Section 2 : Une limitation inhérente à
l'admission d'un cumul de responsabilité entre les personnes physiques
auteurs des actes incriminés et les personnes morales
94. La possibilité d'échapper à la
répression ne doit pas uniquement s'envisager sous le prisme de la
personne morale. En effet, le choix de l'utilisation de la personne physique
comme substratum humain et même comme « instrument
»259 de la responsabilité pénale des
personnes morales, laisse ainsi planer le doute sur la possibilité
d'engager sa responsabilité sous le fondement de l'infraction qu'elle a
commise pour le compte de la société.
258 Cinq fois plus élevé que le maximum
prévu pour les personnes physiques v. supra n°67.
259 NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la
responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.
Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? » op.cit. pp. 221 et s.
62
95. Ainsi, soit l'on admet que la personne
physique organe ou représentant auteur des infractions imputables
à la personne morale se confond avec celle-ci et donc elle ne devrait
pas être considérée de façon singulière comme
pénalement responsable. Soit on considère que la personne
physique servant de support humain est différente de la personne morale,
la responsabilité pénale des personnes morales deviendrait alors
une responsabilité du fait d'autrui d'où le cumul de
responsabilité entre les personnes morales et des personnes physiques.
L'idée retenue était alors que la responsabilité
pénale des personnes morales est une responsabilité pénale
du fait personnel et celle des personnes physiques se trouve diluée voir
même absorbée par celle de la personne morale.
À la réalité, ces deux hypothèses
n'ont de séduisante que leur simplicité. Car au fond suivant la
logique employée par le législateur ce n'est pas la personne
physique qui serait assimilée à la personne morale, mais le
personnage ou l'institution qu'il incarne260. Ainsi la distinction
doit plutôt être faite entre l'institution de l'organe ou du
représentant et la personne qui incarne cette institution, de telle
sorte que la faute de l'organe ou du représentant
considérée comme la faute de la personne morale puisse cohabiter
avec la faute de la personne physique. C'est dans cette hypothèse qu'on
envisage le cumul de responsabilité pour juguler la
dépénalisation que l'admission généralisée
de la responsabilité pénale des personnes morales pourrait
entrainer pour les personnes physiques auteurs des actes incriminés
(§-1), mais aussi comme outil pouvant servir à
leur répression (§-2).
§-1 Le cumul de responsabilité comme parade du
législateur face la dépénalisation implicite des
agissements des organes et représentant
96. La dépénalisation est
l'action de dépénaliser, c'est-à-dire retirer à un
comportement son caractère délictueux, de le soustraire à
la sanction pénale. C'est l'acte par lequel le législateur
renonce à la voie pénale, cette renonciation peut être
totale ou partielle. Elle est intégrale lorsque le législateur
pénal sort complètement de la voie pénale. Elle est
partielle lorsqu'il est demandé au législateur de mesurer sa voie
pénale261.
260 « D'une part, les organes et représentants
se confondent avec la personne morale qui est alors personnellement responsable
par leur représentation, c'est-à-dire à travers eux.
D'autre part, les personnes physiques se distinguent des organes dont elles
sont membres ou de la qualité de représentant qu'elles endossent
et cette dissociation conduit à envisager l'imputation d'une autre
responsabilité » SAINT-PAU (J.-C.), La responsabilité
des personnes morales : réalité et fiction, op.cit. p.
105.
261 NTONO TSIMI (G.), Les contraintes internationales des
politiques criminelles nationales. La normativité des
obligations des juges supranationaux, séminaire de
grands problèmes pénaux contemporains, Master II année
académique 2018-2019.
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Dans le cadre de notre analyse, la
dépénalisation est synonyme d'impunité dans la mesure
où la responsabilité pénale des personnes morales est
susceptible de soustraire la personne physique à la sanction
pénale, ce qui a le même effet qu'une dépénalisation
proprement dite262. Ainsi, l'extension du champ de la
responsabilité pénale des personnes morale, s'accompagne de
l'extension de la possibilité d'échapper à la
répression pour la personne physique, dans la mesure où la
personne morale étant désormais responsable pour toutes les
atteintes aux valeurs sociales vient servir d'écran à la personne
physique. Ceci se manifeste par dépénalisation qu'elle induit (A)
et ce rendant compte de cela, le législateur a trouvé une -ou du
moins a cru trouver263-parade dans le mécanisme du cumul de
responsabilité, qui a eu des effets sur cette
dépénalisation (B).
A- La dépénalisation induite par
l'admission généralisée de la responsabilité
pénale des personnes morales
97. Derrière la question du champ d'application de la
responsabilité pénale des personnes morales se joue
l'épineuse question de la répartition des responsabilités
au sein de l'être collectif. Selon François
ROUSSEAU, la répartition des responsabilités
dans l'entreprise se fait soit par une logique d'addition, soit par une logique
de substitution264.
Lorsqu'on s'attarde aux motifs ayant servi
d'implémentation de la responsabilité pénale des personnes
morale, c'est la logique de substitution marquée par la disparition de
la pression pénale exercée sur les personnes physiques organes ou
représentants (1) et un transfert de la responsabilité
pénale des personnes physiques vers la personne morale (2).
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