2- L'étendue de l'exclusion de l'Etat et ses
démembrements
84. L'alinéa (b) de l'article 74-1 du
Code pénal, exclu à la fois l'Etat camerounais mais aussi de
facto les Etats étrangers. Cela se justifie par le principe de
l'égalité entre les Etats, peu importe leurs formes simple (Etats
unitaire) ou composé (Etat fédéral ;
confédération d'Etats, les Etats régionaux). Les Etats
fédérés, seraient également exclus du champ de la
nouvelle responsabilité.
Il ne reste plus alors qu'à élucider le sort des
communautés ou des Unions, l'intégration régionale et sous
régionale constituant désormais « un effet de mode,
matérialisé par la prolifération des organisations dites
d'intégration notamment en Afrique francophone
»222. On peut citer à titre d'exemple en Afrique
centrale : la Communauté Économique des États de l'Afrique
Centrale (CEEAC)223, la Communauté Économique et
Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC)224 ; En Afrique de
l'ouest : Communauté Économique des États de l'Afrique de
l'Ouest (CEDEAO)225, l'Union Économique et Monétaire
Ouest-Africaine (UEMOA)226.
221 PICARD (M.) « La responsabilité pénale
des personnes morales de droit public : fondements et champ d'application,
in Revue des sociétés, 1993 énonce : «
Sur le plan plus spécifiquement pénal, pourquoi cette
souveraineté générale de l'État justifie-t-elle
encore son irresponsabilité pour celles de ces activités qui ne
sont justement pas souveraines (...) » p. 276.
222 ONDOUA (A-F.), Cours de droit communautaire
institutionnel, dispensé en 3e année licence droit
public, version numérique, année académique 2019-2020, p
1.
223 Traité de Libreville du 18 octobre
1983, révisé dans la même capitale le 18 Décembre
2019.
224 Traité de N'Djamena du 16 mars 1994,
révisé principalement à Yaoundé le 25 juin 2008
puis à Libreville le 30 janvier 2009.
225 Traité de Lagos du 28 mai 1975, révisé
à Cotonou le 23 juillet 1993.
226 Traité de Dakar du 10 janvier 1994,
révisé le 29 janvier 2003.
54
Définit comme « une association d'États
au sein de laquelle ceux-ci mettent en commun certaines de leurs
compétences, acceptent qu'un nombre important de décisions soit
pris à la majorité qualifiée, que ces décisions
s'insèrent dans les ordres juridiques nationaux sans formalité
particulière, et qu'elles l'emportent sur les normes nationales
contraires »227, la communauté ou l'union jouit de
la personnalité juridique228 interne et internationale. Aux
termes de l'article 9 du traité UEMOA il ressort que « L'Union
a la personnalité juridique... » La personnalité
juridique est également reconnue par le traité CEDAO aux articles
88, & 1 du traité « L'Union a la personnalité
juridique internationale... » c'est également le cas du
Traité CEMAC révisé en son article 3.
La question qui se pose est alors celle de savoir si les
communautés ou unions bénéficient des immunités ?
stricto sensu, la majeure partie de la doctrine s'accorde sur le fait que
l'union n'est pas un Etat229, et pour l'heure le flou règne
sur la nature juridique de la communauté ou de l'union, l'on s'accommode
à penser qu'elle est une entité sui generis230.
Mais il s'agit là au fond d'un autre ordre juridique, la
communauté ne doit être pénalement responsable que si les
dispositions du traité le permettent, de lege lata, le
Traité CEMAC révisé ne fait allusion qu'à la
possibilité de mettre en oeuvre la responsabilité civile
contractuelle de l'union.
L'alinéa (b) inclut également les
démembrements de l'Etat. Pour déterminer exactement quels sont
les démembrements de l'Etat, il convient de s'attarder sur la forme de
l'Etat. La République du Cameroun étant un Etat unitaire
décentralisé231, pour déterminer quels sont les
démembrements non susceptibles d'être pénalement
responsables il convient d'inclure les personnes morales reconnues par la loi
à qui l'Etat a transféré une portion de sa
compétence et qui s'administrent librement. D'autres ramifications de
l'Etat unitaire peuvent également être cités comme les
autorités déconcentrées. En réalité, ceux-ci
n'ayant aucune existence propre et donc pas de personnalité morale sont
donc de facto exclus du champ de la responsabilité.
227 ONDOUA (A-F.), ibid. p. 21
228 Cour de justice de l'UEMOA (Avis n° 002/2000 du 22
mars 1999, Demande d'avis complémentaire du Président de la
Commission de l'UEMOA relative à l'interprétation de l'article 84
du traité de l'UEMOA) « ...l'Union constitue en droit une
organisation de durée illimitée, dotée d'institutions
propres, de la personnalité et de la capacité juridique et
surtout de pouvoirs issus d'une limitation de compétences et d'un
transfert d'attributions des EM qui lui ont délibérément
concédé une partie de leurs droits souverains pour créer
un ordre juridique autonome qui lui est applicable ainsi qu'à leurs
ressortissants ». V. ONDOUA (A-F.), ibid. p 19.
229 Ibid. p 20 « si l'organisation
d'intégration dispose de plus en plus de certains attributs de
l'État, elle ne saurait pour l'instant être analysée comme
une entité étatique ». les articles 07 UEMOA ; 58 CEMAC
et 91 CEDEAO donnent raison à cette doctrine.
230 Ibid.
231 Article 1er alinéa 2 de la loi
n°96/ 06 du 18 janvier 1996 Portant révision de la Constitution du
02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi
n°2008/001 du 14 avril 2008.
55
85. Le législateur camerounais a aussi
opté pour une exclusion totale de l'Etat et ses démembrements. Il
n'a pas envisagé le cas particulier des collectivités
territoriales décentralisés232 que sont les
régions et les communes233 et leurs démembrements,
contrairement au législateur français qui opte pour une
distinction en excluant du champ de la répression les
collectivités territoriales décentralisées, lorsqu'une
infraction a été commise au sein d'une activité non
délégable, mais en admettant leur responsabilité pour les
infractions qui ont été commises dans le cadre d'une
activité susceptible de faire l'objet d'une délégation de
pouvoir234. C'est dire qu'en droit français, les
collectivités territoriales décentralisées ne
bénéficient que d'une immunité limitée aux
activités de puissance publique. L'immunité ici porte donc sur
les activités de police générale235, les
activités effectuées pour le compte de l'Etat236
telles que la tenue des registres d'état civil, mais aussi toute
activités régaliennes237. Ce choix du
législateur camerounais de ne pas mentionner les collectivités
territoriales décentralisées peut-il être
interprété comme étant favorable à l'admission
d'une telle responsabilité ? Rien n'est moins sûr.
La nouvelle responsabilité pénale des personnes
morales est étendue quant aux personnes sur lesquelles elle devra
s'appliquer. Mais cette extension s'est voulue prudente et s'est posée
comme seule frontière la personnalité morale, et comme seule
exception l'Etat et ses
232 Article 55 alinéa 2 de la loi n°96/ 06 du 18
janvier 1996 Portant révision de la Constitution du 02 juin 1972,
modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14
avril 2008. Les collectivités territoriales décentralisées
sont des personnes morales de droit public. Elles jouissent de l'autonomie
administrative et financière pour la gestion des intérêts
régionaux et locaux. Elles s'administrent librement par des conseils
élus et dans les conditions fixées par la loi.
233 L'alinéa 1er du même article.
« Les collectivités territoriales décentralisées
de la République sont les régions et les communes. Tout autre
type de collectivité territoriale décentralisée est
créé par la loi ».
234 Article 121-2 du code pénal français qui
dispose « les collectivités territoriales et leurs groupements
ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans
l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de
délégation de service public ».
235 Voir dans ce sens, Cour de cass., Ch. crim., 6 avril 2004,
pourvoi n° 03-82394. « Rares sont, d'un strict point de vue, les
fonctions qu'une collectivité territoriale ne peut en aucun cas
déléguer : ses missions de police à l'intérieur
desquelles celles de sécurité, l'état civil, les
attributions dans le domaine électoral, édiction de
réglementations, notamment d'urbanisme, la délivrance
d'autorisations, comme le permis de construire » BONICHOT (J.-C.),
op.cit., p. 34. V. CA Amiens, 9 mai 2000, Gaz. Pal. 2000., 2, 1413,
note S. Petit.
236« Les activités de service public
insusceptibles d'être déléguées sont celles dans
lesquelles l'autorité territoriales intervient en tant
qu'autorité déconcentrée et agit à ce titre au nom
et pour le compte de l'État » LÉVY (A.), «
L'état de la jurisprudence sur la responsabilité pénale
des personnes publiques dix ans après l'entrée en vigueur du Code
pénal de 1994 », in Droit Administratif, 2004,
étude 12.
237 V. Cour de cass., Ch. crim., 12 décembre 2000,
pourvoi n° 98-83969 ; et Cour de cass., Ch. crim., 11 décembre 2001,
pourvoi n° 00-87707. V. RENOUT (H.), Droit
pénalgénéral, Bruxelles : Larcier, 2013, p. 184.
56
démembrements. Le législateur a opté
à contrario à une extension rationae materiae plus
poussés.
|