Les conséquences du principe général de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.par Ivan De NGUIMBOUS TJAT LIMBANG Université de Yaoundé II-SOA - Master en droit privé 2020 |
§- 2 La prise en compte à travers une reconsidération du système d'imputation173. Dans l'optique d'adopter une vision générale de la responsabilité pénale des personnes morales, le législateur camerounais a fait le choix de l'anthropomorphisme, pour tirer les conséquences que cette responsabilité pouvait entrainer. Pour faire peser l'obligation de subir la répression sur la personne morale, le législateur a adapté des principes prévus à la base pour s'appliquer à la personne physique. Il s'agit principalement du principe de la personnalité, qui se décline en un triptyque, responsabilité du fait personnel, personnalité de la sanction et personnalité juridique. Ainsi, seuls les groupements dotés de la personnalité juridique peuvent voir leur responsabilité pénale engagée, ce qui entraine des effets pervers tels que la mise en échec des 394 BENILLOUCHE (M.), « La poursuite des personnes morales » op.cit. p. 33. 395 Sur la même question voir par exemple les Art. 550 et suivant du CPP français. Ces précisions nécessitent un léger réaménagement des dispositions existantes sur les citations énoncées aux articles 40 et suivants du CPP camerounais. 396 Voir par exemple L'article R. 131-53, CP prévoit, en cas d'existence de représentants du personnel, que ces derniers sont avisés par lettre recommandée adressée dix jours au moins avant la date de l'audience. Lorsque le personnel de la personne morale est régi par les dispositions du code du travail relatives à la représentation des salariés, cet avis est adressé au secrétaire du comité d'entreprise ou, le cas échéant, au secrétaire du comité central d'entreprise et, en l'absence de tels comités, aux délégués du personnel titulaires. BENILLOUCHE (M.), « La poursuite des personnes morales » op.cit. p.34. 107 institutions de poursuite. De ce fait, il est nécessaire dans la prise en compte de certaines conséquences du principe général de responsabilité pénale des personnes morales, de revoir le préalable de la personnalité juridique (A). Bien plus, pour adapter le principe de la personnalité de la responsabilité pénale, le législateur a fait le choix d'assimiler la personne physique organe ou représentant à la personne morale, or cette vision ne permet pas toujours de saisir la délinquance d'entreprise, ainsi, il est possible de revoir aussi le système d'imputation (B). A- La nécessaire reconsidération du préalable de personnalité juridique174. Admettre que seuls les groupements dotés de la personnalité morale sont pénalement responsables présente l'avantage de mettre sur un même pied d'égalité personnes physiques et personnes morales. Mais se limiter à la conception civiliste de la personnalité juridique pousse nécessairement le législateur à ignorer les spécificités même des personnes morales. Il parait nécessaire de rechercher comment d'autres systèmes pénaux ont abordé la question de la personnalité morale. Il ressort que certains systèmes, pour lutter contre l'impunité des groupements collectifs appliquent la responsabilité pénale indépendamment de la personnalité juridique397 (1). Et pour résoudre la problématique de l'instrumentalisation des opérations de fusion et scission mettant en échec la nouvelle responsabilité, d'autres systèmes sont favorables à la transmission de la responsabilité pénale de la personne morale absorbée vers la personne morale absorbante (2). Ces deux visions se détachent ainsi du principe de personnalité. 1- L'apport des systèmes appliquant la responsabilité indépendamment de la personnalité morale 175. Au regard de nombreux problèmes soulevés par le choix du terme « personne morale » par le législateur camerounais, celui-ci doit nécessairement pouvoir se séparer de la conception classique de personnalité juridique comme préalable de la responsabilité pénale des groupements. La doctrine a déjà proposé que le droit pénal camerounais se saisisse du concept « personne morale » afin de lui donner un sens propre en droit pénal compatible avec les 397 Plusieurs analyses doctrinales vont dans le sens de la recherche des différentes facettes de la responsabilité pénale des personnes morales dans les systèmes étrangers. Ainsi, certains systèmes assimilent dans l'expression personne morale tous les groupements de telle sorte que la personnalité morale n'est plus un préalable de mise en oeuvre de la responsabilité pénale des groupements. Lire à cet effet lire BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. Nouvelle édition [en ligne]. Op.cit. 108 exigences de la responsabilité pénale398. Le droit pénal a déjà effectué une telle manoeuvre avec la notion de domicile en lui donnant un sens différent que celui donné par le droit civil, ou même à la notion de fonctionnaire qui a sens différent en droit pénal qu'en droit de la fonction publique399.
398 « La question fondamentale est de savoir si le droit pénal ne devrait pas s'approprier le concept même de « personne morale » afin de lui donner un sens opératoire adapté aux exigences de la responsabilité pénale ? Cette question, qui suppose une autonomisation des concepts pénaux, résulte de la prise en compte de la théorie de la réalité criminelle pour rendre opportun et pertinent l'entrée dans le champ pénal des personnes morales » NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des lois spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. p. 221 et s. 399 Sur l'autonomisation des concepts pénaux NTONO TSIMI (G.), La responsabilité pénale des personnes morales : essaie d'une théorie générale, op.cit. p. 36 et s. 400 Voir également Document législatif n° 11217/6, Proposition de loi instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, Sénat de Belgique, 10 mars 1999, disponible en ligne : www.senat.be, spéc. p. 7. 401 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. p. 418. 402 Ibid. p. 419. 403 Ibid. p. 419 et s. 109 dans sa globalité. Cette vision n'est pas étrangère au droit pénal camerounais comme l'on a déjà indiqué, dans la mesure où ce dernier a déjà à plusieurs reprise brisé les standards définitionnels posés par d'autres branches du Droit. L'une des difficultés qui pourrait par contre se poser c'est que certains groupements de fait n'ont pas de patrimoine, dès lors, toute sanction serait dirigée contre le patrimoine des personnes physiques. Mais cette difficulté semble surmontable. D'abord parce que les sanctions pécuniaires ne sont pas les seules qui peuvent être imposées aux groupements d'une part ; et d'autre part, une partie de la doctrine a fait remarquer, chaque groupement a nécessairement une masse de bien sur lequel peuvent s'appliquer les sanctions patrimoniales404. Cette solution permettra au droit pénal camerounais de prendre en compte une « part potentielle de délinquance »405, mais celui-ci devra nécessairement l'adapter au paysage interne. Ne restera alors que la question des moyens de défense non conventionnels utilisés par la personne morale pour déjouer l'appareil répressif que sont l'instrumentation des opérations de restructuration. Dans ce cadre aussi un tour d'horizon des systèmes pénaux étrangers peut apporter des réponses au droit camerounais. |
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