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Inclusion SEGPA et identité professionnelle


par Séverine Foursin
INSPE Mont-Saint-Aignan - Master 2 2022
  

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3. Problématisation et cadre théorique

Ce mémoire s'inscrit à la fois dans un contexte institutionnel et professionnel dans lequel nous sommes investis. Il vise à mieux comprendre le rôle de la SEGPA et des acteurs qui en font partie directement ou indirectement, à savoir les professeurs des écoles spécialisés et les professeurs de collège qui interviennent auprès du public SEGPA dans un contexte de politique inclusive.

L'étude que nous réalisons porte sur les changements de l'identité professionnelle, à la fois des professeurs de collège et surtout des enseignants spécialisés travaillant en SEGPA, qui vont naître de la politique inclusive défendue d'une part, par les institutions et d'autre part, par un nombre important de chercheurs.

L'identité professionnelle des enseignants serait mise à mal dans ce contexte d'école inclusive, semble t-il, selon certains chercheurs. Nous allons essayer de comprendre pourquoi, en définissant dans un premier temps ce qu'est l'identité professionnelle, puis dans un second temps, les conséquences éventuelles sur l'identité de nos acteurs professionnels. Nous notons cependant que la littérature scientifique est très pauvre dans l'analyse de l'identité professionnelle des enseignants spécialisés en SEGPA et qu'il est parfois difficile, voire impossible, de trouver matière à enrichir les hypothèses de notre étude.

3.1.1: Concepts d'intégration et d'inclusion

Dans le cadre de notre étude, il est important de définir ces deux termes afin, d'une part, de positionner la SEGPA dans notre champ d'analyse et d'autre part, comprendre dans notre analyse de récoltes de données empiriques pourquoi les enseignants sont amenés à associer de manière identique ces deux concepts et quel(s) questionnement(s) le processus inclusif pose t-il dans leur construction identitaire ?

Au travers de nos lectures, les articles sont nombreux à évoquer la nécessité de devoir définir les termes inclusion et intégration. Est-ce juste une querelle sémantique ou ces deux notions sont-elles vraiment antinomiques ?

Dans la déclaration de Salamanque (juin 1994), on parle d'« intégration », or les tenants de l'inclusion ont les mêmes visées que celles décrites dans la déclaration, à savoir le combat des discriminations, une visée humaniste et une école identique pour tous. Selon Armstrong (2006), « l'inclusion s'oppose à l'intégration car les enfants intégrés peuvent en effet être perçus comme « des visiteurs » en provenance de milieux spécialisés et non comme des membres à part entière de la communauté scolaire. L'éducation inclusive implique une double transformation : des écoles, pour qu'elles deviennent des communautés ouvertes à tous sans restriction et des pratiques, pour permettre les apprentissages de tous dans la diversité. » (in Boutin et Bessette, 2009, p 18). A l'instar d'Armstrong, les tenants de l'inclusion totale préconisent une transformation majeure des pratiques pédagogiques courantes. Ces pratiques doivent être modifiées pour s'inscrire « dans un plan de transformation complète de la société » (Gardou et Poizat, 2007, in Boutin et Bessette, 2009, p.21). « La notion d'inclusion repose sur un principe éthique : celui du droit pour tout enfant,

quel qu'il soit, à fréquenter l'école ordinaire. » (Plaisance, Belmont, Vérillon, Schneider, 2007, p.160). « L'inclusion, à la différence de l'intégration, suppose non seulement l'intégration physique mais aussi pédagogique afin de permettre à tous les élèves d'apprendre dans une classe correspondant à leur âge ceci quelque soit leur niveau scolaire. » (Thomazet, 2006, p.20). Pour Stainback et Stainback (1992), « une école ou une classe inclusive accueille tous les élèves dans un même lieu. Aucun d'eux, qu'il s'agisse des élèves en difficulté ou des autres, n'est exclu et placé dans des dispositifs ou classes spéciales. » (Boutin et Bessette, 2009, p.52). D'après tous ces chercheurs, dans le processus inclusif, c'est l'école et la société qui s'adaptent à l'élève et à ses besoins particuliers et non l'inverse, ce qui implique un changement radical du positionnement de l'école mais aussi de la société dans son ensemble.

A contrario, les tenants de l'intégration défendent l'idée que l'école doit tout mettre en oeuvre pour que l'élève puisse s'adapter à son environnement actuel, le comprendre et l'accepter. « On permet à des élèves en difficulté de fréquenter la classe ordinaire ou d'autres dispositifs destinés à favoriser leur apprentissage et leur développement. L'intégration requiert la collaboration de l'enseignant de la classe ordinaire avec les spécialistes avant même la mise en place de quelque dispositif que ce soit. On associe l'intégration au processus de normalisation. » (Boutin et Bessette, 2009, p.28). Certains auteurs parlent aussi de la théorie du behaviorisme (comportementalisme) qui s'oppose au socio-constructivisme que défendent les tenants de l'inclusion.

La position de l'école inclusive implique des modifications ou des transformations au niveau des contenus d'enseignement, des stratégies, et des structures éducatives. Les modalités pour une école inclusive peuvent se résumer en un certain nombre de dispositifs selon Boutin et Bessette (2009, p.57) :

Ø Création un climat favorable à l'acceptation de la diversité.

Ø Modalités d'intervention concernant méthodes et techniques pédagogiques (enseignement mutuel, travail d'équipe, apprentissage coopératif).

Ø Place importante donnée à l'individualisation et à la différenciation.

Ø Pédagogie de projet.

Ø Dispositif organisationnel destiné à favoriser une inclusion responsable.

Toutefois, Gillig (2006) n'est pas convaincu de la faisabilité de l'inclusion sous sa forme radicale car elle requiert une transformation de l'école et de la communauté toute entière. Elle préconise une modification importante des contenus, des approches et des méthodes d'enseignement (Boutin et Bessette, 2009, p.61). Nous pouvons nous demander, en effet, si la société est prête à ce changement radical. Il en est de même pour l'ensemble de la communauté éducative : sans formation, sans préparation, sans moyens supplémentaires, peut-on raisonnablement penser que cet idéal d'école inclusive pourra se mettre en place ? Plusieurs auteurs

insistent sur le fait qu'une inclusion totale, surtout si elle est mal orchestrée, risque d'avoir des répercussions négatives sur le fonctionnement de la classe. Crouzier explique certains obstacles à l'inclusion qui se résument à la difficulté de transfert des savoir-faire spécialisés vers les pratiques des enseignants ordinaires. (Crouzier, 2010, p.39). En effet, l'identité professionnelle des enseignants, notamment dans le secondaire, s'est construite en opposant ceux qui ont développé des compétences avérées en faveur d'élèves en difficulté de ceux pour qui c'est inutile, puisque pour eux ces élèves doivent avoir une place à part. Cette construction identitaire, dont nous reparlerons, est encore en proie à de nombreuses résistances. De plus, la formation mise en place pour cette évolution ne semble pas préparer et sécuriser suffisamment les personnels.

Jean Pierre Peyroulou, chercheur à l'EHESS va plus loin en disant que « l'inclusion scolaire est incompatible avec les seules performances scolaires et par conséquent avec un système pensé et fonctionnant sur l'unique principe de la sélection, du scolaire de compétition et d'une course d'obstacles du primaire au supérieur » (Crouzier, 2010, p.188). Or, d'après Plaisance, « La notion d'éducation inclusive reflète l'exigence faite au système éducatif d'assurer la réussite scolaire et l'insertion sociale de tout élève, indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales » (Ebersold, S, Plaisance, E, Zander, C, 2016, p.10). Cette contradiction entre les exigences d'un système éducatif sélectif et des valeurs éthiques anime les chercheurs.

Plaisance (2020) cite à plusieurs reprises Cury, spécialiste brésilien du droit à l'éducation, qui explique que l'exclusion et l'inclusion « entretiennent des relations dialectique, que l'une n'existe pas sans l'autre et que par conséquent, une réflexion qui s'appuie sur la notion d'éducation inclusive ne peut ignorer les termes de l'inégalité et de la discrimination précisément pour les contrecarrer ». Cury donne une définition de l'éducation inclusive : « Dans son principe, l'éducation inclusive correspond à une modalité de scolarisation où ceux qui étudient ont les mêmes droits que leurs pairs, sans discrimination de sexe, de race, d'ethnie, de religion et de capacité. Ils disposent donc du droit de fréquenter les mêmes établissements et de participer aux activités de leur âge » (Cury, 2009, p.42).

Notons que la volonté de tendre vers une école inclusive questionne beaucoup et qu'aucun consensus n'est admis pour attester de son bien-fondé (Desombre, 2011 et Mazereau, 2015 in Chevallier et Rodriguez, 2016, p.230). De plus, quelques chercheurs notent un décalage trop important entre l'idéologie inclusive et la pratique (Plaisance, 2012 in Ibid, p.230).

Que nous parlions d'intégration ou d'inclusion, les chemins qui nous amènent à ces deux concepts sont proches et leur objectif est sensiblement identique : que les élèves aient les mêmes droits et le même accès au savoir. Il nous semble que la différence notable entre ces deux concepts est l'universalité. En effet, l'inclusion est un concept universel d'où la difficulté de la mettre en place.

Le processus intégratif est en place en France et le concept d'inclusion fait son chemin dans les esprits. Désormais, la question qui se pose est sa mise en place concrètement. Si on se réfère aux tenants de l'inclusion totale, les classes et les structures spécialisées doivent fermer et la collaboration étroite entre tous les partenaires de l'école doit être la garante de la réussite de tous les élèves à besoins éducatifs particuliers. Or, force est de constater qu'une inclusion « non réfléchie, non anticipée et non acceptée par l'ensemble des acteurs concernés peut représenter une mise en danger ressentie et objective de la personne » (Ventoso et Fumey, 2016, p.100). De nombreuses questions émergent alors : Les enseignants sont-ils prêts à ce changement radical ? Quels sont les objectifs des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre de cette école inclusive ? Quelles sont les formations mises en place ou qui verront le jour ? Dans quelle mesure peut-on passer d'une idée, d'un concept, à une mise en pratique sur le terrain par les enseignants quand ces derniers ne sont ni préparés, ni formés ? Quel est le devenir de la SEGPA, de ses enseignants spécialisés, de ses élèves ?

3.1.2 : Identité et changement

L'analyse de la littérature scientifique semble montrer, d'une part, la difficulté intrinsèque à mettre en place une école inclusive dans une école qui se veut toujours sélective et ségrégative, et d'autre part, une identité professionnelle chez les enseignants qui se voit bouleversée, questionnée par ce paradigme inclusif.

La difficulté de notre étude réside dans l'analyse de deux corps de professionnels bien distincts en proie à des changements qui vont affecter leur identité : les professeurs de collège appartenant au second degré et les professeurs des écoles spécialisés appartenant au premier degré mais travaillant dans le second degré. Bien que ces deux corps aient désormais un référentiel commun depuis 2015, les formations initiales conservent leur particularité propre et singulière. Le professeur des écoles spécialisé est amené, par sa polyvalence, à travailler en projet, à mettre en place des décloisonnements, à travailler en équipe, à se réunir avec des partenaires extérieurs à l'école alors que le professeur de collège est centré sur sa discipline dans laquelle il excelle généralement et le programme qu'il doit mener à bien durant une année. Si les SEGPA venaient à se transformer ou à disparaître, quelles seraient alors les conséquences sur l'identité professionnelle des professeurs des écoles spécialisés et sur les enseignants du second degré non spécialisés qui devraient accueillir en totalité les élèves de SEGPA ?

Dans sa thèse, Zimmermann (2013) parle de la polyvalence comme caractéristique de l'identité professionnelle des professeurs des écoles. Il souligne que cette polyvalence est un élément récurrent des textes officiels depuis une dizaine d'années et qu'il existe un lien explicite

entre cette polyvalence et cette construction de l'IP13(Zimmermann, 2013, p.11). Cette polyvalence est une force pour le professeur des écoles spécialisé en SEGPA car, à la différence de ses collègues du collège, ce dernier met des liens spontanément entre les matières et voit au-delà de la simple transmission didactique de la discipline pure.

Centré sur le PE non spécialisé, Zimmermann constate les difficultés pour l'enseignant du premier degré à trouver sa place entre ce qui lui est prescrit par les textes officiels et sa façon de se construire en tant que professionnel. Tardif et Lessard (1999) montrent que les enseignants ne peuvent simultanément répondre à l'ensemble des exigences parfois contradictoires qui se posent à eux. Il leur faut donc trouver un équilibre entre ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils doivent faire. Ces tiraillements provoquent un sentiment d'impuissance à répondre aux exigences du métier (Zimmermann, 2013, p.31). D'où une transformation de l'enseignant qui ne cesse d'être dans l'adaptation et qui petit à petit façonne une identité plurielle. Tardif et Lessard parlent de « caméléon professionnel ». Il change de peau , s'adapte aux situations, aux interlocuteurs, modifie sa posture. Selon Roux-Pérez (2003), l'IP est à la fois considérée comme la manière de se définir au travail et celle dont les autres nous voient au travail. Cette théorie rejoint celle de Dubar quant à la reconnaissance d'autrui dans la construction identitaire. L'enseignant s'appuie sur une revendication d'appartenance au groupe, tantôt sur des formes de différenciation, tantôt sur l'affirmation d'une singularité de leur contexte professionnel. Selon cette auteure, les enseignants construisent leur IP selon trois échelles :

Ø Une échelle collective, où l'identité se constitue sur des représentations collectives et des valeurs communes afin de défendre le groupe professionnel au sein de l'école.

Ø Une échelle de sous-groupes professionnels, en raison de clivages importants au sein de ce groupe.

Ø Une échelle individuelle qui prend en compte les itinéraires professionnels singuliers (Zimmermann, 2013, p 36).

Roux-Pérez explique donc qu'il ne peut y avoir une IP mais plusieurs IP car le développement des sous-identités est souvent source de tensions et incompatibles.

Dubar nous explique que l'identité de métier est plus complexe qu'il n'y paraît. Il associe les processus biographiques de construction d'une « identité pour soi » et les mécanismes structurels de reconnaissances des « identités pour autrui ». Les identités dépendent des relations avec les autres et de la perception subjective de sa situation et aussi des rapports au pouvoir. L'identité, c'est la marque d'appartenance à un collectif qui permet aux individus d'être identifiés par les autres mais aussi de s'identifier face aux autres. On ne peut dissocier l'identité personnelle de l'identité

13 IP : Identité Professionnelle

professionnelle, elles se construisent et évoluent ensemble. On note, selon Dubar, une construction à la fois dynamique et relationnelle.

3.1.3: Définition des théories de l'identité

La notion d'identité est polysémique. Bret (2015) définit l'identité ainsi : l'identité est « ce qui définit un individu à la fois dans sa singularité et dans son appartenance à une catégorie plus large qu'est son clan, sa société, sa famille [...] ; c'est aussi ce qui ne peut pas être défini parce qu'elle est toujours engagée dans des variations subtiles » (Clerc, 2000, p. 27). Produit des socialisations successives, construite à partir de son groupe d'appartenance et du groupe de référence espéré, elle prend des colorations différentes selon que l'on se penche sur son aspect personnel, social... ou professionnel (Bret, 2015, p.6).

Pour tenter de définir l'identité, plusieurs versants peuvent être abordés. Nous en retiendrons deux : le versant psychologique et le versant social.

Selon le versant psychologique, Iannccone, Tatéo et Marsico (2008) avancent que l'expérience familiale de l'enfance de l'enseignant ainsi que le souvenir de soi comme élève constituent les principales sources pour construire son IP. Les éléments biographiques, en interaction avec des éléments du contexte, joueraient un rôle essentiel, en générant différentes stratégies des enseignants leur permettant de faire face aux difficultés qu'ils rencontrent. Il existerait une co-habitation entre le « soi-élève » et le « soi-enseignant ».

Selon le versant social, l'identité professionnelle se définit à la fois pour « soi » et pour « autrui » (Dubar, 1991 in Cattonar, 2001, p.44). Elle évolue, se transforme et porte en elle une dynamique qui permet à l'enseignant de « maîtriser le cours de son existence » (Gaujelac, 2002, in Piroux, 2017, p.6). Kaddouri (2006) explique que l'identité se construit entre « soi et autrui, entre continuité et changement, entre unité et multiplicité ». Tenter de comprendre l'identité professionnelle des enseignants, c'est « tenir compte à la fois de la position des individus à l'intérieur du champ institutionnel et de la trajectoire sociale et scolaire antérieure à l'entrée dans ce champ et surtout de la reconstruction subjective de cette trajectoire » (Dubar, 1992, p.520 in Bret, 2015, p.10). Bret, en s'appuyant sur les analyses de Ion et Gohier, explique que les conditions familiales, biographiques et institutionnelles (accès au métier, instituts de formation, associations et syndicats) sont d'une importance centrale dans sa construction, sa légitimation et sa consolidation (Ion, 1990) qui se réalisent, lors des relations, au travers de l'identification, « processus par lequel la personne se reconnaît des ressemblances avec ses différents groupes de référence [...] et intériorise certains

de leurs attributs ou de leurs caractéristiques » d'où un sentiment d'appartenance et de l'identisation, « processus par lequel l'individu tend à se singulariser, à se distinguer des autres », conduisant à l'autonomie et l'affirmation de soi (Gohier et al., 2000, pp.118-123).

La fonction identitaire selon Albric « sert à la construction et au maintien de l'identité d'un groupe social. Chacun élabore une image de soi en accord avec celle que, selon lui, les autres lui attribuent » (Cattonar, 2001, p.43). Ce qui rejoint la définition que donne Dubar de l'identité professionnelle qui résulte selon lui d'une double transaction : d'une part d'ordre biographique (projeter un désir de soi, en rupture ou en continuité) et d'autre part d'ordre relationnel (faire reconnaître par les autres la validité de l'identité visée par le professionnel) (Piroux, 2017, p.6). L'enseignant n'a souvent d'autres choix que de se conformer aux attentes du groupe social qu'il va intégrer. Néanmoins, la difficulté est de trouver la bonne association entre la singularité propre à l'enseignant et le groupe social d'appartenance. Les dynamiques présentes chez l'enseignant le poussent à développer des stratégies visant à maintenir un sentiment d'unité et de cohérence. Toutefois, la mutation de la politique éducative, qui passe d'une « two tracks approach » (Benoit, 2002, p.67), deux voies de scolarisation distinctes, l'une ordinaire, l'autre spécialisée, à un « one track approach » qui consiste à scolariser systématiquement les enfants et adolescents à besoins éducatifs particuliers dans les classes ordinaires, peut engendrer des retentissements dans la manière d'approcher l'enseignement. Les enseignants sont alors confrontés à bon nombre d'interrogations sur leurs pratiques face à un métier en pleine mutation et qui ne ressemble probablement pas aux motivations exprimées lors de leur formation initiale.

3.1.4 : Les PLC et les enseignants spécialisés de SEGPA , une mutation profonde?

La mission des enseignants, depuis la loi de 2005, influe sur le vécu identitaire des professionnels. Même si l'enseignant porte en lui des valeurs éthiques et morales et qu'il pense en toute bonne foi selon Zaffran « que l'inclusion scolaire est une valeur à défendre et à promouvoir » (Laville et Saillot, 2019, p.320), force est de constater qu'entre le dire et le faire, le pas est grand et questionne les professionnels dans leur identité.

Dans un rapport d'information (Gonthier-Maurin, 2012), le rapporteur y observe un déplacement du coeur du métier de professeur, de la transmission du savoir d'un expert en direction d'un novice, vers une prise en charge élargie d'un élève devenu singulier au sein d'un groupe classe de plus en plus hétérogène. Elle constate une crise du métier qui se traduit par de nombreux

dilemmes, notamment un sentiment d'impuissance, d'une pression évaluative et de solitude. Le défi de l'école inclusive interroge aussi sur la professionnalité des enseignants. En effet, les expériences de terrain menées par des chercheurs et les analyses qu'ils en font (Crouzier, Goémé et Saint-Denis, Maroy, Perez, Faure-Brac et Gombert et Roussey, Guillot, Cros et Aubin, Jaboin, Laville et Saillot, Chevallier-Rodriguez, Delbury, Berzin, Piroux) montrent que le défi qui attend les professionnels est d'envergure et les freins et/ou obstacles sont parfois des montagnes infranchissables. En effet, la politique d'inclusion affecte en profondeur les missions des enseignants.

3.1.4.1 : L'identité professionnelle des PLC

Dans le second degré, depuis le décret du 25 mai 1950, le statut des enseignants n'a pas changé. Or, Torrez constate une « inadéquation entre un statut inchangé et la réalité fonctionnelle de leurs missions qui a été modifiée ». L'incertitude du métier suscite des interrogations et des angoisses. En effet, l'enseignant « magister » a disparu au profit de l'enseignant « pédagogue » ou « réflexif ». Il doit désormais, avec la massification des élèves, former le « tout venant », instruire les élèves quels que soient leurs projets et/ou leurs besoins (Torrez, 2014, p.146). De plus, avec le référentiel de 2015, commun à tous les enseignants, l'enseignant doit répondre à d'autres missions toujours plus complexes les unes que les autres. Désormais il est clairement exprimé que les enseignants doivent travailler en équipe. Le verbe « coopérer » est utilisé dans trois compétences et le développement professionnel y est envisagé comme une démarche individuelle et collective dans laquelle l'enseignant est invité à s'engager. Goémé et Saint-Denis (2014) étayent ce référentiel en nous expliquant que lors de la formation initiale des professeurs de collège, ces derniers reçoivent une nouvelle culture à promouvoir, celle de :

Ø pouvoir éduquer tous les élèves.

Ø favoriser le sens de l'activité plus que le discours.

Ø concevoir que le métier de l'enseignant ne se limite pas uniquement à la classe.

Ø penser le métier enseignant comme exerçant dans un cadre collectif où la responsabilité éducative est partagée.

donner du temps à la réflexion.

Les lois de 2005, 2013 et 2019 renforcent un sentiment d'incompétence chez les enseignants qui « naviguent de la ressemblance à l'étrangeté » (Piroux, 2017, p.8). La liberté pédagogique qui est le ciment de leur identité tend à s'amoindrir et on assiste à des tensions entre les injonctions « verticales provenant de l'institution et les revendications d'ordre identitaire » (Piroux, 2017,

p.10). Piroux rajoute que « la difficulté pour l'enseignant dans l'accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers va être d'agréger ses propres constituants identitaires avec les identités prescrites par les autres significatifs en désaccord bien que rencontrés dans le même milieu professionnel de manière à pouvoir établir une projection de soi, validable par son environnement de travail » (Piroux, 2017, p.7).

3.1.4.2 : L'identité professionnelle des enseignants spécialisés en SEGPA

Avant toute tentative de définition, l'intérêt porté aux enseignants spécialisés quant à leur identité professionnelle est très pauvre dans la littérature scientifique. Nous n'avons pas trouvé dans nos lectures scientifiques d'articles parlant de l'IP des professeurs spécialisés en SEGPA.

Jaboin (2010) nous dit qu'enseigner dans le second degré pour les professeurs des écoles c'est « endosser un héritage », celui des pratiques sédimentées et des valeurs léguées par la tradition de l'enseignement spécialisé ». Ainsi, dans leurs exigences et leurs finalités, les enseignements adaptés ne sont pas aussi normatifs que l'école élémentaire (Jaboin, 2010, p.148). L'enseignant spécialisé en SEGPA est comme l'élève de SEGPA, à la « marge » (Benoit, 2021). Bien qu'il soit issu du premier degré, force est de constater, qu'il ne se revendique ni du premier degré ni du second degré. Il est à part. Il adapte les savoirs en fonction de chaque élève, leur redonne confiance, et est souvent dans la bienveillance. De plus, l'enseignant spécialisé, comme nous l'avons expliqué en introduction, porte en lui les principes défendus par les tenants du tout inclusif : il est habitué à travailler en équipe, à partager, à ouvrir sa porte aux collègues, à coopérer. Les enseignants spécialisés « accordent une place de choix à la classe spécialisée comme lieu de respiration et de restauration de la confiance en soi » (Mazereau, 2010, p.23). Lorsque la scolarisation est partielle, c'est toujours le modèle de l'intégration qui fonctionne pour les enseignants ordinaires qui accueillent ces élèves. C'est ce que reprochent des chercheurs comme Puig et Benoit (stage MIN à Suresnes, octobre 2021) qui, pour défendre une école inclusive, constatent d'une part que la SEGPA a un fonctionnement intégratif et non inclusif, et d'autre part reprochent aux enseignants spécialisés une trop grande bienveillance et des exigences moindres envers le public SEGPA.

Face au paradigme de l'école inclusive, les enseignants spécialisés voient leur identité professionnelle se transformer, « se bouleverser mettant parfois à mal leur expertise supposée. » (Soyez, 2018). Dorison parle d'une « segmentation des identités professionnelles ». L'enseignant spécialisé doit donc devenir un levier au service d'un collège inclusif d'où la nécessité d'un « transfert de compétences entre les enseignants spécialistes de leur discipline et des professeurs des

écoles experts dans le traitement de la grande difficulté scolaire » (Soyez, 2018, p86). Aujourd'hui, avec notamment la certification CAPPEI, l'expertise de professeur des écoles spécialisé ne peut plus être circonscrite à son domaine d'intervention. Sa légitimité repose désormais sur le repérage, l'identification et l'analyse des besoins éducatifs particuliers de tous les élèves d'un établissement. Etre ainsi professeur ressource, c'est d'abord informer, voire former les équipes pédagogiques de l'établissement pour répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain. (Soyez, Puig, Benoit, Jellab).

3.1.4.3 : L'enseignant spécialisé : un empan liminal

L'enseignant spécialisé de SEGPA est un enseignant du premier degré de part sa formation initiale, toutefois, il enseigne dans le second degré. Il n'appartient dans les faits, ni au premier degré, ni au second degré. Il est dans un entre-deux. Dans sa thèse, Saint Martin (2014) explique l'origine du concept. Le concept de liminalité est un concept anthropologique énoncé par Van Gennep sous le terme de liminarité pour décrire les rites de passage. Le mot vient de l'anglais liminal « au niveau du seuil », lui même dérivé du latin limen « seuil » qui désigne le pas de la porte. Étymologiquement, il renvoie donc à la notion de limite entre l'intérieur et l'extérieur.

Van Gennep (1909) s'intéresse au déroulement des rites de passage. Parmi les rites qu'il développe, celui qui nous intéresse est le rite de marge qui constitue un rite liminaire, un « entre-deux », dans lequel l'individu se trouve dépossédé de son statut antérieur, sans en avoir acquis encore un nouveau. C'est donc la période de tous les dangers : il flotte entre deux mondes. Ce rite assure un changement d'état ou de position sociale, en passant par une période où l'individu est placé en dehors de la société. Il a donc une fonction d'insertion dans une société donnée, à des moments particuliers de la vie d'un individu, qui sort d'un monde pour entrer dans un autre (Saint Martin, 2013, p.18). En 1969, Turner reprend les rites de passage de Van Gennep et précise l'étape du rite de marge employant les termes de liminalité et liminarité. Elle se caractérise par une absence de statut, qui permet le passage d'un statut initial à un autre plus élevé.

La définition de ce concept nous permettra de mieux appréhender la situation d'ambivalence qu'entretient le PE spécialisé de SEGPA entre sa formation initiale et le rôle qui lui est dévolu dans sa fonction de spécialisé dans le secondaire. Afin de mieux cerner le rôle du PE spécialisé, nous devons également définir le concept de bienveillance, terme récurrent dans le langage de ce dernier.

3.1.4.4 : le concept de bienveillance

Nous tenterons de démontrer dans notre partie analyse que la bienveillance fait partie inhtégrante des qualités humaines de l'enseignant spécialisé de SEGPA. Mais que met-on derrière le

terme de bienveillance ? Les enseignants de SEGPA sont-ils maternants ou bienveillants ? Selon

Roelens (2019), la bienveillance est pensée comme le moyen de soutenir le devenir autonome d'un
autrui vulnérable. Roelens émet une distinction entre « bien veiller, bien veiller sur et bien veiller

à ». Dès 1830, Guizot, ministre de l'Instruction Publique, écrit aux instituteurs quant aux relations

qu'ils doivent avoir avec les parents d'élèves, en leur disant que « la bienveillance y doit présider :
s'il ne possédait la bienveillance des familles, son autorité sur les enfants serait compromise, et le

fruit de ses leçons serait perdu pour eux » (P. Kahn, cité par Roelens, 2019, p.22). Guizot reconnaît

ainsi la légitimité de l'institution mais aussi de l'action éducative. Mais la bienveillance a souvent
été dépeinte comme une menace directe ou indirecte envers l'autonomie individuelle et ses

conditions d'exercice, autrement dit comme une vulnérabilité en elle-même. Aldo Naouri, pédiatre,

nous dit que la bienveillance n'est que le masque d'une « sollicitude maternelle sans borne qui
permet de satisfaire l'intégralité des besoins et des désirs et qui provoquerait chez l'individu la

fixation au stade infantile ». Donc l'absence d'autonomie, au contraire de l'école traditionnelle qui se veut plus stricte avec un nombre important de limites. Eirick Prairat critique cette thèse en disant que la bienveillance n'est pas complaisance (ibid, p.25).Roelens en vient à définir ses trois notions afin de définir précieusement le concept de bienveillance.

Bien veiller :

Il s'agit tout d'abord de se donner les moyens de percevoir les vulnérabilités de l'autre. Cela implique de la présence, « art d'être présent, [...] disponible [...], impliqué », prêt à donner «de son énergie, de sa patience, de son savoir-faire, de son expérience » , ainsi que de l'attention, ce qui signifie à la fois se soucier de ce que peuvent être les besoins des autres et prendre conscience des siens. Il s'agit ensuite de construire le socle d'un agir pertinent et non contre-productif quant à l'autonomie d'autrui. (ibid, p.28)

Bien veiller sur :

Inscrire les rapports interindividuels dans une double logique de prendre soin de l'autre et d'avoir soin de la relation avec l'autre, au sein d'un processus d'accompagnement et de protection de l'autonomie individuelle. Bien veiller sur l'autre implique d'être en relation avec lui et avoir soin de la relation avec lui. Il témoigne d'une volonté de trouver, dans toute médiation culturelle et symbolique, une position d'équilibre qui permet, lorsqu'on s'adresse à quelqu'un, de pouvoir à la fois « garder le contact, conserver la confiance » et en même temps « le respecter dans son identité

et son intimité, [...] maintenir une distance symbolique qui est toujours pour lui une distance protectrice » (Ibid, p.29)

Bien veiller à :

L'autonomie individuelle se déploie dans un temps où elle est inscrite et dans un monde où l'individu doit se diriger. Si la bienveillance vise à étayer l'autonomie individuelle d'autrui, celle-ci ne peut s'envisager sans la transmission d'un certain nombre de savoirs et leur compréhension, par l'appropriation singulière d'un héritage.

3.1.4.5 : L'identité du nouvel enseignant spécialisé

Puig (2021) défini le nouvel enseignant spécialisé, titulaire du CAPPEI ainsi : Il est une personne ressource pour l'éducation inclusive :

Ø Comprend et peut appliquer la politique inclusive.

Ø A une connaissance des partenaires de l'école et des ressources de son environnement.

Ø Sait travailler avec les familles.

Il est à même de mobiliser une connaissance approfondie des besoins particuliers et des réponses pédagogiques :

Ø Expertise didactique.

Ø Expertise méthodologique.

Ø Expertise pédagogique, psycho-neuro-cognitiviste.

Il professionnalise son adaptation à divers types de dispositifs et de configurations.

Quel est le profil de l'enseignant inclusif ? (Source : EuropeanAgency for SpecialNeedsand Inclusive Education 2021)

Ø Il valorise la diversité des apprenants : les différences entre les élèves constituent une ressource et un atout pour l'éducation.

Ø Il accompagne tous les apprenants.

Ø Il travaille avec les autres : collaboration et travail en équipes sont des approches essentielles pour tous les enseignants.

Ø Il poursuit sa formation professionnelle personnelle continue.

3.2 : Question directrice pour le mémoire et hypothèses

Afin de comprendre l'évolution des identités professionnelles des acteurs travaillant en SEGPA, notre démarche sera à la fois herméneutique, nous donnerons du sens aux faits, aux événements, aux comportements et aux pratiques et praxéologique, nous explorerons les possibles pour agir, pour modifier les actions et les pratiques quotidiennes.

Pour aller dans le sens de l'inclusion définie par les textes institutionnels, la SEGPA qui porte en elle les stigmates de l'étiquetage et de la stigmatisation questionne. Des expérimentations sont menées pour inclure les 6èmes pré-orientés SEGPA dans des classes de référence en ordinaire. Dès lors, le devenir des enseignants spécialisés et des professeurs de collège accueillant ces élèves à besoins éducatifs particuliers est interrogé.

Au regard du paradigme inclusif et de sa complexité sur les acteurs professionnels, la problématique de notre mémoire sera de répondre à la question suivante :

En quoi le fonctionnement de la SEGPA avec le rôle des professeurs des écoles spécialisés traduit-il les objectifs d'une école inclusive?

Pour répondre à cette question, nous allons mettre en place une démarche élaborée à partir de questionnaires et d'entretiens puis d'analyses. Deux analyses systémiques retiendront notre attention :

Ø Une analyse systémique de la SEGPA

Ø Une analyse systémique des acteurs qui interviennent en SEGPA : nous nous demanderons si les PE14 spécialisés vivent une crise identitaire ou si cette crise identitaire existe, concerne t-elle tous les autres acteurs ?

3.3 : Les hypothèses

Afin de répondre à la question, nous formulerons trois hypothèses :

Ø Hypothèse n°1 : Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les enseignants du collège.

Ø Hypothèse n° 2 : Malgré une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent dans un entre-deux.

14 PE : Professeur des Ecoles

Ø Hypothèse n° 3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe