1- Une dépénalisation marquée par une
disparition de la pression pénale sur les organes et
représentant
98. Dès la genèse de l'institution, la
responsabilité pénale des personnes morales a été
instrumentalisée afin d'aboutir à un relâchement de la
menace pénale pesant exclusivement sur
262 « Cette pénalisation des
personnes morales conduit parfois à une dépénalisation du
comportement des personnes physiques qui bénéficient ainsi d'un
bouclier ou d'un parapluie protecteur, puisque si, à l'origine, le
législateur annonçait la juxtaposition des deux types de
responsabilités, (bref, qu'en termes gastronomiques ce serait fromage et
dessert), force est d'observer que de plus en plus fréquemment c'est
fromage ou dessert au point que, parfois, la responsabilité
pénale des personnes morales vient jeter un voile impudique sur celle
des personnes physiques » MAISTRE DU CHAMBON (P.), « Rapport
introductif sur la dépénalisation » in
Dépénalisation de la vie des affaires et responsabilité
pénale des personnes morales, collection Ceprisca, puf, 2009,
p.9.
263 TRICOT (J.), « Le droit pénal à
l'épreuve de la responsabilité des personnes morales : l'exemple
français » op.cit. pp 19 et s.
264 ROUSSEAU (F.) « La répartition des
responsabilités dans l'entreprise », in RSC, 2010.
64
les dirigeants sociaux. Au lieu d'en faire un instrument au
service de la prévention de la délinquance des groupements, et de
la mise en place d'un fonctionnement vertueux de la personne
morale265, la responsabilité pénale a
été limitée à une simple « technique
redistribution du risque pénal au profit de la personne physique en
position de décideur »266.
En France par exemple, une formule célèbre de
Robert BADINTER exprime suffisamment la volonté du
législateur français de réduire « la
présomption de responsabilité pénale qui pèse en
fait aujourd'hui sur des dirigeants à propos d'infractions dont ils
ignorent parfois l'existence ». Ainsi, on observe donc un
déplacement de la présomption de responsabilité des
personnes physiques vers les personnes morales, diminuant ainsi le risque
pénal qui pèse sur chaque personne lors de l'accomplissement
d'une activité. Cette diminution du risque marque un point de
départ vers une déresponsabilisation des personnes physiques.
2- Une dépénalisation exprimée par le
transfert de responsabilité du substratum humain vers la personne
morale
99. Le dirigeant qui était avant
l'admission de la responsabilité pénale des personnes morales la
cible privilégiée du législateur pour les infractions
commises dans le groupement et même par le groupement, se trouve
soulagé lorsqu'il a commis une infraction pour le compte de la personne
morale. On assiste donc à un paradoxe, consacré par une
législation alliant répression et
dépénalisation267 qui tient en ce que «
personnalité morale forme un écran qui permette aux dirigeants de
commettre des faits générateurs de responsabilité en toute
impunité »268.
La responsabilité pénale des personnes morales
par le truchement du principe général offre une sorte
d'immunité à la personne physique agissant es qualité,
mais cette immunité présente de nombreux désavantages. Ce
rendant compte de cela le législateur camerounais a réagi en
envisageant un cumul de responsabilité entre les personnes physiques
auteurs des actes incriminés et les personnes morales, qui a eu des
effets sur le mouvement de dépénalisation.
265 CONSIGLI (J.) « La responsabilité
pénale des personnes morales pour les infractions involontaires :
critères d'imputation » op.cit. pp. 297 - 310.
266 TRICOT (J.), « Le droit pénal à
l'épreuve de la responsabilité des personnes morales : l'exemple
français », ibid. pp.19 - 46.
267 ROUSSEAU (F.) « La répartition des
responsabilités dans l'entreprise », op.cit. pp. 10 et
s.
268 AFCHAIN (M.-A.), La responsabilité de la
société op.cit. p. 217.
65
B- Les effets du cumul sur la
dépénalisation
100. Le mécanisme décrit à
l'alinéa (c) de l'article 74-1du code pénal camerounais laisse
supposer que la commission d'une seule et même infraction peut donner
lieu à la mise en jeu de la responsabilité de personnes
différentes. Ce qui ne serait pas une curiosité en droit
pénal dans la mesure l'on envisage déjà répression
de la coaction. L'idée principale étant de s'écarter de la
logique de substitution de la responsabilité pénale des
décideurs à celle de la personne morale, pour envisager une
logique d'addition des deux responsabilités. Le cumul de
responsabilité a donc pour impacte d'empêcher la
dépénalisation des agissements des personnes physiques tout
d'abord à travers une raniment de la pression pénale pesant sur
eux (1), mais aussi en imposant un cumul de sanction (2).
1- L'exclusion de la dépénalisation
à travers la réanimation de la pression pénale pesant sur
les personnes physiques auteurs des actes incriminés
101. Aux termes de l'article 74-1 alinéa (c)
« La responsabilité pénale des personnes physiques,
auteurs des actes incriminés, peut se cumuler avec celle des personnes
morales. » il exclut donc du moins principiellement la
dépénalisation en ce qu'il maintien constante la pression
pénale sur les décideurs. Cette démarche est
intéressante dans la mesure où reconnaitre la part de
responsabilité des personnes morales pour les infractions commises en
son sein ne doit pas être synonyme d'impunité pour les personnes
physiques ayant participé à l'infraction, même si
c'était pour le compte de la personne morale269.
102. Bien plus, la solution du cumul a une importance
préventive certaine, elle constitue un moyen de discipliner les
personnes physiques organes ou représentants, qui agiront en
connaissance de ce qu'elles doivent respecter les prescriptions légales.
Comme l'affirmait déjà Juliette TRICOT
« [le cumul de responsabilité] tisse un filet de
sécurité pour retenir dans ses mailles les personnes physiques
dont il serait choquant et « contre-préventif » de les voir
échapper à leurs responsabilités
»270. Cela est d'autant plus important que dans la
codification de la responsabilité pénale des personnes morales
sur le plan international retient le cumul de responsabilité entre les
personnes physiques auteurs des faits incriminés et les personnes
269 REINALDET DOS SANTOS (T-J), La responsabilité
pénale à l'épreuve des personnes morales : étude
comparée franco-brésilienne, op.cit. pp. 281 et s.
270 TRICOT (J.), « Le droit pénal à
l'épreuve de la responsabilité des personnes morales : l'exemple
français » op.cit., p. 44. Et s.
66
morales. Sans prétention à l'exhaustivité
il s'agit du deuxième protocole joint à la Convention relative
à la protection des intérêts financiers des
Communautés européennes271 ; de la Convention sur la
lutte contre la traite des êtres humains272. Le cumul de
responsabilité influe également sur la sanction pénale.
|