Paragraphe 2. Le maintien de la paix et de la
sécurité internationale
Le CS des Nations Unies a été investi du pouvoir
d'assurer l'application des paragraphes 3 et 4 de l'art 2 de la charte. La
limitation du recours à la force dans les relations internationales
interdit, en principe, à l'État de se faire justice à
lui-même; et, parallèlement, la société
internationale a promu un système cohérent de
sécurité collective, centralisé autour des Nations Unies,
qui bénéficie, en principe, d'un quasi-monopole de la
compétence de recourir à la contrainte49.
Cependant, il existe une exception à ce principe
tirée de l'art 51 de la charte qui dispose qu' « aucune
disposition de la présente charte ne porte atteinte au droit naturel de
légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas
où un membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée
jusqu'à ce que le CS ait pris des mesures nécessaires pour
maintenir la paix et la sécurité internationales ». Et
la place même de cet article au chapitre VII est significative.
On comprend donc que la seule voie possible pour recourir
à la force est celle de légitime défense, individuelle ou
collective, en cas d'agression armée. Et Partant, la Charte ne
déroge pas à la règle. En d'autres mots, la charte
reconnaît qu'il peut arriver que le CS ne soit pas toujours à
même de réagir, en raison du veto que détiennent les
grandes puissances, ou que s'il agit, son action pourrait être trop lente
pour protéger un État membre contre une agression. D'où
l'État ou les États sont en droit de recourir à la force
pour leur légitime défense jusqu'à ce que le CS agisse.
Par suite, il ne faut pas que la théorie de la
légitime défense puisse servir de prétexte aux
États pour s'arroger le droit de recourir à la force dès
qu'ils estiment la paix mondiale menacée. Pour agir au titre de la
légitime défense collective, tout État doit prouver qu'une
agression contre un autre État constitue aussi une agression contre
lui-même. Quand l'État est lié à la victime par un
pacte d'assistance réciproque, l'agression contre une partie doit
effectivement être présumée constituer l'agression contre
l'autre. Mais en l'absence d'un tel pacte, rien ne justifie pareille
présomption et il incombe donc à celle des parties qui entend
49 Nguyen Q. D.et alii, Op. Cit., 5ème
éd., P. 91
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exercer le droit de légitime défense collective
d'établir que l'agression dirigée contre la victime constitue
aussi une agression contre elle-même50.
Le problème qui se pose actuellement est celle de
déterminer ce que c'est qu'une agression armée (A), une
légitime défense (B).
A. L'agression armée.
L'agression n'a pas été définie dans la
Charte des Nations Unies alors que c'est un élément directement
lié au système de sécurité collective. Il a fallu
attendre une vingtaine d'années parce qu'il était politiquement
utile de pouvoir qualifier d'agresseur un État agissant en violation de
droit international, et parce que l'art 39 de la Charte limite une action
coercitive du CS en vertu des art 41et 42 de la même Charte au cas
où existe une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte
d'agression. D'où une mise en oeuvre satisfaisante du principe suppose
donc une définition universellement admise de l'agression.
C'est par suite d'un consensus que près de 30 ans
après l'entrée en vigueur de la charte, que l' assemblée
générale a adopté la résolution 3314 ( XXIX ) du 14
Décembre 1974 relative à la définition de l'agression.
Mais, avant son adoption, il a existé deux courants de
pensée. D'un coté, les occidentaux et de l'autre les pays de
l'Europe orientale. Les premiers « souhaitaient une définition
générale qui put s'appliquer à n'importe quelle situation
pertinente et où l'accent serait mis sur l'animus agressionis
» et les seconds voulaient que soient énumérés
les actes susceptibles d'être qualifiés
d'agression51.
Partant de ces deux courants, on peut remarquer que la seconde
thèse, celle des orientaux, est trop exclusive ou limitative. Elle met
un accent particulier sur la différence qu'il faut toujours
établir entre un différend, qui nécessite intervention des
Nations Unies, et une situation qui peut ne pas attirer l'attention du CS. Elle
veut donc qu'il y ait une marge d'intervention du CS et une marge
au-delà de laquelle il faut toujours considérer que si la paix et
la sécurité internationales sont maintenues. La première
thèse, par contre, est plus ouverte ou mieux plus englobante en ce sens
que l'essentiel, c'est l'animus agressionis. Que le fait soit
traité de différend ou de situation, cela importe moins. Il faut
plutôt chercher à savoir quelle était l'intention avant de
poser l'acte. En fin de compte, la définition adoptée associe les
deux approches.
50 Bedjaoui M., Op.cit, T2, P. 780
51 Idem, P. 784
52 Idem, P. 776
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L'art 1er définit l'agression comme étant :
« l'emploi de la force armée par un État contre la
souveraineté politique, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance d'un autre État, ou de toute manière
incompatible avec la charte des Nations Unies ». Ce qui fait que
cette définition retenue ne concerne que l'agression armée, comme
dans l'art 51 de la charte dont elle est supposée faciliter la mise en
oeuvre.
Mais qu'est-ce l'agression armée.
Du point de vue étendue.
La résolution étend l'agression à
l'emploi de la force armée dans tous les cas où l'art 2 §4
de la charte l'interdit, c'est-à-dire à tout recours à la
menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de
toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies,
notamment par la répression de « tout acte d'agression ou autre
rupture de la paix ... »( art 1 §1de la Charte ).
Cependant, la portée de la définition est
limitée: elle ne s'étend pas aux menaces. L'une des
interprétations possibles est que la mention de « l'agression
armée » signifie que le droit de légitime défense
n'existe qu'en cas d'agression armée; l'expression « dans le cas
où » signifierait donc « dans le cas et seulement dans le cas
où »52. Selon cette interprétation, il ne peut
pas exister d'agression armée préventive et par conséquent
illicite.
En outre, à son art 2, la résolution dispose que
« l'emploi de la force armée ... par un État agissant le
premier constitue la preuve suffisante à première vue d'un acte
d'agression ». Ce qui implique qu'une simple recommandation de
l'assemblée générale au CS peut la mettre en oeuvre dans
un sens extensif. C'est une faculté «compte tenu des autres
circonstances pertinentes ».
D'où, il n'est pas étonnant que le CS
disqualifie un acte manifestement d'agression parce qu'il estime que ses «
conséquences ne sont pas d'une gravité suffisante ». Et
partant, il n'est pas malaisé de croire que cette précision de
l'art 2 autorise à prendre en considération les interventions de
l'État qui recourt à la force armée.
Parlant de l'État, il faut l'entendre au sens de la
Charte ( art 4 §1 ). Ce qui veut dire qu'il doit être capable de
remplir les conditions d'adhésion à l'ONU même s'il
n'adhère pas, exception faite des mouvements de libération
nationale qui ne participent aux assises de l'organisation que comme
observateurs sans droit de vote. C'est seulement cet État là qui
doit être victime d'une agression armée, qu'il soit membre ou non
de l'organisation, ou qui doit être
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agresseur. Les conflits internes ouverts d'un État ne
sont pas constitutifs d'agression armée quelle que soit « la simple
assistance à des rebelles ou des manoeuvres militaires, ou l'envoie de
fonds ou d'armements à des rebelles53 par un État
tiers ( conclusion de la C.I.J. dans l'affaire relative aux activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua ( arrêt du 27Juin 1986 ).
Bien plus, le CS peut « qualifier d'autres actes
d'agression conformément aux dispositions de la charte » ( art 3 ).
C'est de cet article que découle les actes qualifiés d'agression,
selon la thèse de certains pays de l'Europe orientale.
Certains auteurs parlent même, à propos de cet
article, de « groupes d'actes » et en énumèrent six,
dont chacun, qu'il y ait eu ou non déclaration de guerre, est
censé remplir les conditions d'un acte d'agression... Ce sont :
l'invasion ou l'attaque, l'occupation ou l'annexion du territoire ou d'une
partie du territoire d'un autre État; le bombardement; le blocus; le
fait de mettre son territoire à la disposition d'un autre État
pour perpétrer des actes d'agression contre un autre État
tiers;l'envoie par un État ou en son nom des bandes ou des groupes
armés, de forces irrégulières ou régulières,
qui se livrent à des actes de forces armées contre un autre
État d'une gravité telle qu'ils équivalent aux actes
énumérés ci-dessus ou le fait de s'engager d'une
manière substantielle dans une telle action54.
Il sied de remarquer que, pour que ces actes soient
qualifiés d'agression, il faut l'aval du CS ( art 2 ) en tant que
responsable principal en matière de maintien de la paix et de la
sécurité collective ( art 24 de la charte).C'est le CS qui, en
définitive, décide, même si la résolution
émane de l'Assemblée Générale. Rien ne peut
être invoqué aussi longtemps que le CS n'a pas pris les mesures
nécessaires pour maintenir la paix.
L'art 5 de la résolution, par contre, énonce
trois principes distincts en rapport avec l'agression. Tout d'abord, aucune
excuse, de quelque nature que ce soit, politique, économique, militaire
ou autre, ne saurait justifier l'agression. Deuxièmement, une guerre
d'agression donne lieu, exactement comme en a décidé le Tribunal
de Nuremberg, à responsabilité pénale de la part de
l'alter ego de l'État. Troisièmement, et là encore, le
principe ne fait pas conforter le droit international coutumier, aucune
acquisition territoriale ni aucun avantage spécial résultat d'une
agression ne sont licites ni ne seront reconnus comme tels55.
Théoriquement, cet article s'étend non seulement
aux biens, au patrimoine ou avantages acquis par et à l'issue d'une
agression mais aussi il précise que, quelles que soient les raisons
avancées par un État pour justifier sa présence sur le
territoire d'un autre État, elles ne peuvent
53 Nguyen Q. D. et alii, Op. Cit., P. 865
54 Bedjaoui M., Op. cit, T ,P. 784
55 Idem, P. 784
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justifier l'agression ou lui épargner de la
responsabilité pénale avec son corollaire qui est la
réparation des préjudices subis par l'État victime
d'agression par le payement des dommages et intérêts.
Pratiquement, la mise en oeuvre de cet article est problématique, compte
tenu des intérêts en présence. Les grandes puissances
n'hésitent pas à faire valoir leur droit de veto, et aucune
contestation n'est possible si l'agresseur est l'un des membres permanents - si
non l'un des protèges par eux.56
Même si, lors du vote au CS, une partie à un
différend a l'obligation de s'abstenir de voter ( art 27 §3 de la
charte), directement s'il est membre du CS ou indirectement s'il ne l'est pas,
il peut en effet demander que l'on vote d'abord sur la question de savoir s'il
existe un différend. Le droit de veto sur cette question
préalable lui permet de s'opposer à ce que l'existence d'un
différend soit constatée57.
Toutefois, conformément à la charte ( art 2
§7 ), le principe relatif au « devoir de ne pas intervenir dans les
affaires relevant de la compétence nationale de l'État », ne
permet pas aux États tiers d'intervenir, ni directement ni
indirectement, que ce soit pour des raisons sécuritaires,
économiques ou culturelles, dans les affaires intérieures d'un
État qu'avec son autorisation. La volonté de l'État n'est
pas requise, par contre, pour des raisons extrêmement humanitaires
notamment en cas des crimes internationaux comme le génocide,
l'agression, l'atteinte grave à l'environnement humain, le maintien par
la force d'une domination coloniale, en particulier ( art 19 §3 de la CDI
).
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