1- Des conditions permettant effectivement l'imputation de
l'infraction à la personne morale dans la majeure partie des cas
42. Les personnes morales, ont pour la plupart une structure
et une organisation définies par la loi, ou par les statuts. Elles
agissent par définition par l'intermédiaire de leurs organes ou
de leurs représentants de telle sorte que les conditions fixées
à l'alinéa (a) de l'article 74-1 du Code pénal, trouvera
toujours application. Et lorsqu'une infraction a été commise en
son sein, elles permettront après analyse de la structure
sociétaire et des statuts de faire ressortir la volonté de la
personne morale, lorsque celle-ci en a profité. Et même dans les
cas où des difficultés surviendraient, dans l'identification de
la personne physique agissant es qualité, la logique
suggérée par la jurisprudence permet de se contenter d'une
identification abstraite basée sur les présomptions.
2- L'ineffectivité constatée de la double
condition de la responsabilité pénale des personnes dans certains
cas
43. Le rattachement de la responsabilité pénale
de la personne morale au modèle identificatoire pose des
difficultés dans son application. Ces difficultés sont de
plusieurs ordres, elles vont de l'impossibilité souvent constatée
d'identifier l'organe ou le représentant ayant agi es qualité ou
même de présumer son intervention ; jusqu'à
l'impossibilité de condamner la personne morale apparemment coupable. Ce
qui a poussé la doctrine à proposer un autre critère
d'imputation de l'infraction à la personne morale
Tout d'abord, il est possible de remarquer que le dispositif
décrit à l'alinéa (a) de l'article 74-1 ne permet pas
d'appréhender ce qui devrait constituer le noyau dur de la
délinquance des groupements, ce que Geneviève
GIUDICELLI-DELAGE décrit comme étant la
délinquance d'entreprise 144 « c'est-à-dire des
infractions dont la consommation est incontestable mais qu'il est impossible
pour des raisons d'anonymat ou de dilution des responsabilités d'imputer
à une personne physique »145.
144 CONSIGLI (J.) « La responsabilité
pénale des personnes morales pour les infractions involontaires :
critères d'imputation », Revue de science criminelle et de
droit pénal comparé 2014/2 n° 2, pp 297 - 310.
145 Giudicelli-Delage (G.), « La responsabilité
pénale des personnes morales en France », in Aspects nouveaux
du droit de la responsabilité aux Pays-Bas et en France, Paris :
LGDJ, 2005., p. 193.
32
Ainsi, dans l'hypothèse où l'identification du
représentant ou de l'organe est impossible soit parce que l'infraction
résulte d'une série d'actes eux-mêmes non fautifs mais donc
l'addition constitue une infraction146, ou dans les cas où
l'opacité dans la gestion de la personne morale ne suggère guerre
qu'une infraction a pu être commise par l'organe où le
représentant147. Dans cette hypothèse
précisément, on aboutirait inévitablement à une
impossibilité de la condamner. L'institution de la responsabilité
pénale de l'être collectif semble vidée de son
utilité, dans la mesure où le groupement verra sa
responsabilité exclue pour des infractions qui parfois « ne
pourront être réalisées que par des personnes morales
» 148.
44. Face à ces difficultés, une
partie de la doctrine a émise l'hypothèse d'une
responsabilité pénale directe de la personne morale sans
représentation fondée sur un défaut
d'organisation149. La théorie organisationnelle ainsi
nommée prône l'engagement de la responsabilité
pénale des personnes morales chaque fois, qu'une infraction peut
être rattachée à une organisation interne
déficiente150. Cette théorie part du principe qu'il
devrait exister des conditions d'imputations propres à la personne
morale qui doivent nécessairement être différentes de
celles applicables aux personnes physiques151. Elle permet de
démontrer que la personne morale a fait un usage inadéquat de sa
faculté d'organisation justement pour des finalités contraires
à la loi.
La thèse de l'imputation basée sur un
défaut d'organisation part ainsi du principe selon lequel les personnes
morales sont libres dans le choix de leur structuration, et dans l'exercice de
cette liberté, elles peuvent faire des choix ne respectant ni les
obligations sécuritaires légalement prévues ni les
dispositions indispensables pour empêcher la commission d'infractions en
son sein152. La théorie organisationnelle semble
néanmoins poser quelques
146 CONSIGLI (J.) « La responsabilité
pénale des personnes morales pour les infractions involontaires :
critères d'imputation », ibid. pp 297-310.
147 Ibid.
148 COUVRAT (P), « La responsabilité pénale
des personnes morales - un principe nouveau », in Petites
Affiches, 6 octobre 1993, n° 120. p. 15. LOMBOIS (C.), Droit
pénal général, Hachette, 1994, p. 73 : «
Rien n'exclut, textuellement, la possibilité d'infractions propres aux
personnes morales ».
149 CONSIGLI (J.) « La responsabilité
pénale des personnes morales pour les infractions involontaires :
critères d'imputation » ibid.
150 NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la
responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais.
Des dispositions spéciales vers un énoncé
général ? op.cit. p 221 et s.
151 « Une culpabilité distincte, autonome, la
personne morale commettant sa propre faute rattachée à la
même infraction, mais produit de sa structure, de son modèle de
gouvernement » COEURET (A.) « La responsabilité
pénale en droit pénal du travail : vers un nouvel
équilibre entre personnes physiques et personnes morales », in
Dépénalisation de la vie des affaires et responsabilité
pénale des personnes morales, Paris : PUF, 2009, p.306. L'auteur
utilise l'appellation « culpabilité » pour faire
référence à ce qu'on appelle « imputabilité
».
152 « L'élément matériel de
l'infraction accomplie par la personne morale est un défaut dans son
organisation » BAJO FERNÁNDEZ (M.), FEIJÓO SANCHEZ (B.)
et GÓMEZ-JARA (C.) DÍEZ, op.cit., p. 122.
33
difficultés dans ce sens où elle peut tendre
à l'extension du champ de la responsabilité pénale des
personnes morales tout comme elle peut la limiter drastiquement153.
En effet, toutes les infractions commises pour le compte de la personne morale
par des personnes qui l'incarne n'engagera pas la responsabilité de
celle-ci si elle ne relève pas d'un défaut d'organisation, cela
reviendrait à exclure la personne morale de la plupart des
activités criminelles en son sein.
45. D'un autre côté la
théorie de l'organisation défectueuse, si elle peut s'appliquer
aisément pour les infractions consommées surtout les infractions
d'imprudence (dans la mesure où le défaut dans l'organisation
peut caractériser une faute d'imprudence qui augmente le risque de
commettre l'infraction), parait moins adaptée aux infractions simplement
tentées154. La répression de la tentative dans le cas
des personnes morales s'avèrera plus compliquée, en effet,
comment démontrer que la personne morale à tenter de commettre
une infraction en créant un défaut d'organisation ? L'imputation
par une organisation défectueuse semble poser autant de problème
qu'elle n'en résout, raison pour laquelle le législateur
camerounais ne l'a pas consacrée, selon nous, il serait
préférable d'adopter une vision nuancée en appliquant le
modèle d'imputation par identification pour les infractions
intentionnelles et le modèle d'imputation pour défaut
d'organisation pour les infractions d'imprudence. D'autres systèmes
pénaux utilisent le défaut d'organisation comme un système
d'organisation subsidiaire lorsque l'identification de la personne physique
agissant es qualité est impossible155.
La précision des conditions de la responsabilité
des personnes morales a entrainé de façon directe une
revigoration de l'obligation de subir pesant sur les personnes morales, tout
ceci grâce à sa cohérence mais aussi à son
effectivité. Même si elle présente quelques limites, la
double condition imposée par l'alinéa (a) de l'article 74-1
parait difficile à remplacer surtout
153 « Le modèle organisationnel peut, de
façon concomitante, limiter ou élargir le champ d'application de
la responsabilité pénale des groupements. D'un côté,
si l'on pense au lien de causalité global proposé par un tel
modèle, on peut dire qu'une telle idée de causalité va
élargir l'application de cette responsabilité, car finalement la
structure de la personne morale peut être à l'origine de toutes
les infractions accomplies au sein du groupement. Néanmoins, d'un autre
côté, le modèle organisationnel exige la
démonstration d'un défaut dans l'organisation ou dans la
structure du groupement pour sa responsabilité pénale, une telle
exigence va nécessairement limiter l'application d'une telle
responsabilité, notamment dans le cadre de la théorie de la faute
distincte. En effet, on crée une condition additionnelle pour la
reconnaissance de la responsabilité pénale de la personne morale,
alourdissant par conséquent le mécanisme de la
responsabilité » REINALDET DOS SANTOS (T-J.) La
responsabilité pénale à l'épreuve des personnes
morales : étude comparée Franco-brésilienne op.cit.
7 p. 136. SAINT-PAU (J.-C.), « La responsabilité des personnes
morales : réalité et fiction », op.cit. p. 86.
154 La tentative regroupant toutes les hypothèses
d'exécution infructueuse de l'infraction à savoir la tentative
interrompue, la tentative manquée, la tentative impossible.
155 Code pénal suisse article 102 alinéa 1
« un crime ou un délit qui est commis au sein d'une entreprise
dans l'exercice d'activités commerciales conformes à ses buts est
imputé à l'entreprise s'il ne peut être imputé
à aucune personne physique déterminée en raison du manque
d'organisation de l'entreprise (...) ».
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par un mécanisme d'imputation basé sur un
défaut d'organisation. Pourtant il nous semble qu'elle pourrait
néanmoins être complétée pour combler ses lacunes
dans le cadre des infractions d'imprudence ou lorsque l'impossibilité
d'identifier l'organe ou le représentant sera inévitable. Un
autre facteur également prévu par le législateur a fait
retrouver toute sa vigueur à l'obligation de subir la
répression.
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