1- Une condition permettant de faire le lien entre la
personne morale et la commission de l'infraction
19. Pour être pénalement responsable, la
personne morale a besoin de participer à la commission matérielle
de l'infraction, or en tant qu'être immatériel cela parait
impossible. Dans ce sens, le législateur camerounais avait donc une
équation difficile à résoudre qui se résumait en
une seule question, celle de savoir comment faire endosser à un
être qui n'a aucune existence matérielle la qualité
d'auteur co-auteur ou de complice ?
Logiquement, la personne morale a besoin d'une intervention
humaine. Le législateur camerounais a donc opté pour
l'utilisation d'un substratum humain qui va offrir à la personne
85 Même si la loi reconnait des
hypothèses de responsabilité du fait d'autrui comme la
responsabilité du supérieur hiérarchique en droit
pénal international.
19
morale le support physique nécessaire pour
réaliser une action ou une omission proscrite par la norme
pénale86 . Le législateur de 2016 en disposant dans
l'alinéa (a) de l'article 74-1 du code pénal que les personnes
morales sont responsables pénalement des infractions commises par leur
organes ou représentants systématise ainsi une condition qui
était déjà présente dans plusieurs textes
spéciaux87 et par la même occasion a créé
un pont qui va servir à relier d'un côté
l'élément matériel de l'infraction et de l'autre le
caractère immatériel du groupement88.
20. Constatant donc ainsi que certaines personnes physiques
composant la personne morale -les organes et représentants- sont
l'incarnation institutionnelle de l'être collectif89 et
détiennent un pouvoir de contrôle et de direction, l'article 74-1
alinéa (a) a fini par faire d'eux « l'instrument » de
la responsabilité pénale du groupement moral90. Le
législateur n'apporte aucune précision ni définition des
deux notions « organes » et « représentant
»91, tout simplement parce qu'une telle
démarche ne présente que très peu d'intérêt
en termes de conséquence pénale92, car en effet
« les personnes morales voient leur responsabilité
pénale engagée de la même façon suivant que
l'infraction a été commise pour leur compte par un organe ou
représentant »93. Bien plus, les qualités
d'organe et de représentant peuvent être réunies chez la
même personne94.
21. Dans ces circonstances, il est nécessaire qu'on
s'intéresse à la volonté du législateur de 2016. Il
ressort que les termes « organes » ou «
représentants » ne renvoient pas à des concepts
figés, mais plutôt à toute personne ayant un pouvoir
difficile à ignorer au sein du collectif, c'est-à-dire qui
pèse dans la prise des décisions, dans la direction95,
et dans l'exécution
86 V. FAIVRE (P.) « La responsabilité
pénale des personnes morales », in RSC, 1954, p. 548.
87 NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la
responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.
Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? » op.cit. pp. 221 à 244.
88 BAJO FERNÁNDEZ (M., FEIJÓO
SANCHEZ(B.) et GÓMEZ-JARA DÍEZ (C.), Tratado de
responsabilidad penal de las personas jurídicas, Navarra : Thomson
Reuteurs, 2012 op.cit., p. 217.
89 DREYER(E.), Droit pénal
général, Paris : LexisNexis, 2012, p.741, REINALDET DOS
SANTOS (T-J.), Thèse, op.cit. P.46
90 NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la
responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.
Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? » op.cit. pp.221 à 244.
91 PLANQUE (J.), La détermination de la
personne morale pénalement responsable, Paris : L'Harmattan, 2003.
p. 224. DALMASSO (T.), note ss T. Corr. Strasbourg 9 février 1996,
Petites Affiches 1996, n° 38, p.19. La jurisprudence en France et
au Brésil ne donne pas une définition générale des
notions de représentant ou d'organe, mais parfois elle énonce
à qui ces notions pouvaient s'appliquer. REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La
responsabilité pénale à l'épreuve des personnes
morales : étude comparée Franco-brésilienne, op.cit.
.46
92 Ibid.
93 DREYER (E.), ibid., p. 729.
94 RIPPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de
Droit Commercial, Paris : LGDJ, 2004, n° 695.
95 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La
responsabilité pénale à l'épreuve des personnes
morales : étude comparée Franco-brésilienne, ibid.,
p.68.
20
desdites décisions. Se faisant, il peut ainsi
être comparé au cerveau de la personne morale, en anglais
« mind » 96. Les termes « organes »
ou « représentants » renvoient donc aux
personnes physiques qui représentent le « directing mind will
»97 (l'âme dirigeante) du groupement
moral98 soit parce qu'ils occupent une position
privilégiée dans la structure du groupement, soit parce qu'ils
ont reçu un pouvoir spécifique, une sorte de mandat leur
permettant d'incarner le collectif. Les autorités de poursuites peuvent
donc soit s'attarder sur la structure de la société en
s'intéressant aux postes et fonctions occupées par les personnes
physiques en accord avec les statuts, soit s'atteler à savoir si la
personne physique indépendamment de sa situation dans le groupement
détient ou non un pouvoir de direction ou de contrôle au sein de
l'être collectif99. C'est sans doute ce qui a poussé la
jurisprudence étrangère à s'attarder sur les cas de
délégation de pouvoir et celui du dirigeant fait.
De façon générale s'il s'agit d'une
société ou d'une entreprise, les organes susceptibles de servir
de substratum humain varient selon leur type. Pour les sociétés
anonymes, il s'agira surtout l'organe de gestion collectif qui est le CA et du
représentant qui peut être le PDG, le DGA ou encore le PCA, le DG
et l'administrateur général. Pour les sociétés de
personne et les S.A.R.L l'organe collectif est constitué de
l'assemblée des associés, dirigé par un ou plusieurs
gérants. Il s'agira pour un parti politique, d'une association du
président du partis, de l'association, les membres du bureau,
l'assemblée générale, le comité directeur (...)
22. il s'agira aussi d'inclure des personnes
qui n'ont pas forcément une place privilégiée dans
l'organisation du groupement conformément à ses statuts mais qui
ont des droits spécifiques comme certains créanciers munis de
sûretés négatives conférant un droit de véto
ou de regard100 leur permettant d'influencer la gestion et la
direction des groupement. On y inclue aussi les mandataires ou des
salariés bénéficiant d'une délégation de
pouvoir pour agir au nom de la société101 et qui
peuvent également participer à l'administration et la gestion de
la
96 Ibid. P.46.
97 GEEROMS (S.), « La responsabilité
pénale de la personne morale : une étude comparative »,
in Revue internationale de droit comparé, 1996, p. 546.
98 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La
responsabilité pénale à l'épreuve des personnes
morales : étude comparée Franco-brésilienne, ibid.
p.67.
99 Ibid. p.68.
100 KENMOGNE SIMO (A.), « La désolidarisation
entre participation au capital social et source du pouvoir en droit OHADA
», bulletin de droit économique, 2017, p. 9.
101 DREYER (E.), op.cit., p. 730., REINALDET DOS
SANTOS (T-J.), La responsabilité pénale à l'épreuve
des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne
op.cit. p.71.
21
société102. Le mandataire peut tirer
son pouvoir de différentes sources, statutaire, légale, ou encore
d'une décision de justice103. Ainsi, l'administrateur
judiciaire ou le liquidateur de la personne morale104
considérés comme représentant de la personne morale
peuvent engager la responsabilité de cette dernière.
23. Enfin, s'il est constant que seules les
personnes qui dirigent le groupement, à l'exclusion des simples
subordonnés105 peuvent lui servir de support humain, il se
pose cependant problème de la légitimité des dirigeants
susceptibles d'engager la responsabilité pénale des groupements.
Il s'est posé la question de s'avoir si un dirigeant de fait, peut
commettre une infraction au nom de la personne morale. En effet, le dirigeant
de fait est celui qui au mépris des statuts de l'être collectif,
intervient dans le contrôle et la gestion du groupement106. Il
s'agit alors d'opposer une réalité factuelle à une
réalité formelle107.
La Cour de Cassation française108 a
plutôt opté pour une réalité
factuelle109. Ainsi, les juges français admettent
l'engagement de la responsabilité de la personne morale du fait du
comportement de son dirigeant de fait à certaines conditions. Tout
d'abord, il faut que le dirigeant intervenant au mépris des statuts soit
reconnu par les organes ou représentants de droit de la
société. Bien plus, il est nécessaire que les actes de
direction et de gestion effectués par le
102 PLANQUE (J.), op.cit., p. 233. REINALDET DOS
SANTOS (T-J.) La responsabilité pénale à l'épreuve
des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne
ibid. p.71.
103 DREYER (E.), op.cit., p. 730. Il faut souligner
que pour les personnes morales de droit public il est plus probable que la
source du pouvoir de représentation soit la loi, tandis que pour les
personnes morales de droit privé c'est plutôt les statuts de la
société qui va prévoir qui sont les représentants
et les organes de celle-ci. Dans le même sens DE SANCTIS (F.), op.cit.,
p. 23 et BONICHOT (J.-C.), « La responsabilité pénale des
personnes morales de droit public », in Gazette du palais,
mercredi 9, jeudi 10 juin 1999, p.35 REINALDET DOS SANTOS (T-J.) La
responsabilité pénale à l'épreuve des personnes
morales : étude comparée Franco-brésilienne ibid.
p.71.
op.cit. p.71.
104 ROBERT (J.-H.), Droit pénal
général, op.cit. p.380.
105 DESNOIX (E.), « Plaidoyer (français) pour la
consécration de l'infraction de corporate killing en Angleterre
»,
in Revue pénitentiaire et de droit pénal,
janvier/mars 2007, p.134.
106 SAINT-PAU (J.-C.), « La responsabilité des
personnes morales : réalité et fiction, in le risque
pénal dans l'entreprise Paris : Ed. Jurisclasseur », 2003
p.80. Selon certains auteurs, il est plus difficile d'imaginer une telle
situation concernant les personnes morales de droit public, voir RAGUÉ
(R.) i VALLÈS, Atribución de responsabilidad penal en estructuras
empresariales, in Nuevas tendencias del derecho penal económico y de
la empresa, Peru : Ara Editores, 2005, p. 144. Voir encore REINALDET DOS
SANTOS (T-J.) La responsabilité pénale à l'épreuve
des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne
op.cit. p.74.
107 MARÉCHAL (J.-Y.), « Responsabilité
pénale des personnes morales », Paris : LexisNexis, 2010,
p.18
108 Cour de cass., Ch. crim., 17 décembre 2003, pourvoi
n° 00-87872, voir également Cour de cass., Ch. comm., 2 novembre 2005,
pourvoi n° 02-15895 et CA Douai, 26 février 2003, JurisData n°
2003-214506. MARÉCHAL (J.-Y.), Responsabilité pénale des
personnes morales, ibid. p. 18.
109 . MARÉCHAL(J.-Y.), Responsabilité
pénale des personnes morales, ibid. p. 18. REINALDET DOS SANTOS
(T-J.), Thèse, op.cit. p.74.
22
dirigeant de fait n'aient pas été
contestés par les organes de représentants de droit de la
personne morale110. Cette solution semble pertinente dans la mesure
où elle permet non seulement de tirer les conséquences de la
passivité des dirigeants de droit, mais aussi distinguer les cas
où la personne morale n'est que la victime du dirigeant de fait, de ceux
où elle serait coupable. Au Cameroun, la jurisprudence ne s'est pas
encore exprimée sur la question, mais la notion de dirigeant de fait
n'est pas étrangère au droit pénal des affaires où
les dirigeant de fait sont pénalement responsables. On peut imaginer que
la jurisprudence camerounaise adopte la même posture.
Positivement, la condition matérielle de
responsabilité pénale des personnes morales permet l'engagement
de la responsabilité des personnes morales pour certaines infractions.
Négativement, elle permet aussi d'exclure cette même
responsabilité pour certaines infractions commises en son sein.
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