1- Les raisons discutées de l'exclusion de l'Etat
et de ses démembrements
83. Plusieurs raisons peuvent être invoquées au
soutien de l'irresponsabilité pénale de l'Etat et de ses
démembres.
En premier lieu, la menace pénale ne devrait pas peser
sur l'Etat et ses ramifications tout simplement parce que cela pourrait
provoquer une confusion entre le sujet passif et le sujet actif de la
réponse pénale206. En effet, ne pas donner
d'immunité à l'Etat aboutirait à des situations
204 Article 98 de l'AUDSCGIE. « Toute
société jouit de la personnalité juridique à
compter de son immatriculation au registre du commerce et du crédit
mobilier, à moins que le présent acte uniforme n'en dispose
autrement ».
205 Art. 5, alinéa 2, 3 de la loi n° 90-53 du 19
décembre 1990, portant sur la liberté d'association au
Cameroun.
206 « L'État, en ayant le monopole de la
puissance publique, détient aussi le monopole de la répression
» HERMANN (J.), op.cit., p. 196. REINALDET DOS SANTOS (T.
J.) « la responsabilité pénale à l'épreuve des
personnes morales : étude comparée Franco-brésilienne
» op.cit. p.146.
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particulières dans lesquelles il serait amené
à se punir lui-même207, car garant de
l'exécution des décisions de justice et donc des décisions
du juge pénal. Mais à la réalité cet argument sur
la possible confusion chez l'Etat des qualités de sujet actif et passif
de la sanction pénale comme une justification de
l'irresponsabilité pénale de ce dernier ne résiste pas
à toutes les critiques. En effet, il est possible de remarquer que
l'Etat peut s'infliger lui-même une sanction208.
D'autres auteurs pensent également que toute peine
appliquée à l'Etat perdrait sa fonction rétributive. En
prenant l'exemple de la peine d'amende, elle n'aboutirait à aucun
appauvrissement de l'Etat dans la mesure où les fonds utilisés
pour payer l'amende sortent pour ensuite faire leur retour dans les mêmes
caisses209. Mais cette vision n'est pas tout à fait exacte
dans la mesure où l'Etat est constitué de différentes
entités qui se distinguent les unes des autres210. Dans le
cas précisément du paiement d'une amende, la caisse de sortie ne
sera pas forcément la caisse d'entrée. Il pourrait avoir un
appauvrissement de l'Etat ou du moins d'une entité de l'Etat et ainsi la
fonction rétributive de la peine pourrait retrouver tout son
sens211.
Bien, plus toute autre sanction pénale pourrait mettre
à mal l'exercice des activités régaliennes de l'Etat et
pourrait entrainer la disparition du contrat social. Ainsi, au mieux les
sanctions comme les fermetures temporaires pourrait nuire à la
continuité du service public212. Au pire les sanctions comme
la dissolution pourrait entrainer la fin de l'Etat. Il parait donc logique au
regard de cela d'accorder une immunité pénale à l'Etat.
Pour autant rien n'empêche d'instituer une responsabilité
pénale au moins en dehors des activités régaliennes de
l'Etat, et l'érection de sanctions spécifiques213. Et
pour ce qui est de la paralysie que pourrait engendrer certaines sanctions,
elle dénote plus de « l'inaptitude de la société
politique à être l'objet de
207 V. COUVRAT (P.), « La responsabilité
pénale des personnes morales - un principe nouveau », op.cit.
p. 1.
208 V. GEEROMS (S.), op.cit. p. 558.
209 « Une peine d'amende n'aurait eu aucune
portée rétributive, pour correspondre à une sortie du
Trésor public, immédiatement destinée... au Trésor
public » MAYAUD (Y.), Droit pénal
général, op.cit. p. 365. Déjà en
1899, MESTRE avait souligné cette question, MESTRE (A.), thèse
op.cit. p. 261. REINALDET DOS SANTOS (T. J.) « la
responsabilité pénale à l'épreuve des personnes
morales : étude comparée Franco-brésilienne »
op.cit. p 436
210 MARÉCHAL (J.-Y.), « Responsabilité
pénale des personnes morales », op.cit. p. 5.
211 « Une peine d'amende n'aurait eu aucune
portée rétributive, pour correspondre à une sortie du
Trésor public, immédiatement destinée... au Trésor
public » MAYAUD (Y.), Droit pénal
général, op.cit. p. 365. Déjà en 1899, MESTRE
avait souligné cette question, voir A. MESTRE, Thèse op.cit.
p. 261. REINALDET DOS SANTOS (T.J.) La responsabilité pénale
à l'épreuve des personnes morales : étude comparée
Franco-brésilienne, op.cit. p 436.
212 « D'autres sanctions porteraient atteinte à la
continuité du service public et iraient au-delà de ce que le juge
administratif lui-même n'aurait jamais imaginé pouvoir faire
» BONICHOT (J.-C.), op.cit., p. 36.
213 « Une éventuelle extension de la
responsabilité pénale des personnes morales à
l'État aurait supposé une réflexion sur les peines
applicables à ce dernier » MARÉCHAL (J.-Y.), «
Responsabilité pénale des personnes morales », ibid.
p. 6.
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certaines sanctions, mais non pas son incapacité
à devenir pénalement responsable. Par conséquent, une fois
déterminées les peines compatibles avec les particularités
de l'État, rien n'empêcherait sa responsabilité
pénale » 214.
En second lieu, il parait logique d'exclure l'Etat du champ de
la nouvelle responsabilité, l'une des conditions de ladite
responsabilité nécessitant que l'infraction soit commise pour le
compte de la personne morale, ce qui pousse à interroger les notions
d'intérêts social. Or l'Etat visant nécessairement la
satisfaction de l'intérêt général, cela passe
à fortiori par le « respect scrupuleux des normes qui
délimitent sa spécialité fonctionnelle
»215. Il y a donc une incompatibilité entre
« le but illégal d'une infraction et la finalité
générale de l'Etat »216. Pourtant, là
encore force est de constater que l'Etat peut trouver un intérêt
dans l'accomplissement d'une infraction directement ou
indirectement217.
La dernière raison développée repose sur
la séparation des pouvoirs, en vertu duquel il est interdit aux
détenteurs du pouvoir judiciaire de contrôler grâce au juge
pénal l'action des autres pouvoirs218. Mais cet argument
semble relatif dans la mesure où un tel contrôle est
déjà admis dans d'autres branches du droit219. Bien
plus, en vertu de l'état de droit représenté par le
principe de juridicité, l'Etat doit se soumettre aux lois qu'il a
lui-même édicté y compris les normes
pénales220. La séparation des pouvoirs
n'empêchant pas la soumission de l'Etat aux lois civiles,
214 REINALDET DOS SANTOS (T. J.), op.cit. p. 440.
Lire aussi « L'impossibilité matérielle d'appliquer une
peine ne saurait entrainer l'irresponsabilité pénale »
de l'État. Voir, MESTRE (A.), Thèse op.cit. p.
201.
215 L'État, « lié par l'obligation
d'agir dans le respect scrupuleux des normes qui délimitent sa
spécialité fonctionnelle, se trouverait de ce fait dans
l'incapacité juridique d'avoir une volonté délictuelle
sous prétexte que ces normes législatives ou
réglementaires ne peuvent jamais lui donner compétence pour
commettre des infractions » FERRIER (B.), op.cit., p.402.
REINALDET DOS SANTOS (T. J.), Thèse, ibid. p 436.
216 Ibid. p 436.
217 Ibid. p. 439.
218 « Jl fut d'abord
considéré que la séparation des pouvoirs n'eût pu
que souffrir d'une telle responsabilité, l'autorité judiciaire
n'ayant pas à connaîtredes actions ou omissions de l'État
dans l'exercice de ses autres fonctions, législative et exécutive
» MAYAUD (Y.), Droit pénal général,
op.cit. p.407.
219 « Certaines activités de
l'État sont déjà soumises à un contrôle et
peuvent donner lieu à des condamnations prononcées à
l'encontre de la Société politique par les tribunaux de l'ordre
judiciaire » REINALDET DOS SANTOS (T. J.), ibid. p. 438.
220 « C'est d'ailleurs le propre de l'État de
droit que de s'autolimiter et, à ce titre, de s'autosanctionner »
PICARD (E.), op.cit., p. 276. « L'administration
participe à l'élaboration des bases légales de la
répression, mais n'en demeure pas moins susceptible de tomber sous le
coup de la loi pénale dans la mesure où cette participation ne se
fait pas selon les formes et conditions prescrites par la Constitution, les
principes généraux du droit, la loi, ou toute autre source de
droit applicable ». FERRIER (B.), « Une grave lacune de notre
démocratie : l'irresponsabilité pénale des personnes
administratives », in Mélanges offerts à Pierre
Montané de la Roque, Toulouse : Presses de l'institut d'études
politiques, 1986 p. 401.
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et administratives, elle ne devrait pas non plus
empêcher la soumission de l'Etat aux normes de droit pénal.
Au regard de ce qui précède force est de
constater que le choix du législateur de 2016 est justifié par
des raisons qui se défendent aisément mais qui ne font pas
toujours l'unanimité au sein de la doctrine. Il nous semble
nécessaire de maintenir l'immunité pénale de l'Etat mais,
la limiter aux activités régaliennes et établir un
régime de responsabilité pénale à son
égard221. Pourtant nonobstant tous ces contres arguments
à l'irresponsabilité pénale de l'Etat et ses
démembrements, le législateur camerounais l'a érigé
et a même défini son étendue.
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