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Inclusion SEGPA et identité professionnelle


par Séverine Foursin
INSPE Mont-Saint-Aignan - Master 2 2022
  

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1.4 : Du questionnement à la démarche de recherche

L'école à visée inclusive conduit nécessairement, comme nous l'avons déjà exprimé, à de multiples changements, dont celui de l'identité professionnelle. Identité professionnelle des professeurs non formés à l'inclusion et identité professionnelle des enseignants formés à l'inclusion. D'où mon questionnement : En quoi l'école inclusive impacte t-elle l'identité professionnelle des enseignants de collège non formés et formés à l'inclusion ?

Pour pouvoir passer d'une démarche réflexive à une démarche scientifique, nous clarifierons dans un premier temps le cadre institutionnel et le cadre notionnel afin d'élaborer la problématique, des hypothèses et un protocole de recherche en vue de récolter des données à analyser.

Nous définirons à la fois les concepts d'inclusion et d'intégration mais aussi l'évolution des textes institutionnels en lien avec l'inclusion mais également de la SEGPA. Les chercheurs donnent-ils tous la même définition de ces deux concepts ? Peut-on mettre en place le « tout inclusif » ? Quels sont les principes sous-jacents qui animent l'école inclusive ? La SEGPA a t-elle encore un rôle à jouer dans ce processus ?

Dans un second temps, nous aborderons l'identité professionnelle, sa construction et son évolution. Comment les identités professionnelles des enseignants du secondaire spécialisés ou non se construisent-elles aujourd'hui ? Existe t-il une ou plusieurs identités en fonction de si nous sommes spécialisés ou non ? Quelles sont les différences, les points communs entre un enseignant

de collège et un professeur des écoles spécialisé ? Peut-il y avoir des points de convergences ? Si oui, lesquels ?

2. Le cadre notionnel

Aujourd'hui, les termes « inclusion », « inclusif », « école inclusive » font partie de notre quotidien. Oserions-nous dire que ce sont des termes « à la mode » ? Probablement que pour certaines personnes, il est de bon aloi d'utiliser ces termes mais ils relèvent surtout d'une idéologie basée sur des principes d'humanité et d'équité.

Dans cette partie, nous étudierons les fondements de l'inclusion, les notions d'intégration et d'inclusion à travers leurs différences et leurs points communs et nous aborderons ce qui est au coeur de notre étude, la structure SEGPA qui porte en elle plusieurs paradoxes, à savoir qu'elle génère à la fois la stigmatisation et l'étiquetage mais qu'elle dispose aussi de tous les éléments dans son fonctionnement pour être inclusive.

2.1 : L'éducation inclusive : un cheminement lent, pavé d'embûches

2.1.1: L'origine des principes de l'école inclusive

Lorsqu'on cherche à comprendre les tenants et les aboutissants d'une éducation inclusive, il nous semble a priori que c'est une volonté récente des politiques et des chercheurs. Or, l'éducation inclusive est une ambition générale d'éducation globale, mondiale, porteuse d'idéaux universalistes ancrée depuis la Renaissance. Magdalena Kohout-Diaz en 2018, lors d'une conférence explique que l'UNESCO porte cette notion d'éducation inclusive depuis qu'elle a émergée en Grande-Bretagne et en Italie dans les années 1970. Cet idéal d'éducation inclusive trouve sa genèse chez le philosophe, théologien et pédagogue de la fin de la Renaissance, Coménius. Il a produit un ouvrage, La grande didactique, dont le sous-titre est Traité de l'art universel d'enseigner tout à tous, discipline qu'il appellera Pampeadia. Cette discipline était insérée dans un grand ensemble philosophique de réforme générale de la conception du monde humain, dont les éléments centraux étaient l'universalisme, la fin des discriminations, l'humanisme.

A l'instar de ces principes universalistes prônés par Coménius, la déclaration de Salamanque marque un tournant dans la prise en compte de la diversité et de l'égalité des chances pour tous les élèves à l'échelle internationale. Les membres ayant rédigé cette déclaration affirment les éléments suivants :

Ø « L'éducation est un droit fondamental de chaque enfant qui doit avoir la possibilité d'acquérir et de conserver un niveau de connaissances acceptable.

Ø Chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d'apprentissage qui lui sont propres.

Ø Les systèmes éducatifs doivent être conçus et les programmes appliqués de manière à tenir compte de cette grande diversité de caractéristiques et de besoins.

Ø Les personnes ayant des besoins éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires, qui doivent les intégrer dans un système pédagogique centré sur l'enfant, capable de répondre à ces besoins.

Ø Les écoles ordinaires ayant cette orientation intégratrice constituent le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires, en créant des communautés accueillantes, en édifiant une société intégratrice et en atteignant l'objectif de l'éducation pour tous ; en outre, elles assurent efficacement l'éducation de la majorité des enfants et accroissent le rendement et, en fin de compte, la rentabilité du système éducatif tout entier. »

Il est à noter que le terme « inclusion » ou « école inclusive » n'est pas utilisé. Seul le terme intégration est noté. Toutefois, tous les éléments de la déclaration seront repris ultérieurement dans les principes d'une école à visée inclusive.

2.1.2 : L'évolution des textes institutionnels et une prise de conscience

en France

La déclaration de Salamanque a conduit la France à poser les jalons des principes d'une école inclusive. L'école est une chance et un droit auxquels tous les enfants peuvent prétendre. La loi pour l'égalité des droits et des chances du 11 février 2005 a affirmé le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté. Elle s'est fixé pour objectif d'inclure tous les élèves sans distinction, même si le terme inclusion n'est toujours pas utilisé. Il faut attendre la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République du 8 juillet 2013 pour aller plus loin et améliorer encore les conditions d'accès à l'enseignement des élèves en situation de handicap et pouvoir y lire le terme d'inclusion. Le terme inclusion y est utilisé en indiquant que « le service public d'éducation veille à cette inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ». Par ailleurs, dans cette loi de juillet 2013, il est indiqué que « pour garantir la réussite de tous, sous-entendu une inclusion pour tous, l'école doit s'enrichir et se conforter par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative ».

Cette volonté de promouvoir une école inclusive est confortée par la loi sur l'école de la confiance de juillet 2019. Cette loi permet d'engager à la fois une transformation profonde des conditions d'accompagnement des élèves en situation de handicap ou élèves à besoins éducatifs particuliers et une amélioration significative des conditions de recrutement, de formation et de travail de leurs accompagnants qui créent les bases d'un véritable service public de l'école inclusive.

En France, bien que le terme « inclusion » et « éducation inclusive » soient récents, force est de constater que les pouvoirs publics mettent tout en oeuvre pour tendre vers cet idéal d'une école sans discrimination, sans exclusion. L'éducation inclusive ambitionne une société soucieuse du respect de ses membres et de la dignité humaine qui fait maîtriser par tous les élèves les compétences et la culture nécessaires pour être acteurs de leur devenir, transformer leurs relations avec autrui et participer à la constitution même de cette société.

En conséquence, la question qui peut se poser réside toujours entre le « dire et le faire ». Comment les politiques peuvent-elles ambitionner de mettre en place une école inclusive alors qu'en son sein, les principes ségrégatifs élitistes perdurent ? Quels sont les moyens à déployer afin que la marge cohabite avec la norme définie par la société ?

2.2 : La SEGPA, une structure spécialisée dans une école à visée inclusive ?

Avec la loi de 2005, l'enseignement spécialisé est à un tournant de son histoire. La loi pose la nécessité d'un transfert de compétences des milieux spécialisés vers le milieu ordinaire. En France, le modèle binaire prédomine : le « two-track approach » (Benoit). D'un côté la voie ordinaire, de l'autre la voie spéciale. L'objectif de l'école inclusive est de tendre vers le « one- track approach » (une seule et unique voie pour tous les élèves). Dès lors, nous nous questionnons sur l'avenir de la structure SEGPA qui porte en son sein les stigmates de la ségrégation, par sa structure et son fonctionnement bien à elle, par l'étiquetage des élèves qui en font partie et aussi par l'identité bien spécifique des enseignants spécialisés qui y enseignent.

2.2.1 : L'origine de la SEGPA

L'histoire des SEGPA fait partie de la politique de lutte contre les échecs scolaires et est étroitement liée aux histoires d'élèves dont les résultats scolaires ne correspondent pas aux normes attendues par le système scolaire. Des terminologies diverses se sont succédées au fil du temps à travers les textes officiels pour dénommer ce genre de public : arriérés, débiles légers, déficients intellectuels... puis on a parlé de retard léger, d'échec scolaire, d'élèves inadaptés, en difficultés....

2.2.1.1 : L'origine du tri des élèves

L'origine du tri des élèves date de la fin du XIXème siècle. Un certain nombre d'enfants, bien que dans l'âge de l'obligation scolaire, se retrouvent rapidement « hors-loi » scolaire ou encore considérés comme non scolarisables. A cette époque, on utilise le terme « inéducable ». (Gardet, 2019, p.283). Ces enfants « inéducables » sont pris en charge par les orphelinats et les colonies pénitentiaires qui bénéficiaient, à l'époque, d'une grande bienveillance des pouvoirs publics car ils étaient reconnus pour leur mission d'assistance. Ces établissements se géraient à l'interne et utilisaient parfois des techniques cinglantes.

Entre 1881 et 1882, Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique, rend l'école obligatoire pour les élèves âgés de six à treize ans. Une prise de conscience de certains politiques apparaît. Ainsi, Léon Bourgeois (ancien ministre de l'instruction publique mais à l'époque ministre des

La solution la meilleure à cet égard consiste à scolariser ces enfants dans des conditions

affaires étrangères) adresse un courrier à Aristide Briand, nouveau ministre de l'Instruction Publique et dit : « jusqu'à ce jour, les enfants anormaux se trouvent hors la loi, puisqu'ils ne peuvent être instruits dans des écoles ordinaires et qu'aucune école publique n'est mise à leur disposition. » (Gardet, p. 283).

En 1880, sur l'effectif total des colonies pénitentiaires publiques et privées qui est de 7 215 colons, il est estimé l'existence de 2 580 mineurs de moins de 12 ans (36%) et de 2 384 mineurs de 14 ans (33%). Si une instruction primaire est théoriquement prévue, l'éparpillement de ces jeunes enfants dans les différentes structures entraînant une prise en charge indifférenciée avec les mineurs n'étant plus d'âge scolaire, en rend l'application difficile. A partir de cette date, l'État doit faire face à un nombre important d'enfants qui ne réussissent pas à l'école, c'est pourquoi, en 1905, deux médecins, Binet Alfred et Simon Théodore élaborent la première échelle métrique afin de mesurer le développement de l'intelligence des enfants en fonction de leur âge. Ce test, appelé test Binet-Simon, permettra d'identifier les enfants « retardés mentaux » afin de les orienter vers des classes spécialisées. Le 15 avril 1909, le gouvernement adopte une loi instituant les classes de perfectionnement pour enfants « arriérés ». Ces classes de perfectionnement fonctionneront jusque dans les années 70.

2.2.1.2 : La création des Sections d'Enseignement Spécialisés

A partir des années 1940, le métier d'éducateur spécialisé voit le jour. Les instituteurs réclament alors une place sur les questions d'éducation incluant le domaine de l'inadaptation. Deux centres sont créés pour former ces instituteurs : le centre de Beaumont-en Oise en 1947 et le centre de Suresnes (qui continue encore à former aujourd'hui des enseignants spécialisés) en 1954. Ces centres ont pour vocation de former un front laïque revendiquant la constitution d'une nouvelle coordination de l'enfance sous tutelle du seul ministre de l'Education Nationale.

En janvier 1959, l'obligation de scolarisation est portée de 14 à 16 ans. Nombre d'adolescents arrivent alors dans les établissements du secondaire et certains avec des retards scolaires importants. Les élèves avec une déficience intellectuelle arrivent des classes de perfectionnement, jusque-là limitées à l'école élémentaire.

Entre 1965 et 1966, Labrégère (ancien instituteur, puis inspecteur, puis formateur des maîtres spécialisés) applique à l'enfance inadaptée les mesures en vigueur pour l'ensemble du système scolaire. Des recommandations sont émises (Heurdier, 2016, p.135) :

aussi proches que possible de la normale, c'est-à-dire en évitant de les séparer de leur milieu naturel, familial et scolaire, et de leur imposer la ségrégation qui en résulte de leur placement en établissement spécialisé, ségrégation qui risque d'aggraver leur désadaptation. Il est de plus indispensable d'assurer à ces élèves une formation professionnelle adaptée à leur état et à leurs aptitudes [...] C'est pourquoi, il convient de prévoir la multiplication des classes spéciales d'externat annexées à des établissements ordinaires dans tous les cas où la santé des enfants et des concentrations des effectifs le permettent.

Ces recommandations ont été suivies et elles sont encore aujourd'hui les bases de la SEGPA (professionnalisation, classes annexées à un établissement scolaire ordinaire). A cette époque un consensus apparaît sur la pédagogie spécialisée. La catégorie des « débiles légers » aboutira à introduire l'expression « en difficulté » jusque dans la dénomination des nouvelles options en 1987 (cette expression évoluera vers la notion de « besoins éducatifs particuliers »). A contrario, certains acteurs ont oeuvré à cette époque pour un reflux de l'enseignement spécialisé s'appuyant sur le principe d'étiquetage, sur la ségrégation et le caractère sociologiquement marqué de l'orientation dans le spécialisé (Heurdier, p. 147).

Il est donc nécessaire de créer une nouvelle structure pour les accueillir : les Sections d'Enseignement Spécialisées (SES) apparaissent dans la circulaire de septembre 1965 (Il faudra attendre vingt-cinq ans pour que cette circulaire soit abrogée). Les SES dispensent alors un enseignement général et un enseignement professionnel et reçoivent comme public des élèves reconnus comme « déficients intellectuels légers ne présentant pas de handicaps associés importants » (circulaire, 1967).

Figure 1: Les modalités d'enseignement

En 1970, le rapport du Vème plan met en avant les finalités éducatives, curatives et préventives avec la généralisation des dépistages qui se doivent d'être réalisés le plus tôt possible. Le tableau dressé fait état des « carences » du système, parmi lesquelles « [le] caractère trop souvent définitif des «étiquettes» qui situent l'enfant dans une classification et risquent de l'y maintenir quels que puissent être les erreurs de diagnostic ou les résultats de la cure. [...] système abusivement ségrégatif où le placement en internat est trop souvent choisi plus en raison d'habitudes ou de certaines facilités qu'il apporte que de critères objectifs. » (Heurdier, p.138).

2.2.1.3 : Les SEGPA, un tournant ?

Les SEGPA sont apparues en 1996 suite à la disparition des SES2. La loi d'orientation de 1989 repense alors l'organisation interne de l'enseignement spécialisé. Le nouveau régime juridique devient l'intégration individuelle et collective. Il y est écrit que « l'éducation est la première priorité nationale [...]. Le droit à l'éducation est garanti à chacun [...]. L'acquisition d'une culture générale

2 SES : section d'enseignement spécialisé

et d'une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. »

2.2.2 : Analyse des textes institutionnels

Trois circulaires définissent les modalités de la SEGPA depuis sa création : celles du 20 juin 1996, du 29 août 2006 et du 28 octobre 2015. Ces circulaires sont les corollaires des lois promulguées pendant ces mêmes années. Hypothétiquement, il est d'ailleurs possible d'imaginer , que suite à la loi sur l'école de la confiance de 2019, une circulaire voit le jour avec de nouvelles modalités pour la SEGPA. En comparant les trois circulaires de 1996, 2006 et 2015, nous pouvons observer des expressions qui relèvent du nouveau paradigme de l'école inclusive et celles qui relèvent des anciennes logiques de séparation. (Annexe I).

Le public accueilli dans ce type de structure n'a pas évolué, il est toujours défini de la même façon : ce sont des « élèves présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n'ont pu remédier les actions de prévention, de soutien, d'aide et d'allongement des cycles dont ils ont pu bénéficier. Ils présentent sur le plan de l'efficience intellectuelle des difficultés se traduisant par des incapacités et des désavantages ». En revanche, le terme de SEGPA inclusive apparaît dans la circulaire de 2015 ainsi qu'une refonte des missions de l'enseignant spécialisé et des enseignants du collège à qui on demande dès lors de travailler de concert. Il est écrit que « Si la Segpa permet aujourd'hui la mise en oeuvre d'une pédagogie attentive aux besoins des élèves qui en relèvent, elle doit nécessairement évoluer pour mieux répondre à leurs besoins éducatifs particuliers [...] Au sein d'un collège plus inclusif, la Segpa, bien identifiée comme structure, doit permettre, pour les élèves issus de classes de CM2 pré-orientés en Segpa, de poursuivre les enseignements du cycle de consolidation, et pour l'ensemble des élèves en situation de grande difficulté scolaire d'être mieux pris en compte dans le cadre de leur scolarité en collège ». La seconde partie de la phrase indique que désormais, même si la SEGPA est bien identifiée, elle se doit de contribuer à aider tous les élèves du collège, y compris ceux qui ne sont pas orientés SEGPA. Dans la même visée, en 2017, a été créé le CAPPEI3, une certification commune aux enseignants du premier et second degré afin de répondre aux exigences d'un collège inclusif. Ainsi, les enseignants formés à l'inclusion deviennent garants collectivement de la qualité des enseignements dispensés en construisant ensemble des progressions et des projets d'enseignement adaptés. Par ailleurs, il est mentionné que « La Segpa ne doit en effet pas être conçue comme le lieu unique où les enseignements sont dispensés aux élèves

3 CAPPEI : certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive.

qui en bénéficient. Ces élèves sont accompagnés dans leurs apprentissages par les enseignants spécialisés, soit dans leur classe au sein de la Segpa, soit dans les temps d'enseignement dans les autres classes du collège, soit dans des groupes de besoin. On veillera à ce que, pour chaque élève de la Segpa, la classe dans laquelle il suit les cours avec les autres élèves soit la même tout au long de l'année et que tous les élèves d'une division de la Segpa ne soient pas intégrés dans une même classe, afin de faciliter l'inclusion dans le groupe et le sentiment d'appartenance ». La nécessité d'apporter cette précision vient du fait que toutes les SEGPA ne fonctionnement pas de manière identiques. En effet, certains enseignants spécialisés sont amenés à enseigner plusieurs matières (français, mathématiques, physique-chimie, histoire-géographie....). Dès lors, lorsqu'un élève inscrit en SEGPA peut suivre des cours dans l'ordinaire, il sera rattaché à une classe de référence et ce durant toute l'année. Cela permet ainsi une meilleure inclusion SEGPA-ordinaire.

Enfin, le rôle des enseignants spécialisés est redéfini dans la circulaire de 2015. Fort de ses compétences en matière de différenciation et de pédagogies adaptées, l'enseignant spécialisé peut désormais « favoriser, au travers d'échanges au sein de l'équipe enseignante, la mutualisation des compétences professionnelles sur les difficultés des élèves, sur la manière de les surmonter, les objectifs à atteindre et sur les aménagements à mettre en oeuvre dans le cadre de la différenciation pédagogique ». « Les enseignants spécialisés ont ainsi la possibilité d'intervenir, en lien avec le professeur de la discipline, au sein des autres classes du collège sous forme de co-intervention ou de groupe de besoins ».

Tout en gardant une certaine spécificité, la SEGPA évolue vers une inclusion de plus en plus forte et les politiques publiques s'aperçoivent de la nécessité de cette structure. Dans le rapport de Sylvie Tolmont à l'Assemblée Nationale en 2014, elle considère que la disparition des SEGPA serait « une perte sèche irréparable ». Elle explique que les SEGPA constituent « une chance, voire un modèle pour l'école d'aujourd'hui, car elles permettent la mise en oeuvre d'une pédagogie exceptionnellement attentive aux besoins des élèves » mais, paradoxalement, cette structure adaptée est « anormale » au regard des principes de l'inclusion (Delaubier, 2014 dans rapport de 2014). A travers la lecture de la circulaire de 2015, il apparaît que la structure SEGPA vise à être maintenue, comme une forme possible de différenciation des parcours au sein du collège.

Bien que la structure SEGPA soit encore aujourd'hui valorisée dans son fonctionnement par les politiques, la nouvelle certification CAPPEI définit l'enseignant spécialisé comme une personne ressource et experte en pédagogie. Dans le cadre d'un collège inclusif, on peut se demander alors quelles seront les nouvelles missions de l'enseignant spécialisé. Aura t-il toujours une classe face à lui ? Sera t-il un collègue expert qui apportera ses connaissances didactiques et pédagogiques pour

pallier l'hétérogénéité grandissante ? Dans quel but expérimente t-on dans plusieurs collèges, les 6ème SEGPA en inclusion totale ?

2.2.3 : L'organisation interne de la SEGPA

L'équipe pédagogique de la SEGPA est constituée d'un directeur adjoint, de professeurs des écoles spécialisés et de professeurs de lycée professionnel. Sous l'autorité du chef d'établissement, le directeur adjoint chargé de la SEGPA assure (circulaire, 2015) :

Ø « l'organisation pédagogique de la SEGPA. Il est associé au projet d'établissement et participe aux travaux de l'équipe de direction, dont il est membre.

Ø La cohérence de l'ensemble du projet de fonctionnement de la SEGPA

Ø Le suivi et la coordination des actions mises en place par les PE spécialisés4 et les professeurs des classes concernées pour les élèves du collège bénéficiant de la SEGPA.

Ø L'organisation et la planification des stages en milieu professionnel, la conduite de la transmission des bilans annuels aux familles et à la CDOEA5 si une révision d'organisation est envisagée.

Ø La liaison avec les autres établissements dispensant une formation et le suivi du devenir des élèves sortis de la SEGPA. »

Une partie de l'enseignement général est assuré par des enseignants spécialisés, titulaires ou non du CAPPEI6 qui adaptent leur enseignement en passant par l'aménagement des situations, des supports et des rythmes d'apprentissage. Ces adaptations privilégient des pratiques d'individualisation et de différenciation pédagogique. A partir de la classe de 4ème, les élèves de SEGPA bénéficient d'enseignements professionnels assurés par des PLP7 dans des domaines variés : l'habitat, la restauration, la peinture, l'agriculture... Les activités qui sont proposées permettent à l'élève de commencer à construire son projet professionnel qui sera conforté pendant l'année de 3ème. Les élèves construisent de nouveaux apprentissages à partir de situations concrètes.

Afin de répondre aux objectifs des champs professionnels, les élèves sont amenés à découvrir le monde de l'entreprise en réalisant des stages tout au long de l'année. En 4ème, ce sont des stages de découverte qui visent à l'acquisition d'attitudes sociales et professionnelles ainsi qu'à

4 PESPE : professeur des écoles spécialisé

5 CDOEA : commision départementale d'orientation vers les enseignements adaptés

6 CAPPEI : certificat d'aptitude professionnelles aux pratiques de l'école inclusive.

7 PLP : professeur de lycée professionnel.

l'appréhension à un niveau adapté de connaissances techniques. En 3ème, ce sont des stages d'application qui ont pour objectif « l'articulation entre les compétences acquises dans l'établissement scolaire et les langages techniques et les pratiques du monde professionnel » (circulaire, 2015). Les PLP encadrent, accompagnent et orientent les élèves en fonction de leurs aspirations mais aussi de leurs possibilités en tenant compte de leurs besoins éducatifs particuliers. Lors des réunions de synthèse et de coordination qui ont lieu toutes les semaines, l'équipe pédagogique analyse, échange et permet le suivi de chaque élève à travers ses possibilités d'évolution, les soutiens et les aides diverses susceptibles de lui être apportés.

Cette organisation bien spécifique et caractérisant la SEGPA, ne concerne que les élèves orientés en SEGPA. Dans le cadre d'une école inclusive, nous pourrions nous demander dans quelle mesure cette organisation bien rodée ne pourrait pas s'étendre aux élèves de tout le collège et pourrait favoriser ainsi la découverte des métiers dans son ensemble alors que les préconisations actuelles tendraient plus vers la disparition des ateliers qui ne répondent pas aux exigences des attendus du socle commun en fin de troisième.

2.2.4 : La SEGPA : D'un système intégratif à un système inclusif?

Comme nous avons pu le voir précédemment, les paradoxes sont nombreux concernant la structure SEGPA. D'un côté, ses potentiels sont mis en avant par les institutions (organisation bien huilée, meilleure intégration, des enseignants de qualité) et de l'autre une structure qui ne répond pas aux objectifs d'un collège à visée inclusive. Dès lors, quels sont les moyens qui permettraient de rendre la SEGPA inclusive ? Quels sont les freins inhérents à la SEGPA ?

L'académie de Lille (2016), bien avant le rapport remis par deux inspecteurs sur les SEGPA, a mis en place un dispositif inclusif pour les 6ème SEGPA : les 6ème pré-orientés SEGPA étaient inclus dans les classes de 6ème ordinaires. (Annexe II). Dans le vadé-mécum, un tableau explicatif compare le modèle ancien de la SEGPA avec le modèle attendu dans une SEGPA inclusive :

Tableau 1: De l'ancien paradigme au nouveau paradigme

Le fonctionnement ancien

Le fonctionnement nouveau attendu

Des élèves qui ne se mélangent pas aux autres ou très peu.

Des élèves davantage inclus parmi leurs camarades du collège.

Un parcours de scolarisation identique pour tous.

Une personnalisation des parcours de scolarisation avec une élévation du degré d'ambition (DNB8 professionnel et bac professionnel).

Des enseignants spécifiques (PE spécialisés + Professeur de lycée professionnel) qui travaillent peu en équipe avec les autres professeurs du collège.

Une mutualisation des compétences professionnelles dans le cadre d'un travail en équipe à construire et à développer.

Une structure distincte des autres classes du collège avec des objectifs et une organisation propre, disposant d'une DHG9 fléchée.

Une structure (continuant de disposer d'une DHG fléchée) fonctionnant davantage en mode « dispositif » et contribuant à un fonctionnement du collège plus inclusif.

 

Deux ans après ce vadémécum, en 2018, l'Inspection Générale a remis au Ministre de l'Education Nationale un rapport concernant les SEGPA, rédigé par Mme Abraham et M. Desprez. Ce bilan propose des pistes de réflexion pour permettre à la SEGPA de devenir plus inclusive. Deux inspecteurs, en 2018, ont été missionnés pour effectuer un bilan sur les SEGPA. Leur mission était de chercher à analyser « comment les acteurs repensent, depuis la circulaire de 2016, la scolarisation des élèves qui bénéficient de l'orientation en EGPA, leurs parcours de formation et d'orientation et comment la structure SEGPA s'organise et fonctionne dans le respect du principe d'inclusion énoncé par la loi du 8 juillet 2013 ». Le vadémécum de Lille a été un des points d'appui pour aborder les modalités de l'inclusion. La méthode qui a été retenue a été une enquête de terrain où la mission s'est déplacée dans différentes académies : dix SEGPA ont été visitées. Des entretiens ont été menés avec des équipes de direction, des directeurs adjoints de SEGPA et des équipes enseignantes.

L'objectif de ce bilan porte sur les évolutions possibles de la SEGPA tout en ne remettant pas en cause le bien-fondé de cette structure. Les inspecteurs souhaitent confirmer les SEGPA dans leur capacité à répondre au principe d'une école inclusive énoncé par la loi de 2013 en communiquant et démontrant que la SEGPA reste en capacité de traiter et résorber la grande difficulté scolaire et conduire à la réussite. La mission constate que l'inclusion des élèves de SEGPA en classe ordinaire reste marginale pour plusieurs raisons :

Ø Les parents d'élèves des autres classes, qui méconnaissent l'enseignement spécialisé, s'opposent parfois de manière radicale aux tentatives et formes d'inclusion qui tendent à se

8 DNB : Diplôme national du brevet

9 DHG : Dotation Horaire Globale

développer parce qu'ils ont des difficultés à accepter que des élèves de SEGPA soient « intégrés » ou « inclus » dans la classe de leur enfant.

Ø Les professeurs, qui parfois méconnaissent ce public, et ont le plus souvent une image dépréciative des élèves qui le composent. Outre leur méconnaissance, les professeurs ont peur d'avoir une difficulté supplémentaire à gérer en terme de gestion de classe.

Ø Certaines équipes enseignantes ne souhaitent pas que se développent le modalités d'inclusion qui permettent aux élèves de SEGPA de poursuivre une scolarité ponctuelle ou totale au sein des classes de collège.

Or, selon la mission, ces inclusions sont des valeurs ajoutées. Mais certains enseignants ne le perçoivent pas comme tel et souhaitent le maintien en l'état de la structure SEGPA qu'ils considèrent « comme une chance pour les élèves », proche « d'un cocon » (ce que reprochent d'ailleurs à la SEGPA les tenants de l'inclusion...)

Les expériences dont nous avons parlées, notamment celle de l'académie de Lille, se développent en France. Néanmoins, la mission observe que certains enseignants se découragent pour rejoindre le dispositif car ils sont habités par la crainte de perdre leur identité professionnelle en enseignant en binôme auprès d'un public à BEP. Le rôle des chefs d'établissement est alors de rassurer, dissiper les craintes concernant l'incertitude qui pèse sur l'évolution de cette structure et des postes d'enseignants. A l'instar du vadémécum de Lille, la mission constate de nombreux points positifs à inclure les élèves de sixième pré orientés SEGPA en classe ordinaire :

Les préconisations envisagées (Annexe III) par la mission correspondent en tous points à celles qui ont été mises en place par l'académie de Lille. Ces préconisations tendent à démontrer à la fois l'utilité de la SEGPA tant dans son fonctionnement que dans son approche pédagogique en

lien avec le traitement de la grande difficulté scolaire et la possibilité d'une évolution vers une meilleure inclusion des élèves qui composent cette structure. Il semble que les conclusions ne se portent pas sur une éventuelle disparition des SEGPA mais plutôt vers une uniformisation des SEGPA. En effet, les disparités qui existent sur le plan national, avec notamment la prise en charge de ces élèves par les professeurs de collège, doivent évoluer afin que ces élèves puissent bénéficier d'un enseignement riche et varié. Suite à cette enquête de terrain qui a duré dix ans, basée sur des entretiens auprès d'équipes de direction, de directeurs de SEGPA, d'enseignants spécialisés et d'élèves, il serait intéressant de se demander toutefois pourquoi les enseignants du secondaire n'ont pas fait partie du panel interrogé, sachant qu'ils interviennent auprès de ces élèves et qu'ils ont certainement un avis à exprimer... Néanmoins, ce bilan apporte des éléments objectifs qui peuvent éclairer la situation actuelle des SEGPA.

Le premier point qui a été interrogé porte sur l'élève de SEGPA avec ses « difficultés graves et persistantes ». Les inspecteurs s'interrogent sur d'autres élèves de l'ordinaire qui parfois ne se distinguent pas tant que cela des élèves de SEGPA dans leur profil. Le second point indique que les parents n'adhèrent pas facilement à la proposition de l'orientation en SEGPA (préjugés, image de la SEGPA, enfants à la marge). Le troisième point indique que la place de la SEGPA au sein du collège est variable ainsi que son fonctionnement. Certains collèges favorisent les passerelles (passage d'un élève de SEGPA vers l'ordinaire) alors que d'autres s'y opposent.

Les inspecteurs notent que malgré des textes institutionnels communs, chaque SEGPA dispose d'un fonctionnement propre. Il n'existe pas d'uniformité nationale. On peut émettre l'hypothèse que les impulsions vers une meilleure inclusion pourraient venir à la fois de l'équipe de direction mais aussi des enseignants eux-mêmes en mettant en place un travail d'équipe, une meilleure concertation, une ouverture d'esprit aux changementx et aux évolutions inéluctables liées à ces changements. Par ailleurs, dans une enquête PISA de 2018, les résultats concernant l'obtention des diplômes indiqueraient que l'élève de SEGPA aurait eu des résultats similaires s'il avait suivi un cursus ordinaire. Tous ces éléments d'observation tendent à démontrer que la structure SEGPA n'a plus vraiment sa raison d'être. Or, les politiques savent pertinemment que le travail mené par les enseignants spécialisés tout au long du cursus de l'élève portent ses fruits. Si les élèves de SEGPA venaient à être inclus totalement dans l'ordinaire, les enseignants du secondaire pourraient-ils remplir les mêmes fonctions sachant qu'ils doivent déjà faire face à un grand nombre d'élèves en difficulté ?

2. 3 : Des expériences de terrain

2.3.1 : L'expérience de Laville et Saillot

Plusieurs chercheurs ont mené des enquêtes de terrain sur l'inclusion des SEGPA, uniquement délimitée aux sixièmes. Laville et Saillot (2019) ont effectué une recherche dans un collège de la région parisienne situé en REP10. Dans ce collège s'est mise en place une démarche visant la mise en oeuvre de modalités de scolarisation inclusive avec les SEGPA. L'objectif du collège était de « favoriser l'acquisition d'une culture commune à tous les collégiens afin de prévenir les risques de décrochage et d'exclusion scolaire de l'ensemble des élèves ».

Le projet a vu le jour suite aux attentats de Charlie Hebdo, dans l'objectif d'améliorer le climat scolaire. Il a engendré des réflexions autour de l'inclusion des élèves de SEGPA, tant au niveau des pratiques enseignantes qu'au niveau de sa mise en oeuvre organisationnelle. Ce projet s'est mis en place sur la base du volontariat. Tous les élèves de SEGPA ont été inscrits dans une classe de référence dans l'ordinaire et chaque professeur spécialisé était mandaté pour être professeur principal dans une classe de l'ordinaire. On pourrait schématiser ce projet de la façon suivante :

Figure 2: Modèle de 6ème inclusive

10 REP : Réseau d'Education Prioritaire

Les collègues enseignants ont mal perçu ces initiatives car cela leur a été imposé sans concertation préalable. Les chercheurs se sont appuyés sur deux concepts pour analyser la situation : celui de liminalité (situation d'entre-deux), emprunté à l'anthropologie et celui de dilemme emprunté à Clot en clinique de l'activité.

Les constats observés chez les enseignants :

Ø Impression d'être emmenés de force par leur direction

Ø Sentiment d'être insuffisamment formés

Ø Pouvoir d'agir limité pour accueillir l'ensemble des élèves En discutant avec les enseignants, les chercheurs ont noté deux dilemmes :

Ø Le paradoxe entre les valeurs inclusives qu'ils défendent et la réalité praxéologique du terrain

· L'accueil des élèves de SEGPA, vécu comme précipité et comme un « écran masquant »

· L'hétérogénéité de profil des élèves inclus

Ø Les difficultés organisationnelles

· Budget

· Constitution des emplois du temps

· Institutionnalisation des réunions

· Articulation des exigences des textes officiels entre élèves à « BEP » et ordinaires

De plus, l'identité des principaux acteurs de terrain est bouleversée : les professeurs de collège constatent que certains de leurs élèves ont parfois les mêmes problématiques que les élèves de SEGPA, ce qui n'est pas surprenant car l'orientation d'un élève en SEGPA est tributaire de l'accord parental. Paradoxalement, c'est grâce à l'étiquetage SEGPA que peuvent se développer des pratiques d'enseignement dans le collège. Les échanges avec les professeurs de collège « laissent entrevoir le poids des représentations sociales du handicap, son aspect déficitaire » (Laville et Saillot, p. 318), dans le sens où il est moins culpabilisant de ne pas faire progresser un élève d'ULIS11 qu'un élève de SEGPA... La situation des élèves de SEGPA agit alors comme un révélateur de la tension entre le genre professionnel des enseignants d'éducation prioritaire qui repose sur la défense des valeurs de lutte contre l'inégalité et les nouvelles situations d'enseignement auxquelles les professeurs disent être confrontés. Les élèves de SEGPA, quant à

11 ULIS : Unité Localisée pour l'Inclusion Scolaire

eux, s'inscrivent dans un principe de liminalité : ils sont dans un « entre deux ». Il est « confortable d'appartenir à un groupe défini et confortable aussi d'aller chercher la norme » (Ibid,p.319). Un an après cette expérience, le chef d'établissement a fait machine arrière dans le processus inclusif.

2.3.2 : L'expérience de Berzin

Berzin (2015) a mené une enquête sur la Picardie concernant la politique d'inclusion sur des élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP). Une cinquantaine d'entretiens semi-directifs a été réalisée auprès de parents, d'enseignants et de directeurs d'école. Elle constate que dans le second degré, « l'accueil des élèves à BEP12 relevait encore davantage du militantisme que d'une réelle connaissance d'un droit à l'éducation » (p.79). Outre l'insuffisance des moyens d'accompagnement, les témoignages recueillis mettaient avant tout l'accent sur les difficultés de collaboration à l'intérieur même de l'établissement.

L'analyse des représentations des enseignants a montré que la plupart d'entre eux imputent les difficultés d'apprentissage à des caractéristiques intrinsèques des élèves et interrogent rarement les situations d'apprentissage-enseignement mises en oeuvre (Monfroy, 2002, in Berzin, p.81). Afin qu'une école inclusive puisse voir le jour et fonctionne, il est nécessaire de croiser les regards et « d'articuler deux systèmes : l'ordinaire et le spécialisé » (p. 84).

Suite aux entretiens, Berzin aborde des pistes de réflexions. Elle note des évolutions significatives :

Ø Une meilleure connaissance des lois et du rôle de l'enseignant spécialisé

Ø Une évolution dans la manière de voir l'élève à BEP

Ø Des enseignants bienveillants et à l'écoute

Ø Des décloisonnements, des projets

Ø Des adaptations de supports qui profitent à tous les élèves Toutefois, certaines limites restent prégnantes et visibles :

Ø Le manque de temps pour les enseignants

Ø La difficulté à mobiliser les équipes

Ces expériences ont vu le jour dans plusieurs établissements, mais devant la complexité du fonctionnement, les résistances des uns et des autres, la peur du changement, le processus inclusif

12 BEP : Besoins Educatifs Particuliers

ne s'est pas encore inscrit de façon pérenne car « l'enseignant peut penser en toute bonne foi que l'inclusion scolaire est une valeur à défendre et à promouvoir... mais qu'il n'a pas de motifs valables de changer ses habitudes dans la mesure où l'histoire de l'éducation des jeunes à BEP est dominée par une logique ségrégative » (Zaffran, 2013, in Laville et Saillot, p.319). Par ailleurs, un élément très important à prendre en compte dans la mise en place du dispositif inclusif pour les 6ème SEGPA est le nombre d'élèves pré-orientés. En effet, si 4 élèves sont pré-orientés SEGPA, il est plus facile de les inclure dans l'ordinaire que s'ils sont 16, surtout si aucune ouverture de classe n'est prévue dans l'ordinaire... Dès lors, le schéma ci-dessous, à l'instar de L. Cuban sur le cycle des innovations, peut illustrer ce qui se passe dans différents établissements qui tentent de mettre en place ces dispositifs inclusifs.

Figure 3: Interprétation des expériences de sixième inclusive

2.3.3 : L'académie de Lille, pionnière en matière d'inclusion

La parution des textes relatifs à la SEGPA vient modifier en profondeur les parcours de scolarisation des élèves qui en bénéficient et, par là même, la façon dont s'articule le fonctionnement de la SEGPA avec les autres classes du collège.

L'académie de Lille n'a pas attendu ces textes, elle avait déjà anticipé en incluant les 6ème SEGPA appelées « 6ème inclusives ». Ce dispositif a mobilisé 14 établissements. La personnalisation du parcours de scolarisation d'un élève de SEGPA est un objectif de la réforme. Comment se traduit-il?

Ø Mise en place d'un projet pédagogique individuel établi pour l'élève

Ø Un emploi du temps

Ø Les documents relatif au parcours Avenir (inscrit dans les projets d'établissement)

Ø L'ensemble des documents sur l'élève (compte rendu de synthèse...)

Un pilotage du parcours de l'élève qui implique:

Ø Une communication renforcée avec la famille

Ø Une communication entre les enseignants

Pour mener à bien ce projet, il est nécessaire qu'il y ait partage d'informations relatives à la connaissance des élèves :

Ø Pendant l'acte d'enseignement

Ø En amont et en aval de l'acte d'enseignement

Le travail en amont et en aval des séquences d'enseignement devient très important : en amont, l'enseignant doit bâtir des progressions communes, préparer des séances en co-intervention, se mettre d'accord sur le type d'intervention de chaque professionnel, le partage des tâches et en aval, l'analyse réflexive des séances, l'échange sur les pratiques.

Le vadémécum insiste sur le temps a déployer pour parvenir à ces objectifs et préconise de l'institutionnaliser dans l'emploi du temps, prévoir des temps de concertation communs pris sur le temps de concertation ou sur le temps personnel. Dans l'optique de cette inclusion des élèves de SEGPA, quels sont les rôles de l'enseignant spécialisé et du professeur de collège ?

Figure 4: les rôles du PE spé et du professeur de collège dans un collège inclusif

Dans ce vadé-mécum il nous est proposé deux modalités d'expérimentations : une inclusion totale et une inclusion avec des regroupements au sein de la SEGPA. Par ailleurs, des modalités d'intervention sont proposées s'inspirant du dispositif « plus de maîtres que de classes » : co-intervention / co-animation / co-enseignement :

Figure 5: Dispositif inclusif "plus de maîtres que de classes"

Il est précisé toutefois que ces modalités d'enseignement peuvent être source d'inquiétude pour les enseignants :

Ø Le PLC n'est plus le seul enseignant dans sa classe et doit envisager son programme, ses méthodes, ses séances avec un autre enseignant et lui faire une véritable place.

Ø Le PE spécialisé n'a plus sa classe et doit s'adapter aux méthodes et exigences de son collègue tout en trouvant sa place au sein d'une classe qui n'est pas la sienne.

L'expérience a donc été mise en place et les tenants de cette expérimentation ont interrogé les principaux acteurs pour avoir leur point de vue :

Les apports de l'inclusion pour les élèves (point de vue des enseignants) :

Ø « Les élèves se sont adaptés naturellement, ils ont deux enseignants. La présentation s'est faite naturellement le jour de la rentrée.

Ø Les élèves du dispositif ne sont pas stigmatisés dans les autres disciplines.

Ø Les échanges entre les enseignants facilitent la compréhension des élèves en difficulté.

Ø Les élèves en difficulté osent participer, le climat de classe est propice aux échanges. L'erreur a été dédramatisée, les enseignants ont pris conscience pour certains élèves de la difficulté et non de « la non volonté ».

Ø Constat d'un bon climat de classe, de « bonnes mentalités ».

Ø Le dispositif a permis de repérer et d'aider des élèves non identifiés en CM2 ». Les apports de l'inclusion pour les enseignants ont été les suivants :

Ø L'inclusion permet la mutualisation des compétences et l'enrichissement de chacun : le PE spécialisé apporte sa spécificité dans la gestion de la grande difficulté scolaire, le PLC sa maîtrise de la didactique. « Je peux rester un moment sans intervenir et juste écouter le cours, je vois l'histoire autrement. Je ne verrai plus les angles de la même façon ! ».

Ø Prendre conscience que dans la classe, il y a plus d'élèves en difficulté, c'est « déstabilisant mais l'aide du PE spécialisé a apporté un éclairage sur l'adaptation des cours pour permettre une meilleure compréhension pour certains élèves ».

Toutefois, malgré une expérience qui semble avoir réussi, quelques points de vigilance sont notés :

Ø Les temps de préparation et de concertation gagnent à être clarifiés dans l'emploi du temps.

Ø Les programmations gagneraient à être uniformisées.

Ø Les adaptations ne doivent pas s'arrêter au niveau de la sixième.

Ø Des enseignants ne sont pas encore prêts à modifier leurs pratiques et à questionner les besoins de l'élève.

Comme nous pouvons le constater, mettre en place une politique inclusive n'est pas chose aisée. Elle nécessite d'importantes transformations tant au niveau organisationnel que pédagogique. De plus, cela implique un changement de mentalités, de pratiques et une collaboration importante.

2.3.4 : Des éléments de controverse s scientifiques

Les politiques imposent mais ne se demandent pas ce que cela fera dans la singularité des personnes. L'inclusion peut être une belle idée mais peut être catastrophique dans les faits. Exister dans un groupe avec une petite différence c'est compliqué alors avec une grande différence... compliqué pour l'enseignant et pour l'élève. Les institutions peuvent devenir maltraitantes par leurs injonctions car elles ne prennent pas le temps de comprendre dans quoi nous sommes. (Cifali, 2021).

Entre le dire et le faire, le pas est grand même si la volonté est louable. Nous verrons dans cette partie, à la fois que la charge de travail des enseignants, sans école inclusive, est déjà très difficilement réalisable et que des expériences de terrain sur l'inclusion des élèves de SEGPA qui ont vu le jour se sont révélées fort peu constructives.

Le travail réel et les conditions de travail des enseignants sans fonctionnement inclusif

Comme nous l'avons vu dans l'expérience pionnière de Lille, les exigences en matière de travail pour parvenir à atteindre les objectifs d'une inclusion réussie sont nombreuses et quasi irréalisables tant le travail demandé en amont et en aval est important. Torres (2014) parle d'une « dévaluation sociale du métier ». En effet, il constate qu'avec la massification des publics, les enseignants font face à des classes chargées en effectif et de plus en plus hétérogènes (amener le plus d'élèves d'un groupe classe au baccalauréat). De plus, le pouvoir d'achat des enseignants baisse régulièrement. Enfin, la reconnaissance sociale du métier est précarisée.

Dans une synthèse de Maroy en 2006, ce dernier explique que l'enseignant doit « tenir sa classe » et « faire apprendre aux élèves » ce qui implique une activité d'une grande complexité qui varie selon l'environnement, le public, les buts et les moyens fixés pour les atteindre (Maroy, 2006, p.114). Il est un exécutant devant tenir compte des injonctions, des missions de l'école et son travail s'inscrit dans une organisation disciplinaire des programmes. Néanmoins, c'est un travail de l'humain. On se soucie des besoins de l'enfant et de sa psychologie. Aujourd'hui, les tenants de

3.1 : le cadre théorique : PLC et PE face à une école inclusive

l'inclusion reprochent aux enseignants spécialisés d'être trop dans la bienveillance, de vouloir redorer l'estime de soi aux élèves.

L'enseignant est déjà fortement sollicité en charge de travail : l'activité de l'enseignant, notamment du secondaire, se joue au moment des préparations en amont du cours et au moment de faire cours. Cela implique aussi une mise en forme pédagogique des savoirs (Barrère, 2002). Avant de parler d'école inclusive, les chercheurs comme Lang, Dubet, Barrère, constatent un déplacement du coeur du métier avec une transformation de l'enseignant « magister » vers l'enseignant « pédagogue ». Le praticien réflexif est promu au détriment de modèles anciennement valorisés comme celui du « maître instruit ». Désormais, l'enseignant est amené à travailler en équipe (projets pluri-disciplinaires) et s'investit plus dans la gestion de son établissement. Dès lors, l'enseignant doit davantage s'investir dans des taches administratives et de gestion scolaire. (Eurydice, 2005).

A l'instar de Lang, Dubet et Barrère, Rayou et Van Zanten (2004) évoquent une « gestion de classe plus hétérogène et plus difficile ». Le travail des enseignants devient tout autant émotionnel qu'intellectuel car il faut mobiliser, outre les savoirs académiques, des connaissances et savoir-faire divers pour assurer des interactions qui rendent les apprentissages possibles. L'intensification du travail contribue à rendre parfois les conditions de travail difficiles : manque de temps, surcharge chronique, remplacement du temps passé devant les élèves par la réponse aux demandes administratives, diversification de leur expertise, curriculum et pédagogie formatée et cadrée (Hergreaves, 1994). Cette intensification des taches demandées tend vers une remise en cause de l'identité professionnelle des enseignants, c'est pourquoi au regard de ce que préconise l'école inclusive en matière d'investissement tant professionnel que personnel, cela ne peut se faire sans heurts.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard