2- Un abandon progressif suggéré par les
textes spéciaux
89. L'élargissement matériel du
champ de la répression des personnes morales par le principe
général de responsabilité pénale des personnes
morales est le résultat d'un processus amorcé dès les
premières lois spéciales. En effet, l'option choisie par le
législateur de 2016 généraliser les atteintes pouvant
justifier la mise en jeu de la responsabilité pénale des
personnes morales vient du fait de l'accroissement qualitatif mais aussi
quantitatif244 des atteintes qui leur sont imputables par les textes
spéciaux.
Le développement des lois spéciales dans le
domaine divers a rendu les personnes morales responsables des atteintes
couvrant les domaines économique, environnementaux, la
cybercriminalité245, mais aussi des atteintes qui ne sont pas
normalement imputables à la personne morale comme les atteintes à
l'intégrité physique, à l'intégrité morale
des personnes humaines246.
Pour ce qui est des atteintes dans le domaine de
l'environnement, la loi du 29 décembre 1989 portant sur les
déchets toxiques et dangereux interdit à la fois la production,
l'exploitation des déchets toxiques sous toutes ses
formes247. Dans le même domaine de l'environnement, le
législateur a multiplié les lois chronologiquement248,
il s'agit de la loi du 30 janvier 1995 portant sur la radioprotection et la
loi-cadre sur l'environnement de 1996249 qui réprime la
pollution, la dégradation ou l'altération de la terre et de
l'air250. Pour les atteintes relatives à l'activité
économique, il peut s'agir des infractions portant atteinte aux droits
des investisseurs ou à l'activité des
investisseurs251. Ces infractions sont prévues par la loi
n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création et
organisation du marché financier.
244 V. NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de
la responsabilité pénale des personnes morales en droit
camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? ». op.cit. p.221 et s.
245 Cette extension était déjà
analysée comme un des indices de la généralisation de la
responsabilité pénale des personnes morales. V. NTONO TSIMI (G.),
La responsabilité pénale des personnes morales en droit
camerounais : Esquisse d'une théorie générale, op.cit.
p. 18
246 Ibid.
247 Article 1er de la loi, V. NTONO TSIMI (G.)
« Le devenir de la responsabilité pénale des personnes
morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un
énoncé général ? » op.cit. p. 221 et
s.
247 Ibid.
248 Ibid.
249 Ibid. Voir article 80, 81, 82.
250 NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la
responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.
Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? » Ibid. pp 221 et s.
251 Ibid. Article 7 « Nonobstant la
responsabilité pénale de leurs dirigeants, les personnes morales
peuvent être déclarées pénalement responsables et
condamnées aux amendes ci-dessus prévues lorsque les infractions
ont été commises par lesdits dirigeants, agissant dans l'exercice
de leurs fonctions ».
59
Un palier est franchi en 2005 avec la loi n°05/015 du 29
décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite
des enfants252 et en 2010 avec la loi sur la
cybersécurité et la cybercriminalité. Tandis que la loi de
2005 prévoit des infractions relatives à l'exploitation des
enfants et fait ainsi entrer dans les domaines déjà assez
étendus des atteintes imputables à la personne morale les
atteintes à l'intégrité des personnes253. La
loi de 2010 quant à elle vise les atteintes à la
sécurité des personnes, à leur vie privée, à
leur honneur254. En somme, on observe d'un point de vu chronologique
l'extension du champ matériel de la répression des personnes
morales, suggéré par la prolifération des textes
spéciaux invitait nécessairement le législateur à
rechercher un énoncé général confirmant cette
tendance.
B- Une extension du champ matériel de la
responsabilité fruit d'un choix tranché
90. Le législateur de 2016 avait des
raisons suffisantes au soutien de l'abandon du principe de
spécialité de la répression des personnes morales, mais
aussi l'appuie légistique nécessaire que lui fournissait les
textes spéciaux. Il ne lui restait donc qu'à définir
comment est-ce qu'il allait envisager l'abandon, mais aussi comment allait
désormais se faire la répression des personnes morales pour les
infractions qui ne leur était pas jusque-là imputable.
Dans ce sens, le législateur camerounais avait le choix
entre l'abandon partiel comme le législateur
brésilien255 ou un abandon total comme le législateur
français256 ; il a fait le choix d'un abandon total (1) du
principe de spécialité. Il avait également le choix entre
l'entreprise ardue de revoir toute sa législation en la matière
afin de déterminer les modalités de répression de la
personne morale pour les infractions qui ne leur était pas
jusque-là applicable ou alors tout simplement énoncer un cadre
général de répression de toutes ces infractions ; il a
fait le choix de la simplicité (2).
252NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la
responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.
Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? » Ibid. pp 221 et s.
253 Ibid.
254 Ibid.
255 L'article 41 du projet de nouveau Code pénal,
brésilien dispose « les personnes morales de droit privé
sont pénalement responsables pour les infractions accomplies contre
l'administration publique, l'ordre économique, le système
financier et l'environnement ». V. Projet de Loi au Sénat (PLS) n°
236/2012.
256 V. l'article 54 de la loi du 9 mars 2004 supprimant le
principe de spécialité en France.
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