B. La légalité tend à limiter
l'arbitraire de la liberté de preuve
38. La légalité de la preuve constitue une
protection contre les risques d'arbitraire. Il est reconnu que la
recherche des preuves dans le procès pénal doit éviter
tout risque d'arbitraire, la non-reconnaissance du principe de la
légalité des preuves ouvrant la porte aux abus et aux arbitraires
de toutes sortes. Une liberté absolue dans la recherche des preuves
implique nécessairement qu'il faut craindre de l'arbitraire surtout que
la recherche de la preuve risque de porter atteinte aux libertés
individuelles et nécessite parfois certaines mesures de
288
coercition . En fait, seules les règles de
procédure pénale qui organisent la recherche de la
preuve protègent de l'arbitraire toute personne lors du
procès pénal
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289
|
. Dire que le principe de
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65
la liberté de la preuve est un principe absolu
permettant l'utilisation de tous les moyens de preuve sans aucune restriction
ou condition signifie qu'il est possible d'utiliser tous les moyens de preuve
susceptibles d'établir la vérité sans aucune distinction
entre les moyens légaux d'une part, c'est-à-dire ceux
autorisés par la loi, et les moyens ou procédés de preuve
illégaux ou illicites non autorisés par la loi et les principes
généraux d'autre part. Ce qui tend pratiquement à
sacrifier les libertés individuelles au nom de la sécurité
et la protection de l'ordre social afin de rechercher les infractions, leurs
auteurs et de rassembler les
290
preuves . Donner au principe de la liberté de preuve
une acception trop exagérée implique qu'il n'existe pas de
limites face à la liberté de la preuve, et qu'il est donc
possible de prouver
288 V. M.-E. Boursier, Le principe de
loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 93 : « Ce
double rôle de protection et de répression ne doit donc pas
s'exercer alternativement mais doit bien faire l'objet d'un équilibre
par la mise en place de règles encadrant la mise en oeuvre de la
liberté probatoire par les règles relatives à
l'administration de la preuve ».
289 V. D. Dechenaud,
L'égalité en matière pénale, Thèse
de droit, L.G.D.J., 2008, Préface de Patrick Maistre du Chambon, n°
440, p. 285 : « La détermination des mesures qui peuvent
être diligentées par les policiers et les magistrats relève
du législateur, à qui il appartient d'arbitrer souverainement
entre les intérêts opposés en présence. Le
répertoire des actes qu'il a dressé est vaste ».
290 V. sur l'objet du système
répressif : J-C. Soyer, Droit pénal et Procédure
pénale, 21e éd., L.G.D.J., Paris, 2012, n°
1, p. 15 : « Dans notre société, le système
répressif contemporain s'attache à concilier la protection de
l'ordre social et la sauvegarde des libertés individuelles
».
66
la perpétration de l'infraction par tous les moyens
disponibles, ouvrant ainsi la voie à la violation des droits et
libertés des individus voire à de nouvelles infractions afin
d'obtenir la preuve pénale. Cependant, dans un État de droit, il
est impossible que le principe de la liberté de la preuve soit sans
limites et sans contrôle du champ de cette liberté afin
d'éviter
tout abus et arbitraire 291 . Par conséquent, le
législateur a prévu et déterminé soigneusement la
recherche de la preuve pénale, ainsi que la forme procédurale que
l'opération doit avoir. En outre, le législateur a imposé
certaines conditions impératives et applicables à certains moyens
de recherche ou encore à la production de la preuve, comme les
conditions de perquisition, la détermination des heures d'accès
aux domiciles, ou encore les garanties de l'interrogatoire. Ces conditions
représentent donc la légalité qui empêche l'abus et
la violation des droits fondamentaux dans l'application du principe de la
liberté de preuve en matière pénale. De surcroît, il
existe certains principes relatifs aux droits de la preuve dominant sur la
phase de l'enquête finale ou en d'autres termes la phase du jugement. Ces
principes sont considérés parmi les droits de la défense,
devenus plus complets et reconnus sous le nom des principes du procès
équitable, qui sont également relatifs à la
légalité de la preuve pénale, étant donné
que cette dernière ne peut être considérée sans
avoir donné l'occasion à l'accusé de la débattre.
Par conséquent elle devient illégale à cause du non
respect des principes généraux de la preuve dans le cadre de la
phase finale de l'enquête ou autrement dit celle du jugement. Ces
principes sont l'oralité et la publicité des débats et le
débat contradictoire sur la preuve, qui font
également partie des principes de la
légalité de la preuve pénale 292 . La Chambre criminelle
de la Cour de cassation française a confirmé implicitement la
notion du principe de la légalité de la preuve, comme l'affirme
M. Henri Leclerc par une expression éloquente selon laquelle si les
délits et les crimes peuvent être prouvés par tous moyens,
c'est « à la condition que les moyens de preuve produits devant
le juge pénal ne procèdent pas d'une méconnaissance
des
291 V. M.-E. Boursier, Le principe de
loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 95 : « En
effet le principe de liberté tend à assurer la
sécurité dans un premier temps publique par la répression
efficace des comportements pénalement sanctionnées et par la
répression appliquée aux auteurs des infractions. Cette
sécurité matérielle est nécessaire mais au
même titre que la sécurité juridique. Or pour assurer cette
sécurité juridique qui permet une protection contre l'arbitraire
(menace pour tout citoyen), il faut concilier la recherche de la preuve avec le
respect de la légalité, c'est-à-dire avec le respect de
l'ensemble des règles juridiques qui organisent la société
».
292 V. G. Guidicelli-Delage (dir.) et H.
Matsopoulou (coord.), « Les transformations de l'administration de la
preuve pénale. Perspectives comparées. Allemagne, Belgique,
Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni », in
Mission de recherche Droit et Justice / Synthèse 107 /,
décembre 2003, p. 10 : « C'est, en effet, à la remise en
cause de certaines garanties et droits que concourent les deux mouvements. Tous
les principes du procès équitable qui gouvernent le droit de la
preuve - présomption d'innocence, égalité des armes,
principe du contradictoire, principes de loyauté, d'adéquation et
de proportion - mais encore les droits substantiels de l'homme (dignité,
respect du corps humain, respect du droit à la vie privée) sont,
dans une plus ou moins grande mesure, à une occasion ou à une
autre, sacrifiés à l'efficacité ».
293
.
67
règles de procédure et n'aient pas pour effet
de porter atteinte aux droits de la défense »
M. Henri Leclerc attire l'attention sur la manière
d'appliquer cette règle: « mais en la circonstance, elle se
désarme en exigeant de celui qui se plaint de la violation des formes
ou
294
.
d'une pratique déloyale une preuve impossible à
faire »
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