie de personne ressource » et apprécie «
ses nouvelles missions ». Néanmoins, elle s'interroge sur
« le devenir de la SEGPA ». « On a tendance à se dire
(si on continue les pré orientés 6ème) si on fait
la même chose en cinquième, en quatrième, en même
temps, est-ce que la SEGPA va disparaître ? ». Selon elle, les
PE spé vivent une « vraie crise identitaire » due aux
changements qui incombent aux nouveaux professeurs à travers leurs
nouvelles missions. Son sentiment d'appartenance tend vers le premier
degré car « elle
n'a pas le même travail que les professeurs du
collège, pas la même formation et des visions totalement
différentes ». Néanmoins, elle rajoute que, face au
premier degré, elle « se sent à la marge ».
Les qualités du PE spé sont dans l'observation, l'écoute
et la bienveillance car l'élève de SEGPA est un
élève « abîmé par pleins d'échecs et
qu'il a une mauvaise estime de soi ».
Figure 14: Carte mentale E9
E10 est enseignante depuis quatorze ans. Elle n'a jamais
travaillé dans le primaire. Dans son collège a été
menée l'expérience de la classe miroir. En début
d'année, des évaluations sont réalisées sur deux
classes, SEGPA et ordinaire. En fonction des résultats, les enseignants
répartissent les élèves en fonction des besoins. c'est une
inclusion inversée. Elle propose des idées intéressantes
comme élaborer des progressions communes afin d'aider au mieux les
élèves. Les leviers ont été nombreux : «
Une bonne communication entre les enseignants. Des échanges
fructueux, des petits projets qui ont été mis en place
». Néanmoins, elle pense que l'inclusion à tout prix ce
n'est « ni judicieux, ni possible » car
l'élève, quand il arrive en SEGPA, pour « la
première fois, il est ravi de venir à l'école, il
progresse, il ne vient pas avec la boule au ventre », et ce dont elle
a peur c'est qu'en cas d'inclusion totale, les élèves repartent
dans leurs difficultés et leurs appréhensions de l'école,
selon elle, c'est « les envoyer au casse pipe ». Elle
qualifie la SEGPA de « cocon » que les élèves
de SEGPA ont « du mal à quitter ». Le PE spé.
développe des qualités d'écoute, d'adaptation, une
certaine façon d'être. Entre sa formation initiale et aujourd'hui,
elle considère qu'il n'y pas eu de
Elle est ouverte d'esprit et trouve que l'inclusion dans
« la théorie » est une « super idée
». Mais elle a peur que ce soit dans « un objectif de
réduction des moyens avec la fermeture des
« transformation mais une création
». Elle n'a pas de sentiment d'appartenance au premier degré
même si elle en a les compétences et la polyvalence. Elle ne se
sent pas appartenir non plus au second degré. La SEGPA lui permet une
« liberté pédagogique, la non pression des programmes
». Elle aime la relation avec ses élèves, c'est une
source de « motivation ». Par ailleurs, elle aime «
le travail d'équipe et se sent bien dans l'équipe SEGPA
».
Figure 15: Carte mentale E10
6.2.2 : Les PLC