7. Analyse transversale
Après avoir étudié les différents
entretiens, nous allons dans cette étape croiser nos données afin
de valider ou d'invalider nos hypothèses. Sur la méthodologie,
nous avons procédé en deux temps : tout d'abord, nous avons
choisi d'attribuer une couleur pour chaque catégorie et nous avons
repris chaque entretien. Ensuite, dans un tableau mis en annexe XIII, nous
avons croisé, en fonction de chaque catégorie, tous les
entretiens. En fonction des catégories que nous avions définies,
nous allons croiser les réponses de nos répondants et tenter de
répondre ainsi à nos hypothèses. Nous tentons tout d'abord
de répondre à notre première hypothèse
:
Ø Compte tenu des principes de l'école
inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer
comme un modèle pour les enseignants du collège.
7.1 : La SEGPA , un modèle de
fonctionnement. 7.1.1 : Déterminer les forces de la
SEGPA
Dans un tableau, nous reprenons les réponses de nos
répondants afin de les comparer et de les croiser. Nous avons
demandé aux répondants quelles étaient pour eux
les forces de la SEGPA et en quoi elle répondait à l'inclusion
? A cette question, les PE spé ont répondu les
éléments suivants :
Tableau 11: Les forces de la SEGPA
|
E1
|
E3
|
E4
|
E6
|
E7
|
E8
|
E9
|
E10
|
RAPPORT
|
Petits effectifs
|
X
|
X
|
|
X
|
|
|
X
|
X
|
5/8
|
Du temps
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
X
|
6/8
|
Non pression des programmes
|
X
|
|
X
|
|
|
X
|
X
|
X
|
5/8
|
Travail d'équipe
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
X
|
|
X
|
6/8
|
Individualisation/personnalisation
|
|
X
|
|
|
X
|
X
|
|
X
|
4/8
|
Redonner confiance
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
8/8
|
Changer le regard
|
|
|
X
|
X
|
|
X
|
|
|
3/8
|
Pédagogie basée sur le projet
|
|
X
|
|
|
X
|
|
|
|
2/8
|
Un lieu agréable
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
X
|
X
|
6/8
|
Transfert de compétences
ateliers/général
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
|
|
4/8
|
Ouverture d'esprit des PE
|
X
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
7/8
|
|
E1, E3,E4, E6, E9, E10 utilisent l'expression
« avoir du temps » dans leur entretien. Cette
E2, E5 et E11
sont éloignés dans leur perception. Ils donnent un
rôle prépondérant aux PE qui selon E5 sont
un « point de repère pour les élèves »
et E11 pense que les PE spé « ont une
relation plus intime avec les élèves ». Ils semblent
avoir une méconnaissance du travail réalisé par les PE et
le fonctionnement interne de la SEGPA. Néanmoins, ils sont conscients de
son utilité : E5 pense que si la structure
disparaissait, « les élèves de SEGPA qui auront des
difficultés vont couler si on les met dans une classe ordinaire. La
SEGPA est une chance de réussite pour des élèves qui
auraient eu du mal à réussir dans un parcours classique
». E11 rajoute que parfois des élèves
de l'ordinaire, mal orientés, « vont rester dans une
scolarité toute leur vie, alors que eux ils auraient eu besoin d'un
enseignement adapté, un rythme adapté, une classe plus petite
pour pouvoir exister dedans. »
7.1.1.1 : Redonner confiance
Toutes les personnes interrogées mettent en avant
qu'une force de la SEGPA est de redonner confiance aux élèves.
E3 l'exprime clairement. E6 explique que la
SEGPA « permet aux élèves en difficultés de
mettre en valeur les compétences qu'ils ont déjà en eux,
de redonner confiance en eux, ce qui dans la vie est complètement
indispensable pour être heureux ». On note d'ailleurs que le
mot « heureux » est employé par E3, E4, E6, E7,
E10. E8 rajoute : « C'est l'essence
même du taf ! ». Une élève de troisième
SEGPA est très claire sur ce point : elle dit se « sentir bien
en SEGPA et n'avoir jamais envisagé l'ordinaire » car « les
professeurs s'occupaient d'elle », notamment les professeurs des
écoles spécialisés, et surtout elle avait « peur
de perdre ses repères ». Elle a été
stigmatisée dès la primaire, non par les enseignants, mais par
les élèves qui la « frappait, l'insultait et la
harcelait ». Lorsqu'elle est arrivée en sixième, elle
pensait qu'elle était « conne », « différente
», « bête ». Avec les quatre années en SEGPA,
elle a repris confiance en elle et a pris conscience de ce qu'elle était
capable de réaliser. Mazereau (2010) conforte ce point en expliquant que
l'enseignant spécialisé accorde une place de choix à la
classe spécialisée comme lieu de respiration et de restauration
de la confiance en soi.
Nous pouvons nous interroger alors sur ce qui permet de redonner
confiance aux élèves. 7.1.1.2 : La SEGPA, un
fonctionnement bien huilé
Parmi les élément structurants de la SEGPA et
qui peuvent être des forces pour la réussite
d'élèves en difficultés, nous observons dans les
réponses des répondants quatre variables :
L e temps :
E4, E6, E8 ont clairement exprimé que le
changement de regard était important dans
notion de temps est à mettre en corrélation avec
la liberté pédagogique dont bénéficient les PE
spé avec des programmes adaptables. E3 : « Les
élèves ont le temps de pouvoir échanger entre eux, de
pouvoir dire ce qu'ils pensent, d'argumenter ». E4 :
« c'est la liberté de fonctionner. Et si je veux faire
du français ou si je veux parler de la pluie, du beau temps, je peux le
faire. Ou si je veux les emmener dehors, je peux le faire ».
E6 : « Ils ont besoin qu'on ait du temps. J'ai
du temps pour chacun d'entre eux, c'est énorme. Du coup, je ne me sens
pas déchirée, partagée ». E9 :
« on n'a pas cette pression des programmes, etc. On va
vraiment prendre l'élève et le but c'est de le faire progresser
en fait ». E10 : « Alors évidemment,
on n'avance pas forcément au même rythme, c'est que l'effectif
réduit permet un travail plus individualisé, d'avoir des
interlocuteurs peut-être plus disponibles. Ils sont rassurés,
c'est des gamins qui ont besoin de repères, de temps ».
E1 : « S'il n'y a pas une trace écrite
récente, c'est pas grave. Si on n'évalue pas tout exactement, ce
n'est pas grave non plus, voilà c'est cette liberté là,
pédagogique ».
A contrario, les professeurs de collège
interrogés clament dans leurs entretiens qu'ils n'ont pas assez de
temps. Ce manque de temps provoque chez eux des difficultés
d'organisation et met à mal leur professionalisme.
Les petits effectifs :
E1, E3, E6, E9 et E 10
mettent en avant les petits effectifs. Le fait d'être en petits
effectifs permet aux élèves de « prendre plus la parole
» (E3). « D'entrer plus facilement dans les
apprentissages » (E4), « d'avoir les
mêmes bases d'apprentissage que les autres mais en adaptant les contenus
des cours et les outils utilisés », « de
transférer les compétences" (E3), de
« renforcer la complémentarité »
(E8) entre les ateliers et les cours de
mathématiques et de français, « le projet professionnel
qui est commencé très tôt dans la scolarité »
(E3). E9 rajoute que les petits
effectifs lui permettent « tous les jours de s'adresser à
chacun des élèves » et dans sa journée, elle
doit « s'adresser au moins une fois à chacun de ses
élèves pour les réparer, rétablir leur estime de
soi ». Pour E10 « les élèves
n'avancent pas au même rythme, ils ont un travail individualisé,
des interlocuteurs plus disponibles et ils sont rassurés ».
Quant à E7, elle fonctionne « en projet
et en plan de travail ».
Les classes à effectif réduit sont une demande
des enseignants du secondaire depuis des années, qui permettrait de
mieux gérer l'hétérogénéité
grandissante. Ramel (2010) explique dans son article que les enseignants
"regrettent la suppression des classes à effectif réduit car
cette suppression a entraîné des effets négatifs sur les
élèves en difficulté, sur les autres et sur les
professeurs".
Un autre regard sur
l'élève
l'évolution de l'élève. Les autres
répondants, bien que n'ayant pas utilisé explicitement
l'expression « changer de regard » ont la même approche dans
leurs propos. E7 : « permettre à
l'élève d'aller le plus loin possible », E10 :
« en fonction de ses capacités », E1 :
« les voir progresser ».
La SEGPA, une famille
Cette approche pédagogique qui semble appartenir
à la SEGPA se retrouve dans la perception de la SEGPA elle-même.
Les répondants sont nombreux à avoir utilisé les mots
« cocon », « famille », « équipe ». Et
cette perception de la SEGPA se retrouve également chez les
élèves. E6 explique qu'en cas de sixième
inclusive, les élèves « ne veulent pas y aller. Ils sont
trop bien. Ils sont un groupe ». La SEGPA fait « partie de
l'identité du collège, c'est important d'avoir un groupe classe,
d'avoir un petit cocon dans lequel on peut se retrouver, auquel on peut se
référer » (E3), lorsque les
élèves pré-orientés sont dans une sixième
inclusive, les élèves « sont rassurés que je sois
dans la classe, quand ils vont intervenir, quand ils vont parler »
(E9). La SEGPA « c'est plus familial, c'est
presque obligé puisqu'on a un fonctionnement d'instit ».
« c'est dur pour eux de quitter leur petit cocon de SEGPA »
(E10).
Les parents viennent conforter parfois le travail
réalisé en SEGPA. E10 nous dit que «
les parents arrivent en disant : pour la première fois, mon enfant
est ravi de venir à l'école, il est content, il a pas la boule au
ventre, il trouve qu'il arrive à progresser ».
Nous constatons ici un des problèmes fondamentaux par
rapport à la perception et au vécu des PLC. E2,
E5 et E11 s'expriment largement sur leur
manque de temps, qu'ils n'arrivent pas à faire face aux injonctions
prescrites. Torres (2014) parle d'une « dévaluation sociale du
métier ». En effet, il constate qu'avec la massification des
publics, les enseignants du secondaire font face à des classes de plus
en plus chargées en effectif et de plus en plus
hétérogènes, ce qui amène une souffrance au
travail. Or, ce sentiment de souffrance, dont nous reparlerons, n'est pas
exprimé par les PE spécialisés. En réalité,
les PLC souhaiteraient des conditions de travail similaires aux PE
spécialisés (temps, effectifs, moins de pression
institutionnelle) mais compte tenu des lois sur l'inclusion, la politique de
l'éducation nationale ne se dirige pas vers ce type d'organisation.
7.1.2 : La SEGPA, un modèle
d'inclusion?
Rappelons les principes d'une école inclusive : les
modalités pour une école inclusive peuvent se résumer en
un certain nombre de dispositifs selon Boutin et Bessette (2009, p.57) :
Ø créer un climat favorable à l'acceptation
de la diversité
Ø modalités d'intervention concernant
méthodes et techniques pédagogiques (enseignement mutuel, travail
d'équipe, apprentissage coopératif)
Ø place importante donnée à
l'individualisation et à la différenciation
Ø pédagogie de projet
Les interviewés, dans les forces de la SEGPA, citent
le travail en équipe (E1, E3, E4, E6, E8, E10) qui se
met en place au sein de la SEGPA, et au sein du collège avec des projets
pluridisciplinaires. E3 : « on avait fait un projet
en anglais sur Thanksgiving et du coup, avec le collègue PLP en HAS, on
a fait toute une matinée de la cuisine et on avait préparé
des repas, enfin des plats typiques de cinq villes. C'est un peu un
mélange de tout : atelier, projet, pas trop de frontal, faire en sorte
que ce soit l'élève qui construise un peu son savoir ».
E6 : « On est une équipe, on arrive
à discuter tous ensemble avec des points de vue différents
». E4 : « On a ouvert dans les classes un
grand trou dans le mur, j'interviens avec ma collègue pour un même
groupe » E10 : « travail d'équipe, travail
d'équipe, c'est intéressant et motivant ». E1 : «
quand il y avait la 6ème inclusive.le travail en équipe avec
l'équipe français. Et en maths, si on cherchait, on y arriverait
aussi, ça se fait très bien ».
L'individualisation et la
différenciation
E3 : « J'ai envie de me
démener et de faire en sorte de pouvoir répondre à tous
leurs besoins. Donc oui, c'est motivant, leur permettre d'avoir les mêmes
bases d'apprentissage que les autres, mais en adaptant, en adaptant les
contenus de cours, les outils utilisés, d'adapter son enseignement pour
que chaque élève puisse acquérir les mêmes
connaissances, mais par des chemins différents ». E10
: « pouvoir adapter le programme et que l'élève
suive désormais ses apprentissages à son rythme, en fait en
fonction de ses capacités ». E3 : «
on va quand même proposer des aménagements et des adaptations
pour qu'il puisse suivre le même enseignement que les autres
».
Une ouverture d'esprit
E3 : « Et on avait émis
l'idée de pouvoir casser tout un niveau pour faire des groupes de besoin
», E8 : « On a deux systèmes de
co-intervention, heu... un triple système de co-intervention. Avec les
profs d'atelier, la deuxième intervention qu'on a c'est entre PE, on a
un projet sur le développement durable », E6 :
« on a eu une réunion avec des parents dont les
enfants avaient des dys. Moi, j'ai adoré ce moment-là parce qu'un
moment d'échange et de partage, l'association qui nous donne des pistes
pour voir comment on peut travailler ensemble ». E9 :
« On a vraiment essayé de communiquer, de construire
des choses ensemble, pour tous les élèves. Le but n'était
pas du tout de juger l'un ou l'autre quoi. Je le fais déjà un
petit peu, donc ça serait un peu poursuivre une mission, peut-être
les étendre vers d'autres défis à relever ».
E7 : « Oui, un gros projet avec le
Sous l'impulsion des PE spé et leur ouverture
d'esprit se mettent en place des dispositifs inclusifs qui amènent les
élèves à être des collégiens à part
entière, tout en adaptant leur pédagogie
prof de physique-chimie en 6ème, on a
mélangé deux classes, on a fait cours tout le temps à deux
avec 33 élèves Je vais pouvoir plus aller voir les
élèves, les aider, les accompagner, leur dire ce qu'il faut
faire, comment se comporter tout en chuchotant. Je pense que ça a un
impact important pour les élèves de SEGPA, où on voit que
certains sont très bien inclus dans la classe. C'est hyper enrichissant.
On se répartit les rôles : il a plus commencé à
mener parce que c'était des thèmes sur lesquels je n'étais
pas à l'aise ». E10 : « on a
créé une sixième miroir : donc c'est une sixième,
la 6ème SEGPA, qui a un emploi du temps en miroir avec une
sixième ordinaire sur quasiment toutes les matières. C'est de
faire une progression commune au niveau des notions ».
Les PE Spé. utilisent beaucoup le terme «
motivation » et sont ouverts d'esprit. Ils sont habitués à
un fonctionnement en équipe (entre les 2 PLP et les 2 ou 3 PE
spé) et n'hésitent pas à impulser des idées,
toujours dans l'intérêt des élèves. Toutefois, on ne
peut omettre des freins à ce que souhaitent mettre en
oeuvre les PE :
Lorsque les PE spé proposent des co-interventions, ils
se retrouvent devant des réponses négatives de la part des PLC
qui « ont peur du jugement » (E6, E9).
E3 explique que « les collègues n'ont pas
spécialement envie de faire la co-intervention, c'est les
collègues qui ne veulent pas ». E6 avait
demandé mais « C'était prévu : le prof est pas
trop chaud, quoique un peu timide... ça lui semble un petit peu
compliqué ». E10 nous explique qu'il y a des
« couacs dans les emplois du temps. Il y a plein de choses qui
n'avaient pas été prises en compte et du coup, les barrettes,
l'emploi du temps barrette, sixième SEGPA et sixième miroir
». E9 rajoute que cela lui « ajoute une
somme de travail considérable ».
Les PE spé semblent convaincus du bien fondé de
la SEGPA. Pour répondre à l'inclusion telle que la définit
Plaisance, à savoir « que la notion d'école inclusive repose
en premier lieu sur un principe éthique : celui du droit pour tout
enfant, quel qu'il soit, à fréquenter l'école ordinaire
», la SEGPA, de part son rôle et son fonctionnement interne,
répond à ce droit. D'ailleurs, E3 se questionne sur la notion
même d'école ordinaire, elle se demande « C'est quoi
l'école ordinaire ? » , elle trouve ça « un
peu bizarre qu'on dise l'école ordinaire. C'est dire que les
élèves qui sont en SEGPA ne sont pas dans une école
ordinaire ? ». Comme Zaffran, les PE spécialisés sont
persuadés que l'inclusion est une valeur à défendre et
à promouvoir , mais ils se retrouvent parfois face à des
enseignants de collège qui refusent de modifier leurs pratiques (mission
2018) et qui subissent des tiraillements répétés entre ce
qu'ils peuvent faire et ce qu'ils doivent faire (Tardif et Lessard).
aux difficultés de leurs élèves. Comme
le souligne E3, « cette pédagogie devrait être mise en
place aussi au niveau des collégiens de l'ordinaire ». Les PE
spé sont conscients des problématiques de leurs
élèves et oeuvrent par leur pédagogie et par le
fonctionnement même de la SEGPA (petits effectifs, du temps, des
programmes allégés, de la différenciation, de
l'individualisation) à la réussite de tous les
élèves. Les enseignants de collège vivent une profonde
"redéfinition de leur rôle et de leurs missions [...] La crainte
accompagnée souvent de résistance que suscite chez beaucoup
d'enseignants la volonté d'intégrer un plus grand nombre
d'élèves présentant des difficultés est celle de
voir leur métier changer en profondeur, touchant par
là-même à la nature de leur métier et donc à
leur identité professionnelle" (Ramel, 2010, p.385).
Les PE spé donnent du sens à ce qu'ils mettent
en place et même s'ils sont conscients d'une mutation profonde de leur
métier, ils travaillent dans l'adaptation. Or, force est de constater
que cette adaptabilité les incite à mieux gérer les
changements qui les attendent. A la différence du professeur de
collège, le PE spé n'a pas à renoncer "au mythe de
l'homogénéité" (Ramel, 2010, p.389), ce qui l'amène
ainsi à considérer les tâches liées à
l'inclusion comme possible à réaliser.
Pour valider notre hypothèse n°1 : Compte
tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son
fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les
enseignants du collège, il fallait d'une part que les
répondants reconnaissent des forces à la SEGPA et d'autre part
qu'ils estiment que de par son fonctionnement, la SEGPA porte en elle les
principes inclusifs. Compte tenu des réponses, nous
considérons que notre hypothèse 1 est validée.
Désormais, nous allons tenter de valider ou
d'invalider notre hypothèse n°2 qui porte sur l'identité
professionnelle du PE spé. Comme nous l'avons dit
précédemment dans notre cadre théorique, les
données scientifiques sur l'IP des PE spé sont minces. Nous nous
appuierons sur le concept d'identité défini par Dubar
(identité héritée) et le versant psychologique
défini par Iannccone, Tatéo et Marsico (2008). Concernant l'empan
liminal, les travaux de Gennep nous seront utiles.
7.2 : Une identité professionnelle à la
marge
Une définition de l'élève de
SEGPA :
7.2.1 : Une perception commune de
l'élève de SEGPA.
Dans la circulaire de 2015, l'élève de SEGPA
est défini comme « présentant des difficultés
scolaires graves et persistantes auxquelles n'ont pu remédier les
actions de prévention, d'aide et de soutien ».
Qu'en pensent nos répondants ? Le mot «
difficultés » n'est quasiment pas employé quand on leur
demande ce qu'est un élève de SEGPA. En revanche, les termes
employés portent plus sur la globalité de l'élève.
E4 parle de « désordre total dans leur
tête, qu'ils sont encombrés, qu'ils s'empêchent de
réfléchir et qu'il faut trier, faire du rangement, ils sont
abîmés ». E3 « répare
des élèves qui ont été blessés dans leur vie
», E7 les décrit comme des
élèves « ayant des difficultés d'apprentissage et
qu'ils ne sont pas, comme elle peut l'entendre parfois, des
imbéciles ». E9 reprend le même terme
que E4, à savoir « abîmés
», « ils ont une mauvaise estime de soi, souvent
découragés, ils cumulent tous les problèmes ».
Le mot « attachant » est repris par E8, E6, E9
et E10. Nous pouvons noter que les mots employés par les
répondants sont violents : « abîmés,
réparés, blessés ». Les PE spé semblent
avoir une relation plus psycho-sociale que disciplinaire. A contrario, les PLC
sont beaucoup plus sur le côté « attente disciplinaire »
: E5 définit l'élève comme «
ayant besoin de plus de temps ». E2 : «
ils ont du mal à avoir des règles, lever la main, travailler dans
le silence, se concentrer » et E11 rejoint
E5 en disant « ils sont capables d'assimiler des tas
de choses mais sur un temps plus long avec une quantité plus
limitée ».
Certes, les PE spé. sont conscients des
difficultés scolaires de leurs élèves, mais leur vision
est élargie aux différentes problématiques qui touchent
les élèves de SEGPA. Ils cumulent en effet, comme le disent les
répondants, des problèmes cognitifs, sociaux, économiques.
Zaffran (2010) corrobore ce constat sur l'élève de SEGPA. A
défaut d'analyses sociologiques poussées sur les
élèves de SEGPA, il remarque, en établissant une
étude comparative entre les élèves qui se dirigent vers la
voie ordinaire et les élèves qui sont orientés vers le
spécialisé, que les difficultés ne sont pas uniquement
liées aux résultats scolaires mais bien plus à des
difficultés sociales. Pour justifier son analyse, il explique qu'il
« suffit de souligner la forte proportion d'élèves dont le
chef de famille est ouvrier non qualifié ou inactif, par comparaison aux
employés, de noter l'effet de la taille de la famille et de la
composition du ménage sur l'orientation (les élèves de
Segpa vivent plutôt dans une famille recomposée ou monoparentale,
ils ont trois frères ou soeurs ou plus).) » (Zaffran, 2010, p.86).
De cette perception de l'élève découle une perception du
travail différente à la fois des PLC mais aussi des PE de
l'ordinaire. Ce qui nous a surpris lors de la retranscription des entretiens,
ce sont l'utilisation des termes « heureux », « contents »
et « motivation ». E3, E6, E1 pensent que la mission
principale de l'enseignant, « c'est de donner envie à
l'élève de rentrer dans la classe et d'être heureux dans sa
classe, heureux d'apprendre de nouvelles choses ».
Les répondants ont envie de « se
démener en classe ». Pour eux, c'est une véritable
source de motivation (E3, E6, E8, E10). Ils prennent
l'élève dans sa globalité avec « ses
difficultés, ses connaissances, ses capacités, la famille »
(E10, E4). Nombreux disent également que pour eux
c'est important de se « sentir utile » (E6, E1, E10,
E3). D'ailleurs, E6 explique très bien que son
premier poste qui était un poste protégé dans une
école de campagne, où tout s'était bien passé,
était beaucoup moins gratifiant pour elle car « ce sont les
élèves qui lui apprenaient et qu'elle ne servait à rien
». Dans cette perception du travail, tous les répondants
parlent de « réussite et de progrès ». Compte tenu de
la définition donnée par la circulaire, au regard des
réponses, nous pouvons dire que la perception du travail mais aussi de
l'élève va bien au-delà du constat de «
difficultés ». Cette dimension psycho-sociale où
l'élève est pris dans sa globalité, où le contexte
de l'élève est pris en compte, modifient à la fois
l'attitude de l'enseignant mais a aussi une répercussion sur
l'élève dans ses apprentissages. Ce qui nous amène
à nous interroger sur les qualités intrinsèques de
l'enseignant spécialisé de SEGPA.
7.2.2 : Les qualités du FE
spé.
A la question : « Donnez deux ou trois qualités
de l'enseignant spécialisé en SEGPA », voici les
réponses des répondants :
Tableau 12: Les qualités du PE spé
Qualités
|
E1
|
E3
|
E4
|
E6
|
E7
|
E8
|
E9
|
E10
|
RAPPORT
|
Bienveillance
|
|
X
|
X
|
|
X
|
|
|
|
3
|
Patience
|
X
|
X
|
|
X
|
X
|
|
X
|
|
5
|
Etre à l'écoute
|
X
|
|
|
X
|
|
|
X
|
X
|
4
|
Aimer les enfants
|
X
|
|
X
|
X
|
|
X
|
|
X
|
5
|
Observateur
|
|
|
|
|
|
|
X
|
|
1
|
Comprendre
|
|
X
|
X
|
|
X
|
|
|
X
|
4
|
|
La définition de bienveillance du
dictionnaire Larousse est la suivante : « Disposition d'esprit inclinant
à la compréhension, à l'indulgence envers autrui ».
Roelens (2019) propose une conceptualisation de la « bienveillance »
pensée comme un « moyen de soutenir le devenir autonome d'un autrui
vulnérable et de faire face à certains défis, comme
l'éducation ».
La patience est définie comme suit
dans le dictionnaire Larousse : « Aptitude à ne pas
s'énerver des difficultés, à supporter les
défaillances, les erreurs ». Entre la perception du travail et la
perception de l'élève, les répondants se sentent investis
d'une mission, celle de donner à l'élève
l'envie de croire en lui, en ses capacités et que
même s'il ne correspond pas à la norme établie par la
société, il a des choses en lui qui font qu'il est un être
unique. E8 explique qu'il « n'y a pas qu'une seule
forme d'intelligence », E6 : « que chaque
élève a des compétences, il faut juste savoir les mettre
en valeur, leur redonner confiance ». Il n'est donc pas surprenant de
constater que les réponses reflètent une approche de
l'élève basée sur la bienveillance, sur l'écoute,
mais aussi sur la patience. Cette bienveillance passe aussi par « un
autre regard » (E4, E9). Un regard qui tolère
la différence et qui permet à l'élève de prendre
confiance en lui et ainsi d'entrer dans les apprentissages.
Au regard des définitions du Larousse et de Roelens,
les PE spé. comprennent, font preuve d'indulgence et amènent
l'élève durant ces quatre années à acquérir
les bases de l'autonomie. E4 utilise la métaphore de la
maison avec « les fondations ». Il construit les «
fondations de la maison durant les années de sixième,
cinquième, quatrième. Puis en troisième, les fondations
sont là, et on peut se poser et travailler pour l'avenir ».
Nous pouvons noter E9 qui ne donne qu'une qualité
: l'observation. Elle se positionne dans le cadre d'une sixième
inclusive où elle travaille beaucoup en co-intervention auprès de
deux professeurs d'histoire-géographie ainsi qu'une professeure de
mathématiques. Lorsqu'elle parle des co-interventions, elle explique la
pédagogie des deux enseignants d'histoire et elle note qu'elle a «
un regard différent et une notation différente. Pour les
élèves pré orientés, ça les rassure qu'elle
soit là dans la classe quand ils vont intervenir, qu'ils vont parler
». Grâce à son observation, elle a un regard qu'elle ne
pourrait pas avoir si elle avait la classe entière et cela lui permet de
constater que pour certains, l'inclusion est une réussite et pour
d'autres, un échec.
En conclusion de cette sous partie, nous pouvons
dégager certains traits caractéristiques de l'identité
professionnelle des PE spé : ils prennent l'enfant dans sa
globalité, sont dans la bienveillance, dans la patience et dans
l'écoute de l'élève. Ils souhaitent avant tout son
bien-être, qu'il soit bien dans l'école et dans sa tête et
qu'il réussisse. Qu'en est-il de l'identité professionnelle du PE
spé ? Y a t-il un lien entre l'identité héritée et
l'identité professionnelle ? Traverse t-il une crise identitaire ? Si
oui, est-elle liée à l'inclusion et une éventuelle peur de
la disparition de la structure SEGPA ? Se considère t-il comme
appartenant au premier degré, de par sa formation initiale, ou au second
degré ? Quelle regard porte t-il sur les PLC ?
Tableau 13: Lien entre identité biographique et
identité professionnelle
7.2.3 : Une identité
héritée.
|
E1
|
E3
|
E4
|
E6
|
E7
|
E8
|
E9
|
E10
|
RAPPORT
|
parcours chaotique
|
|
X
|
X
|
|
X
|
|
X
|
|
4/8
|
parcours sans incident
|
X
|
|
|
X
|
|
X
|
|
X
|
4/8
|
|
Compte tenu des réponses, il semble que que quel que
soit le parcours, a priori cela ne joue pas sur l'incidence à enseigner
en SEGPA et surtout à vouloir y rester. Il nous semble
intéressant de nous concentrer sur E1, E6, E8 et E10. Quand on regarde
le parcours de E8, il est assez révélateur. En
dehors du fait qu'il n'ait jamais eu de soucis scolaire (Kagne- Hypokagne), il
se sent attiré irrémédiablement vers l'élève
en difficulté. En sixième, il a vécu une expérience
qui a marqué et sa voie professionnelle et sa façon de voir la
vie et notamment les normes établies de la société. Issu
de milieu enseignant, rien de mieux qu'une reproduction du schéma
social. Or, en sixième, il a « fait partie d'une classe
expérimentale au collège. Le chef d'établissement avait
mixé la moitié des CPPN et la moitié des
élèves classiques, l'inclusion à l'époque. Ils
étaient tous des enfants très sages qui sont devenus des
élèves pas très sages ! ». Il est
persuadé que cette expérience lui a appris « à
faire toutes les bêtises mais voir plein de trucs de la vie, qu'il
trouvait génial, notamment la construction de meubles ». A
partir de cette expérience, il a vu les choses différemment et a
constaté qu'il y avait « plusieurs formes d'intelligence
».
E1 et E10 ne donnent aucune raison pour
expliquer leur appétence à enseigner dans le
spécialisé. E1 explique que sa première
motivation pour devenir enseignante c'était « les vacances
», puis une quinzaine d'années dans le primaire pour se
tourner ensuite vers la SEGPA pour « éviter de devenir une
vieille enseignante aigrie et fatiguée ». Quant à
E10, après avoir travaillé avec des adolescents
handicapés, elle s'est tournée naturellement vers les SEGPA pour
continuer « l'orientation professionnelle ». E6
tient un discours qui est implicite. Il est possible
d'interpréter et de lire entre les lignes. Elle admet « n'avoir
aucune confiance en elle » et bien qu'elle ait été
toujours une bonne élève, c'était « pour faire
plaisir à maman et faire ce que maman lui disait ». Elle se
définit comme un « coeur de cible » et parle de ses
élèves comme « ses doudous ». Les mots qu'elle
emploie sont emprunts de souffrance : elle utilise les mots «
blessure, démunie, mal à l'aise » la concernant. Ce
vocabulaire et son manque de confiance en elle peuvent expliquer son envie
d'enseigner auprès d'élèves en difficultés
où elle se « sent utile » et peut-être pouvons
nous supposer ce sentiment d'exister pour elle et pour autrui.
Concernant les quatre autres répondants, on constate des
points de convergence :
Ø Ils n'ont pas confiance en eux mais se
considèrent tous comme « des élèves moyens, qui
aiment l'école mais que l'école n'était pas adaptée
à eux ».
Ø Enseigner en SEGPA est un « défi,
c'est challengeant ». E7 dit avoir voulu faire un
« bac scientifique parce que c'était challengeant et surtout on
lui a dit qu'elle n'y arriverait pas. Ensuite, elle a passé deux
fois le concours, « elle avait trop peur de dire ce qu'elle pensait
car elle était persuadée qu'en face, le jury savait mieux qu'elle
et qu'elle allait avoir l'air ridicule ». Elle affirme clairement que
« si elle n'avait pas eu le parcours qu'elle a eu , elle n'aurait
peut-être pas pu travailler avec des élèves qui sont en
difficultés scolaires. Elle pense mieux comprendre les
élèves, elle fait attention quand elle s'adresse à eux
». Elle ajoute « qu'il est nécessaire d'avoir
traversé des difficultés dans sa vie pour pouvoir comprendre les
difficultés d'autrui ».
Ø Un système éducatif qui ne convient
pas. E3 et E4 se qualifient de «
rebelles ». Les deux répondants, avec une grande
différence d'âge, ont été parachutés ou
« balancés » dans le spécialisé
dès leur première affectation. Durant leur scolarité, ils
ont établi les mêmes constats : « c'était
l'excellence qui primait, les prof crachaient leurs savoirs, il n' y avait
qu'un seul chemin ». Comme E7, leurs parcours
biographique a influé sur leurs parcours professionnels dans le sens
où ils comprennent mieux leurs élèves, n'ont pas envie de
reproduire un schéma qu'ils ont détesté et oeuvrent pour
le respect des différences en adaptant leur pédagogie.
Au regard des réponses, finalement, le lien entre
identité biographique et identité professionnelle existe. On peut
donc parler, comme le mentionne Dubar, d'identité
héritée.
7.2.4 : Un empan liminal?
Les travaux de Gennep, repris dans la thèse de
Saint-Martin, nous ont interrogés sur le positionnement professionnel du
PE spé. Gennep parle de rite de passage, de flottement entre deux mondes
: les enseignants spécialisé en SEGPA sont-ils dans cet empan
liminal ? Se définissent-ils clairement comme appartenant au premier
degré ? Travaillant dans le second degré, se
considèrent-ils comme des PLC ? Jaboin (2010) nous dit qu'enseigner dans
le second degré pour les professeurs des écoles , «
c'est endosser un héritage, celui des pratiques
sédimentées et des valeurs léguées par la tradition
de l'enseignement spécialisé. »
Tableau 14: Un empan liminal
|
E1
|
E3
|
E4
|
E6
|
E7
|
E8
|
E9
|
E10
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J'appartiens au premier degré
|
X
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|
|
|
|
|
|
J'appartiens au second degré
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Je suis entre les deux
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
en partie X
|
|
E1 est la seule à affirmer clairement
appartenir au premier degré. Sa réponse est en cohérence
avec son parcours professionnel. A la différence des autres
répondants qui ont, soit été directement «
balancés » (E3 et E4) en SEGPA après leur
année de formation initiale, soit ont eu une seule année dans
l'ordinaire, E1 a passé quatorze années dans le
primaire. A sa dernière inspection, « l'inspecteur lui a
demandé de réfléchir à la suite de sa
carrière en lui expliquant qu'elle avait la chance d'avoir un
métier qui lui permettait de pouvoir enseigner en maternelle, changer de
ville, de quartier et qu'il ne fallait pas s'enterrer dans un poste
». E1 justifie son appartenance au premier degré en disant
« qu'elle a gardé le rituel d'écrire la date au tableau
tous les matins ». E9 est partagée. Elle
enseigne depuis huit ans en SEGPA. Elle est arrivée sur le poste au
troisième mouvement sans l'avoir demandé mais aujourd'hui «
elle ne le regrette pas et souhaite y rester ». Elle explique :
« j'appartiens au premier degré, je n'ai pas le même
travail que les professeurs de collège. On n'a pas eu la même
formation et je pense que nos visions sont totalement différentes. Mais
en même temps, j'ai envie de dire, je suis un peu à la marge. J'ai
l'impression d'être un peu un caméléon ».
E9 est très investie dans le processus d'inclusion
et est amenée à travailler en co-intervention avec ses
collègues PLC. Et elle constate, comme le mentionnent Tardif et Lessard,
qu'elle change de posture en fonction de l'interlocuteur qu'elle a en face
d'elle. D'où son expression de « caméléon
». Les autres répondants mettent en avant la polyvalence du PE
ainsi que ses compétences comme des forces. E4 et
E8 affirment que si la SEGPA venait à trop se
transformer, ils changeraient de travail : E8 ferait «
cuistot », quant à E4, « ce n'est pas
envisageable » pour lui de retourner en primaire. Il ne se voit pas
« réécrire la date au tableau tous les matins »
car il devrait « réapprendre à écrire
correctement et pour lui ce serait une catastrophe ». Ils disent tous
qu'ils sont à la marge. Parallèlement, ils affirment ne
ressembler en rien au PLC. E8 parle d'eux en les appelant
« les profs de l'autre côté ». E6 nous dit
« n'avoir jamais enseigné en primaire, qu'elle ne connaît
aucun enseignant du primaire et qu'elle n'est même jamais allée
dans une école de secteur ». Son sentiment d'appartenance est
auprès de ses collègues de SEGPA.
Parmi les répondants qui se qualifient être
à la marge, nous pouvons faire les constats suivants :
Ø Aucune ou une année d'expérience dans le
primaire
Ø Une méconnaissance de l'enseignement en
primaire
Ø Un sentiment d'appartenance à l'équipe
SEGPA
Ø Des visions très différentes entre PLC et
PE spé.
Ø Une richesse provenant de la polyvalence et de leurs
compétences pédagogiques (qui sont en lien avec la perception de
l'élève en difficultés).
Il semble donc que les PE spé interrogés se
trouvent, comme le définit Gennep, dans un rite de passage mais
où ils restent acculés. De même, leur perception de leur
métier, leurs objectifs d'éducation semblent, comme nous
l'explique Jaboin, appartenir à un héritage. Nous avons pu lire
que les PE spé se distancient des PLC. Nous allons tenter de voir quelle
perception ont-ils de ces professeurs de collège et pourquoi se
sentent-ils si différents ?
7.2.5 : La perception des PLC par les PE
spé.
En premier lieu nous aborderons la définition d'un PLC
par un PE spé : Le professeur de lycée et collège est
défini comme « un bon élève », «
excellent dans son domaine » qui « maîtrise un
savoir technique sur sa discipline ». Ils « ont des
degrés d'exigence plus pointilleux sur les évaluations
». En second lieu, nous pouvons constater que les répondants
sont nombreux à signifier qu'ils n'ont pas la même approche en
terme de pédagogie. E4 E3 et E6 sont
très virulents dans leurs propos : « les PLC , dans leur
tête, ils n'ont qu'un seul type d'élève en face d'eux, ils
crachent leurs cours [...] avec un seul type de document, avec un seul chemin
à prendre » (E3). E4 :
« le PLC maîtrise tellement bien son savoir qu'il n'arrive pas
à le faire passer, qu'il commence à rencontrer les
problèmes de l'hétérogénéité et la
difficulté sauf qu'il n'a pas les moyens de fonctionner comme un PE
spé car il a pas l'habitude ». E6 va
juqu'à utiliser le mot « maltraitance ». Il n'est pas
surprenant de lire les propos de E4 et de E3
compte tenu de ce qu'ils ont vécu durant leur parcours
scolaire. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, le
système scolaire ne leur convenait pas et il reste une certaine
amertume, un regard très critique envers les enseignants de
collège.
En conséquence, les PE spé n'expriment aucun
point commun avec les PLC en terme de vision pédagogique et
éducative. En revanche, ils sont conscients pour certains qu'ils peuvent
s'apporter des choses mutuelles. E7 le fait remarquer
lorsqu'elle dit « le PLC apporte le savoir et qu'elle apporte la
pédagogie ».
7.2.6 : Les PE spéface aux injonctions
ministérielles.
Nous entendons par injonctions ministérielles tout ce
qui émane de l'Institution et nous nous posons les deux questions
suivantes :
Ø Comment les PE spé réagissent-ils aux
lois et textes qui définissent leurs missions ?
Ø Comment perçoivent-ils leur relation avec leur
hiérarchie ?
Tableau 15: Les PE spé et l'institution
|
E1
|
E3
|
E4
|
E6
|
E7
|
E8
|
E9
|
E10
|
Connaissance des lois et des textes notamment sur
l'inclusion
|
dans les
grandes lignes
|
pas
vraiment
|
pas
vraiment
|
pas
vraiment
|
dans les grandes lignes
|
pas
vraiment
|
|
|
Incompréhension des PE/aux demandes
hiérarchiques
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
X
|
|
X
|
|
Les PE spé. aimeraient plus de visibilité sur
ce que l'institution leur demande de mettre en oeuvre. Le sentiment de
"naviguer à vue" est ressenti par certains qui se posent la question du
pourquoi ?Dans quel but ? E3 prend l'exemple des
expériences sur les sixièmes inclusives en disant « j'ai
l'impression qu'on nous force mais on va nous demander de la faire sans
forcément qu'il y ait de retour ». Les injonctions sont «
balancées ». L'exemple du Diplôme National du Brevet
professionnel (DNB pro) a été cité par E3, E8
et E10. Désormais, l'institution demande
à ce que les élèves de troisième SEGPA soient
présentés au DNB pro. Or, jusqu'à présent, les
élèves de troisième devaient sortir de leur cursus avec
l'acquisition des compétences de cycle 3. Désormais, il est
demandé aux PE spé de préparer leurs élèves
en travaillant des compétences de cycle 4. Or, les PE spé n'y
sont pas préparés : « on doit tous les présenter,
mais on ne nous propose pas de cadres pour mieux les préparer »
(E3), « il n'existe pas de
référentiel en français et en maths pour le DNB pro »
(E8). E10 s'interroge également
en se demandant « si on inscrit tous nos élèves de SEGPA
au DNB pro, quel est l'intérêt de garder la structure SEGPA ?
». Les injonctions tombent sans mettre les moyens en oeuvre pour
aider les enseignants. Ces derniers regrettent « le manque de
formation, de concertation entre collègues ».
Nous notons également le sentiment d'un manque de
soutien de l'institution chez certains, notamment E4 qui vit
difficilement le fait « d'aller prêcher la bonne parole aux PLC
et d'expliquer comment ça fonctionne un élève en
difficultés ». E8 reproche à
l'institution sa défiance envers les enseignants et un manque de
reconnaissance, il dit que « le système n'est pas performant,
que le gel du point d'indice témoigne clairement de la reconnaissance de
l'Etat sur l'utilité de notre travail » et il se questionne
sur la reconnaissance qui pour lui est « une vraie interrogation
». Hormis deux répondants qui n'ont pas évoqué
le lien avec l'institution, les autres affichent nombres de questionnement sur
les objectifs du gouvernement qui ne sont pas toujours explicités.
Néanmoins, on remarque toujours cette ouverture d'esprit, à
savoir que, malgré certains désaccords ou certaines
incompréhensions, les PE spé. appliquent ce qu'on leur demande de
faire, tout en restant conscients
Le versant social : étayé par
Dubar, l'IP y est présentée dans une double transaction,
biographique (avec soi-même) et relationnelle (avec autrui, dans la
manière dont se forge la reconnaissance de soi
que parfois, ce n'est peut-être pas la meilleure chose
à faire. Comme dirait E4, « on est
fonctionnaire, on doit donc fonctionner et appliquer les lois ».
7.2.7 : Conclusion de cette partie
Dans cette partie, nous avons tenté de valider ou
d'invalider notre hypothèse 2 : Malgré
une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent
dans un entre-deux.
Le concept de liminalité est un concept
anthropologique énoncé par Van Gennep sous le terme de
liminarité pour décrire les rites de passage. Le mot vient de
l'anglais « au niveau du seuil », lui-même dérivé
du latin « limen » qui désigne le pas de la porte.
Etymologiquement, il renvoie donc à la notion de limite entre
l'intérieur et l'extérieur (Saint-Martin, 2014, p.18). Pour
valider notre hypothèse, dans les rites de passage décrit par Van
gennep, celui qui nous intéresse est le rite de marge qui constitue un
rite liminaire, un « entre-deux » dans lequel un individu se trouve
dépossédé de son statut antérieur, sans en avoir
acquis encore un nouveau. Il flotte entre deux mondes. Les PE spé
répondent-ils à ce changement d'état ? Sont-ils entre deux
mondes ? Par ailleurs, pour valider notre hypothèse, nous sommes
amenés à nous interroger sur l'identité professionnelle
des PE spé. Deux versants étayent notre interrogation :
Le versant psychologique :
étayé par Iannconne, Tatéo et Marsico (2008) qui avancent
que l'expérience familiale de l'enfance de l'enseignant ainsi que le
souvenir de soi comme élève constituent les principales sources
pour construire son identité professionnelle. Selon ces trois auteurs,
les éléments biographiques, en interaction avec des
éléments du contexte, joueraient un rôle essentiel, en
générant différentes stratégies des enseignants
leur permettant de faire face aux difficultés qu'ils rencontrent. Ces
éléments sont repris dans les travaux de Blanchard-laville (2001)
qui rendent compte de l'IP sous l'angle de processus psychiques pour la plupart
inconscients. Ce serait une « co-habitation » du «
soi-élève » et du « soi-enseignant ». (Zimmermann,
2013, p 38). Hormis E1, les répondants expliquent leur
lien entre une expérience de soi comme élève et le futur
enseignant qu'ils sont devenus. Les échecs qui ont jonchés leur
parcours d'élèves ou les expériences qu'ils ont
vécues ont façonné leur identité professionnelle.
Leur construction prend en compte leurs itinéraires singuliers. Ainsi
ils aménagent, recomposent les éléments constitutifs de
leur identité en fonction des situations et des interactions, pour
s'adapter et construire un monde cohérent, entre contraintes, valeurs et
ressources dans lesquelles ils peuvent orienter leurs actions et trouver des
voies d'implication porteuses de sens pour eux-mêmes et pour les autres.
(Balleux et perez-Roux, 2011, in Zimmermann, op.cit).
par les partenaires de l'activité). Dans ce cadre,
l'identité se définit comme « le résultat
à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, biographique et
structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement,
construisent les individus et définissent les institutions ».
Ce modèle avance que la dynamique identitaire relève de deux
mécanismes apparemment contradictoires (Tap, 1988) :
l'identisation, qui correspond à la reconnaissance du
caractère unique de la personne, et l'identification,
qui correspond à la reconnaissance de sa similitude avec les autres
(Zimmermann, 2013, p.41). Le processus d'identification des PE spé se
retrouve dans leur sentiment d'appartenance à la SEGPA. Ils
n'appartiennent ni au premier, ni au second degré. En revanche, ils
appartiennent à la SEGPA qui a son identité propre.
Figure 19: L'identité professionnelle du PE
spé.
Compte tenu des différents concepts théoriques
définis précédemment en lien avec nos observations,
nous pouvons valider l'hypothèse 2 : malgré une formation
initiale commune, les PE spé travaillant en SEGPA se situent dans un
entre-deux.
Dans notre dernière partie, nous allons valider ou
invalider notre hypothèse 3 : L'inclusion doit être
réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel
prix. Pour répondre à cette hypothèse, nous
avions émis l'idée que les PE spé pouvaient vivre une
crise identitaire liée aux lois sur l'inclusion et une éventuelle
peur de la disparition des SEGPA. Nous nous étions également
posé la
question à propos des nouvelles missions
définie par le CAPPEI, à savoir que le PE spé. allait
désormais devenir une personne ressource et être amené
à remplir de nouvelles missions. Enfin, nous souhaitions savoir quel
était leur avis sur le « tout inclusif » et ce qu'ils
envisageaient de mettre en place compte tenu des lois.
7.3 : Des réponses à
l'inclusion
7.3.1 : Une crise identitaire liée à
la politique inclusive?
Nous sommes partis des différences entre les concepts
d'inclusion et d'intégration définis par Thomazet, Plaisance,
Boutin. « La notion d'inclusion repose sur un principe éthique :
celui du droit pour tout enfant, quel qu'il soit, à fréquenter
l'école ordinaire. » (Plaisance, Belmont,Vérillon,
Schneider, 2007, p160). « L'inclusion, à la différence de
l'intégration, suppose non seulement l'intégration physique mais
aussi pédagogique afin de permettre à tous les
élèves d'apprendre dans une classe correspondant à leur
âge ceci quel que soit leur niveau scolaire. » (Thomazet, 2006,
p.20). Pour Stainback et Stainback (1992), « une école ou une
classe inclusive accueille tous les élèves dans un même
lieu. Aucun d'eux, qu'il s'agisse des élèves en difficulté
ou des autres, n'est exclu et placé dans des dispositifs ou classes
spéciales. » (Boutin et Bessette, 2009, p.52). D'après tous
ces chercheurs, dans le processus inclusif, c'est l'école et la
société qui s'adaptent à l'élève et à
ses besoins particuliers et non l'inverse, ce qui implique un changement
radical du positionnement de l'école mais aussi de la
société dans son ensemble. Compte tenu de ces concepts, notamment
celui de l'inclusion, les élèves de SEGPA ne sont pas inclus mais
intégrés. En effet, ils sont dans une classe
spécialisée avec des enseignants spécialisés. Les
différentes expériences de sixième inclusive (Laville et
Saillot) laissent supposer que le gouvernement souhaite peut-être
étendre ces expériences afin de les généraliser et
quid alors de l'avenir de la SEGPA ? Désormais, les enseignants
spécialisés sont formés à l'inclusion et deviennent
ainsi des personnes ressources, experts en pédagogie (circulaire de
2016).
Comment se positionnent les répondants par rapport aux
nouvelles missions qui leur sont confiées ? E9 se
démarque très nettement de tous les autres répondants.
Elle assume pleinement ses nouvelles missions : « notre rôle, il
a évolué pour d'autres missions qui ne sont pas
déplaisantes ». Elle rajoute qu'elle ne vit pas de crise
identitaire mais qu'en revanche, elle constate « qu'il y a une vraie
crise identitaire chez les enseignants spécialisés ».
En revanche, elle n'est pas concernée. E3, E6
, E4 et E7 ne se « sentent
pas légitimes » dans cette nouvelle posture de personne
ressource. E3,
avec humour, dit « qu'elle se sent trop jeune,
qu'elle ne sera pas écoutée ». Les répondants
sont prêts à « aider, partager des documents »,
mais ne se voient pas comme personne ressource.
Par ailleurs, on note une crainte émanant directement
de cette nouvelle posture : que vont-ils devenir ? Quelle sera
réellement leur mission ? Ils sont plusieurs (E3, E4, E6, E10 et
E1) à exprimer leur crainte de « devenir une AESH de
luxe ». Comme le dit E6, elle a l'impression «
qu'on lui enlèverait une partie de ses capacités car un
public SEGPA reste un public SEGPA ». E4 se
distingue nettement des autres et est en opposition à
E9. E4 est en « souffrance »
par rapport à l'inclusion. Il a l'impression d'être «
manipulé », « qu'on l'utilise pour former les
profs du collège et une fois qu'il aura formé tous les prof, que
va t-il rester de la SEGPA ? ». Il a « peur ». Il
semble perdu car il avoue ne pas pouvoir être contre l'inclusion car en
théorie, c'est une belle idée et « on ne peut pas
être contre » et en même temps il est persuadé de
« scier la branche sur laquelle il est ». Selon Zaffran
(2013), « l'enseignant peut penser en toute bonne foi que l'inclusion
scolaire est une valeur à défendre ( ce qui nous disent tous nos
répondants) et à promouvoir...mais qu'il n' pas de motifs
valables de changer ses habitudes dans la mesure où l'histoire de
l'éducation des jeunes à BEP est dominée par une logique
ségrégative » (Laville et Saillot, 2017, p.319). Il
souhaiterait démissionner comme son collègue l'avait fait avant
lui, mais « il n'a pas le cran ». L'inclusion provoque chez
lui un « mal-être » au point que désormais il
ne rentre plus chez lui, comme avant, l'esprit tranquille : «
j'emmène avec moi les problèmes de l'école,
je ressasse. Ma difficulté actuelle pour moi c'est de me dire
j'accepte, je vois le bien fondé de l'inclusion et j'essaie d'y apporter
quelque chose en étant le garant de la SEGPA. Je me bats contre
moi-même, je suis seul, je suis vieux, pour moi, c'est une souffrance
». Le discours de E4 ne se retrouve chez aucun autre
répondant. Certes, nous notons que les autres se posent des questions,
s'interrogent sur la direction que prend l'inclusion et les conséquences
qui pourraient en découler mais nous ne notons pas un malaise aussi
criant que nous pouvons le voir chez E4.
Si nous nous intéressons de plus près aux PLC,
les réactions sont très différentes des PE spé. Les
trois répondants marquent une vraie crise identitaire. Elle sont jeunes
dans le métier (entre huit et dix ans d'expériences) et pourtant
vivent très mal les injonctions ministérielles et leurs
conditions de travail. Les pressions auxquelles est confronté
l'enseignant déclenchent et alimentent de multiples dilemmes : travail
autonome, hétérogénéité grandissante, suivi
de la prescription, éducation ou instruction, maintien de l'ordre. Les
auteurs montrent que les enseignants sont régulièrement
contraints d'aller au-delà des rôles qui leur sont prescrits, qui
définissent leur tâche ou relèvent de leur statut. Il leur
faut trouver le bon équilibre entre ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils
doivent faire. (Tardif et Lessard). E2 nous dit : «
je ne sais même pas comment faire une heure de cours, gérer
les élèves qui sont moins bons et des élèves qui
ont des besoins particuliers qui sont
pas forcément moins bons mais qui ont des
difficultés pas comme les autres. J'ai l'impression de ne pas
faire correctement mon travail, j'ai l'impression de ne plus faire le
disciplinaire qu'on me demande, j'arrive pas à faire les deux.Je trouve
que j'ai trop de classes et puis faire de la différenciation, ça
prend un temps fou... je me bats pour avoir du matériel, tout pour moi
est un obstacle ». A l'instar de Maroy, 2006, qui explique que
l'enseignant doit « tenir sa classe » et « faire apprendre aux
élèves » ce qui implique une activité d'une grande
complexité. Lang, Dubet, Barrère, constatent un
déplacement du coeur du métier avec une transformation de
l'enseignant « magister » vers l'enseignant « pédagogue
». Désormais, l'enseignant est amené à travailler en
équipe (projets pluri-disciplinaires) et s'investit plus dans la gestion
de son établissement. Compte tenu de la formation initiale du PLC, ce
dernier n'est pas préparé à cette transformation du
métier. Toutefois, les PLC essaient de donner un sens à leur
métier. E2 l'exprime clairement : « je me suis
adaptée de plus en plus [euh] au niveau, je me suis un peu
éloignée de ce que, théoriquement, [euh] ce qui serait
beau qu'on puisse faire avec [euh] tous les élèves et je me suis
adaptée un peu plus au terrain, je me suis plus tournée vers
l'aspect [euh] purement pédagogique je m'intéresse beaucoup plus
à la pédagogie qu'au disciplinaire.
E2 , E5 et E11
ne « cessent de se remettre en question ». Ils
subissent « la pression des programmes avec des classes toujours trop
chargées et ont l'impression de ne pas faire progresser les
élèves ». E11 dit que « la
situation est révoltante, car les injonctions de différenciation
et le peu de moyens qu'on nous donne pour faire cette différenciation,
c'est révoltant ». E5 et E11
parlent de « souffrance au travail ».
Nous pourrions supposer, au regard de ce que nous disent les
PLC, une différence notable avec les PE spé qui, de par leur
polyvalence et leur adaptabilité, sont prêts à accueillir
des publics d'élèves en difficultés et ont un savoir faire
que les PLC n'ont pas. Leur formation initiale centrée sur l'aspect
disciplinaire ne les prépare pas à
l'hétérogénéité de masse aggravée par
l'inclusion car l'institution ne leur donne pas les moyens de faire
correctement leur travail. Les PE spé, par leur souplesse et leur
ouverture d'esprit ne traversent pas de réelle crise identitaire car ils
mettent en oeuvre des dispositifs qui leur permettent à la fois de
répondre au prescrit, tout en utilisant et gardant l'utilité de
la SEGPA.
7.3.2 : Intégration ou
inclusion?
Selon Petit (2001), dans le domaine scolaire, le principe de
« normalisation » et son corollaire « l'intégration
», nécessitent une adaptation de la formation aux besoins des
personnes concernées. Le processus d'intégration se traduit donc
par des projets individualisés soutenus par une gamme de services qui
vont de l'enseignement en classe ordinaire à l'enseignement en
école
spécialisée, favorisant l'environnement le plus
« normal » possible par l'aménagement de passerelles
autorisant un retour au cursus régulier ou dans une classe ordinaire.
Selon les cas, la « ségrégation » dans une classe
spéciale peut s'avérer plus efficace dans l'optique d'une «
normalisation », qu'une « intégration » dans une classe
ordinaire. Selon Charles Gardou une école est inclusive lorsqu'elle
module son fonctionnement, se flexibilise, pour offrir, au sein de l'ensemble
commun, un « chez-soi pour tous, sans toutefois neutraliser les besoins,
désirs ou destins singuliers ». L'école s'adapte aux besoins
de l'élève et non l'inverse. « La notion d'inclusion repose
sur un principe éthique : celui du droit pour tout enfant, quel qu'il
soit, à fréquenter l'école ordinaire. » (Plaisance,
Belmont,Vérillon, Schneider, 2007, p160). « L'inclusion, à
la différence de l'intégration, suppose non seulement
l'intégration physique mais aussi pédagogique afin de permettre
à tous les élèves d'apprendre dans une classe
correspondant à leur âge ceci quel que soit leur niveau scolaire
» (Thomazet, 2006, p.20).
Chez nos répondants, nous constatons une certaine
confusion entre ces deux termes très usités : E1
définit un élève inclu comme «
posé là dans une classe » et un élève
intégré est un élève « pour qui on met en
place des choses pour que ça fonctionne dans ce groupe ».
E7 confond les deux, pour elle, « c'est la même
chose ». E3, E10, E8
ont des visions plus globales : « l'inclusion c'est de ne pas
faire de différence entre les enfants, qu'ils sont tous sur un
même pied d'égalité, c'est d'avoir des escabeaux de taille
différentes pour voir tous à la même hauteur »
(E3). « L'inclusion c'est de vivre tous ensemble
en tenant compte des spécificités de chacun pour pouvoir y
répondre au mieux et pour pouvoir donner une chance égale
à tous » (E8). Les répondants sont
quasi-unanimes pour dire que « c'est une belle et noble idée
» mais certains se questionnent sur ce qui se cache derrière
cette volonté d'inclure les élèves à tout prix.
E8 et E4, E6 pensent que c'est pour faire des
économies, « derrière la belle idée, j'ai peur
qu'il y ait des remaniements et des suppressions de poste et que ça
s'avère malheureusement être la réalité sous couvert
d'inclusion : on récupère des postes et au final, nos
élèves se retrouvent placés avec d'autres sans
bénéficier du coup d'adaptation »
(E8), « je ne peux pas m'empêcher de
penser que c'est plus financier qu'une super idée pédagogique
» (E4, E6, E2). Certaines craintes sont
affichées sur ce qu'il y a vraiment derrière cette idée
d'inclusion. Néanmoins, les PE spé sont conscients du
caractère stigmatisants de la SEGPA et s'ouvrent, comme nous l'avons
dans la partie 7.1.2, vers l'inclusion à travers des dispositifs
innovants (classes miroirs), des passerelles, des co-interventions et le
partage des disciplines avec les PLC.
7.3.3 : Le tout inclusif
Désormais, il convient de se demander ce qu'ils
pensent du tout inclusif ? E4, E1 et E9 ont vécu
l'expérience de la sixième inclusive, nous étudierons leur
réaction après le tableau ci-dessous qui indique les
réponses à la question : êtes vous pour le tout inclusif
?
Tableau 16: Le tout inclusif
|
E1
|
E3
|
E4
|
E6
|
E7
|
E8
|
E9
|
E10
|
E2
|
E5
|
E11
|
Etes vous pour le tout inclusif ?
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
non
|
Une inclusion dans les deux sens?
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
X
|
|
|
|
|
7.3.3.1 : Les raisons évoquées
Plus de souplesse dans le fonctionnement interne
de l'établissement:
E8 dit que « mettre tout le monde
ensemble deviendrait tout simplement ingérable pour les collègues
car tu devrais faire trop de différenciation », «
certaines vont trouver leur voie sur des thématiques en sport ou en
musique, pourquoi pas ? mais en français et en maths, ça va
être difficile. Notre structure est riche et sous exploitée
».
E1, E3, E8, E6, E7 et E10 évoquent
l'inclusion inversée, c'est-à-dire donner la possibilité
aux élèves de l'ordinaire qui seraient attirés par les
métiers manuels de profiter des ateliers de la SEGPA ou
bénéficier d'un enseignement adapté quelques heures dans
la semaine. E1 évoque l'idée de «
proposer les ateliers à des enfants qui seraient dans l'ordinaire et
qui seraient manuels ou tout simplement qui auraient envie de faire autre chose
», E3 parle « d'offrir la
possibilité à des élèves du collège de
pouvoir suivre des heures en SEGPA, de mélanger tout le monde, que les
classes soient mouvantes », E8 parle de son
expérience de BAR (Bureau d'Aide Rapide) installé sur le temps du
midi où les enseignants « aident les élèves de
SEGPA mais aussi les autres et on se rend compte que eux aussi, de l'autre
côté, ils sont aussi en demande ». E8
rajoute que ce qui le ronge c'est l'idée «
d'uniformisation de la société derrière l'inclusion,
et ce parcours uniforme est insupportable ».
Les conséquences du tout inclusif sur les
élèves:
E10 se dit « Oh, mon dieu, les
pauvres ! Ils vont galérer... On va se retrouver avec beaucoup plus
d'élèves en échec scolaire, ils vont perdre le goût
de venir à l'école alors que là, ils l'avaient enfin ! Je
pense que ce ne serait pas judicieux. Inclure pour inclure, non. Beaucoup de
parents viennent me voir pour me dire, pour la première fois, mon enfant
est ravi d'aller à l'école. Il est content, il n'y va pas la
boule au ventre, il trouve qu'il arrive à progresser ».
E6 est contre le tout inclusif car c'est une
démarche qui doit s'effectuer « dans la réflexion et
maîtrisée avec d'autres
collègues. Ce serait moins traumatisant pour les
élèves. Je pense que ça ne bouge pas dans le bon sens,
dit-elle, le tout inclusif pour moi, c'est pas une solution. Pour moi,
on est tous différent, alors pourquoi vouloir mettre tout le monde dans
le même moule ? ». E3, E10, E8, E4, E7 et E9, E5, E11
pensent que tous les élèves ne peuvent pas être
inclus et qu'ils se retrouveraient en souffrance. Pour E5
« ce serait catastrophique si on en arrivait là.
Certains, mal orientés et qui sont dans l'ordinaire sont
déjà en souffrance, c'est peut-être aussi pour ça
qu'ils développent une aversion pour l'école. Les
élèves ont vraiment besoin de voir l'école autrement et
nous PLC on n'est pas en mesure de leur montrer un visage différent. Le
tout inclure ne serait pas bénéfique pour eux ».
E2 parle de « violence folle » faite
aux élèves.
E10, pour avoir vécu l'inclusion,
parle d'anticiper la démarche et que celle-ci doit être
réfléchie et au cas par cas. Même E9 qui
met tout en oeuvre pour que l'inclusion se développe dans son
collège n'est pas favorable à l'inclusion totale car certains
enseignants ne sont pas prêts. Quant aux élèves, ils ne
peuvent pas tous suivre. Selon elle, un fonctionnement tout inclusif «
pourrait être destructeur pour nombre d'élèves, c'est
pourquoi elle doit être réfléchie et accompagnée
». E1 qui a fait l'expérience de la
sixième inclusive (celle-ci a duré un an car les effectifs
l'année suivante en SEGPA était trop nombreux) est
partagée. Elle nous dit « qu'une fois les élèves
arrivés en cinquième SEGPA, ils sont soulagés ».
Certains élèves lui ont même dit après cette
expérience « j'y arrive pas, c'est trop dur et on m'avait
promis que j'y arriverai ». E4, qui comme
E1, a vécu la sixième inclusive, pense que
« c'est une perte de temps » puisque les
élèves reviennent ensuite en cinquième SEGPA.
7.3.3.2 : Les leviers et les freins
Les leviers à
l'inclusion:
E9 travaille chaque année pour ouvrir
les esprits et travailler de concert avec ses collègues PLC. Dans le
cadre de la sixième inclusive, elle a impulsé la co-intervention,
ce qui est préconisé par les théoriciens de l'inclusion.
E7, E8, E5, E4, E3 proposent des co-interventions aux
collègues. E7 et E8 voient ces
co-intervention comme une richesse dans le partage pédagogique et
disciplinaire. E7 a mélangé deux classes, ils
ont trente-trois élèves à deux enseignants. Elle «
peut aller aider les élèves, les accompagner, leur dire ce
qu'il faut faire, comment se comporter tout en chuchotant ».
E6 est consciente qu'il « faut conserver la
structure en l'adaptant pour répondre au prescrit ».
Les freins à l'inclusion sont plus
nombreux:
Les PLC constatent que, s'ils ne sont pas
épaulés par un PE spé dans leur classe, c'est trop
difficile à gérer (E5) . Certains enseignants
refusent catégoriquement de travailler avec des élèves de
SEGPA. E3 rapporte des propos très durs de ses
collègues : ce « sont des délinquants, des
débiles, je me fais chier avec eux. Je ne peux pas faire mon programme
». Selon E4, « les profs de collège
sont parfois loin des difficultés de nos élèves et qu'ils
préfèrent avoir une classe ordinaire ». La
co-intervention est difficile à mettre en place : E3
explique que selon elle la co-intervention c'est « quand deux
enseignants co-construisent quelque chose ensemble. Mais j'ai peur que ce soit
les collègues PLC qui donnent les directives ».En effet, le
problème de la légitimité a été
évoqué par nombres de répondants. Même si le PLC est
devenu plus « pédagogue » que « magister » (Tardif
et Lessard), il n'en demeure pas moins qu'il souhaite garder le contrôle
de la classe.Le PLC devant l'élève en difficulté ressent
« un sentiment d'incompétences qui augmente et il navigue de la
ressemblance à l'étrangeté. » (Piroux, 2017,p.8) Ce
sentiment pourrait être allégé par « la
présence de l'enseignant spécialisé qui peut permettre le
transfert du problème posé » (Ibid), ce que fait
remarquer E9. E9 s'est battue pour mettre en
place de la co-intervention car un des enseignants avec qui elle travaille
« avait peur du jugement ». Il lui a dit « j'ai
l'impression que t'étais là pour me juger, que je faisais quelque
chose de mal et qu'en gros t'étais là pour me corriger, ce n'est
pas facile d'avoir quelqu'un dans sa classe qui va te juger, te dire ce qui va
pas, pointer tes difficultés, tes défauts ou autre chose qui
fonctionnent pas très bien ». L'idée que
préconise E9 est de « réussir à
pointer les professeurs, sans leur jeter la pierre mais essayer d'être un
caméléon discrètement, de leur apporter des choses et puis
d'apporter des choses aux élèves. Je change, je veux dire, je
change de personnalité en fonction du professeur que j'ai en face de moi
».
E6 et E7 disent oui
à la co-intervention mais pour E6, « tout
dépend de la personne, car c'est très intéressant, on peut
tirer profit de l'échange, ce n'est pas impossible mais ça
peut-être difficile ». E7 affirme qu'on «
ne peut pas toujours travailler avec des gens qu'on n'apprécie pas.
On doit être en accord sur la gestion de classe, avoir des
affinités. C'est un métier où la personnalité de
chaque enseignant peut être très différente et suivant qui
fait que la classe, elle va pas être menée de la même
façon ».
L'inclusion demande du temps de préparation et
de l'anticipation :
Mettre en place de la co-intervention est chronophage. Selon
E9, « il ne faut pas penser que l'inclusion c'est
tout beau tout propre, ça me demande beaucoup de temps, beaucoup
d'investissement, beaucoup d'heures et on n'a rien de chiffré sur les
apports que ça peut avoir sur les élèves ».
Pour réussir l'inclusion, « les objectifs
d'apprentissage doivent être anticipés, le travail en
équipe est nécessaire, voire indispensable et que les acteurs
soient partis prenantes » (Piroux, 2017, p.10). Si les acteurs subissent,
les réactions seront préjudiciables à la fois à la
communauté pédagogique mais aussi aux élèves
(Laville et Saillot, 2019, p.309).
Pas ou peu de moyens supplémentaires
:
E11 trouve qu'en théorie, l'inclusion
est une très belle idée, comme E2 d'ailleurs,
mais pour qu'elle puisse se mettre en place, « il faut des effectifs
réduits, des aides en plus des petits groupes pour progresser en
lecture, des petits groupes pour la graphie » et E11
rajoute qu'elle « ne trouve pas qu'on aille vers cela. On ne
peut pas dire que l'éducation nationale soit pour la dépense pour
aider les gamins en difficultés qu'on va inclure. Oui, pour l'inclusion
avec des aides, des béquilles nécessaires ». E2
complète en disant : « il ne faut pas réduire
les moyens, avoir une vraie aide car on n'a pas les moyens de suivre ces
élèves ». Derrière ce discours récurent
se cache probablement une réelle peur du changement qui attend ces
professionnels. Selon Gendron (2007), « le refus de vouloir inclure serait
peut-être une mesure de protection face à un monde professionnel
toujours plus envahi » (Ramel, 2010, p.389). Afin de passer d'une
situation de crise identitaire à un projet fédérateur
comme le souhaiteraient Puig, Benoit, Gardou, il est indispensable de mettre en
place des « renforts pédagogiques et des soutiens
spécialisés » (Ibid).
En conclusion de cette partie, voici les constats que nous
pouvons énoncer :
Ø Une crise identitaire :
· les PLC vivent une crise identitaire liée
à l'hétérogénéité grandissante et
à leur manque de formation dans la mise en place de pédagogies
adaptées à la difficulté scolaire.
Ø Le tout inclusif
· les répondants unanimement sont contre. En
revanche, ils émettent deux idées : x L'inclusion peut être
inversée (ouverture ordinaire et spécialisé) x L'inclusion
oui mais elle doit être réfléchie, accompagnée et au
cas par cas.
Il est à noter que dans les articles portant sur
l'inclusion, les chercheurs n'évoquent pas la piste d'une inclusion
inversée. Dans le cadre d'une école inclusive, ce qui pose
actuellement problème à l'institution (rapport d'Abraham et
Despres) et aux chercheurs, c'est le devenir des ateliers en quatrième
et troisième SEGPA qui « constituent un obstacle de taille pour
rendre effective une organisation inclusive tout au long de la scolarité
des élèves. » (Laville et Saillot, 2019, p317).
A l'instar de Zaffran, les répondants croient et
défendent la belle idée de l'inclusion pour tous, le « one
track approach » (Benoit, 2002). Toutefois, sa réalisation semble
difficile et complexe car elle dépend de nombreux facteurs :
institutionnels (politique), direction du collège (gestionnaire),
équipe pédagogique (pratique) et temps social
(sociétal).
Même si à l'instar de Gardou, nous pouvons
affirmer qu'il n' y a pas « de vie majuscule sans vie minuscule »,
« il ne peut y avoir de changements dans un système éducatif
sans prise en compte des représentations des acteurs, sans travail sur
les différentes composantes d'une identité professionnelle
enseignante » (Piroux, 2017, p.11).
En conséquence, nous pouvons dire que notre
hypothèse 3 : L'inclusion doit être réfléchie et
anticipée et pas à n'importe quel prix est en partie
validée.
8. Conclusion :
La réflexion qui a porté ce mémoire a
évolué durant l'année et continue de cheminer compte tenu
des analyses que j'ai pu entreprendre. Le sujet a évolué non pas
tant dans la problématique que dans les hypothèses que je
m'étais fixées. Mon cheminement réflexif m'a amenée
à mieux cerner mon sujet et mieux appréhender les objectifs que
je poursuivais.
J'ai tout d'abord commencé une approche quantitative
avec la réalisation de questionnaires à réponses ouvertes
et fermées puis une approche qualitative basée sur des entretiens
semi-directifs. J'étais donc dans une approche herméneutique,
interprétative. Par ailleurs, je souhaitais réfléchir au
positionnement à la fois des PLC et des PE spécialisés en
SEGPA tant dans leur évolution identitaire que dans leur implication
dans une école inclusive.
Or, je me suis rendue compte au fil du temps que je devais
faire des choix méthodologiques afin qu'apparaisse dans ma
réflexion une certaine pertinence au regard de ce que je voulais
démontrer. La réalisation des questionnaires m'a
été utile pour poser les bases de ma réflexion mais leur
exploitation est selon moi, insuffisante. Quand aux entretiens semi-directifs
avec les PLC, je n'ai conservé que leur rapport à leur
identité professionnelle.
Je note certaines limites à mon sujet. En effet,
aborder à la fois l'identité professionnelle, la SEGPA et
l'inclusion mais aussi avoir eu une entrée basée à la fois
sur des questionnaires et des entretiens semi-directifs ont rendu le travail
difficile et complexe, ce qui ne m'a pas permis d'approfondir mes
réflexions comme je l'aurai souhaitée. Concernant le guide
d'entretien que j'avais élaboré dans le cadre de mes recherches,
il s'est révélé utile au début pour me permettre
d'avoir un cadre, puis je m'en suis détachée, laissant une parole
plus libre aux répondants, tout en restant dans le cadre de mon sujet.
Mais de nombreuses questions en lien avec mon cheminement réflexif sont
apparues a posteriori des entretiens.
Lors de l'analyse longitudinale, j'ai pris conscience que des
similitudes sémantiques (dans les termes employés) par les
répondants étaient récurrentes et que bien que ne se
connaissant pas et n'ayant pas nécessairement les mêmes conditions
de travail, nombreux étaient les points communs tant dans leurs
approches pédagogiques, qu'humaines et sociales.
Le rapport au savoir est également au coeur de notre
recherche. Bien que n'ayant pas eu une approche clinique dans mon
mémoire, on ne peut l'occulter et elle peut offrir des pistes de
réflexion pour l'avenir. De nombreuses thèses décrivent
les enjeux psychiques et les conflits personnels et professionnels
éprouvés par les praticiens auprès des
élèves. Certains chercheurs ont démontré que
travailler avec des élèves « hors normes » induisait
chez les enseignants une identification
inconsciente aux élèves et un contre-transfert
qui prenait une forme éducative et non plus instructrice, les faisant
quitter leur place d'enseignant (Simon, 1999).
Lors de l'écriture de mon rapport de stage, je me suis
documentée sur l'histoire des SEGPA. Son fonctionnement et les PE qui y
travaillent sont inscrits consciemment ou inconsciemment dans une histoire qui
leur est propre. Nous pourrions parler d'identité groupale (dans le sens
de professionnalisation propre) ou d'identité héritée mais
pas uniquement sur le plan biographique. Oserions-nous parler de
déterminisme social où tout est imbriqué ?
Compte tenu des données récoltées lors de
mes entretiens semi-directifs et en réalisant l'analyse transversale,
j'envisage de prolonger mes réflexions et de les approfondir sur la
professionnalisation. S'intéresser à la professionnalisation et
à la professionnalité des enseignants de SEGPA, permettrait
à la fois de mieux définir cette profession, de faire
reconnaître socialement ce métier et d'en définir ses
compétences mais aussi d'en connaître les gestes professionnels
avec l'apprentissage de terrain, les acquis d'expérience, les
éléments identitaires de la profession ainsi que ce qui la
compose.
En effet, les enseignants spécialisés de SEGPA
interrogés semblent être dans un empan liminal. Il serait donc
intéressant d'étendre cette recherche pour en connaître les
causes dans une approche à la fois sociologique et historique. Cette
recherche pourrait mettre en avant une professionnalisation certaine avec un
sentiment d'appartenance à un groupe bien défini identitairement
et professionnellement.
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