Le cadre juridique de la cedeao face aux coups d'état militaire en Afrique de l'ouest. Problématique de l'opportunité de la norme juridique internationalepar Enoch MUPENDA KAWANGA Université de Likasi - Diplôme de licence, département de droit public 2022 |
§3. Les limites budgétaires et financières de la CEDEAOLes difficultés budgétaires et financières de la CEDEAO découlent de son mode de financement qui repose essentiellement sur la contribution des États membres et l'aide des donateurs. C'est pour amoindrir ce système assez aléatoire qu'a été imaginé le prélèvement communautaire ne va sans poser problème aussi. Et le cas du financement de la mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire l'a pertinemment démontré. Le mode de financement de la CEDEAO La CEDEAO bénéficie de la contribution de ses États membres et des fonds des donateurs pour son financement. La contribution des Etats membres C'est le chapitre 14 du Traité de Cotonou de 1993 qui prévoit les dispositions financières concernant la CEDEAO90(*). Seulement le mode de calcul de la contribution des États est déterminé par un protocole. Ce protocole fixe la contribution de chaque État membre sur la base d'un coefficient qui tient compte du produit intérieur de chaque État et du revenu per capita de tous les États membres91(*). A cet effet, le coefficient doit être calculé comme représentant la moitié du rapport entre le produit intérieur brut de chaque État membre et le produit intérieur brut total de tous les États membres, plus la moitié du rapport entre le revenu per capita de chaque État et le revenu per capita total de tous les États membres. Ce sont les statistiques et autres données publiées par les Nations Unies sur le produit intérieur brut et le revenu per capita des États membres qui sont utilisées pour le calcul de la contribution de chaque État. Ce coefficient fait l'objet d'un réexamen tous les trois ans. Pour le paiement, les États doivent verser leurs contributions dans les trois premiers mois de l'exercice budgétaire auquel elles se rapportent. Seulement certains États traînent les pieds en matière de paiements des contributions. Par exemple pour l'exercice 2006, et d'après le rapport annuel du Secrétaire exécutif de la CEDEAO : « au cours de la période de janvier à septembre, le niveau des revenus reçus par les institutions de la CEDEAO s'élevait à 45.725.840 unités de compte, soit 55% du budget de l'exercice »92(*). Mais, la CEDEAO reçoit d'autres ressources provenant des bailleurs de fonds et depuis l'entrée en vigueur du prélèvement communautaire en 2004, les États ne paient plus de contribution directe. Le fonds des donateurs La CEDEAO bénéficie aussi de l'appui des partenaires au développement en termes d'apports financiers. Cela se traduit par un flux considérable de financement accordé à la Commission pour l'exécution de ces programmes notamment en matière de paix et d'intégration économique. C'est ainsi qu'a été créé le fonds des donateurs demandé par les trois principaux bailleurs de la CEDEAO que sont la France, le Canada et le Royaume-Uni. Une unité de gestion des financements émanant des bailleurs a été mise sur pied. Sa mission consiste à gérer les financements de manière judicieuse en respectant les procédures fixées par les donateurs ; superviser les politiques financières, comptables et administratives, veiller au respect des procédures et des règles des donateurs en matière de passation des marchés. Mais pour contourner les difficultés de paiements de ses États membres, la CEDEAO s'inspirant du modèle du tarif extérieur commun (TEC) de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) a adopté en 2003, le système du prélèvement communautaire. Pertinence et limites du financement du fonds de la paix par le prélèvement communautaire Ici il sera question d'étudier les modes de prélèvement du financement communautaire tout en relevant la pertinence et les limites du fonds de la paix ainsi que faire une bref comparaison de la CEDEAO et l'UEMOA concernant les modes de financement du fond. La pertinence du prélèvement communautaire Le prélèvement communautaire est un impôt de solidarité de 0,5% tiré des importations des produits entrant dans la Zone CEDEAO. C'est un système que la CEDEAO a recopié sur le modèle de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) à travers le tarif extérieur commun. Ce tarif extérieur commun (TEC), l'une des pierres les plus importantes de l'Union économique et monétaire des États d'Afrique de l'Ouest, sur la voie de l'intégration, ne semble pas encore avoir impulsé de véritables échanges entre les économies des huit pays qui composent la Zone CFA en Afrique de l'Ouest. Pourtant, ce mécanisme a déjà convaincu les autres pays de la communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui ne sont pas membres de l'UEMOA. Depuis bientôt sept ans, ces pays ont entamé le processus de mise en place d'un tarif extérieur commun. Ce tarif semble constituer, à leurs yeux, le préalable à la création d'une zone monétaire commune, qui sera le pendant de la Zone Cfa. Dans le cadre des négociations des accords de libre-échange dit également accords de partenariats économiques (APE) avec l'Union Européenne, la CEDEAO à besoin que les pays membres entament un début de processus d'intégration économique. Les pays de la CEDEAO non membres de l'UEMOA étant très en retard par rapport aux autres, ont trouvé plus pratique d'adopter les grilles tarifaires de l'UEMOA93(*). Ainsi, treize des quinze pays membres de la CEDEAO appliquent dès à présent le même barème à quatre échelons de taux, tandis que cinq autres de ces pays sont en période de transition, harmonisant progressivement leurs taux douaniers. Mais le tarif extérieur commun de l'UEMOA comporte des droits de douane qui s'échelonnent en quatre catégories, et sont grevés de droits qui vont de 0 à 20% selon les produits. Le sacrifice est important pour des pays qui taxaient certains produits jusqu'à 150%. Ce mécanisme ne pouvait donc pas être exempt de critiques. Les limites du prélèvement communautaire Au sein de l'UEMOA, même dans les administrations publiques, l'adoption des tarifs du TEC, et leur mise en oeuvre, n'ont jamais fait l'unanimité. Plusieurs voix se sont élevées pour demander la révision de ce mécanisme, que des producteurs de l'UEMOA accusent de les affaiblir face à la concurrence des produits étrangers. Néanmoins à la CEDEAO, on concède que l'examen de ce qui a été fait à l'UEMOA, au cours des dix dernières années, pour la mise en place et le suivi du tarif extérieur commun de cet organisme, devrait permettre d'en tirer des enseignements utiles pour la réussite du TEC de la CEDEAO. L'approche adoptée pour l'élaboration du TEC de la CEDEAO vise à tirer parti de ces enseignements, tout en pratiquant les modifications nécessaires à l'intégration des membres de la CEDEAO qui n'appartient pas à l'UEMOA. Par ailleurs, selon les spécialistes des questions économiques et monétaires, c'est le Fonds Monétaire International (FMI) qui est à l'origine du tarif extérieur commun. C'est une mesure d'ajustement structurel qui est présentée comme une mesure d'intégration. C'est une création artificielle. Makhtar Diouf souligne par exemple : « La mise en place du TEC qui marque le passage à une union douanière doit être précédée par le désarmement douanier total des pays membres et pour tous les types de produits, c'est-à-dire par l'avènement d'une zone de libre-échange, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Ensuite, dans un ensemble économique, le TEC s'obtient en faisant la moyenne arithmétique des tarifs des pays membres. Dans l'UEMOA, le FMI a procédé à une simple harmonisation tarifaire, chaque pays devant porter son taux maximum dans la fourchette 20% - 25% »94(*). Aussi nombreux sont les producteurs qui considèrent que le TEC a réduit la compétitivité de l'économie dans de nombreux secteurs, tout en ouvrant le marché intérieur sans contrôle, à des produits étrangers. Or dans la communauté économique européenne, le TEC avait été obtenu en 1968 en faisant la moyenne entre le taux le plus élevé, c'est-à-dire celui de la France et le taux le plus faible, celui de l'Allemagne. La France ainsi défavorisée, devrait trouver compensation dans la politique agricole commune. Rien de telle n'est prévu, ni à l'UEMOA, ni à la CEDEAO. Enfin, si certains États comme le Niger ou le Togo ont consenti des efforts supplémentaires en appliquant un prélèvement de 1% au lieu de 0,5% afin de générer suffisamment de ressources pour éponger leurs arriérés de contributions auprès de la CEDEAO, d'autres n'ont pas honoré leurs obligations financières dans ce cadre. D'après le rapport annuel du Secrétaire exécutif de 2005, douze des quinze membres qui composent la CEDEAO ont des soldes impayés s'élevant à 43 millions d'unités de compte dont l'essentiel remonte à plus de dix ans95(*). Dans tous les cas, la Commission s'est attachée à signaler les anomalies relevées aux États membres concernés afin que des mesures correctives soient prises96(*). Mais au fond, le problème majeur de la CEDEAO en matière financière, c'est que contrairement à l'ONU, elle n'a pas de budget de maintien de la paix et de budgets pour les programmes. Si un conflit éclate dans la sous-région, elle est obligée de faire appel aux bailleurs de fonds étrangers et aux partenaires au développement pour payer les casques bleus et les aider à l'acquisition du matériel et de la logistique. Or les partenaires peuvent parfois être pris dans d'autres théâtres d'opération. Aussi, la CEDEAO a supprimé la contribution des États membres au budget ordinaire et l'a remplacé par le prélèvement communautaire. Une partie de ce prélèvement communautaire est versée au fonds de la paix. Ce fonds justement ne permet que de financer des réunions statutaires mais n'est pas capable de soutenir une opération de maintien de la paix qui est coûteuse. La logique aurait voulu pourtant que les États continuent à payer leurs contributions au budget ordinaire même s'ils accusent du retard pour s'acquitter de leurs obligations. Le prélèvement communautaire servirait totalement au fonds de la paix et un autre impôt communautaire devrait être créé pour financer les programmes d'intégration. Ainsi l'apport des bailleurs de fonds et des partenaires au développement viendrait en appoint à tous ces efforts. Ainsi ces difficultés financières se sont manifestées lorsqu'il s'est agi de créer la mission de la CEDEAO en Côte d'ivoire. Les problèmes du financement de la mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire Lorsque le conflit a éclaté en Côte d'ivoire le 19 septembre 2002, le fond de la paix n'était pas encore entré en vigueur. En effet, c'est l'article 36 du protocole de 1999 sur le mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, la paix et la sécurité qui le prévoyait. Il a été mis en place depuis le sommet des chefs d'Etats et de gouvernement d'Accra de décembre 2003. Son montant est de deux millions de dollars américains. Or le budget pour la mission de la CEDEAO en Côte d'ivoire (MICECI) était estimé à 33.826.097 dollars. Quand on regarde les pays contributeurs, ils étaient tous des pays européens à l'exception des États-Unis d'Amérique dont la participation non financière s'était faite sous forme d'équipements, de prestations de carburant et d'alimentation. La Grande Bretagne a versé directement son aide au contingent du Ghana et à la mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire (MICECI) ; la contribution de l'UnionAfricaine était attendue mais non confirmée. Au total, les pays contributeurs avaient donné 16.933.314 dollars sur les 33.826.097 dollars nécessaires pour la mission, soit donc un gap de 15.809.019 dollars. Ces chiffres nous renseignent sur les difficultés financières de la CEDEAO qui n'a pas les moyens d'une opération de maintien de la paix qui coûtent chère. Son budget est estimé aux alentours de six millions de dollars ; le fonds de la paix qui est de deux millions de dollars couvre tout type de risque qui relève de l'imprévu comme une crise dans un pays membre. Il va de la diplomatie préventive jusqu'aux situations post-conflictuelles comme l'appui à l'organisation d'élections par exemple. Il sert d'appui également aux différents départements de la CEDEAO pour laréalisation de leurs programmes comme la lutte contre la prolifération des armes légères ou encore la criminalité transfrontalière. Aussi quand on regarde la répartition des dépenses par grandes masses, on constate que 80,56% des dépenses sert à payer des Pier diem ; 10,49% va à l'alimentation ; finalement, il n'y a que 7,44% des dépenses qui iront à des activités de consolidation de la paix comme la santé, le cantonnement et autres activités sociales. Ces limites financières ont pesé sur la mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire. Les soldats étaient obligés de passer par le dépôt français du Gabon pour avoir des uniformes militaires, les salaires étaient payés par les pays partenaires97(*). Le tableau ci-dessous montre la répartition des ressources des pays contributeurs. Tableau 1 : Mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire : Ressources des pays contributeurs Source : Mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire, Exposé du commandant de la force, réunion des chefs d'états-majors des armées (CEMA) de la CEDEAO à Abuja, Abuja, Nigéria, février 2004, p.14. Mais les difficultés de la CEDEAO ne sont pas seulement financières mais aussi opérationnelles parce que la CEDEAO lorsque il veut intervenir dans un conflit il ne prépare pas en manque des difficultés logistique et managériales. * 90 Au terme de l'article 70 de ce texte, il est dit : « les budgets ordinaires de la Communauté et de ses institutions sont alimentés par un prélèvement communautaire et de toutes autres sources qui peuvent être déterminées par le Conseil des ministres. En attendant l'entrée en vigueur du prélèvement communautaire, les budgets de la Communauté et de ses institutions sont alimentés par les contributions annuelles des États membres ». * 91 Article 2 du protocole de la CEDEAO fixant les modalités de détermination des contributions des États membres et les monnaies de paiements. * 92 CEDEAO, Rapport annuel du Secrétaire exécutif, Abuja, Nigéria, 2006, p.191. * 93 5 Ces pays concernés sont : le Cap Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigéria et la Sierra Leone. * 94 Diouf MAKHTAR, « Le nouveau régionalisme en Afrique »,(2002) Revue de l'IFAN UCAD,p.14. * 95 CEDEAO, Rapport annuel du Secrétariat exécutif de la CEDEAO, Abuja, Nigéria, 2005, p.114. * 96 CEDEAO, Rapport annuel du Secrétaire exécutif de la CEDEAO, Abuja, Nigéria, 2005, p.115. * 97Mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire, Exposé du commandant de la force, réunion des chefs d'états-majors des armées(CEMA) de la CEDEAO à Abuja, Abuja, Nigéria, février 2004, p.14. |
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