B.La légitime défense.
La défense des États est une prérogative
réservée au CS des Nations Unies en vertu de l'art 24 §1 de
la charte. Aucun État ou groupe d'États ne peut se rendre justice
à soi-même ( art 2 §4 de la charte). Telle est la conception
actuelle du droit international qui,, prend ses racines aux Nations Unies.
Toutefois, il arrive des situations où la rigueur de
ces principes doit fléchir : c'est par exemple le cas, lorsqu'un
État ou un groupe d'États est exposés à une
agression grave qui causerait un mal irréparable s'il devait attendre la
prise des mesures nécessaires pour maintenir la paix et la
sécurité internationales par le CS ( art 51 de la charte ). Dans
ce cas, il a non seulement le droit, mais aussi le devoir de repousser la force
par la force.
56 Nguyen Q. D. et alii, Op. Cit., T , P.
929
57 Bedjaoui M., Op. Cit., T , P. 593
30
Cependant, cette façon de se protéger contre
l'agresseur s'appelle « légitime défense ».Et la
légitime défense peut donc se défini comme étant
l'emploi direct et nécessaire de la violence pour repousser une
agression injuste qui se commet contre58 son indépendance
politique, sur son territoire ou celle d'un État tiers.
C'est pourquoi, la légitime défense est un droit
qui peut être mis en oeuvre, collectivement tout autant
qu'individuellement; ce qui est de nature à assurer les petits
États qui ne peuvent compter, pour leur sécurité dans les
conditions traditionnelles, que sur une alliance classique 59.
De plus, le recours à la force armée n'est
autorisé que pour repousser une agression armée. Le recours
légitime à la force, sous toutes ses formes, et non pas seulement
sous la forme militaire, n'est donc légitime que s'il fait respecter le
droit60.
1. Les conditions d'existence de la légitime
défense.
Situé au coeur de la charte, au chapitre VII ( action
en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'actes d'agression
), l'art 51 constitue la plus grande exception à l'interdiction de
l'emploi de la force qui soit prévue par la charte.
L'art 51 dispose, en effet qu' « aucune disposition
de la présente charte ne porte atteinte au droit naturel de
légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas
où un membre des Nations Unies est l'objet d'une agression,
jusqu'à ce que le CS ait pris des mesures nécessaires pour
maintenir la paix et la sécurité internationales...
»
Néanmoins, la façon exacte dont il convient
d'interpréter l'art 51, ainsi que ses rapports
avec l'art 2 §4 de la même charte, ont donné
lieu à plus de controverses que tout autre article de
la charte. Qu'à cela ne tienne, certains
éléments de légitime défense sont clairs.
Pour que soit retenue la légitime défense, quatre
conditions doivent être remplies :
- L'actualité de l'attaque
- La proportionnalité dans la riposte à
l'attaque
- l'instantanéité pour repousser
l'attaque.61
A ces trois éléments, le droit international public
ajoute un quatrième qu'est l'agression armée
dirigée contre un État.
58 NYABIRUNGU M., Droit Pénal
Général Zairois, Kinshasa, éd. DES, 1989. P.130
59 Nguyen Q. D.et alii, Op. Cit., éd ,
P. 863
60 Bedjaoui M., Op. cit, T2, P.762
61 NYABIRUNGU M., Op.Cit. P.
31
a. L'actualité de l'attaque.
Cet élément est essentiel dans la
légitime défense en ce sens que l'État qui l'exerce doit
réagir à un préjudice subi, une agression armée.
Dans ce cas, il faut que la défense soit simultanée à
l'agression.. Il n'y aura pas de justification si le danger est passé ou
réalisé, ou encore si le mal est futur.
C'est dans ce cadre même que la légitime
défense peut être organisée collectivement ou
individuellement. Mais la question à laquelle il convient de trouver une
solution est celle de savoir : à quelle condition doit répondre
un accord de légitime défense collective pour correspondre aux
prévisions de l'art 51 de la Charte.
La question a parfois fait l'objet des controverses, en
particulier de la part de l'URSS à l'égard de l'alliance
Atlantique. Il doit s'agir d'un accord librement consenti62 par
lequel les parties s'engagent à considérer qu'une agression
dirigé contre une autre constitue une agression pour toutes les
autres.
L'existence d'un tel accord autorise tout État partie,
et non pas seulement la première victime de l'agression armée,
à invoquer la légitime défense Collective pour entrer dans
le conflit armé. Au titre de l'art 51, chaque État exerce son
droit propre.
Il n'est pas nécessaire que l'accord sur lequel se
fondent les États soit antérieur au déclenchement de
l'agression. On admet qu'une intervention sollicitée par un Etat victime
d'une agression armée reste soumise au droit de la légitime
défense collective63.
C'est ainsi que lors de la guerre du Golf, bien que les
sanctions économiques aient été décidées en
vertu du chapitre VII de la charte, les États-Unis eux-mêmes, bien
décidés à garder entièrement le contrôle de
l'opération, n'ont pas demandé la mise en application de ce
même chapitre VII en ce qui concerne les sanctions militaires. Ce n'est
pas le comité d'état-major tel qu'organisé par l'art 47 de
la charte qui a pris la direction de l'opération; et, contrairement
à ce qui s'était passé pour la guerre de Corée, ce
n'est pas le drapeau des Nations Unies qui a été distribué
aux troupes, même si des nombreux pays ont envoyé quelques
unités modestes pour soutenir symboliquement l'action des
États-Unis.64 Les États-Unis ont
préféré plutôt agir sur base de l'art 51 de la
Charte ( la légitime défense collective ). Et la preuve c'est que
les États-Unis se sont affranchis de toute entrave extérieure,
qu'il s'agisse de la communauté internationale ou, plus
concrètement, du conseil de sécurité de
62 Art 52 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités.
63 Nguyen Q. D.et alii, Op. Cit., P.865
64 Bertrand M., Op. Cit.T , P. 96
32
l'ONU. Pour la seconde fois, l'Irak fut bombardé dans
la nuit du 16 au 17 Décembre 1998 aussitôt après la
publication du rapport Butler. Et ce, sans l'aval préalable du conseil
de sécurité de l'ONU. Peu importe la position prise par la Russie
et la Chine qui, cette fois, ont bel et bien dit qu'elles « condamnaient
» l'initiative américaine, et les regrets de la France importent
encore moins. L'Amérique fait ce qu'elle a décidé de
faire, la complicité docile et prévisible de la Grande Bretagne
lui suffit65.
Dans le même ordre d'idées,
l'éventualité d'une agression commise par un membre d'une
organisation régionale contre un membre d'une organisation rivale
s'inscrivait non pas dans le cadre du chapitre VIII mais dans celui de l'art
51, sur base duquel avait été créés l'OTAN et le
Pacte de Varsovie, précisément pour surmonter le blocage de
l'ONU66.
En outre, si l'agression est lointaine ou future,
l'État ou les États n'ont pas le droit de recourir à la
violence, car ils ont le temps de régler pacifiquement leur
différend ( art 2 §4; 33 de la Charte) et de saisir le CS, en tant
que « responsable principal du maintien de la paix et de la
sécurité internationales »( art 24 §1 de la Charte),
pour leur protection.
b. L'injustice subie.
Il est évident que la légitime défense,
par ses mesures, doit être proportionnée à la menace et
nécessaire. Cependant, l'application de ce principe peut poser des
difficiles questions d'équilibre et d'appréciation : un
État est-il par exemple fondé à recourir à une
attaque nucléaire limitée pour arrêter une colonne
blindée ? Toutefois, ce principe est néanmoins fort utile parce
qu' il freine l'escalade de la force.67
.
c. L'instantanéité de la
riposte.68
En outre, les mesures prises dans l'exercice de la
légitime défense doivent être instantanées,
irrésistibles, ne laissant ni le choix des moyens ni le temps de
délibérer ... Toutefois, quand il est impossible de prendre
immédiatement des mesures parce que, par exemple, la victime ne dispose
pas d'une force armée dans la région où l'attaque a eu
lieu, les
65 Jeune Afrique, Le temps du Monde,
Kabila peut-il encore réussir ? 39 ème année,
hebdomadaire international indépendant, n°1980-1981 du 22
Décembre 1998 au 4 Janvier 1999,.P.14
66 Charpentier J., Op. Cit., P. 99
67 Bedjaoui M., Op. Cit., T2, P. 774
68 ibidem
33
actes de légitime défense ne sont pas interdits
même s'ils ne peuvent pas normalement être considèrer comme
immédiats.
d. L'agression armée dirigée contre un
Etat.
La légitime défense est fondée d'abord
lorsque l'agression armée est dirigée contre un État
:contre son indépendance politique, sa souveraineté, son
territoire, ses richesses ou ses frontières. L'art 51 de la charte rend
ainsi nécessaire la défense d'autrui ( la défense
collective ) lorsqu'elle ne comporte aucun risque pour soi-même ou pour
les tiers ( les États non impliqués dans le conflit ). C'est
pourquoi, la consécration de la légitime défense vise
d'abord la protection physique de l'Etat victime.
Par ailleurs, font également corps avec la
légitime défense, les agressions génératrices des
catastrophes humanitaires : exécutions sommaires, extermination, mise en
péril de l'intégrité corporelle ou sexuelle, etc. Ce qui
fait qu'il ne faut pas seulement retenir la légitime défense
contre l'atteinte à la personnalité de l'État, elle est
également la défense est autorisée pour repousser toute
pratique allant dans le sens de crime contre l'humanité ou contre la
paix.
Cependant, la riposte aux atteintes à l'honneur telle
que la diffamation, la calomnie, la réputation ou l'insoumission n'est
pas justifiée pour prétendre agir en vertu de l'art 51 car on
considère que la victime ne se trouve pas menacée par un danger
grave et irréparable. Elle peut recourir aux us et usages diplomatiques
pour obtenir réparation.
2. Conditions d'exercice de la légitime
défense.
La condition d'exercice sous-entend la mise en oeuvre de la
légitime défense. Comment doit procéder la victime d'une
agression pour la repousser ?
La riposte, pour être justifiée, doit être
proportionnée à l'attaque subie ou dont on est menacée.
Mais il est difficile d'évaluer avec exactitude le degré de
proportionnalité quand un État victime riposte à une
agression dirigée contre lui alors même que les modalités
d'exercice de la légitime défense ne sont pas définies de
manière complète par l'art 51 de la charte et - qu'ils - se
trouvent précisées par des normes
coutumières.69
Dans la plus part des cas, seules les pratiques de destruction
massive sont interdites. Autrement dit, le droit international humanitaire qui
peut seul évaluer la proportionnalité parce
69 Nguyen Q. D.et alii, Op. Cit., éd ,
P.865
34
que l'agresseur occupe, envahit ou annexe déjà
le territoire de l'État qui doit se défendre contre
l'injustice.
Cependant, il est généralement admis que
l'appréciation de la proportionnalité doit tenir compte du fait
que celui qui repousse une agression injuste prend sa décision dans le
vif de l'action et qu'il ne saurait être question de lui tenir rigueur de
n'avoir pas fait une évaluation quasi-mathématique entre le
danger qu'il encourait et le mal qu'il a infligé. On exigera toutefois
une appréciation raisonnable, compte tenu des circonstances. On pourra
même tolérer que le bien sacrifié par la défense
soit légèrement supérieur au bien sauvegardé. Ce
qu'il faut rejeter, c'est la nette disproportion entre, d'une part, la
défense et d'autre part, le caractère et le danger de
l'agression.
En cas d'excès non intentionnel dans la défense,
celle-ci pourra néanmoins être prise en compte en conduisant
à une qualification moins grave.70
3. Les cas regrettables de la sécurité
collective face à la légitime défense.
L'art 51 de la Charte poursuit en ces termes : « ...
les mesures prises par les membres dans l'exercice de ce droit de
légitime défense sont immédiatement portées
à la connaissance du CS et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir
qu'à le conseil, en vertu de la présente charte, d`agir à
tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales
».
Cet article ramene toujours les États à la
mission principale qu'ils ont confiés au CS,
particulièrement l'art 24 §1 de la charte, celle
de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Bien au-delà de cette mission,
il convient aussi de remarquer qu'aucune action, surtout dans le cadre des
accords régionaux, ne peut être entamée pour maintenir la
paix sans l'aval préalable et « exprès » du
CS.
En effet, cet organe joue un role décisif dans la mise
en application de l'art 51. Le droit de légitime défense ne peut
être invoqué qu'aussi longtemps que le CS n'a pas pris les mesures
nécessaires pour maintenir la paix et il doit être exercé
en tenant immédiatement informé le conseil des mesures
prises.71 Peut-être que les « Pères fondateurs
» des Nations Unies avaient estimés qu'il ne faut pas que la
théorie de légitime défense collective puisse servir de
prétexte aux États pour s'arroger le droit de recourir à
la force dès qu'ils estiment la paix mondiale menacée.
70 NYABIRUNGU M,Op.cit, P. 136
71 Nguyen Q. D.et alii, Op. Cit., éd,
P.864
35
Ainsi, l'ONU, même s'elle ne s'oppose à
l'existence des accords ou des organismes régionaux destinés
à régler les affaires qui touchent au maintien de la paix et de
la sécurité internationales »( art 52 §1 de la Charte
), exerce cependant sur eux un droit de regard sur les activités des
institutions spécialisées; sur le plan de la
sécurité, les organismes régionaux ( comme l'OTAN ou le
Pacte de Varsovie ) ne peuvent prendre d'initiative militaire sans l'accord
préalable du CS72
En plus, la charte fut rédigée en se fondant sur
deux postulats : tout d'abord, une action coercitive d'exécution ne peut
être menée avec succès que si toutes les grandes puissances
y consentent. Essayer d'obtenir l'exécution par la contrainte en
l'absence d'un tel consentement reviendrait à déclencher une
guerre mondiale. Ensuite, les grandes puissances ont toutes le même
intérêt général à empêcher les
guerres.73 Toutefois, le droit de veto peut s'exercer comme
conséquence, une puissance n'appartenant pas à la région
peut opposer son veto, au CS, à une action coercitive de
caractère régional, soit pour protéger sa
clientèle, soit pour toute autre raison. Lorsque, paralysé par un
veto ou par les divergences d'opinion de ses membres, le CS n'est pas en mesure
de qualifier une situation - ni même de la constater ( art 39 de la
Charte ) - ou de prendre des mesures coercitives, il laisse un champ
inédit au principe de légitime défense. Et l'on sait
combien est fréquente cette hypothèse.74
Partant, les États ou les organismes régionaux
sont donc investis du pouvoir d'apprécier eux-mêmes la
licéité de leurs actions en invoquant la légitime
défense, et que le CS ne procédera même pas à une
constatation faisant autorité. De même, parce que paralysé
par le veto, le CS ne prendra pas des mesures coercitives prévues
à l'art 41 de la charte alors que la légitime défense
n'est qu'un droit temporaire pour faire face à l'agression
jusqu'à ce que le CS agisse. Faute d'intervention du CS, les
États agissent de façon licite, en vertu de l'art 51, et se
trouvent contraints à l'escalade et amenés à livrer une
guerre majeure. Une façon polie et mature de légitimer la rupture
de la paix et de la sécurité internationales.
72 Merle M., Op. Cit., P.363
73 BedjaouiM., Op. Cit, T ,P. 788
74 Nguyen Q. D.et Alliés, Op. Cit., T
, P. 864
36
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