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Les conséquences du principe général de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.


par Ivan De NGUIMBOUS TJAT LIMBANG
Université de Yaoundé II-SOA - Master en droit privé 2020
  

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1- Une condition permettant de faire le lien entre la personne morale et la commission de l'infraction

19. Pour être pénalement responsable, la personne morale a besoin de participer à la commission matérielle de l'infraction, or en tant qu'être immatériel cela parait impossible. Dans ce sens, le législateur camerounais avait donc une équation difficile à résoudre qui se résumait en une seule question, celle de savoir comment faire endosser à un être qui n'a aucune existence matérielle la qualité d'auteur co-auteur ou de complice ?

Logiquement, la personne morale a besoin d'une intervention humaine. Le législateur camerounais a donc opté pour l'utilisation d'un substratum humain qui va offrir à la personne

85 Même si la loi reconnait des hypothèses de responsabilité du fait d'autrui comme la responsabilité du supérieur hiérarchique en droit pénal international.

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morale le support physique nécessaire pour réaliser une action ou une omission proscrite par la norme pénale86 . Le législateur de 2016 en disposant dans l'alinéa (a) de l'article 74-1 du code pénal que les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises par leur organes ou représentants systématise ainsi une condition qui était déjà présente dans plusieurs textes spéciaux87 et par la même occasion a créé un pont qui va servir à relier d'un côté l'élément matériel de l'infraction et de l'autre le caractère immatériel du groupement88.

20. Constatant donc ainsi que certaines personnes physiques composant la personne morale -les organes et représentants- sont l'incarnation institutionnelle de l'être collectif89 et détiennent un pouvoir de contrôle et de direction, l'article 74-1 alinéa (a) a fini par faire d'eux « l'instrument » de la responsabilité pénale du groupement moral90. Le législateur n'apporte aucune précision ni définition des deux notions « organes » et « représentant »91, tout simplement parce qu'une telle démarche ne présente que très peu d'intérêt en termes de conséquence pénale92, car en effet « les personnes morales voient leur responsabilité pénale engagée de la même façon suivant que l'infraction a été commise pour leur compte par un organe ou représentant »93. Bien plus, les qualités d'organe et de représentant peuvent être réunies chez la même personne94.

21. Dans ces circonstances, il est nécessaire qu'on s'intéresse à la volonté du législateur de 2016. Il ressort que les termes « organes » ou « représentants » ne renvoient pas à des concepts figés, mais plutôt à toute personne ayant un pouvoir difficile à ignorer au sein du collectif, c'est-à-dire qui pèse dans la prise des décisions, dans la direction95, et dans l'exécution

86 V. FAIVRE (P.) « La responsabilité pénale des personnes morales », in RSC, 1954, p. 548.

87 NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. pp. 221 à 244.

88 BAJO FERNÁNDEZ (M., FEIJÓO SANCHEZ(B.) et GÓMEZ-JARA DÍEZ (C.), Tratado de responsabilidad penal de las personas jurídicas, Navarra : Thomson Reuteurs, 2012 op.cit., p. 217.

89 DREYER(E.), Droit pénal général, Paris : LexisNexis, 2012, p.741, REINALDET DOS SANTOS (T-J.), Thèse, op.cit. P.46

90 NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. pp.221 à 244.

91 PLANQUE (J.), La détermination de la personne morale pénalement responsable, Paris : L'Harmattan, 2003. p. 224. DALMASSO (T.), note ss T. Corr. Strasbourg 9 février 1996, Petites Affiches 1996, n° 38, p.19. La jurisprudence en France et au Brésil ne donne pas une définition générale des notions de représentant ou d'organe, mais parfois elle énonce à qui ces notions pouvaient s'appliquer. REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne, op.cit. .46

92 Ibid.

93 DREYER (E.), ibid., p. 729.

94 RIPPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de Droit Commercial, Paris : LGDJ, 2004, n° 695.

95 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne, ibid., p.68.

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desdites décisions. Se faisant, il peut ainsi être comparé au cerveau de la personne morale, en anglais « mind » 96. Les termes « organes » ou « représentants » renvoient donc aux personnes physiques qui représentent le « directing mind will »97 (l'âme dirigeante) du groupement moral98 soit parce qu'ils occupent une position privilégiée dans la structure du groupement, soit parce qu'ils ont reçu un pouvoir spécifique, une sorte de mandat leur permettant d'incarner le collectif. Les autorités de poursuites peuvent donc soit s'attarder sur la structure de la société en s'intéressant aux postes et fonctions occupées par les personnes physiques en accord avec les statuts, soit s'atteler à savoir si la personne physique indépendamment de sa situation dans le groupement détient ou non un pouvoir de direction ou de contrôle au sein de l'être collectif99. C'est sans doute ce qui a poussé la jurisprudence étrangère à s'attarder sur les cas de délégation de pouvoir et celui du dirigeant fait.

De façon générale s'il s'agit d'une société ou d'une entreprise, les organes susceptibles de servir de substratum humain varient selon leur type. Pour les sociétés anonymes, il s'agira surtout l'organe de gestion collectif qui est le CA et du représentant qui peut être le PDG, le DGA ou encore le PCA, le DG et l'administrateur général. Pour les sociétés de personne et les S.A.R.L l'organe collectif est constitué de l'assemblée des associés, dirigé par un ou plusieurs gérants. Il s'agira pour un parti politique, d'une association du président du partis, de l'association, les membres du bureau, l'assemblée générale, le comité directeur (...)

22. il s'agira aussi d'inclure des personnes qui n'ont pas forcément une place privilégiée dans l'organisation du groupement conformément à ses statuts mais qui ont des droits spécifiques comme certains créanciers munis de sûretés négatives conférant un droit de véto ou de regard100 leur permettant d'influencer la gestion et la direction des groupement. On y inclue aussi les mandataires ou des salariés bénéficiant d'une délégation de pouvoir pour agir au nom de la société101 et qui peuvent également participer à l'administration et la gestion de la

96 Ibid. P.46.

97 GEEROMS (S.), « La responsabilité pénale de la personne morale : une étude comparative », in Revue internationale de droit comparé, 1996, p. 546.

98 REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne, ibid. p.67.

99 Ibid. p.68.

100 KENMOGNE SIMO (A.), « La désolidarisation entre participation au capital social et source du pouvoir en droit OHADA », bulletin de droit économique, 2017, p. 9.

101 DREYER (E.), op.cit., p. 730., REINALDET DOS SANTOS (T-J.), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne op.cit. p.71.

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société102. Le mandataire peut tirer son pouvoir de différentes sources, statutaire, légale, ou encore d'une décision de justice103. Ainsi, l'administrateur judiciaire ou le liquidateur de la personne morale104 considérés comme représentant de la personne morale peuvent engager la responsabilité de cette dernière.

23. Enfin, s'il est constant que seules les personnes qui dirigent le groupement, à l'exclusion des simples subordonnés105 peuvent lui servir de support humain, il se pose cependant problème de la légitimité des dirigeants susceptibles d'engager la responsabilité pénale des groupements. Il s'est posé la question de s'avoir si un dirigeant de fait, peut commettre une infraction au nom de la personne morale. En effet, le dirigeant de fait est celui qui au mépris des statuts de l'être collectif, intervient dans le contrôle et la gestion du groupement106. Il s'agit alors d'opposer une réalité factuelle à une réalité formelle107.

La Cour de Cassation française108 a plutôt opté pour une réalité factuelle109. Ainsi, les juges français admettent l'engagement de la responsabilité de la personne morale du fait du comportement de son dirigeant de fait à certaines conditions. Tout d'abord, il faut que le dirigeant intervenant au mépris des statuts soit reconnu par les organes ou représentants de droit de la société. Bien plus, il est nécessaire que les actes de direction et de gestion effectués par le

102 PLANQUE (J.), op.cit., p. 233. REINALDET DOS SANTOS (T-J.) La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne ibid. p.71.

103 DREYER (E.), op.cit., p. 730. Il faut souligner que pour les personnes morales de droit public il est plus probable que la source du pouvoir de représentation soit la loi, tandis que pour les personnes morales de droit privé c'est plutôt les statuts de la société qui va prévoir qui sont les représentants et les organes de celle-ci. Dans le même sens DE SANCTIS (F.), op.cit., p. 23 et BONICHOT (J.-C.), « La responsabilité pénale des personnes morales de droit public », in Gazette du palais, mercredi 9, jeudi 10 juin 1999, p.35 REINALDET DOS SANTOS (T-J.) La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne ibid. p.71.

op.cit. p.71.

104 ROBERT (J.-H.), Droit pénal général, op.cit. p.380.

105 DESNOIX (E.), « Plaidoyer (français) pour la consécration de l'infraction de corporate killing en Angleterre »,

in Revue pénitentiaire et de droit pénal, janvier/mars 2007, p.134.

106 SAINT-PAU (J.-C.), « La responsabilité des personnes morales : réalité et fiction, in le risque pénal dans l'entreprise Paris : Ed. Jurisclasseur », 2003 p.80. Selon certains auteurs, il est plus difficile d'imaginer une telle situation concernant les personnes morales de droit public, voir RAGUÉ (R.) i VALLÈS, Atribución de responsabilidad penal en estructuras empresariales, in Nuevas tendencias del derecho penal económico y de la empresa, Peru : Ara Editores, 2005, p. 144. Voir encore REINALDET DOS SANTOS (T-J.) La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne op.cit. p.74.

107 MARÉCHAL (J.-Y.), « Responsabilité pénale des personnes morales », Paris : LexisNexis, 2010, p.18

108 Cour de cass., Ch. crim., 17 décembre 2003, pourvoi n° 00-87872, voir également Cour de cass., Ch. comm., 2 novembre 2005, pourvoi n° 02-15895 et CA Douai, 26 février 2003, JurisData n° 2003-214506. MARÉCHAL (J.-Y.), Responsabilité pénale des personnes morales, ibid. p. 18.

109 . MARÉCHAL(J.-Y.), Responsabilité pénale des personnes morales, ibid. p. 18. REINALDET DOS SANTOS (T-J.), Thèse, op.cit. p.74.

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dirigeant de fait n'aient pas été contestés par les organes de représentants de droit de la personne morale110. Cette solution semble pertinente dans la mesure où elle permet non seulement de tirer les conséquences de la passivité des dirigeants de droit, mais aussi distinguer les cas où la personne morale n'est que la victime du dirigeant de fait, de ceux où elle serait coupable. Au Cameroun, la jurisprudence ne s'est pas encore exprimée sur la question, mais la notion de dirigeant de fait n'est pas étrangère au droit pénal des affaires où les dirigeant de fait sont pénalement responsables. On peut imaginer que la jurisprudence camerounaise adopte la même posture.

Positivement, la condition matérielle de responsabilité pénale des personnes morales permet l'engagement de la responsabilité des personnes morales pour certaines infractions. Négativement, elle permet aussi d'exclure cette même responsabilité pour certaines infractions commises en son sein.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery