1.2 : Observation de l'évolution de mon milieu
professionnel
Lorsque j'ai obtenu ma certification pour enseigner
auprès d'élèves en difficultés scolaires, il y a
vingt ans, il était courant d'entendre déjà à cette
époque que les SEGPA allaient disparaître. C'est encore le cas
aujourd'hui, mais cela devient plus tangible, compte tenu du contexte
évolutif de l'école à visée inclusive. Comment
peut-on promouvoir une école à visée inclusive en laissant
exister des structures dites « ségrégatives » ? Or,
lorsqu'on considère les leviers pour que l'école devienne
inclusive, la SEGPA porte en elle tous ces leviers : pédagogie
adaptée et différenciée, travail en équipe, heures
de synthèse et de coordination, réunions avec les principaux
partenaires qui encadrent un élève, élaboration de
projets, coopération. Mais la SEGPA pose problème dans le sens
où elle génère une certaine stigmatisation liée
à l'étiquetage et va à l'encontre des principes inclusifs,
mais les politiques (rapport Tolmont) sont conscients de son fonctionnement
pérenne et contribuent à son maintien.
Les lois de 2005 sur l'égalité des droits et des
chances, de 2013 et de 2019, portent en elles des continuités mais
surtout des accélérations vers le processus d'une école
inclusive. Des expériences sont menées à certains endroits
pour inclure les élèves pré-orientés SEGPA dans les
classes de l'ordinaire. La structure SEGPA fait désormais l'objet
d'observations (bilan des SEGPA de Abraham et Desprez, 2018), de
préconisations et de critiques, ainsi Puig et Benoit parlent d'une
« structure archaïque » qui n'a pas su évoluer avec son
temps.
1.3 : Les enjeux de l'inclusion et les
conséquences sur l'identité professionnelle.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la
façon dont se sont mises en place les tentatives d'inclusions. Les
enseignants spécialisés et les enseignants de collège
étaient-ils partie prenante dans le processus ? Etait-ce sur la base du
volontariat ? Comment les enseignants du secondaire ont-ils été
accompagnés ? Quelles sont les nouvelles missions des enseignants
spécialisés ?
S'intéresser à l'école à
visée inclusive va donc de pair avec l'évolution de la
construction de l'identité professionnelle des enseignants du
secondaire, formés et non formés à l'inclusion.
1.3.1 : Expérience
personnelle
Enseigner en SEGPA a été un choix construit et
mûrement réfléchi. Forte de mes années
d'expériences, mon identité professionnelle s'est construite sur
la base d'un groupe classe où je pouvais mener des pédagogies
innovantes sans crainte d'un non respect des programmes. Bien que
l'enquête PISA de 2018 estime que les résultats des
élèves de SEGPA seraient les mêmes si ces derniers avaient
suivi une scolarité dans l'ordinaire, je reste persuadée que les
graines que nous avons semées, à savoir la confiance en soi,
l'intérêt pour l'école, l'engagement dans des projets, la
valorisation et l'estime de soi, l'autonomie, la découverte
professionnelle, ont pu germer chez un certain nombre d'entre-eux.
Or, mon identité professionnelle semble devoir subir
des transformations inhérentes aux volontés portées par
les politiques. En effet, si l'inclusion se généralise à
toutes les classes de SEGPA, que deviendra alors ma mission en tant que
professionnelle ? Quelles seront mes nouvelles fonctions ? Aurai-je toujours
une classe ?
1.3.2 : Les enseignants du
secondaire
Le même enjeu peut être posé aux
enseignants du secondaire qui, pour la plupart, ne sont pas formés pour
accueillir ces jeunes « ayant des difficultés graves et
persistantes » (circulaire, 2016). Bien souvent ces enseignants
travaillent déjà avec les élèves de SEGPA. Ils
connaissent le profil de ces élèves et ne rechignent pas
forcément à leur faire cours. En général, ils
mettent en place des pédagogies adaptées et cherchent avant tout
à les intéresser. Mais lorsqu'ils font cours à ces
élèves, ils ont devant eux « un groupe classe » bien
défini avec des caractéristiques propres et singulières.
Or, avec la visée inclusive, ces élèves de SEGPA ne
seraient plus un groupe classe mais des individus avec leur singularité,
insérés dans une classe ordinaire, avec la difficulté pour
l'enseignant de gérer encore une fois une
hétérogénéité massive. La construction
identitaire des enseignants s'est formée sur l'image qu'ils se faisaient
du métier et de la transmission du savoir à apporter aux
élèves. Les enseignants « véhiculent un ensemble de
valeurs et de croyances partagées par d'autres, compatibles avec leur
pratiques professionnelles ou personnelles et repérables à
travers les représentations du métier, des autres et
d'eux-mêmes » (Cattonar, 2001,p.44). Ils se construisent avec une
« identité pour soi » et « une identité pour
autrui » (ibid, 2001,p.44). Or, leur construction identitaire est
questionnée, malmenée, et chez certains on observe une
véritable crise identitaire. Désormais, ces enseignants doivent
faire face à de nombreuses évolutions :
détérioration des conditions d'exercices et d'emploi,
dévalorisation de leur statut social, modification du public scolaire,
désinstitutionnalisation de l'école. Toutes ces transformations
ont non seulement modifié la teneur de l'exercice professionnel mais ont
aussi complexifié et rendu plus incertains la tâche et le
rôle des enseignants, elles semblent aussi avoir ébranlé
les bases de leur identité traditionnelle. (Cattonar, 2001, p.50). Ils
doivent sans cesse répondre à des injonctions paradoxales. Ainsi
on leur demande de « contribuer à l'amélioration de la
performance de l'école pour lui permettre de tenir son rang dans la
comparaison internationale et de participer à une école
accueillante de toutes les différences » (Ramel, 2010 ,p.390), on
leur demande d'abandonner la posture de l'enseignant « magister »
pour devenir le pédagogue ou le « praticien réflexif
».
1.3.3 : Entre le dire et le faire
La plupart des enseignants partagent le même
désir d'une école pour tous. Mais les discours portés par
les institutions ne disent rien des pratiques réelles, or les
contradictions sont notables entre les « belles paroles, les bons
sentiments » (Cifali, 2020) et la réalité de terrain. Ce
n'est pas en prononçant le mot « école inclusive » que
tout se mettra en place. Il ne suffit pas « de dire pour
transformer ». Nous avons besoin d'illusions et elles
peuvent être créatrices mais elles ne sont pas la
réalité, elles nous guident, nous portent. Elles portent notre
quête. Nous vivons constamment des tensions entre nos rêves et la
réalité.
Vivre avec un handicap n'est pas être une victime.
L'école devrait rester une institution, dans le sens noble du terme, qui
ne soit pas aux mains des uns ou des autres, mais qui crée les
conditions pour que chacun trouve sa place , « l'institution doit
être garante de la violence lorsque les humains travaillent ensemble et
doit veiller à ce qu'elle-même ne soit pas porteuse de
destruction. » (Cifali, 2021)
Accepter l'autre, accepter les différences, est un
cheminement long qui n'en est encore qu'à ses balbutiements. Une
école à visée inclusive nécessite des remaniements
importants, tant sociétaux que professionnels et politiques. Les
enseignants sont-ils prêts à ce changement ? Le projet d'une
école à visée inclusive dans la France d'aujourd'hui
est-il réalisable ? Et si oui quels en sont les enjeux ?
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