La protection juridique de la faune et de la flore en Côte d'Ivoirepar Serge Landry GBÉLÉ Université Méthodiste de Côte d'Ivoire - Master 2 recherche 2018 |
Paragraphe III : AUTRES FAIBLESSESOutre les faiblesses juridiques et institutionnelles, plusieurs problèmes entravent la protection de la faune et de la flore en Côte d'Ivoire. Nous avons, les difficultés politiques, économiques et socio-culturelles, d'une part (A) et, les difficultés liées à l'éducation, à la formation et la recherche, d'autre part (B). A-Les difficultés politiques, économiques et socio-culturellesPour plus d'efficience, nous analyserons en premier lieu, les difficultés relatives à la faune (1) puis, en second, lieu celles relatives à la flore (2). 1-Les difficultés relatives à la faune La faune de la Côte d'Ivoire présente des intérêts multiples en raison de sa grande diversité. Malgré un taux endémique relativement faible, la situation géographique du pays, conférant une variété importante d'écosystèmes, permet d'accueillir bon nombre d'espèces migratrices et d'espèces non confinées à la seule Côte d'Ivoire. Bien que protégée, la faune subit des pressions anthropiques qui ne cessent d'avoir des effets néfastes et conduisent, dans la plupart des cas, à la dégradation ou à la disparition des habitats des animaux qui met en danger plusieurs espèces91. La chasse illicite la plus connue en Côte d'Ivoire comme partout, est le braconnage. Celui-ci s'entend de l'abattage illicite et massif d'animaux, y compris des espèces protégées à des fins mercantiles, que ce soit pour le marché ou l'exportation. En Côte d'Ivoire, le braconnage est, bien entendu, interdit. Ce phénomène a pourtant pris des proportions incroyables en dépit de l'arrêté d'interdiction totale de la chasse pris en 1974. En effet, depuis cette période le chasseur est devenu braconnier. Il exerce son activité de manière illégale et ne 90 ADON (Gnangui), Introduction au droit de l'environnement en Afrique : le Cas de la Côte d'Ivoire, Paris, L'Harmattan, 2009, p.75. 91 Ministère de l'Environnement et du Cadre de vie, Stratégie nationale de conservation et d'utilisation durable de la diversité biologique de la Côte d'Ivoire, 2003, p.30. Disponible sur www.google.com. Consulté le 06 septembre 2017. 64 s'en cache pas pour autant. Le phénomène s'est aggravé et la raréfaction de la faune n'entraine guère la baisse de la pression de chasse mais plutôt vers une réorientation des modes de prélèvement et des espèces convoitées. En Côte d'Ivoire, la faune sauvage est classée res nullius. Il y a donc un sentiment de désappropriation de la ressource92. Presque tous les mois, les médias évoquent la question des trafics illicites des espèces fauniques protégées. Ainsi, le 10 mai 2017, à Treichville et à Cocody deux ivoiriens ont été arrêtés en possession de six défenses d'éléphants, plusieurs peaux de léopards et une centaine d'objets taillés dans de l'ivoire93. Cette situation est récurrente et est loin de prendre fin. En outre, le commerce des animaux sauvages et des produits dérivés constitue une autre menace pour la diversité de la faune. La demande en animaux sauvages exotiques (mammifères et oiseaux) est toujours croissante. Les feux de brousse constituent également une autre menace importante pour la faune. L'effet destructeur des feux, surtout lorsqu'ils sont incontrôlés, est très important sur la faune94. Pour de nombreux habitants de la Côte d'Ivoire, et surtout dans les zones rurales, la faune est un don des dieux qui pourvoient indéfiniment à son renouvellement. L'idée qu'il n'est pas nécessaire de réguler ni d'interdire l'accès à ces ressources gratuites dont on peut abuser à volonté, est encore fortement répandue. Par ailleurs, l'instabilité sociopolitique et les crises de 2002 et 2011 ont entrainé une conséquence négative sur les espèces fauniques. La situation s'est sans doute dégradée avec la crise déclenchée le 19 septembre 2002. En 2003, 60% des habitats de la faune se trouvaient en zones de guerre, limitant fortement l'accès et donc tout effet de conservation et gestion durable dans ces régions95. Hormis les difficultés relatives à la faune, quelles sont les difficultés politiques, économiques et socio-culturelles qui entravent la protection des espèces floristiques. 92 ADON (Gnangui), Introduction au droit de l'environnement en Afrique : le Cas de la Côte d'Ivoire, Paris, L'Harmattan, 2009, p.106. 93 RFI , Trafic des espèces animales. Disponible sur www.rfi.fr . Consulté le 10 mai 2017. 94 Ministère de l'Environnement et du Cadre de vie, Stratégie nationale de conservation et d'utilisation durable de la diversité biologique de la Côte d'Ivoire, 2003, p.30. Disponible sur www.google.com. Consulté le 06 septembre 2017. 95 Ministère des Eaux et Forêts, Gestion durable de la faune et des ressources cynégétiques en Côte d'Ivoire, 2015, pp.43-44. Disponible sur www.ministeredeseauxetforets.gouv.ci. Consulté le 22 avril 2017. 65 2-Les difficultés relatives à la flore Les objectifs de protection des forêts n'ont pas encore été intégrés dans les stratégies nationales et sectorielles de développement du pays, et par conséquent, ne sont pas reflétés dans les priorités de dépense de l'Etat et de ses partenaires96. Des trois rapports provisoires qui ont fait l'objet de présentation, la cartographie de la dynamique des forêts de 1986 à 2015, l'inventaire de la biomasse forestière et le niveau d'émissions de référence, il ressort que la forêt ivoirienne est passée de 7 850 864 ha (soit 24,36% du territoire national) à 5 094 452 ha (soit 15,81%) en 2000, pour atteindre 3 401 146 ha (soit 10,56%) en 2015. Les chiffres issus de la cartographie indiquent toutefois que le taux annuel de déforestation est en net recul passant de 3,04% entre 1986 et 2000 à 2,66% au cours des 15 dernières années97. En effet, les forêts de Côte d'Ivoire ont subi d'énormes pressions au cours des dernières décennies. L'expansion agricole des cultures vivrières et de rente (en particulier le cacao, le palmier à huile et l'hévéa), l'exploitation forestière et minière et la forte dépendance des ménages au bois énergie ont favorisé la disparition du couvert forestier. La plupart de ces activités accroissent la vulnérabilité aux impacts du changement climatique, menaçant la productivité des terres dont dépend l'économie ivoirienne. Cependant, l'analyse de la problématique de la conservation des Parcs Nationaux et Réserves comporte des aspects sociaux qui s'ils ne sont pas correctement traités mettront en péril la pérennisation des Parcs Nationaux et Réserves. Les milieux naturels du pays constituent encore un capital important, essentiellement concentré dans les aires protégées. Mais, si rien n'est fait pour renverser la tendance, ce patrimoine est menacé à moyen terme par la poursuite, voire l'aggravation, des multiples pressions anthropiques. A celles bien connues que sont les infiltrations par des parcelles agricoles (notamment à la Marahoué) et le braconnage qui s'exerce sans aucune exclusive sur l'ensemble de ces aires protégées (y compris dans les plus urbain de tous, celui du Banco et Comoé). Il convient d'ajouter les risques d'exploitation minière, qui constituent toujours une menace potentielle grave pour la diversité biologique et des menaces plus spécifiques comme l'orpaillage (à Taï) et dans le cas particulier du Banco, la croissance exponentielle de la ville d'Abidjan98. 96 Ministère des Eaux et Forêts, La cartographie des flux financiers alignés à la REDD+ en Côte d'Ivoire en 2015. 97 « La lutte contre la déforestation et les gaz à effet de serre », Fraternité Matin n°15854, 2017, p.15. 98 Ministère des Eaux et des Forêts, Etude d'impact social et environnemental, Rapport pour DPN et Banque Mondiale, 1998, p.32. Disponible sur https://www.google.ci. Consulté le 6 septembre 2017. 66 « Dans le cadre de la gestion des réserves et parcs nationaux, nous avons des problèmes avec les populations infiltrées, notamment au niveau du mont Péko et du parc de la Marahoué », a martelé le Colonel Adama TONDOSSAMA, Directeur général (Dg) de l'OIPR99. Du fait de la raréfaction progressive des terres riches, aggravée par la thésaurisation des terres et les conflits fonciers entre autochtones et allogènes ou étrangers, la recherche de nouvelles terres conduit à l'occupation du Domaine Forestier de l'Etat. Ainsi, des populations venues de tous les coins du pays et même de l'extérieur ont pénétré les forêts classées, Parcs Nationaux et Réserves analogues pour y créer des plantations de superficies relativement importantes100. Par conséquent, cette raréfaction des terres cultivables a entrainé des tensions entre les autochtones et les allochtones occupant la forêt classée de Goin-Débé dans le département de Guiglo. Les autochtones revendiquent une parcelle de 33 mille hectares qui s'étend sur 17 kilomètres, dans la forêt de Goin-Débé101. En outre, les pressions sur les terres croissent considérablement avec le temps. Elles résultent de la croissance démographique mais surtout, du déploiement accéléré des activités dans un contexte favorable d'économie libérale. Moteur de l'économie ivoirienne, l'agriculture est la plus grande source de pression sur la diversité biologique, notamment au regard des superficies exploitées. De même, les émissions de gaz à effet de serre ont directement et indirectement des effets négatifs sur les espèces floristiques 102. En effet, l'une des causes majeures qui portent atteinte aux espèces végétales est le phénomène de feu de brousse. Le feu de brousse est un véritable fléau car il constitue une habitude profondément enracinée dans les moeurs. Phénomène que l'on observe chaque année sur toute l'étendue du pays et particulièrement dans les régions de savane. Le feu de brousse est l'incendie de la végétation desséchée au cours ou enfin de saison sèche pour les buts autres que la culture. Il faut reconnaitre, quels que soient les cas, aux feux de brousse, leur influence au total est nettement nuisible dès lors qu'ils contribuent à la régression de la végétation103. 99 « Gestion des réserves et parcs nationaux », Soirinfo n°6899, 2017, p.7. 100 Ministère de l'Environnement et de la Forêt, Diversité Biologique de la Côte d'Ivoire, Rapport de synthèse, 1999, p.135. Disponible sur www.google.com. Consulté le 6 septembre 2017. 101 « Conflit communautaire dans le Goin Débé », Soirinfo n°6892, 2017, p.7. 102 Ministère de l'Environnement et de la Forêt, Diversité Biologique de la Côte d'Ivoire, Rapport de synthèse, 1999, p.133. Disponible sur www.google.com. Consulté le 6 septembre 2017. 103 ADON (Gnangui), Introduction au droit de l'environnement en Afrique : le Cas de la Côte d'Ivoire, Paris, L'Harmattan, 2009, p.127. 67 De plus, aujourd'hui les forêts sacrées sont menacées non seulement de profanation, mais également de destruction. Cette profanation et cette destruction ont pour facteurs essentiels les nouvelles spéculations économiques et techniques, des religions monothéistes, particulièrement le christianisme et la pression démographique. En effet, dans certaines régions de la Côte d'Ivoire (sud-ouest, ouest...), la spéculation agricole et forestière aboutissent à la possibilité de vente de la terre. Par conséquent, le christianisme dont l'idéologie s'oppose à celle de la religion traditionnelle mène une action destructrice contre les croyances et pratiques liées aux forêts sacrées comme pratiques diaboliques qui ne peuvent pas sauver l'homme. La conversion au christianisme amène donc au délaissement, à l'abandon des forêts sacrées. Alors que les forêts sacrées assuraient efficacement la conservation de la biodiversité en l'occurrence les espèces végétales car toute activité humaine y était strictement interdite. Enfin, il y a la pression démographique, pour cause d'extension des villages et des centres urbains. Des forêts sacrées ont été détruites (à Tagolilié dans la région de Lakota). Somme toute, les nouveaux modèles de référence (économie de marché, religion monothéiste ...) ont bouleversé la conception traditionnelle de la nature : « de la sacralisation totale de la nature l'on passe progressivement à la désacralisation de celle-ci. Pourtant, la forêt considérée comme sacrée perd son caractère sacré avec l'exploitation forestière (...) ». La profanation des forêts sacrées favorise alors la déforestation et le déboisement de l'environnement ainsi différencié. Cette profanation des forêts sacrées et leur destruction ne marque pas seulement de profondes mutations environnementales ou écologiques mais le signe d'un bouleversement social, culturel et religieux104. Hormis ces difficultés politiques, économiques et socio-culturelles relatives à la protection de la faune et de la flore, d'autres difficultés liées à l'éducation, à la formation et à la recherche restent de mise. |
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