1.4 : Du questionnement à la démarche de
recherche
L'école à visée inclusive conduit
nécessairement, comme nous l'avons déjà exprimé,
à de multiples changements, dont celui de l'identité
professionnelle. Identité professionnelle des professeurs non
formés à l'inclusion et identité professionnelle des
enseignants formés à l'inclusion. D'où mon questionnement
: En quoi l'école inclusive impacte t-elle l'identité
professionnelle des enseignants de collège non formés et
formés à l'inclusion ?
Pour pouvoir passer d'une démarche réflexive
à une démarche scientifique, nous clarifierons dans un premier
temps le cadre institutionnel et le cadre notionnel afin d'élaborer la
problématique, des hypothèses et un protocole de recherche en vue
de récolter des données à analyser.
Nous définirons à la fois les concepts
d'inclusion et d'intégration mais aussi l'évolution des textes
institutionnels en lien avec l'inclusion mais également de la SEGPA. Les
chercheurs donnent-ils tous la même définition de ces deux
concepts ? Peut-on mettre en place le « tout inclusif » ? Quels sont
les principes sous-jacents qui animent l'école inclusive ? La SEGPA a
t-elle encore un rôle à jouer dans ce processus ?
Dans un second temps, nous aborderons l'identité
professionnelle, sa construction et son évolution. Comment les
identités professionnelles des enseignants du secondaire
spécialisés ou non se construisent-elles aujourd'hui ? Existe
t-il une ou plusieurs identités en fonction de si nous sommes
spécialisés ou non ? Quelles sont les différences, les
points communs entre un enseignant
de collège et un professeur des écoles
spécialisé ? Peut-il y avoir des points de convergences ? Si oui,
lesquels ?
2. Le cadre notionnel
Aujourd'hui, les termes « inclusion », «
inclusif », « école inclusive » font partie de notre
quotidien. Oserions-nous dire que ce sont des termes « à la mode
» ? Probablement que pour certaines personnes, il est de bon aloi
d'utiliser ces termes mais ils relèvent surtout d'une idéologie
basée sur des principes d'humanité et d'équité.
Dans cette partie, nous étudierons les fondements de
l'inclusion, les notions d'intégration et d'inclusion à travers
leurs différences et leurs points communs et nous aborderons ce qui est
au coeur de notre étude, la structure SEGPA qui porte en elle plusieurs
paradoxes, à savoir qu'elle génère à la fois la
stigmatisation et l'étiquetage mais qu'elle dispose aussi de tous les
éléments dans son fonctionnement pour être inclusive.
2.1 : L'éducation inclusive : un cheminement
lent, pavé d'embûches
2.1.1: L'origine des principes de l'école
inclusive
Lorsqu'on cherche à comprendre les tenants et les
aboutissants d'une éducation inclusive, il nous semble a priori que
c'est une volonté récente des politiques et des chercheurs. Or,
l'éducation inclusive est une ambition générale
d'éducation globale, mondiale, porteuse d'idéaux universalistes
ancrée depuis la Renaissance. Magdalena Kohout-Diaz en 2018, lors d'une
conférence explique que l'UNESCO porte cette notion d'éducation
inclusive depuis qu'elle a émergée en Grande-Bretagne et en
Italie dans les années 1970. Cet idéal d'éducation
inclusive trouve sa genèse chez le philosophe, théologien et
pédagogue de la fin de la Renaissance, Coménius. Il a produit un
ouvrage, La grande didactique, dont le sous-titre est
Traité de l'art universel d'enseigner tout à tous,
discipline qu'il appellera Pampeadia. Cette discipline était
insérée dans un grand ensemble philosophique de réforme
générale de la conception du monde humain, dont les
éléments centraux étaient l'universalisme, la fin des
discriminations, l'humanisme.
A l'instar de ces principes universalistes prônés
par Coménius, la déclaration de Salamanque marque un tournant
dans la prise en compte de la diversité et de l'égalité
des chances pour tous les élèves à l'échelle
internationale. Les membres ayant rédigé cette déclaration
affirment les éléments suivants :
Ø « L'éducation est un droit fondamental
de chaque enfant qui doit avoir la possibilité d'acquérir et de
conserver un niveau de connaissances acceptable.
Ø Chaque enfant a des caractéristiques, des
intérêts, des aptitudes et des besoins d'apprentissage qui lui
sont propres.
Ø Les systèmes éducatifs doivent
être conçus et les programmes appliqués de manière
à tenir compte de cette grande diversité de
caractéristiques et de besoins.
Ø Les personnes ayant des besoins éducatifs
spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires,
qui doivent les intégrer dans un système pédagogique
centré sur l'enfant, capable de répondre à ces besoins.
Ø Les écoles ordinaires ayant cette orientation
intégratrice constituent le moyen le plus efficace de combattre les
attitudes discriminatoires, en créant des communautés
accueillantes, en édifiant une société intégratrice
et en atteignant l'objectif de l'éducation pour tous ; en outre, elles
assurent efficacement l'éducation de la majorité des enfants et
accroissent le rendement et, en fin de compte, la rentabilité du
système éducatif tout entier. »
Il est à noter que le terme « inclusion » ou
« école inclusive » n'est pas utilisé. Seul le terme
intégration est noté. Toutefois, tous les éléments
de la déclaration seront repris ultérieurement dans les principes
d'une école à visée inclusive.
2.1.2 : L'évolution des textes
institutionnels et une prise de conscience
en France
La déclaration de Salamanque a conduit la France
à poser les jalons des principes d'une école inclusive.
L'école est une chance et un droit auxquels tous les enfants peuvent
prétendre. La loi pour l'égalité des droits et des chances
du 11 février 2005 a affirmé le droit pour chacun à une
scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à
un parcours scolaire continu et adapté. Elle s'est fixé pour
objectif d'inclure tous les élèves sans distinction, même
si le terme inclusion n'est toujours pas utilisé. Il faut attendre la
loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de
la République du 8 juillet 2013 pour aller plus loin et améliorer
encore les conditions d'accès à l'enseignement des
élèves en situation de handicap et pouvoir y lire le terme
d'inclusion. Le terme inclusion y est utilisé en indiquant que « le
service public d'éducation veille à cette inclusion scolaire de
tous les enfants, sans aucune distinction ». Par ailleurs, dans cette loi
de juillet 2013, il est indiqué que « pour garantir la
réussite de tous, sous-entendu une inclusion pour tous, l'école
doit s'enrichir et se conforter par le dialogue et la coopération entre
tous les acteurs de la communauté éducative ».
Cette volonté de promouvoir une école inclusive
est confortée par la loi sur l'école de la confiance de juillet
2019. Cette loi permet d'engager à la fois une transformation profonde
des conditions d'accompagnement des élèves en situation de
handicap ou élèves à besoins éducatifs particuliers
et une amélioration significative des conditions de recrutement, de
formation et de travail de leurs accompagnants qui créent les bases d'un
véritable service public de l'école inclusive.
En France, bien que le terme « inclusion » et
« éducation inclusive » soient récents, force est de
constater que les pouvoirs publics mettent tout en oeuvre pour tendre vers cet
idéal d'une école sans discrimination, sans exclusion.
L'éducation inclusive ambitionne une société soucieuse du
respect de ses membres et de la dignité humaine qui fait maîtriser
par tous les élèves les compétences et la culture
nécessaires pour être acteurs de leur devenir, transformer leurs
relations avec autrui et participer à la constitution même de
cette société.
En conséquence, la question qui peut se poser
réside toujours entre le « dire et le faire ». Comment les
politiques peuvent-elles ambitionner de mettre en place une école
inclusive alors qu'en son sein, les principes ségrégatifs
élitistes perdurent ? Quels sont les moyens à déployer
afin que la marge cohabite avec la norme définie par la
société ?
2.2 : La SEGPA, une structure
spécialisée dans une école à visée
inclusive ?
Avec la loi de 2005, l'enseignement spécialisé
est à un tournant de son histoire. La loi pose la
nécessité d'un transfert de compétences des milieux
spécialisés vers le milieu ordinaire. En France, le modèle
binaire prédomine : le « two-track approach » (Benoit). D'un
côté la voie ordinaire, de l'autre la voie spéciale.
L'objectif de l'école inclusive est de tendre vers le « one- track
approach » (une seule et unique voie pour tous les élèves).
Dès lors, nous nous questionnons sur l'avenir de la structure SEGPA qui
porte en son sein les stigmates de la ségrégation, par sa
structure et son fonctionnement bien à elle, par l'étiquetage des
élèves qui en font partie et aussi par l'identité bien
spécifique des enseignants spécialisés qui y
enseignent.
2.2.1 : L'origine de la SEGPA
L'histoire des SEGPA fait partie de la politique de lutte
contre les échecs scolaires et est étroitement liée aux
histoires d'élèves dont les résultats scolaires ne
correspondent pas aux normes attendues par le système scolaire. Des
terminologies diverses se sont succédées au fil du temps à
travers les textes officiels pour dénommer ce genre de public :
arriérés, débiles légers, déficients
intellectuels... puis on a parlé de retard léger, d'échec
scolaire, d'élèves inadaptés, en difficultés....
2.2.1.1 : L'origine du tri des
élèves
L'origine du tri des élèves date de la fin du
XIXème siècle. Un certain nombre d'enfants, bien que
dans l'âge de l'obligation scolaire, se retrouvent rapidement «
hors-loi » scolaire ou encore considérés comme non
scolarisables. A cette époque, on utilise le terme «
inéducable ». (Gardet, 2019, p.283). Ces enfants «
inéducables » sont pris en charge par les orphelinats et les
colonies pénitentiaires qui bénéficiaient, à
l'époque, d'une grande bienveillance des pouvoirs publics car ils
étaient reconnus pour leur mission d'assistance. Ces
établissements se géraient à l'interne et utilisaient
parfois des techniques cinglantes.
Entre 1881 et 1882, Jules Ferry, ministre de l'Instruction
publique, rend l'école obligatoire pour les élèves
âgés de six à treize ans. Une prise de conscience de
certains politiques apparaît. Ainsi, Léon Bourgeois (ancien
ministre de l'instruction publique mais à l'époque ministre
des
La solution la meilleure à cet égard consiste
à scolariser ces enfants dans des conditions
affaires étrangères) adresse un courrier
à Aristide Briand, nouveau ministre de l'Instruction Publique et dit :
« jusqu'à ce jour, les enfants anormaux se trouvent hors la loi,
puisqu'ils ne peuvent être instruits dans des écoles
ordinaires et qu'aucune école publique n'est mise
à leur disposition. » (Gardet, p. 283).
En 1880, sur l'effectif total des colonies
pénitentiaires publiques et privées qui est de 7 215 colons, il
est estimé l'existence de 2 580 mineurs de moins de 12 ans (36%) et de 2
384 mineurs de 14 ans (33%). Si une instruction primaire est
théoriquement prévue, l'éparpillement de ces jeunes
enfants dans les différentes structures entraînant une prise en
charge indifférenciée avec les mineurs n'étant plus
d'âge scolaire, en rend l'application difficile. A partir de cette date,
l'État doit faire face à un nombre important d'enfants qui ne
réussissent pas à l'école, c'est pourquoi, en 1905, deux
médecins, Binet Alfred et Simon Théodore élaborent la
première échelle métrique afin de mesurer le
développement de l'intelligence des enfants en fonction de leur
âge. Ce test, appelé test Binet-Simon, permettra d'identifier les
enfants « retardés mentaux » afin de les orienter vers des
classes spécialisées. Le 15 avril 1909, le gouvernement adopte
une loi instituant les classes de perfectionnement pour enfants «
arriérés ». Ces classes de perfectionnement fonctionneront
jusque dans les années 70.
2.2.1.2 : La création des Sections d'Enseignement
Spécialisés
A partir des années 1940, le métier
d'éducateur spécialisé voit le jour. Les instituteurs
réclament alors une place sur les questions d'éducation incluant
le domaine de l'inadaptation. Deux centres sont
créés pour former ces instituteurs : le centre de Beaumont-en
Oise en 1947 et le centre de Suresnes (qui continue encore à former
aujourd'hui des enseignants spécialisés) en 1954. Ces centres ont
pour vocation de former un front laïque revendiquant la constitution d'une
nouvelle coordination de l'enfance sous tutelle du seul ministre de l'Education
Nationale.
En janvier 1959, l'obligation de scolarisation est
portée de 14 à 16 ans. Nombre d'adolescents arrivent alors dans
les établissements du secondaire et certains avec des retards scolaires
importants. Les élèves avec une déficience intellectuelle
arrivent des classes de perfectionnement, jusque-là limitées
à l'école élémentaire.
Entre 1965 et 1966, Labrégère (ancien
instituteur, puis inspecteur, puis formateur des maîtres
spécialisés) applique à l'enfance inadaptée les
mesures en vigueur pour l'ensemble du système scolaire. Des
recommandations sont émises (Heurdier, 2016, p.135) :
aussi proches que possible de la normale,
c'est-à-dire en évitant de les séparer de leur milieu
naturel, familial et scolaire, et de leur imposer la ségrégation
qui en résulte de leur placement en établissement
spécialisé, ségrégation qui risque d'aggraver leur
désadaptation. Il est de plus indispensable d'assurer à ces
élèves une formation professionnelle adaptée à leur
état et à leurs aptitudes [...] C'est pourquoi, il convient de
prévoir la multiplication des classes spéciales d'externat
annexées à des établissements ordinaires dans tous les cas
où la santé des enfants et des concentrations des effectifs le
permettent.
Ces recommandations ont été suivies et elles
sont encore aujourd'hui les bases de la SEGPA (professionnalisation, classes
annexées à un établissement scolaire ordinaire). A cette
époque un consensus apparaît sur la pédagogie
spécialisée. La catégorie des « débiles
légers » aboutira à introduire l'expression « en
difficulté » jusque dans la dénomination des nouvelles
options en 1987 (cette expression évoluera vers la notion de «
besoins éducatifs particuliers »). A contrario, certains acteurs
ont oeuvré à cette époque pour un reflux de l'enseignement
spécialisé s'appuyant sur le principe d'étiquetage, sur la
ségrégation et le caractère sociologiquement marqué
de l'orientation dans le spécialisé (Heurdier, p. 147).
Il est donc nécessaire de créer une nouvelle
structure pour les accueillir : les Sections d'Enseignement
Spécialisées (SES) apparaissent dans la circulaire de septembre
1965 (Il faudra attendre vingt-cinq ans pour que cette circulaire soit
abrogée). Les SES dispensent alors un enseignement général
et un enseignement professionnel et reçoivent comme public des
élèves reconnus comme « déficients intellectuels
légers ne présentant pas de handicaps associés importants
» (circulaire, 1967).
Figure 1: Les modalités d'enseignement
En 1970, le rapport du Vème plan met en
avant les finalités éducatives, curatives et préventives
avec la généralisation des dépistages qui se doivent
d'être réalisés le plus tôt possible. Le tableau
dressé fait état des « carences » du système,
parmi lesquelles « [le] caractère trop souvent définitif des
«étiquettes» qui situent l'enfant dans une classification et
risquent de l'y maintenir quels que puissent être les erreurs de
diagnostic ou les résultats de la cure. [...] système abusivement
ségrégatif où le placement en internat est trop souvent
choisi plus en raison d'habitudes ou de certaines facilités qu'il
apporte que de critères objectifs. » (Heurdier, p.138).
2.2.1.3 : Les SEGPA, un tournant
?
Les SEGPA sont apparues en 1996 suite à la disparition
des SES2. La loi d'orientation de 1989 repense alors l'organisation
interne de l'enseignement spécialisé. Le nouveau régime
juridique devient l'intégration individuelle et collective. Il y est
écrit que « l'éducation est la première
priorité nationale [...]. Le droit à l'éducation est
garanti à chacun [...]. L'acquisition d'une culture
générale
2 SES : section d'enseignement spécialisé
et d'une qualification reconnue est assurée à
tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou
géographique. »
2.2.2 : Analyse des textes
institutionnels
Trois circulaires définissent les modalités de
la SEGPA depuis sa création : celles du 20 juin 1996, du 29 août
2006 et du 28 octobre 2015. Ces circulaires sont les corollaires des lois
promulguées pendant ces mêmes années.
Hypothétiquement, il est d'ailleurs possible d'imaginer , que suite
à la loi sur l'école de la confiance de 2019, une circulaire voit
le jour avec de nouvelles modalités pour la SEGPA. En comparant les
trois circulaires de 1996, 2006 et 2015, nous pouvons observer des expressions
qui relèvent du nouveau paradigme de l'école inclusive et celles
qui relèvent des anciennes logiques de séparation. (Annexe I).
Le public accueilli dans ce type de structure n'a pas
évolué, il est toujours défini de la même
façon : ce sont des « élèves présentant
des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n'ont pu
remédier les actions de prévention, de soutien, d'aide et
d'allongement des cycles dont ils ont pu bénéficier. Ils
présentent sur le plan de l'efficience intellectuelle des
difficultés se traduisant par des incapacités et des
désavantages ». En revanche, le terme de SEGPA inclusive
apparaît dans la circulaire de 2015 ainsi qu'une refonte des missions de
l'enseignant spécialisé et des enseignants du collège
à qui on demande dès lors de travailler de concert. Il est
écrit que « Si la Segpa permet aujourd'hui la mise en oeuvre
d'une pédagogie attentive aux besoins des élèves qui en
relèvent, elle doit nécessairement évoluer pour mieux
répondre à leurs besoins éducatifs particuliers [...] Au
sein d'un collège plus inclusif, la Segpa, bien identifiée comme
structure, doit permettre, pour les élèves issus de classes de
CM2 pré-orientés en Segpa, de poursuivre les enseignements du
cycle de consolidation, et pour l'ensemble des élèves en
situation de grande difficulté scolaire d'être mieux pris en
compte dans le cadre de leur scolarité en collège ». La
seconde partie de la phrase indique que désormais, même si la
SEGPA est bien identifiée, elle se doit de contribuer à aider
tous les élèves du collège, y compris ceux qui ne sont pas
orientés SEGPA. Dans la même visée, en 2017, a
été créé le CAPPEI3, une certification
commune aux enseignants du premier et second degré afin de
répondre aux exigences d'un collège inclusif. Ainsi, les
enseignants formés à l'inclusion deviennent garants
collectivement de la qualité des enseignements dispensés en
construisant ensemble des progressions et des projets d'enseignement
adaptés. Par ailleurs, il est mentionné que « La Segpa
ne doit en effet pas être conçue comme le lieu unique où
les enseignements sont dispensés aux élèves
3 CAPPEI : certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques
de l'éducation inclusive.
qui en bénéficient. Ces
élèves sont accompagnés dans leurs apprentissages par les
enseignants spécialisés, soit dans leur classe au sein de la
Segpa, soit dans les temps d'enseignement dans les autres classes du
collège, soit dans des groupes de besoin. On veillera à ce que,
pour chaque élève de la Segpa, la classe dans laquelle il suit
les cours avec les autres élèves soit la même tout au long
de l'année et que tous les élèves d'une division de la
Segpa ne soient pas intégrés dans une même classe, afin de
faciliter l'inclusion dans le groupe et le sentiment d'appartenance ».
La nécessité d'apporter cette précision vient du fait
que toutes les SEGPA ne fonctionnement pas de manière identiques. En
effet, certains enseignants spécialisés sont amenés
à enseigner plusieurs matières (français,
mathématiques, physique-chimie, histoire-géographie....).
Dès lors, lorsqu'un élève inscrit en SEGPA peut suivre des
cours dans l'ordinaire, il sera rattaché à une classe de
référence et ce durant toute l'année. Cela permet ainsi
une meilleure inclusion SEGPA-ordinaire.
Enfin, le rôle des enseignants
spécialisés est redéfini dans la circulaire de 2015. Fort
de ses compétences en matière de différenciation et de
pédagogies adaptées, l'enseignant spécialisé peut
désormais « favoriser, au travers d'échanges au sein de
l'équipe enseignante, la mutualisation des compétences
professionnelles sur les difficultés des élèves, sur la
manière de les surmonter, les objectifs à atteindre et sur les
aménagements à mettre en oeuvre dans le cadre de la
différenciation pédagogique ». « Les
enseignants spécialisés ont ainsi la possibilité
d'intervenir, en lien avec le professeur de la discipline, au sein des autres
classes du collège sous forme de co-intervention ou de groupe de besoins
».
Tout en gardant une certaine spécificité, la
SEGPA évolue vers une inclusion de plus en plus forte et les politiques
publiques s'aperçoivent de la nécessité de cette
structure. Dans le rapport de Sylvie Tolmont à l'Assemblée
Nationale en 2014, elle considère que la disparition des SEGPA serait
« une perte sèche irréparable ». Elle explique que les
SEGPA constituent « une chance, voire un modèle pour l'école
d'aujourd'hui, car elles permettent la mise en oeuvre d'une pédagogie
exceptionnellement attentive aux besoins des élèves » mais,
paradoxalement, cette structure adaptée est « anormale » au
regard des principes de l'inclusion (Delaubier, 2014 dans rapport de 2014). A
travers la lecture de la circulaire de 2015, il apparaît que la structure
SEGPA vise à être maintenue, comme une forme possible de
différenciation des parcours au sein du collège.
Bien que la structure SEGPA soit encore aujourd'hui
valorisée dans son fonctionnement par les politiques, la nouvelle
certification CAPPEI définit l'enseignant spécialisé comme
une personne ressource et experte en pédagogie. Dans le cadre d'un
collège inclusif, on peut se demander alors quelles seront les nouvelles
missions de l'enseignant spécialisé. Aura t-il toujours une
classe face à lui ? Sera t-il un collègue expert qui apportera
ses connaissances didactiques et pédagogiques pour
pallier l'hétérogénéité
grandissante ? Dans quel but expérimente t-on dans plusieurs
collèges, les 6ème SEGPA en inclusion totale ?
2.2.3 : L'organisation interne de la
SEGPA
L'équipe pédagogique de la SEGPA est
constituée d'un directeur adjoint, de professeurs des écoles
spécialisés et de professeurs de lycée professionnel. Sous
l'autorité du chef d'établissement, le directeur adjoint
chargé de la SEGPA assure (circulaire, 2015) :
Ø « l'organisation pédagogique de la
SEGPA. Il est associé au projet d'établissement et participe aux
travaux de l'équipe de direction, dont il est membre.
Ø La cohérence de l'ensemble du projet de
fonctionnement de la SEGPA
Ø Le suivi et la coordination des actions mises en
place par les PE spécialisés4 et les professeurs des
classes concernées pour les élèves du collège
bénéficiant de la SEGPA.
Ø L'organisation et la planification des stages en
milieu professionnel, la conduite de la transmission des bilans annuels aux
familles et à la CDOEA5 si une révision d'organisation
est envisagée.
Ø La liaison avec les autres établissements
dispensant une formation et le suivi du devenir des élèves sortis
de la SEGPA. »
Une partie de l'enseignement général est
assuré par des enseignants spécialisés, titulaires ou non
du CAPPEI6 qui adaptent leur enseignement en passant par
l'aménagement des situations, des supports et des rythmes
d'apprentissage. Ces adaptations privilégient des pratiques
d'individualisation et de différenciation pédagogique. A partir
de la classe de 4ème, les élèves de SEGPA
bénéficient d'enseignements professionnels assurés par des
PLP7 dans des domaines variés : l'habitat, la restauration,
la peinture, l'agriculture... Les activités qui sont proposées
permettent à l'élève de commencer à construire son
projet professionnel qui sera conforté pendant l'année de
3ème. Les élèves construisent de nouveaux
apprentissages à partir de situations concrètes.
Afin de répondre aux objectifs des champs
professionnels, les élèves sont amenés à
découvrir le monde de l'entreprise en réalisant des stages tout
au long de l'année. En 4ème, ce sont des stages de
découverte qui visent à l'acquisition d'attitudes sociales et
professionnelles ainsi qu'à
4 PESPE : professeur des écoles
spécialisé
5 CDOEA : commision départementale d'orientation vers les
enseignements adaptés
6 CAPPEI : certificat d'aptitude professionnelles aux pratiques
de l'école inclusive.
7 PLP : professeur de lycée professionnel.
l'appréhension à un niveau adapté de
connaissances techniques. En 3ème, ce sont des stages
d'application qui ont pour objectif « l'articulation entre les
compétences acquises dans l'établissement scolaire et les
langages techniques et les pratiques du monde professionnel » (circulaire,
2015). Les PLP encadrent, accompagnent et orientent les élèves en
fonction de leurs aspirations mais aussi de leurs possibilités en tenant
compte de leurs besoins éducatifs particuliers. Lors des réunions
de synthèse et de coordination qui ont lieu toutes les semaines,
l'équipe pédagogique analyse, échange et permet le suivi
de chaque élève à travers ses possibilités
d'évolution, les soutiens et les aides diverses susceptibles de lui
être apportés.
Cette organisation bien spécifique et
caractérisant la SEGPA, ne concerne que les élèves
orientés en SEGPA. Dans le cadre d'une école inclusive, nous
pourrions nous demander dans quelle mesure cette organisation bien rodée
ne pourrait pas s'étendre aux élèves de tout le
collège et pourrait favoriser ainsi la découverte des
métiers dans son ensemble alors que les préconisations actuelles
tendraient plus vers la disparition des ateliers qui ne répondent pas
aux exigences des attendus du socle commun en fin de troisième.
2.2.4 : La SEGPA : D'un système
intégratif à un système inclusif?
Comme nous avons pu le voir précédemment, les
paradoxes sont nombreux concernant la structure SEGPA. D'un côté,
ses potentiels sont mis en avant par les institutions (organisation bien
huilée, meilleure intégration, des enseignants de qualité)
et de l'autre une structure qui ne répond pas aux objectifs d'un
collège à visée inclusive. Dès lors, quels sont les
moyens qui permettraient de rendre la SEGPA inclusive ? Quels sont les freins
inhérents à la SEGPA ?
L'académie de Lille (2016), bien avant le rapport
remis par deux inspecteurs sur les SEGPA, a mis en place un dispositif inclusif
pour les 6ème SEGPA : les 6ème
pré-orientés SEGPA étaient inclus dans les classes de
6ème ordinaires. (Annexe II). Dans le
vadé-mécum, un tableau explicatif compare le modèle ancien
de la SEGPA avec le modèle attendu dans une SEGPA inclusive :
Tableau 1: De l'ancien paradigme au nouveau paradigme
Le fonctionnement ancien
|
Le fonctionnement nouveau attendu
|
Des élèves qui ne se mélangent pas aux
autres ou très peu.
|
Des élèves davantage inclus parmi leurs
camarades du collège.
|
Un parcours de scolarisation identique pour tous.
|
Une personnalisation des parcours de scolarisation avec une
élévation du degré d'ambition (DNB8
professionnel et bac professionnel).
|
Des enseignants spécifiques (PE
spécialisés + Professeur de lycée professionnel) qui
travaillent peu en équipe avec les autres professeurs du
collège.
|
Une mutualisation des compétences professionnelles dans
le cadre d'un travail en équipe à construire et à
développer.
|
Une structure distincte des autres classes du collège
avec des objectifs et une organisation propre, disposant d'une DHG9
fléchée.
|
Une structure (continuant de disposer d'une DHG
fléchée) fonctionnant davantage en mode « dispositif »
et contribuant à un fonctionnement du collège plus inclusif.
|
|
Deux ans après ce vadémécum, en 2018,
l'Inspection Générale a remis au Ministre de l'Education
Nationale un rapport concernant les SEGPA, rédigé par Mme Abraham
et M. Desprez. Ce bilan propose des pistes de réflexion pour permettre
à la SEGPA de devenir plus inclusive. Deux inspecteurs, en 2018, ont
été missionnés pour effectuer un bilan sur les SEGPA. Leur
mission était de chercher à analyser « comment les
acteurs repensent, depuis la circulaire de 2016, la scolarisation des
élèves qui bénéficient de l'orientation en EGPA,
leurs parcours de formation et d'orientation et comment la structure SEGPA
s'organise et fonctionne dans le respect du principe d'inclusion
énoncé par la loi du 8 juillet 2013 ». Le
vadémécum de Lille a été un des points d'appui pour
aborder les modalités de l'inclusion. La méthode qui a
été retenue a été une enquête de terrain
où la mission s'est déplacée dans différentes
académies : dix SEGPA ont été visitées. Des
entretiens ont été menés avec des équipes de
direction, des directeurs adjoints de SEGPA et des équipes
enseignantes.
L'objectif de ce bilan porte sur les évolutions
possibles de la SEGPA tout en ne remettant pas en cause le bien-fondé de
cette structure. Les inspecteurs souhaitent confirmer les SEGPA dans leur
capacité à répondre au principe d'une école
inclusive énoncé par la loi de 2013 en communiquant et
démontrant que la SEGPA reste en capacité de traiter et
résorber la grande difficulté scolaire et conduire à la
réussite. La mission constate que l'inclusion des élèves
de SEGPA en classe ordinaire reste marginale pour plusieurs raisons :
Ø Les parents d'élèves des autres
classes, qui méconnaissent l'enseignement spécialisé,
s'opposent parfois de manière radicale aux tentatives et formes
d'inclusion qui tendent à se
8 DNB : Diplôme national du brevet
9 DHG : Dotation Horaire Globale
développer parce qu'ils ont des difficultés
à accepter que des élèves de SEGPA soient «
intégrés » ou « inclus » dans la classe de leur
enfant.
Ø Les professeurs, qui parfois méconnaissent ce
public, et ont le plus souvent une image dépréciative des
élèves qui le composent. Outre leur méconnaissance, les
professeurs ont peur d'avoir une difficulté supplémentaire
à gérer en terme de gestion de classe.
Ø Certaines équipes enseignantes ne souhaitent
pas que se développent le modalités d'inclusion qui permettent
aux élèves de SEGPA de poursuivre une scolarité ponctuelle
ou totale au sein des classes de collège.
Or, selon la mission, ces inclusions sont des valeurs
ajoutées. Mais certains enseignants ne le perçoivent pas comme
tel et souhaitent le maintien en l'état de la structure SEGPA qu'ils
considèrent « comme une chance pour les élèves
», proche « d'un cocon » (ce que reprochent d'ailleurs à
la SEGPA les tenants de l'inclusion...)
Les expériences dont nous avons parlées,
notamment celle de l'académie de Lille, se développent en France.
Néanmoins, la mission observe que certains enseignants se
découragent pour rejoindre le dispositif car ils sont habités par
la crainte de perdre leur identité professionnelle en enseignant en
binôme auprès d'un public à BEP. Le rôle des chefs
d'établissement est alors de rassurer, dissiper les craintes concernant
l'incertitude qui pèse sur l'évolution de cette structure et des
postes d'enseignants. A l'instar du vadémécum de Lille, la
mission constate de nombreux points positifs à inclure les
élèves de sixième pré orientés SEGPA en
classe ordinaire :
Les préconisations envisagées (Annexe III) par
la mission correspondent en tous points à celles qui ont
été mises en place par l'académie de Lille. Ces
préconisations tendent à démontrer à la fois
l'utilité de la SEGPA tant dans son fonctionnement que dans son approche
pédagogique en
lien avec le traitement de la grande difficulté
scolaire et la possibilité d'une évolution vers une meilleure
inclusion des élèves qui composent cette structure. Il semble que
les conclusions ne se portent pas sur une éventuelle disparition des
SEGPA mais plutôt vers une uniformisation des SEGPA. En effet, les
disparités qui existent sur le plan national, avec notamment la prise en
charge de ces élèves par les professeurs de collège,
doivent évoluer afin que ces élèves puissent
bénéficier d'un enseignement riche et varié. Suite
à cette enquête de terrain qui a duré dix ans, basée
sur des entretiens auprès d'équipes de direction, de directeurs
de SEGPA, d'enseignants spécialisés et d'élèves, il
serait intéressant de se demander toutefois pourquoi les enseignants du
secondaire n'ont pas fait partie du panel interrogé, sachant qu'ils
interviennent auprès de ces élèves et qu'ils ont
certainement un avis à exprimer... Néanmoins, ce bilan apporte
des éléments objectifs qui peuvent éclairer la situation
actuelle des SEGPA.
Le premier point qui a été interrogé
porte sur l'élève de SEGPA avec ses « difficultés
graves et persistantes ». Les inspecteurs s'interrogent sur d'autres
élèves de l'ordinaire qui parfois ne se distinguent pas tant que
cela des élèves de SEGPA dans leur profil. Le second point
indique que les parents n'adhèrent pas facilement à la
proposition de l'orientation en SEGPA (préjugés, image de la
SEGPA, enfants à la marge). Le troisième point indique que la
place de la SEGPA au sein du collège est variable ainsi que son
fonctionnement. Certains collèges favorisent les passerelles (passage
d'un élève de SEGPA vers l'ordinaire) alors que d'autres s'y
opposent.
Les inspecteurs notent que malgré des textes
institutionnels communs, chaque SEGPA dispose d'un fonctionnement propre. Il
n'existe pas d'uniformité nationale. On peut émettre
l'hypothèse que les impulsions vers une meilleure inclusion pourraient
venir à la fois de l'équipe de direction mais aussi des
enseignants eux-mêmes en mettant en place un travail d'équipe, une
meilleure concertation, une ouverture d'esprit aux changementx et aux
évolutions inéluctables liées à ces changements.
Par ailleurs, dans une enquête PISA de 2018, les résultats
concernant l'obtention des diplômes indiqueraient que
l'élève de SEGPA aurait eu des résultats similaires s'il
avait suivi un cursus ordinaire. Tous ces éléments d'observation
tendent à démontrer que la structure SEGPA n'a plus vraiment sa
raison d'être. Or, les politiques savent pertinemment que le travail
mené par les enseignants spécialisés tout au long du
cursus de l'élève portent ses fruits. Si les élèves
de SEGPA venaient à être inclus totalement dans l'ordinaire, les
enseignants du secondaire pourraient-ils remplir les mêmes fonctions
sachant qu'ils doivent déjà faire face à un grand nombre
d'élèves en difficulté ?
2. 3 : Des expériences de
terrain
2.3.1 : L'expérience de Laville et
Saillot
Plusieurs chercheurs ont mené des enquêtes de
terrain sur l'inclusion des SEGPA, uniquement délimitée aux
sixièmes. Laville et Saillot (2019) ont effectué une recherche
dans un collège de la région parisienne situé en
REP10. Dans ce collège s'est mise en place une
démarche visant la mise en oeuvre de modalités de scolarisation
inclusive avec les SEGPA. L'objectif du collège était de «
favoriser l'acquisition d'une culture commune à tous les
collégiens afin de prévenir les risques de décrochage et
d'exclusion scolaire de l'ensemble des élèves ».
Le projet a vu le jour suite aux attentats de Charlie Hebdo,
dans l'objectif d'améliorer le climat scolaire. Il a engendré des
réflexions autour de l'inclusion des élèves de SEGPA, tant
au niveau des pratiques enseignantes qu'au niveau de sa mise en oeuvre
organisationnelle. Ce projet s'est mis en place sur la base du volontariat.
Tous les élèves de SEGPA ont été inscrits dans une
classe de référence dans l'ordinaire et chaque professeur
spécialisé était mandaté pour être professeur
principal dans une classe de l'ordinaire. On pourrait schématiser ce
projet de la façon suivante :
Figure 2: Modèle de 6ème inclusive
10 REP : Réseau d'Education Prioritaire
Les collègues enseignants ont mal perçu ces
initiatives car cela leur a été imposé sans concertation
préalable. Les chercheurs se sont appuyés sur deux concepts pour
analyser la situation : celui de liminalité (situation d'entre-deux),
emprunté à l'anthropologie et celui de dilemme emprunté
à Clot en clinique de l'activité.
Les constats observés chez les enseignants :
Ø Impression d'être emmenés de force par
leur direction
Ø Sentiment d'être insuffisamment formés
Ø Pouvoir d'agir limité pour accueillir l'ensemble
des élèves En discutant avec les enseignants, les chercheurs ont
noté deux dilemmes :
Ø Le paradoxe entre les valeurs inclusives qu'ils
défendent et la réalité praxéologique du terrain
· L'accueil des élèves de SEGPA,
vécu comme précipité et comme un « écran
masquant »
· L'hétérogénéité de
profil des élèves inclus
Ø Les difficultés organisationnelles
· Budget
· Constitution des emplois du temps
· Institutionnalisation des réunions
· Articulation des exigences des textes officiels entre
élèves à « BEP » et ordinaires
De plus, l'identité des principaux acteurs de terrain
est bouleversée : les professeurs de collège constatent que
certains de leurs élèves ont parfois les mêmes
problématiques que les élèves de SEGPA, ce qui n'est pas
surprenant car l'orientation d'un élève en SEGPA est tributaire
de l'accord parental. Paradoxalement, c'est grâce à
l'étiquetage SEGPA que peuvent se développer des pratiques
d'enseignement dans le collège. Les échanges avec les professeurs
de collège « laissent entrevoir le poids des représentations
sociales du handicap, son aspect déficitaire » (Laville et Saillot,
p. 318), dans le sens où il est moins culpabilisant de ne pas faire
progresser un élève d'ULIS11 qu'un élève
de SEGPA... La situation des élèves de SEGPA agit alors comme un
révélateur de la tension entre le genre professionnel des
enseignants d'éducation prioritaire qui repose sur la défense des
valeurs de lutte contre l'inégalité et les nouvelles situations
d'enseignement auxquelles les professeurs disent être confrontés.
Les élèves de SEGPA, quant à
11 ULIS : Unité Localisée pour l'Inclusion
Scolaire
eux, s'inscrivent dans un principe de liminalité : ils
sont dans un « entre deux ». Il est « confortable d'appartenir
à un groupe défini et confortable aussi d'aller chercher la norme
» (Ibid,p.319). Un an après cette expérience, le
chef d'établissement a fait machine arrière dans le processus
inclusif.
2.3.2 : L'expérience de
Berzin
Berzin (2015) a mené une enquête sur la Picardie
concernant la politique d'inclusion sur des élèves à
besoins éducatifs particuliers (BEP). Une cinquantaine d'entretiens
semi-directifs a été réalisée auprès de
parents, d'enseignants et de directeurs d'école. Elle constate que dans
le second degré, « l'accueil des élèves à
BEP12 relevait encore davantage du militantisme que d'une
réelle connaissance d'un droit à l'éducation »
(p.79). Outre l'insuffisance des moyens d'accompagnement, les
témoignages recueillis mettaient avant tout l'accent sur les
difficultés de collaboration à l'intérieur même de
l'établissement.
L'analyse des représentations des enseignants a
montré que la plupart d'entre eux imputent les difficultés
d'apprentissage à des caractéristiques intrinsèques des
élèves et interrogent rarement les situations
d'apprentissage-enseignement mises en oeuvre (Monfroy, 2002, in Berzin, p.81).
Afin qu'une école inclusive puisse voir le jour et fonctionne, il est
nécessaire de croiser les regards et « d'articuler deux
systèmes : l'ordinaire et le spécialisé » (p. 84).
Suite aux entretiens, Berzin aborde des pistes de
réflexions. Elle note des évolutions significatives :
Ø Une meilleure connaissance des lois et du rôle de
l'enseignant spécialisé
Ø Une évolution dans la manière de voir
l'élève à BEP
Ø Des enseignants bienveillants et à
l'écoute
Ø Des décloisonnements, des projets
Ø Des adaptations de supports qui profitent à
tous les élèves Toutefois, certaines limites restent
prégnantes et visibles :
Ø Le manque de temps pour les enseignants
Ø La difficulté à mobiliser les
équipes
Ces expériences ont vu le jour dans plusieurs
établissements, mais devant la complexité du fonctionnement, les
résistances des uns et des autres, la peur du changement, le processus
inclusif
12 BEP : Besoins Educatifs Particuliers
ne s'est pas encore inscrit de façon pérenne
car « l'enseignant peut penser en toute
bonne foi que l'inclusion scolaire est une valeur à défendre et
à promouvoir... mais qu'il n'a pas de motifs valables de changer ses
habitudes dans la mesure où l'histoire de l'éducation des jeunes
à BEP est dominée par une logique ségrégative
» (Zaffran, 2013, in Laville et Saillot, p.319). Par ailleurs, un
élément très important à prendre en compte dans la
mise en place du dispositif inclusif pour les 6ème SEGPA est le nombre
d'élèves pré-orientés. En effet, si 4
élèves sont pré-orientés SEGPA, il est plus facile
de les inclure dans l'ordinaire que s'ils sont 16, surtout si aucune ouverture
de classe n'est prévue dans l'ordinaire... Dès lors, le
schéma ci-dessous, à l'instar de L. Cuban sur le cycle des
innovations, peut illustrer ce qui se passe dans différents
établissements qui tentent de mettre en place ces dispositifs
inclusifs.
Figure 3: Interprétation des expériences de
sixième inclusive
2.3.3 : L'académie de Lille,
pionnière en matière d'inclusion
La parution des textes relatifs à la SEGPA vient
modifier en profondeur les parcours de scolarisation des élèves
qui en bénéficient et, par là même, la façon
dont s'articule le fonctionnement de la SEGPA avec les autres classes du
collège.
L'académie de Lille n'a pas attendu ces textes, elle
avait déjà anticipé en incluant les 6ème SEGPA
appelées « 6ème inclusives ». Ce dispositif
a mobilisé 14 établissements. La personnalisation du parcours de
scolarisation d'un élève de SEGPA est un objectif de la
réforme. Comment se traduit-il?
Ø Mise en place d'un projet pédagogique individuel
établi pour l'élève
Ø Un emploi du temps
Ø Les documents relatif au parcours Avenir (inscrit dans
les projets d'établissement)
Ø L'ensemble des documents sur l'élève
(compte rendu de synthèse...)
Un pilotage du parcours de l'élève qui
implique:
Ø Une communication renforcée avec la famille
Ø Une communication entre les enseignants
Pour mener à bien ce projet, il est nécessaire
qu'il y ait partage d'informations relatives à la connaissance des
élèves :
Ø Pendant l'acte d'enseignement
Ø En amont et en aval de l'acte d'enseignement
Le travail en amont et en aval des séquences
d'enseignement devient très important : en amont, l'enseignant doit
bâtir des progressions communes, préparer des séances en
co-intervention, se mettre d'accord sur le type d'intervention de chaque
professionnel, le partage des tâches et en aval, l'analyse
réflexive des séances, l'échange sur les pratiques.
Le vadémécum insiste sur le temps a
déployer pour parvenir à ces objectifs et préconise de
l'institutionnaliser dans l'emploi du temps, prévoir des temps de
concertation communs pris sur le temps de concertation ou sur le temps
personnel. Dans l'optique de cette inclusion des élèves de SEGPA,
quels sont les rôles de l'enseignant spécialisé et du
professeur de collège ?
Figure 4: les rôles du PE spé et du professeur
de collège dans un collège inclusif
Dans ce vadé-mécum il nous est proposé
deux modalités d'expérimentations : une inclusion totale et une
inclusion avec des regroupements au sein de la SEGPA. Par ailleurs, des
modalités d'intervention sont proposées s'inspirant du dispositif
« plus de maîtres que de classes » : co-intervention /
co-animation / co-enseignement :
Figure 5: Dispositif inclusif "plus de maîtres que de
classes"
Il est précisé toutefois que ces modalités
d'enseignement peuvent être source d'inquiétude pour les
enseignants :
Ø Le PLC n'est plus le seul enseignant dans sa classe et
doit envisager son programme, ses méthodes, ses séances avec un
autre enseignant et lui faire une véritable place.
Ø Le PE spécialisé n'a plus sa classe et
doit s'adapter aux méthodes et exigences de son collègue tout en
trouvant sa place au sein d'une classe qui n'est pas la sienne.
L'expérience a donc été mise en place et
les tenants de cette expérimentation ont interrogé les principaux
acteurs pour avoir leur point de vue :
Les apports de l'inclusion pour les élèves
(point de vue des enseignants) :
Ø « Les élèves se sont
adaptés naturellement, ils ont deux enseignants. La présentation
s'est faite naturellement le jour de la rentrée.
Ø Les élèves du dispositif ne sont pas
stigmatisés dans les autres disciplines.
Ø Les échanges entre les enseignants facilitent
la compréhension des élèves en difficulté.
Ø Les élèves en difficulté osent
participer, le climat de classe est propice aux échanges. L'erreur a
été dédramatisée, les enseignants ont pris
conscience pour certains élèves de la difficulté et non de
« la non volonté ».
Ø Constat d'un bon climat de classe, de « bonnes
mentalités ».
Ø Le dispositif a permis de repérer et d'aider des
élèves non identifiés en CM2 ». Les apports
de l'inclusion pour les enseignants ont été les suivants
:
Ø L'inclusion permet la mutualisation des
compétences et l'enrichissement de chacun : le PE
spécialisé apporte sa spécificité dans la gestion
de la grande difficulté scolaire, le PLC sa maîtrise de la
didactique. « Je peux rester un moment sans intervenir et juste
écouter le cours, je vois l'histoire autrement. Je ne verrai plus les
angles de la même façon ! ».
Ø Prendre conscience que dans la classe, il y a plus
d'élèves en difficulté, c'est « déstabilisant
mais l'aide du PE spécialisé a apporté un éclairage
sur l'adaptation des cours pour permettre une meilleure compréhension
pour certains élèves ».
Toutefois, malgré une expérience qui semble avoir
réussi, quelques points de vigilance sont notés :
Ø Les temps de préparation et de concertation
gagnent à être clarifiés dans l'emploi du temps.
Ø Les programmations gagneraient à être
uniformisées.
Ø Les adaptations ne doivent pas s'arrêter au
niveau de la sixième.
Ø Des enseignants ne sont pas encore prêts
à modifier leurs pratiques et à questionner les besoins de
l'élève.
Comme nous pouvons le constater, mettre en place une
politique inclusive n'est pas chose aisée. Elle nécessite
d'importantes transformations tant au niveau organisationnel que
pédagogique. De plus, cela implique un changement de mentalités,
de pratiques et une collaboration importante.
2.3.4 : Des éléments de controverse s
scientifiques
Les politiques imposent mais ne se demandent pas ce que cela
fera dans la singularité des personnes. L'inclusion peut être une
belle idée mais peut être catastrophique dans les faits. Exister
dans un groupe avec une petite différence c'est compliqué alors
avec une grande différence... compliqué pour l'enseignant et pour
l'élève. Les institutions peuvent devenir maltraitantes par leurs
injonctions car elles ne prennent pas le temps de comprendre dans quoi nous
sommes. (Cifali, 2021).
Entre le dire et le faire, le pas est grand même si la
volonté est louable. Nous verrons dans cette partie, à la fois
que la charge de travail des enseignants, sans école inclusive, est
déjà très difficilement réalisable et que des
expériences de terrain sur l'inclusion des élèves de SEGPA
qui ont vu le jour se sont révélées fort peu
constructives.
Le travail réel et les conditions de travail
des enseignants sans fonctionnement inclusif
Comme nous l'avons vu dans l'expérience
pionnière de Lille, les exigences en matière de travail pour
parvenir à atteindre les objectifs d'une inclusion réussie sont
nombreuses et quasi irréalisables tant le travail demandé en
amont et en aval est important. Torres (2014) parle d'une «
dévaluation sociale du métier ». En effet, il constate
qu'avec la massification des publics, les enseignants font face à des
classes chargées en effectif et de plus en plus
hétérogènes (amener le plus d'élèves d'un
groupe classe au baccalauréat). De plus, le pouvoir d'achat des
enseignants baisse régulièrement. Enfin, la reconnaissance
sociale du métier est précarisée.
Dans une synthèse de Maroy en 2006, ce dernier
explique que l'enseignant doit « tenir sa classe » et « faire
apprendre aux élèves » ce qui implique une activité
d'une grande complexité qui varie selon l'environnement, le public, les
buts et les moyens fixés pour les atteindre (Maroy, 2006, p.114). Il est
un exécutant devant tenir compte des injonctions, des missions de
l'école et son travail s'inscrit dans une organisation disciplinaire des
programmes. Néanmoins, c'est un travail de l'humain. On se soucie des
besoins de l'enfant et de sa psychologie. Aujourd'hui, les tenants de
3.1 : le cadre théorique : PLC et PE face
à une école inclusive
l'inclusion reprochent aux enseignants
spécialisés d'être trop dans la bienveillance, de vouloir
redorer l'estime de soi aux élèves.
L'enseignant est déjà fortement
sollicité en charge de travail : l'activité de l'enseignant,
notamment du secondaire, se joue au moment des préparations en amont du
cours et au moment de faire cours. Cela implique aussi une mise en forme
pédagogique des savoirs (Barrère, 2002). Avant de parler
d'école inclusive, les chercheurs comme Lang, Dubet, Barrère,
constatent un déplacement du coeur du métier avec une
transformation de l'enseignant « magister » vers l'enseignant «
pédagogue ». Le praticien réflexif est promu au
détriment de modèles anciennement valorisés comme celui du
« maître instruit ». Désormais, l'enseignant est
amené à travailler en équipe (projets
pluri-disciplinaires) et s'investit plus dans la gestion de son
établissement. Dès lors, l'enseignant doit davantage s'investir
dans des taches administratives et de gestion scolaire. (Eurydice, 2005).
A l'instar de Lang, Dubet et Barrère, Rayou et Van
Zanten (2004) évoquent une « gestion de classe plus
hétérogène et plus difficile ». Le travail des
enseignants devient tout autant émotionnel qu'intellectuel car il faut
mobiliser, outre les savoirs académiques, des connaissances et
savoir-faire divers pour assurer des interactions qui rendent les
apprentissages possibles. L'intensification du travail contribue à
rendre parfois les conditions de travail difficiles : manque de temps,
surcharge chronique, remplacement du temps passé devant les
élèves par la réponse aux demandes administratives,
diversification de leur expertise, curriculum et pédagogie
formatée et cadrée (Hergreaves, 1994). Cette intensification des
taches demandées tend vers une remise en cause de l'identité
professionnelle des enseignants, c'est pourquoi au regard de ce que
préconise l'école inclusive en matière d'investissement
tant professionnel que personnel, cela ne peut se faire sans heurts.
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